1985 Sun-Pil, fille cadette disparue dans les rues de Séoul des années plus tôt, retourne auprès des siens à Gyeongju, le ventre rond et la queue entre les jambes, sans le sou. Après les cris et les larmes des retrouvailles, les tensions s'apaisent chez les Heung, et Sun-Pil est reprise à la maison. Quelques mois plus tard, elle fait sortir la monstruosité qui lui a poussé par accident dans le ventre, et découvre bien vite que l'accouchement n'est pas le miracle qu'on lui avait tant vanté : elle ne se sent pas plus mère qu'avant, et considère son fils avec une indifférence matinée de ressentiment, voire de dégoût. Deux mois plus tard, elle laisse Kyung-Tae pour remonter à Séoul, quittant définitivement ce trou qu'est devenu Gyeongju.

1993 Elle s'appelle Dona ("돈아? 아이구 너는 참 "돈돈돈"이야.." ; il la regarde avec un émerveillement sidérant sa tante. On ne fait pas plus inutile, comme animal-lié : mais s'ils se sont choisis, c'est qu'il doit bien y avoir une raison...

1995 "누구예요?" Un grand type se tient dans l'entrée, un sourire trop large aux lèvres pour inspirer confiance à Kyung-Tae ; un gros chat gris auquel il manque la queue se frotte contre ses jambes et le regarde avec de grands yeux bleus. "경태지? 야, 순필 많이 닮았네." "니 방으로 가. 당장." Kyung-Tae laisse (littéralement) traîner une oreille pour entendre la conversation depuis sa chambre - les mots sont vite étouffés par un sortilège de silence, et  l'inconnu disparait dans la nuit aussi rapidement qu'il est apparu dans sa vie.
"경태야.." Kyung-Tae relève les yeux de son livre de hanja : le grand type est de retour, devant la cour de chez eux comme s'il n'osait pas entrer.  "이로 와.. 내가 무섭냐? 아이구 이 자식.. 이로 오라고!" Kyung-Tae va se faire engueuler - il récupère Dona, en promenade sur le maru de la maison, et s'approche avec le coeur battant d'un pressentiment étrange : comme s'il avait attendu toute sa vie cet instant autant qu'il l'avait redouté. "난 누군지 알아? 응? 왜 말을 안 해? 바보냐?."  "아니에요."  "그래. 알겠지? 너 같은 똑똑한 놈이. 아버지를 보고 싶지 않았어?" "..." "같이 가자." "어디로요?"  "재미있는 데로. 경주가 별로지? 부산이 월씬 좋아, 애들도 많고. 야야, 여기 좀 있어봐. 이모한테 얘기를 해 놓고 데려다 줄게."

1996 Son père lui apprend plein de trucs, autrement plus utiles et intéressants que les devoirs de sa tante : comment parler aux gens, négocier un bon prix, comment jouer au hwatu sans se faire plumer, quelques runes pour déverrouiller les portes de maisons vides ou endormies - il faut faire particulièrement gaffe, pour ces dernières, lui répète Kwang-Yeol en neutralisant l'alarme électronique des Moldus du jour, avec leurs machins technologiques de pacotille - et, surtout, l'art de la disparition, lorsqu'il s'envole précipitamment en laissant son fils, seul à Busan, pour quelques jours, parfois quelques semaines - puis un jour, Kwang-Yeol ne rentre pas.

mars 1999 Plus son éducation particulière avance, plus Kyung-Tae regarde défiler les uniformes de la prestigieuse GEMS, située à deux rues de la maison qu'il occupe seul, depuis la dernière absence en date de son père, avec envie ; et quand il voit sortir Park Min-Su du pressing sorcier avec un soupir, pour s'arrêter à deux pas de lui et conter le récit des malheurs de Yong-Nam, son fils prodigue, à travers sa boule cristal, l'idée germe en un éclair dans l'esprit de Kyung-Tae qui en délaisse aussi sec son odeng - l'opportunité se dessine aussi clairement, à ses yeux d'adolescent envieux, que l'onde bleutée se reflétant sur le visage de la mère du sorcier.

Tout se passe avec une facilité désarmante - tout tient dans ce mot qu'il tient entre ses doigts, à son arrivée au secrétariat, où se trouve la signature factice de la mère de Yong-Nam. On l'envoie dans sa nouvelle classe, à son nouveau bureau, à côté d'un inconnu dont il évite sciemment les grands yeux bruns - il est raide, en sueur, et passe sa première journée de cours sans prendre de note, persuadé qu'on va le prendre la main dans le sac.

Mais personne ne vient, ni Park Min-Su, ni le secrétaire ayant reconnu la fausse signature : il faudra deux semaines entières, et l'arrivée du vrai Yong-Nam dans la classe (un face à face qui restera dans les annales), pour qu'on découvre la supercherie.
Au coeur du savon monumental que lui passe sa tante, Kyung-Tae comprend une chose : il est plus aisé de se faire passer pour quelqu'un que de le devenir vraiment, et il semble, comme le souligne sa tante, avoir hérité du don de son père.

avril 1999 "Kay?" Les grands yeux bruns le cueillent en plein restaurant, et Kyung-Tae s'immobilise au-dessus de son assiette de omerice. Jay. Il s'étouffe sur sa bouchée, qu'il fait passer d'une rasade d'eau fraiche, son visage devenu aussi rouge que le ketchup barbouillant son omelette au riz.
Jesse l'impressionne, depuis le premier jour où il s'est assis à côté de lui - il n'avait jamais vu d'Américain d'aussi près, avant, et son silence, quand il l'a pris sur le fait avant l'heure, pour Yong-Nam, lui a permis de tenir quelques jours supplémentaires.
Pour payer sa dette, il lui offre de s'asseoir avec lui, à table ; à des lieues de la conversation gênante à laquelle il s'attendait, Kyung-Tae passe l'un des meilleurs moments de sa vie.

2000 Son père est revenu, un beau jour de printemps. Jay lui parle de Hogwarts et de l'Angleterre, de PhoBay et des Etats-Unis - son bref passage à la GEMS lui a donné des idées, ou a plutot fait germer celles dormantes, dans son esprit vif, et particulièrement ambitieux. Il demande à Jay de lui parler exclusivement en anglais - sa prononciation est désastreuse, sa grammaire un pêle-mêle que son esprit habitué à une seule langue peine à défaire, mais grâce à des livres dégotés d'occasion, la bonne volonté de Jesse, un puits inépuisable de sourires et de "let's try again" tendres qui font battre le coeur de Kay plus vite, ce dernier s'améliore, persévère, consolide son plan d'avenir, ressemblant étrangement à un plan de fuite, avec les yeux rivés sur cet étranger dont Jay lui parle.

juin 2001 Jesse doit repartir ; encore, comme d'habitude, lui a-t-il avec un air las qui a creusé plus profondément la blessure de Kay. Kyung-Tae lui donne une lettre, écrasée entre ses doigts fébriles, lorsqu'ils se voient une dernière fois, et l'étreint jusqu'à perdre le souffle, s'arrachant à Jay en cachant ses larmes - il lui demande de ne pas la lire avant son arrivée en Angleterre. (...) I will miss you a lot. I like you Jay.

automne 2001 "Planning: 계획을 세우다." Impossible de faire des plans, avec son père l'entrainant dans ses combines, entre deux absences soudaines : Kyung-Tae a besoin d'une véritable éducation, et de constance, à défaut d'honnêteté (un luxe qu'il ne peut pas s'offrir avec leurs moyens). Il s'inscrit à une première académie privée moldue à Busan, du côté moldu : avec ses faux papiers (sa "majorité en avance", cadeau de son père) et quelques discrets sorts d'Oubliette, il apprend gratuitement l'anglais et les mathématiques. Le souci, c'est le reste des matières : il faut de l'argent pour s'acheter des études sorcières et prétendre à passer le maneung - aussi Kyung-Tae prend-il les adresses de son père pour se dégoter des petits boulots nocturnes, évite les arnaques trop tape-à-l'oeil (ils ont failli se faire pincer pour de bon, en se faisant passer pour des chamans : lucratif, mais extrêmement surveillé par les autorités).

Son père le découvre, se fâche, le frappe, puis le félicite en ramassant son fils pour essuyer le sang qui lui coule du nez. Kyung-Tae lui vole son fric en retour, et transplane pour Séoul - il investit une chambre de goshiwon moldu sans fenêtre de cinq mètres carrés, avec la gratuité que lui offre l'Oubliette, son plus précieux allié, économise son argent pour se préparer au maneung, choisissant précautionneusement ses classes. Son but est simple : choisir des matières accessibles où il peut rattraper son retard en un an, voire deux (la marge d'erreur), et dont les résultats lui permettront de postuler aux filières les plus susceptibles de recruter les sorciers étrangers, afin d'obtenir une bourse complète pour ses études, à la LAAW. Il ne veut pas de Baeksan U : il veut cette putain de LAAW, loin de son père, loin de ses emmerdes, du manque d'opportunités d'un Coréen en Corée - et près de Jesse.

"(...) Don't come back here, Korea sucks. I'll come to you, I've got a plan, and I don't care what my Dad says. You know he's a pimp now? I'm better off on my own in Seoul. It's crowded and loud, but you'd like it I think. A lot of inspiration for new looks. (...)"

fin 2002 Première tentative au maneung. Il n'échoue pas totalement (comme prévu) : ses yeux coulent sur les résultats suffisants pour prétendre à une faculté locale, mais bien au-dessous de ceux dont il a besoin pour un dossier boursier à la LAAW. Ses petites magouilles ont payé quelques mois à Séoul - il a lui faut néanmoins économiser pour Londres, il lui est impossible de sacrifier ses préparations à l'examen, qu'il doit, au contraire, doubler rapidement.

Comme attiré par l'odeur de l'échec, Kwang-Yeol vient toquer à sa porte quelques semaines plus tard, et lui demande de l'héberger durant quelques temps. "경태야.. 아버지한테 도와주면 안 되나? 응?" "안 돼." "돈이 꽤 될거야.. 너는 돈을 필요하지? 이번에 아버지는 돈이 안 뺏길거야.. 어때 응?"

"Change of plans: 계획이 바뀌다." Il a besoin de thunes, et il n'est plus ce gamin balloté par son pauvre père.

Il accepte, si on procède selon ses méthodes ; recrutement soigné, sécurité assurée pour les filles, communication par téléphone enchanté. "I'm a pimp too now", se garde-t-il de dire à Jay dans leurs lettres - il se concentre sur son avenir, plutôt que sur ce présent fallacieux où il plonge à pied joint dans l'illégal.

été 2003 Son père est un sale con - il a remplacé la sécurité absente, un soir, pour ne pas perdre une soirée de gains. Forcément, il y a eu une merde : forcément, la police a débarqué sur place - forcément, son père s'est fait arrêter. Et son Occlumancie de merde a sauvé la mise à son fils - "혼자 다 했어요.." Il comptait probablement sur lui pour le sortir de là ; Kyung-Tae l'a laissé filer en prison, et a repris le business à zéro.

2004 Kay s'imaginait un grand sourire s'épanouir sur son visage, en le revoyant à la gare des Portoloins : il a, au contraire, l'impression d'avoir avalé une brique en trouvant les traits adultes de Jesse - Jesse avec une barbe, plus grand, à peine plus épais, sensiblement différent dans ses fringues anglaises. "I like you too." Les babillages d'adolescents lui reviennent en mémoire pour mieux le mettre dans l'embarras - ils finissent par se sourire nerveusement, et après quelques rires maladroits, s'étreignent enfin.
Kyung-Tae a obtenu les résultats nécessaires pour entrer à la School of Arithmantics, other Numbers and Engineering - Kyung-Tae aime la valeur sûre et la constance des chiffres, qui lui offrent désormais sa nouvelle vie.

2006 Ce n'est qu'un petit job, un truc sans importance dégoté par une connaissance de la fac ; après les faux sujets d'examens et la fausse paperasse qu'on lui a demandé "comme service" et qui lui ont construit une réputation discrète (sous pseudonyme, toujours, ne jamais donner son vrai nom), on le fait basculer du côté d'un plus gros poisson : l'Angelus.

Ce n'est qu'un petit job, qui lui colle un frisson quand il en parle à Jay.  "It's part of the bigger picture. I've got a plan, trust me. I'll get us out of here, in just a few years. Just trust me, alright?"