tw: mention d’alcool, mort, langage cru

Les jambes de Noam le portent tout seul, ignorant la blessure diffusant une douleur lancinante dans son bras. A vrai dire, il ne s’est jamais senti aussi en forme et aussi en vie depuis ces derniers mois qu’en cet instant à chercher à échapper une fois de plus à une mort à ses trousses. Résistants et prisonniers avancent à toute allure dans la forêt où règne une odeur de magie nauséabonde, de sang et de mort également, des effluves multiples qui donneraient presque au sorcier l’envie de répandre sur le sol tout le Firewhisky qu’il a ingurgité sur le chemin. Son regard alerte fait sans cesse des allers-retours entre Ethan à ses côtés, les quelques prisonniers dans son dos, puis plus loin, derrière eux - putain mais t’es où Yaxley ?. Et, à chaque fois, il peut sentir leurs assaillants suivre leurs traces, tout près, à une distance assez confortable pour pouvoir s’enfoncer un peu plus entre les arbres, mais assez menaçante pour ne pas ralentir ne serait-ce qu’un peu leur vitesse - la sienne, de vitesse, loin d’être à son maximum (peut-être le seul avantage trouvé à sa récente transformation), se synchronisant plutôt avec celle du groupe. Et s’ils sont dans la merde… Il n’aura qu’à choper Ethan sur son dos et foncer jusqu’à la plage. Good plan.

Ce n’est qu’en atteignant la lisière de la forêt que le cerveau de Noam sort brièvement de ce mode automatique. Ses pas ralentissent, juste un instant face à l’imposant navire dont il peut entendre les voiles êtres fouettées par le vent, même au travers de la centaine de mètres qui l’en séparent. L’Ordre a beau être un regroupement de petits fils de pute, ils savent faire les choses avec style, même lui est bien obligé de le reconnaître. Et alors qu’il revient à la réalité, Noam se rend compte que, s’il imaginait que la fête serait terminée une fois la rive atteinte, et qu’ils pourraient tranquillement rentrer chez eux après avoir sauvé la terre entière, il se trompait amplement. Le bois n’était rien, comparé au chaos qui règne sur la plage s’étendant sous ses yeux ; ils sont tous à découvert désormais, et cela semble suffisant pour faire perdre complètement la boule à nombreux résistants et prisonniers. Les sortilèges fusent dans tous les sens, ça crie, ça pleure, ça se bat, ça pisse le sang, ça s’écroule au sol. Noam est en plein milieu d’un champ de bataille, et il n’y a rien qu’il puisse faire pour tous les sauver.

Pas même deux de ceux qu’il a sorti du bois un peu plus tôt, qu’il voit s’écraser face contre terre dans une lumière verte ; et il ne lui en fallait pas plus pour retrouver ce mode automatique, de survie, un instinct lui mordant soudainement les entrailles. ”AOIFE ! SOFIANE ! — HEY !”, hurle-t-il à s’en décrocher les poumons en refermant violemment ses doigts sur le bras de l’autre folle qui manque de se mettre dans la ligne de mire des chasseurs s’extirpant du bois. Non, il ne peut pas tous les sauver, mais peut-être qu’il peut sauver une personne, et ne pas être si inutile qu’il en a l’air. Il ignorait posséder une telle force, alors qu’il parvient à maintenir Sav contre lui qui se débat comme une furie - et pourtant, elle lui en a déjà flanqué de ces raclées dont il se souvient encore aujourd’hui. ”Qu’est-ce que tu branles ? Tu vas crever putain, faut qu’on monte sur le bateau !” Peut-être qu’il peut sauver une personne, mais si cette personne y mettait un peu du sien, ça serait quand même beaucoup plus simple, et ça lui éviterait l’impression que son coeur va remonter le long de sa gorge pour s’étaler sur le sable. Noam cherche à la tirer du mieux qu’il peut en direction du Tempest, avançant peut-être une dizaine de mètres en se battant presque avec elle - il pourrait lui mettre un petit coup rapide derrière la nuque pour qu’elle se calme définitivement, mais il n’a pas assez confiance en la maîtrise de sa force, et s’il se retrouve à lui briser le cou alors qu’il tentait de la sauver, ce serait probablement le pire scénario dans lequel il se serait foutu de toute sa vie. Non, mauvaise idée. ”Mais t’es complètement conne ou quoi ? On va crever j’te dis si on se casse pas rapidement !” Mais putain qu’elle se débat, qu’elle lui crie qu’elle refuse de partir avec l’Ordre, que monter sur ce bateau, ça revient à rester sur cette île pour elle.

Pourquoi. Pourquoi il fallait que ça tombe sur lui. Pourquoi ? Noam n’a jamais été réputé pour prendre les meilleures décisions, en témoigne son état de ces derniers mois. Se mettre en danger pour aider les autres, c’est pour ça qu’il s’est cassé il y a dix ans, pas vrai ? ”Putain”, siffle-t-il en s’immobilisant, son regard passant de Sav à Ethan, à quelques mètres d’eux. Non, définitivement, Noam ne sait pas prendre de bonnes décisions. ”ETHAN ! BRO ! J’reviens, partez pas sans moi !” Au moins une personne. ”Vas-y on s’casse d’ici, accroche toi.” Il serre le bras de Sav autant qu’elle s’agrippe à lui, soufflant un grand coup avant de transplaner sans être absolument sûr de lui ; et en effet, ils atterrissent lourdement au milieu du bois, entourés de flammes montant jusqu’au ciel. Maladroitement, il se raccroche à la Halfer pour ne pas tomber à la renverse et retrouver son équilibre. Putain. L’urgence de la situation l’empêche de pleinement se concentrer - il le faut, pourtant, il se connaît suffisamment pour savoir qu’il n’est jamais à l’abri d’un désartibulement, et ce n’est pas du tout un luxe qu’il peut s’offrir ce soir. ”Je sais putain, j’essaye de t’aider là, donne moi juste une seconde”, grogne-t-il entre ses dents face à l’impatience de Sav - il est déjà assez stressé comme ça, qu’elle n’en rajoute pas une couche, merde. Et toujours ces effluves de mort, de magie, de sang, d’hybrides, d’autres créatures dont il ne veut même pas voir la couleur, le regard noir de la Halfer dans le sien, les battements de son propre coeur, et cette chaleur, cette chaleur étouffante, ce-- Noam, focus. Dans un nouveau craquement, ils se font happer par le tourbillon d’un autre transplanage maladroit ; mais cette fois-ci, ils apparaissent sur la rive Nord par laquelle il a débarqué un peu plus tôt. ”Oh merci, putain de merde merci.” Il est à bout de souffle et la tête lui tourne encore, mais il peut très clairement voir la barque intacte, posée sur le sable, comme si elle n’attendait qu’à être récupérée. Sans plus attendre, Noam relâche Sav en désignant du menton le rafiot de fortune, ses mains sur les hanches, récupérant à peine sa respiration. ”Bon, tu survis hein, sinon j’te retrouve et j’te marave. J’déconne pas”, parvient à articuler le lycanthrope, un semblant de sourire aux lèvres, sans joie cependant, l’un de ces sourires qu’on ne lui connaît que rarement, un simple geste d’apaisement pour se convaincre qu’il n’a pas été complètement inutile, qu’il a bien sauvé au moins une personne. Qu’il a bien sauvé Sav.

L’heure n’est pas vraiment aux adieux gênants, et la Halfer se dirige déjà vers sa porte de sortie ; alors Noam lui jette un dernier coup d'œil, avant de partir à grandes enjambées en direction de la forêt. Il a toujours été du genre à tirer sur la corde, à ne pas vraiment écouter les limites de son corps. Mais il sait, il sent qu’il a un peu trop puisé dans ses maigres ressources magiques, et que s’il tente de transplaner à nouveau, il risque d’y rester cette fois-ci. Ce serait con de prendre le risque - tout comme il serait con de rater le départ du Tempest parce qu’il a décidé d’y aller à pied. Le fait est qu’il a bien plus confiance en ses capacités physiques que ses capacités magiques, et Noam court jusqu’à en perdre le souffle, retraçant le chemin qu’il a parcouru avec le reste du groupe en début de soirée. Et il peut toujours sentir cette discrète effluve, disséminée ici et là, unique, reconnaissable entre mille, qui le guiderait plus que son sens de l’orientation. Chaque pas le rapproche un peu plus du parfum d’Ethan, qu’il pourrait suivre les yeux fermés désormais - en temps normal, probablement Noam serait complètement déstabilisé d’utiliser ses sens avec un tel instinct pour se repérer. Mais il ne pense qu’à survivre, et à rattraper ce putain de bateau avant qu’il ne lève l’ancre. ”ATTENDEZ MOI!” Il ne s’entend même pas le hurler en faisant un premier pas sur la rive, puis un autre, ses dernières forces le portant jusqu’à la planche lui permettant d’enfin monter à bord (et en esquivant au passage quelques sortilèges sans même s’en rendre compte). ”Noam ! Noam, ça va ?” Depuis le pont sur lequel il s’est laissé tomber, son dos rapant les planches de bois, les bras étendus en croix, Noam ouvre un œil pour voir le visage de Tony au-dessus de lui. ”Ouais, ouais, ça va… Juste… Juste deux minutes...”

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