Felix fronça les sourcils devant l'impertinence du soleil venu le déranger dans son (trop court) sommeil – il détourna la tête avec la ferme intention de replonger dans les bras de Morphée et profiter de sa journée avant son service nocturne, et sentit un mouvement à côté de lui ; une couverture que l'on repousse, un creux à l'autre bout du matelas. « Il est quelle heure ? » fit-il d'une voix endormie, rincé par le brunch de la veille, l'après-midi passé en compagnie des Fitzroy, et la soirée seul à seul avec Otto (si on exemptait Jude qu'ils avaient rapidement envoyé dormir) – un dimanche parfaitement bien exploité dont il avait profité jusqu'à la dernière goutte. « Six heures trente. » Définitivement trop tôt au goût de Felix, qui poussa un soupir en resserrant sa prise sur son oreiller, ouvrant ses yeux plissés de fatigue pour voir Otto se lever. « Et moi qui me plaignais de tes levers à huit heures, en Amérique du Sud... » souffla-t-il en accompagnant son corps nu du regard, une vue qui valait la peine d'ouvrir les yeux quelques minutes le temps de... « Merde ! » Lundi, lundi – on était ce lundi. « Je savais que tu oublierais. » « Bien sûr que j'allais oublier », ronchonna-t-il en se frottant le visage pour se sortir de sa torpeur et reconnecter avec la perspective de l'entrevue qui l'attendait un peu plus tard dans la journée. « Ce n'est pas si différent d'oublier l'anniversaire de ta fille. » « C'est arrivé une fois. » Une fois de trop qui le hanterait jusqu'à la fin de ses jours – au souvenir de la lettre très cordiale et très glaciale envoyée par Alice, Felix se redressa derechef. « Moi, au moins, je me rappelle combien j'ai de gosses. » Il n'avait même pas pris la peine de le marmonner, ses sourcils haussés sur son front ; Otto connaissait ses travers et était l'être humain, sur Terre, le plus apte à endurer ses répliques piquantes.

Il avait petit déjeuné avec Otto avant d'aller s'échouer cordialement, après leur départ à lui et à Jude, sur le sofa du salon pour une autre sieste – il s'était réveillé en sursaut, constaté l'heure, et avait miraculeusement eu le temps d'une douche avant de transplaner pour Londres.

Rendez-vous à 11h tapantes dans l'Atrium. Felix constata que ses tapantes avaient un train de retard (ou deux, peut-être), et apparut dans le hall du Ministère qui commençait à s'agiter sous le déjeuner qui approchait.

Siham était là, lugubre, nerveuse ? Bien sûr qu'elle était nerveuse, cette gamine qui faisait comme si elle n'avait peur de rien – Felix lui fit signe et s'approcha avec un large sourire, son regard décortiquant rapidement la tenue de la sorcière (qui bien sûr, était autrement plus adaptée que la cape décrépie qu'il avait enfilée pour son propre passage). « Alors championne, prête pour le grand événement ? » fit-il comme s'il était à deux doigts de l'accompagner jusqu'à l'autel pour marier le Lord – une vision à l'arrière-goût d'horreur qui n'était que le début d'une longue série d'images dérangeantes. Il ouvrit un bras en direction des ascenseurs, regarda le flot de sorciers, sorcières, notes de bureau et hiboux égarés se déverser dans l'atrium avant d'y pénétrer avec son apprentie.
Felix appuya sur le bouton et cala ses deux mains dans les poches de sa veste, avant de jeter un coup d'oeil au profil fermé de Siham devant le silence presque parfait de la cabine – il n'y avait qu'eux et une jeune sorcière à l'air pincé (le signe immanquable des Langues-de-plomb). « C'est moins pire que ce que tu crois... Enfin, normalement », commenta-t-il avec un sourire au coin des lèvres, tandis que l'ascenseur s'enfonçait dans les profondeurs des sous-sols, direction niveau neuf.

« J'espère bien. Ça fait mal ? Il y a un test avant ? C'est le bras gauche pour tout le monde ou si c'est selon si l'on est gaucher ou droitier ? » Un peu nerveuse hein ? Le sourire en coin de Felix se faisait presque amusé devant la poussée de stress de sa protégée, et il lui répondit en se penchant légèrement vers elle. « Terriblement douloureux, certains en sont morts », admonesta-t-il avec un air mortellement sérieux, avant d’éclater d’un rire bruyant qui lui valut l’œillade de la sorcière coincée avec eux. « Ça va aller, détends-toi ! Réponds bien aux questions et tout ira bien. » L’ascenseur s’arrêta et les portes s’ouvrirent dans un bruit métallique ; la Langue-de-Plomb disparut, tandis que Siham lui adressait ses remerciements. Felix les balaya d’un revers de main – ce n’était pas tout les jours qu’une Sang-Pure vous disait merci, mais Siham était, avant tout, sa pupille officieuse et la gosse qu’il avait pris sous son aile dès les premiers instants. « Allez va, tu me remercieras autour d'un verre plus tard, » fit-il tandis que sa voix résonnait dans l’entrée du N9, « un verre de cidre, bien sûr. » Il lui lança un regard lourd de sens, avant qu’il ne repère du coin de l’œil la silhouette de…

« Shafiq ! » s'exclama Felix en ouvrant les bras comme s'il retrouvait un vieil ami – Abbas n'était néanmoins ni vieux, ni enclin à se laisser aller à la définition trop large de l'amitié de Felix, pour qui tous.tes les Mangemorts formaient une seule et une unique grande famille (de même que la Brigade formait une seule et unique grande famille, quoi que pouvait en dire Corban et son sourcil dubitatif). « Ça fait drôle de te voir dans ton habitat naturel, même si le N9 te va mieux au teint que le Club », fit Felix avec un éloquent coup d'oeil au visage pâle d'Abbas qui n'avait certainement pas vu le soleil de l'été, enfoncé dans les entrailles du N9 en compagnie d'une autre créature de la nuit : son très cher Fitzroy. « Vous êtes en retard. » Felix roula des yeux, l'air de dire qu'on n'était pas à dix minutes près de faire attendre – tant que le Lord ne regardait pas trop sa montre... « Par ici, ne traînez pas : les couloirs sont... Capricieux. » Felix ne vit pas le sourire tordu d'Abbas, aux airs de grimace : il avait déjà détourné les yeux pour les laisser traîner du côté des salles de recherche. Il se résigna tout aussi vite à grappiller des miettes d'Otto pour offrir un sourire engageant à Siham, ainsi qu'un léger coup de coude dans ses côtes de stressée. « J'ai des frissons, c'est comme si c'était moi qui allais prendre la Marque. Je t'ai déjà raconté comment ça s'était passé, pour moi ? »

Il lui avait raconté une dizaine de fois, au moins : et Felix embraya sur une fois supplémentaire tandis que Shafiq leur ouvrait une porte sur le côté avec une clé d'un imposant trousseaux – immédiatement, un vent glacial et une obscurité brute s'abattit sur les trois sorciers. Ils venaient de pénétrer dans les boyaux menant à l’antre du Lord et Felix lui-même interrompit son récit pour sortir sa baguette et endiguer le frisson de frayeur qui s'était fait un chemin sur son échine. C’était toujours la même rengaine, même après des années de bons et loyaux services. Même l'éclat de leurs Lumos semblait tamisé, à la lueur d'une obscurité épaisse qui n'avait pas tout à fait à voir avec une simple baisse de luminosité. « Si jamais tu te demandais à quoi pouvait ressembler l'autre côté, voilà un petit avant-goût... » fit-il à Siham avec une grimace, un ton plus bas, ses mots semblant presque se figer dans l'air chargé d'une magie oppressante.

Ils avancèrent au son de la voix de Felix qui avait (bien sûr) repris son récit du jour où le Lord lui avait fait l'honneur de la Marque, sur un volume exagérément élevé qui lui avait valu un cht ! de Shafiq. Felix avait murmuré quelques secondes, se penchant d’un air de conspirateur vers Siham. « C’était le bon vieux temps ! Vachement moins select que maintenant, bientôt il faudra passer un entretien avec CV pour pouvoir… » « Nous y sommes. » Felix s’interrompit brusquement, rappelé à l’ordre par la voix austère de Shafiq et la porte tout aussi peu sympathique qui semblait avoir été taillée à même la roche des sous-sols. Il y eut un cliquetis de clé et un grincement, avant qu’Abbas ne s’écarte pour leur laisser la voie libre. « Je vous attends ici. » « Allez, en piste. » Et Felix abattit une main sur l’épaule de Siham pour la pousser devant lui.

L’atmosphère oppressante des quartiers du Lord s’abattit sur eux sitôt qu’ils franchirent la porte. Felix avait beau connaître la concentration magique entourant le Lord, il peinait à se faire pleinement à sa puissance, décuplée au sein du N9 – il pouvait presque sentir, parfois, les miettes de ces miasmes sur les épaules d’Otto lorsqu’il le retrouvait après le travail. Il y avait de quoi couper le sifflet au plus fidèle (et au plus bavard) des Mangemorts ; Felix avait l’impression déroutante de traverser un portail magique et de se retrouver plongé dans un songe où seule la densité de l’air indiquait qu’il ne s’agissait pas de la réalité. Il préférait encore croiser le Lord au Diogenes Club – ou se raccrocher aux éléments les plus triviaux de ce bureau aux murs d’un bleu profond, prêt à déferler sur le moindre visiteur indésirable.

Felix, la nuque raide, s’avança en direction de l’imposant fauteuil où se trouvait la silhouette du Lord, tournée vers la cheminée éteinte – il s’agissait là de l’élément central de la pièce, érigé comme un trône en dépit de la façade tout à fait banale (ou presque) du décor, sous lequel on pouvait voir luire les écailles de Nagini. Les lumières des bougies semblaient brouillées, comme embuées par la magie ambiante ; quelque chose ne tournait pas exactement rond, un fait somme toute banal dans l’antre du mage le plus puissant de leur génération. « Tu es en retard, » lui répondit un souffle glacial, et Felix eut une grimace d’enfant mis face à sa bêtise (impossible de faire porter le chapeau sur Siham, devant cette accusation dirigée droit sur lui – et puis, il préférait encore se compromettre lui que son poulain, le jour de sa promotion). « Toutes mes excuses, maître. Le temps que Shafiq nous amène jusqu'ici… » commença-t-il avant de croiser le regard aiguisé du Lord. Felix ravala sa langue et ses excuses miteuses, pour mieux ouvrir le corps et une main vers Siham, légèrement en retrait derrière lui. « Voici Siham, milord. » « Maître. » Felix coula un regard à sa protégée, la nuque humblement inclinée devant le Maître, et se tut lorsque ce dernier se leva du fauteuil sans un mot, le bruit étouffé de ses pas prouvant que le parquet n’était que le fruit d’une illusion physique (ou qu’il était arrosé d’une bonne couche de Silencio). « Siham Al-Massri. » Le mage s’arrêta devant la sorcière, son regard rivé dans le sien – un bon moyen de vérifier si les genoux de Siham pouvaient tenir le choc en toute circonstance. « J’ai eu vent de tes exploits, continua le Lord d’une voix basse, presque envoûtante. Mais également de ceux de certains membres de ta famille… » Felix retint difficilement une autre grimace, son regard revenant à Siham sous ces accusations justifiées dont il l’avait prévenue en amont, lors de leurs derniers briefings. Avoir des traîtres dans son arbre généalogique ne faisait pas exactement bonne figure ; mais son père avait sensiblement œuvré à se plier aux quatre volontés du Lord, et Siham avait, avant tout, l’avantage du sang.

Le Lord revint s’asseoir dans le fauteuil qu’il avait quitté quelques secondes plus tôt, et Felix fit un signe discret à sa protégée d’aller s’asseoir sur celui, autrement moins imposant, en face de lui. « Puis-je savoir ce qui t’amène, Siham ? » Il était temps de sortir son discours de candidate idéale ; Felix ne pouvait plus que la regarder, légèrement à l’écart, et la voir convaincre le Lord de toute sa bonne volonté à rejoindre leurs rangs.

Un sourire naquit sur les lèvres de Felix dès les premiers mots de Siham, pour mieux s’étirer au fil des mots de sa protégée. Ils avaient passé en revue ensemble les arguments de poids sur lesquels il serait bon d’insister et les légers accrocs qu’il valait mieux éviter de mentionner devant le Lord – le seul regret de Felix était d’être dans l’incapacité de se laisser aller à la tentation de s’accouder à l’imposante cheminée pour se griller une cigarette et profiter du spectacle, à écouter Siham, nerveuse et grave, énoncer avec aplomb qu’elle se ferait un plaisir de s’occuper de son traître de cousin. Aah, la famille – Felix sentit son cœur se soulever d’une fierté toute parentale à voir Siham professer son envie de marcher dans ses pas.

Le Lord l’écouta sans broncher, ses deux yeux noirs rivés sur elle en un regard fixe dénué de battements de cils. « Je vois », commenta-t-il d’une voix basse dénuée de chaleur, les lumières de la pièce vacillant brièvement devant ce souffle lugubre. Je vois, ce n’était pas si mal, commenta en retour Felix en son for intérieur, guettant du coin de l’œil les réactions du Lord, l’humanité retrouvée ne rendait néanmoins pas plus expressif, au contraire.

Il y eut une brève pause ; Felix put sentir la lourdeur du silence enrober ses épaules. Il se ferait un tel plaisir de se griller une clope, sitôt qu’ils seraient sortis d’ici… « Je recherche une loyauté sans faille, Siham, reprit la voix du Lord, qui n’emporta pas pour autant le poids de cette atmosphère étouffante. J’ai hélas été bien trop souvent déçu par ceux et celles qui se disaient être mes plus fidèles serviteurs. » Un frémissement au coin des lèvres, ce qui se rapprochait le plus d’un sourire chez le mage. Ce dernier se pencha dans un silence mortel, chacun de ses mouvements enrobé d’une nappe silencieuse, en direction de Siham, ses yeux brillant d’une lueur sombre. « Es-tu prête à tuer pour moi ? » Simple vérification de routine : c’était une chose de vouloir abattre un cousin qui faisait tache sur son arbre généalogique, et une autre de tirer à vue sur ordre du Lord. Felix avait lui-même pu constater la différence, à frayer avec des collègues uniquement motivés par un désir de vengeance. « Es-tu prête à retourner ta baguette contre les êtres qui te sont chers ? Es-tu prête à te vouer entièrement à cette cause ? » La voix du Lord chuta d’un ton, et sa baguette apparut souplement des ombres entre ses doigts : « Es-tu prête à m’offrir ton esprit et tout ce qu’il contient ? »

Chaud. C’est probablement ce qu’aurait décrété sa fille de dix ans devant le spectacle du Lord pénétrant (sans grande douceur) l’esprit de Siham. Felix esquissa une grimace discrète devant le choc psychique qu’encaissait ouvertement sa protégée – il ne fallait pas se trouver avec eux, dans sa tête, pour sentir la virulence de cette fouille intrusive que Felix avait déjà pu expérimenter par le passé (il y avait longtemps, avant sa fuite, puis à son retour, et d’autres fois où il avait failli, pris entre les deux yeux noirs du Lord plongés dans les siens). On avait beau le servir depuis des décennies, la terreur que le mage inspirait ne décroissait jamais vraiment – Felix se demandait même s’il ne se nourrissait pas, à la façon des Détraqueurs, de la peur et de l’angoisse qu’il pouvait provoquer d’un regard.

Felix put voir le lien se rompre, tout aussi sèchement qu’il s’était créé, dans l’attitude des deux sorciers : Siham releva les yeux vers le Lord tandis que ce dernier se redressait avec lenteur, son regard rivé sur Siham. Il venait simplement d’ouvrir une porte et de jeter un coup d’œil à ce qui se trouvait derrière avant de la claquer sur l’esprit éprouvé de la sorcière – il y eut quelques secondes de silence, durant laquelle le Lord toisa Siham de toute sa hauteur, un temps de battement aussi lourd que la magie dans l’air ajoutant à la charge des épaules de Felix. "Siham", appela-t-il d’une voix basse, presque urgente, en considérant la sorcière sans s’en approcher, une ride légère creusant son front. "Agenouille-toi." Le regard du Lord, son silence, sa raideur tandis qu’il toisait la sorcière sans un mot – autant de signes qu’un Mangemort de longue date comme Felix savait interpréter sans hésitation : il attendait quelque chose, quelque chose qui ne nécessitait pas d’explication.

Comme si Felix avait appuyé sur le bouton magique, le Lord s’appuya sur l’accoudoir richement travaillé de son fauteuil pour mieux se lever et dominer, ainsi, entièrement Siham. "Sois ma plus loyale sujette, Al-Massri. Fais honneur aux tiens, rachète les erreurs du passé, n’aie peur du danger, car il ne sera jamais plus grand que toi, à mes côtés." La baguette du Lord se releva en direction du bras gauche de la sorcière ; Felix lui coula un regard nerveux en espérant qu’il n’aura pas, cette fois, à intervenir pour gâcher l’intensité de cet instant crucial, décisif, qui déclenchait, en même temps qu’une once de frayeur, un frisson d’excitation le long de sa peau.