tw:angst, crise de panique, psychophobie

L’air atteint difficilement ses poumons ; chaque respiration saccadée est une brûlure s’accrochant à sa gorge, se diffusant dans chaque recoin de son corps, jusqu’à remonter jusqu’à sa boîte crânienne en une douleur pulsant inlassablement contre ses paroies. Ezekiel sait que cette migraine passera sitôt cet épisode achevé, mais sa simple présence ne fait qu’enfler cette panique s’échouant en lui comme des vagues le faisant se recroqueviller un peu plus sur lui à chaque impact. Breathe, breathe. Chaque souffle est un hoquet bruyant et douloureux obstruant ses voies respiratoires, comprimant violemment ses poumons, l’asphyxiant un peu plus alors qu’il presse avec force ses doigts contre la peau rougie de son visage, comme si cette douleur-ci était un tant soit peu suffisante à couvrir celle qui le paralyse sur l’instant. Son of a bitch, son of a bitch – il n’arrive même plus à le dire, laissant cette incantation tourner en boucle à la sortie de ses lèvres sans pouvoir les franchir.

”Ezekiel?” La voix lui paraît lointaine, tout comme les autres assaillant son esprit en des assauts qu’il ne sait plus repousser. Mais celle-ci est bien réelle, tout comme l’est la silhouette qui se dessine entre ses doigts qu’il écarte tout juste pour apercevoir Celyn, debout, dans l’encadrement de la porte. L’image rendue floue par sa vision brouillée se superpose avec celle encore trop vive d’il y a quelques mois à peine ; celle de sa folie, du regard affolé et dur de Celyn, du froid qu’avait laissé sa main se retirant de la sienne, et surtout, de la panique exacerbée qu’avait provoqué son apparition soudaine. Et un ersatz de cette même panique éclate aussitôt en lui ; du mieux qu’il peut, Ezekiel se redresse (trop maladroitement), reprend ses deux mains (trop brusquement) pour accrocher le rebord du piano, bloque (sans réel succès) son souffle pour interrompre les hoquets qui le ponctuent, hausse (laborieusement) ses sourcils pour effacer l’expression pitoyable habillant son visage – autant de réflexes qui lui viendraient tel un sursaut.

”Are you alright? When did you come home?” This can’t happen, se rappelle avoir pensé Ezekiel au cœur d’une détresse puisée dans des souvenirs interdits, please, just go back to bed. L’idée même de laisser Celyn ne serait-ce qu’entrapercevoir une brêche dans sa perfection l’avait laissé interdit, pour ne pas dire horrifié. You can’t let them see. Ever. Celyn a tant vu de lui, désormais – il a vu, en partie, ces discrètes fêlures, il a embrassé l’essence même de son âme, de l’autre côté du Voile, et embrassé celle de son corps et de toute sa vulnérabilité, de ce côté-ci. Tout comme il a pu tant voir de Celyn, désormais, aimant jusqu’à ses faiblesses et ses souffrances. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle à la panique succède ce qui n’est autre que du soulagement ; un soulagement qui n’a pas lieu d’être, alors qu’il est en larmes devant son compagnon, qu’il est faible, petit, défiguré par des maux qu’il ne peut pas lui partager. Le soulagement de ne plus être seul. ”Darling, what's wrong?” Les doigts de Celyn se glissent contre sa paume moite, et y diffusent une chaleur apaisant tout juste son souffle, qu’il relâche en une expiration saccadée, avant de le retenir de nouveau lorsque l’autre main de son partenaire s’étend sur sa joue en une caresse empreinte de tendresse, similaire à celles toutes aussi douces qu’il peut avoir pour lui dans l’intimité.

Alors Ezekiel entrouvre légèrement les lèvres, en une tentative de lui répondre – de le rassurer, peut-être, de lui mentir, encore, de lui dire que tout va bien, qu’il a besoin de quelques minutes pour se calmer, qu’il ne sert à rien de s’inquiéter pour lui. Aucun mot ne sort ; à la place, un son proche d’un couinement, se mutant bien vite en un sanglot le déchirant de part en part. Zeke n’est plus capable de se retenir, de prétendre, pas avec Celyn, pas alors que sa présence se trouve être rassurante plutôt qu’effrayante, pas alors qu’il n’est plus seul. Ses doigts accrochent les siens en une prise fébrile, et sa seconde main, tremblante, se referme sur sa robe de chambre, avant de venir poser sa tête sur son épaule, à moitié dans son cou, pour se laisser aller légèrement contre lui, l’étreindre faiblement, et libérer le noeud serrant jusqu’alors sa gorge. L’air brûle toujours ses poumons, et son cœur menace toujours de se briser au moindre battement ; mais au moins, il bat contre celui de Celyn, cherche à imprimer son rythme tout juste moins frénétique que le sien.

Il s’agrippe au sorcier comme s’il manquait de lui échapper, comme si lui-même manquait de tomber à la renverse sans cette ancre qui a donné une couleur nouvelle, inattendue à sa vie, ses sanglots, plutôt que de se calmer, s’échouant en cascade contre le tissu soyeux de son vêtement. Ses deux bras sont refermés maladroitement dans son dos désormais, ses doigts se serrant et se desserrant en boucle sur sa robe de chambre. ”Celyn I– I don’t– I want it to go away–”, articule difficilement Ezekiel entre deux pleurs lourds de tout ce qu’il ne pourra jamais lui dire – mais que, cette fois, il lui laisse apercevoir. Parce que Zeke ne pourra jamais chasser ces images, ce sentiment étouffant qui le prend parfois, qui ressurgit aux moments les plus importuns. Et Celyn, lui non plus, ne pourra jamais les chasser ; mais, aussi déroutant cela puisse-t-il être, il les rend plus digestes. Depuis quelques mois déjà, et en cet instant, où il ne le repousse pas, le laisse se reposer sur lui, le laisse ne pas être parfait. ”I can't let him–” No. Ezekiel ravale son souffle dans un hoquet, resserre un peu plus son étreinte en pressant ses yeux trempés de larmes contre le col de Celyn. ”I can’t let it do that to me anymore… I just want it– to go away…”

tw: angst

Il y avait une détresse criante sur le visage d’Ezekiel, encore différente de la fois précédente (la seule et unique) où il avait vu ses traits barbouillés de larmes en un masque aux antipodes du sourire habituel qui l’habillait – Celyn était une fois de plus stupéfait par ce contraste et par la lueur brillant au fond de ses yeux humides, un cri silencieux, assourdissant, tandis que sa bouche s’ouvrait pour ne produire aucun son. Quelque chose nouait la gorge de l’un des hommes les plus éloquents de leur monde ; un quelque chose terrifiant, indicible et inconnu, qui prit la forme d’un couac dans le corps d’Ezekiel.

Ce dernier se courba en un angle inhabituel contre le sien ; les sanglots se répercutèrent dans son torse en une mélodie dissonante, les larmes chaudes d’Ezekiel imprimant la marque de sa tristesse à même sa peau tandis que son étreinte se refermait fébrilement sur lui. "Ezekiel…" souffla Celyn en un murmure tout juste audible entre les pleurs, refermant son avant-bras dans le bas de son dos, sa seconde main entravée par l’étreinte éperdue de son partenaire, chaque nouvelle secousse sous la peau du sorcier fendant un peu plus le cœur de Celyn, son regard baissé sur ses cheveux légèrement décoiffés (un détail qui n’avait pourtant pas lieu d’être chez Ezekiel). Son visage était brûlant contre son cou, ses larmes teintées d’alcool (celui qu’il avait bu avant son arrivée, ainsi que du vin datant probablement du dîner) ; des mots se formèrent timidement dans son souffle lourd de peine, la paume de Celyn les encourageant de caresses lentes dans son dos. ”Celyn I– I don’t– I want it to go away–” Les sourcils de Celyn se froncèrent d’incompréhension. Go away? Parlait-il de la même frénésie qui l’avait pris, dans son bureau ? ”I can't let him–” Le souffle de Celyn se tut, comme pour guetter la suite de ce début d’aveu, une minuscule pièce de l’immense puzzle qu’Ezekiel lui distillait au compte-goutte depuis leur rencontre. There was someone. ”I can’t let it do that to me anymore… I just want it– to go away…”

Quelle était l’étendue du mal qui le rongeait ? Quelles blessures pouvait-il lui cacher, assez terribles pour ne pas lui révéler après de longs mois d’épreuves et d’amour mêlées ? Go away. Lui aussi avait longtemps voulu que la douleur disparaisse, souhaité gommer la peine qui alourdissait son cœur et le rendait amorphe – puis la cacophonie dans son crâne, mordant jusqu’à sa chair. À ces souvenirs encore vifs, actuels, Celyn dégagea sa main sans déranger le corps crispé d’Ezekiel pour la glisser à l’orée de sa nuque fiévreuse, refermant ses doigts à la base de ses cheveux avec douceur. "It’s only the two of us", souffla-t-il en abaissant légèrement le menton pour venir presser ses lèvres contre le creux de son cou, cillant devant la nuance poisseuse de sa peau et les effluves de peur s’en échappant, la caresse dans son dos continuant en un cercle qui se voulait rassurant, cherchant à faire sortir de son corps un mal-être qui n’avait pas de raison de s’y trouver. "What’s hurting you?" Les pièces du puzzle étaient trop petites et éparses et Celyn ne parvenait qu’à émettre des hypothèses sans fondement au sujet de cette figure qui avait naquit entre les lèvres d’Ezekiel, au début de leur relation, pour se faire récurrente, bien que terriblement discrète, au fil des discussions sur leur passé respectif – ce quelque chose n’était autre que quelqu’un, un secret bien gardé que tout le corps de Zeke se refusait à laisser entrevoir, s’y refermant pour le dérober au regard de Celyn.

tw/cw:angst, crise de panique, psychophobie, mention de relation abusive, de viol

Ezekiel est, sur l’instant, l’incarnation même de tout ce qu’il méprise. Faible, à ne pouvoir garder le moindre contrôle sur ses émotions, prisonnier de souvenirs qui parviennent à déjouer les barrières pourtant solides de son temple mental ; petit, tremblant, recroquevillé contre son partenaire, auquel il s’accroche désespérément comme à une bouée de sauvetage en pleine tempête, à éponger ses larmes sur la soie douce et réconfortante de sa robe de chambre ; vulnérable, à laisser quelqu’un d’autre apercevoir qu’il n’est qu’un homme, un homme comme tous les autres, loin de la façade de perfection qu’il présente au reste du monde. Grow some self-control, kiddo, you are an absolute disgrace.. Ezekiel en est incapable, alors que la main de Celyn glisse en une caresse discrète et maîtrisée jusqu’à l’orée de ses cheveux, un contact d’une douceur qui fend un peu plus son coeur sur l’instant. Cette douceur devrait l’aider à se relever, devrait sécher ses larmes, l’apaiser, elle devrait souder ne serait-ce qu’un peu la fissure brûlante à même son torse – et à la place, elle lui tire un nouveau sanglot, l'enjoint à refermer avec plus de détresse encore ses doigts sur son vêtement.

Peut-être est-ce parce qu’il se sent en sécurité, avec Celyn, au point de ne plus ressentir le besoin vital de se protéger lui-même, au point de laisser complètement retomber toutes ces barrières, toute cette façade, tout ce qui le maintient loin des autres, de lui-même.

”It’s only the two of us.” Les mots de Celyn pénètrent la peau d’Ezekiel, là où il dépose en un baiser lent, rassurant ses lèvres. It’s only the two of us, répète silencieusement Zeke, une incantation qu’il a pu souffler lui-même à son compagnon dans leurs moments les plus vulnérables, leurs moments les plus intimes, en un rappel simple de ce qu’il ont, de ce qu’ils sont, de cette confiance mutuelle qu’ils se portent, du fait qu’ils ne chercheront jamais à se faire du mal (As long as we have each other, as long as it’s just the two of us, nothing or no one can affect us.)(You’re safe, now.) A ces mots s’ajoutent la caresse lente, circulaire, régulière dans son dos, comme une vague s’échouant doucement sur la plage avec, toujours, la même amplitude, la même cadence, une régularité dans laquelle Ezekiel trouve autant de réconfort que de paix. ”What’s hurting you?” No one will ever believe you anyway. Ezekiel ne sait pas, ne sait plus ce qui le blesse, n’a jamais vraiment su – parce qu’il ne s’est jamais autorisé à regarder en arrière pour comprendre cette impression d’étouffer par moment, cette honte et cette douleur mêlées lui collant à la peau. (I mean, you agreed, remember? If you didn’t want to, you should have said so.) ”I don’t– I don’t know”, balbutie-t-il en serrant la mâchoire pour contenir vainement un nouveau sanglot, qui ne tarde pas à s’écraser contre le corps de Celyn, le sien s’y pressant sans force pour s’imprégner au mieux des battements de son coeur autrement plus calmes que les siens.

You do know – l’invitation de Walker, son pouce caressant sa main, son regard lubrique sur lui, celui d’Oscar, ses mains sur lui, des mains sur lui, des mains– ”I don’t know– I don’t understand why it’s still hurting, why it’s hurting at all.” C’était il y a si longtemps, et il a tant œuvré pour enfermer ces souvenirs loin de ce qu’il est aujourd’hui. C’était il y a si longtemps, et il a œuvré en connaissance de cause ; il l’a fait, lui, en pleine conscience, il a accepté, il a laissé Oscar faire, les autres faire, il a accepté ce poids – pourquoi aurait-il seulement le droit d’en souffrir ? ”All these things… All these things I’ve done, all these things he made me do…” Il ne se corrige pas, cette fois-ci ; il laisse Celyn apercevoir un peu plus ce qu’il ne pourra jamais lui dire en détail, sur cet autre qu’il a déjà mentionné, sur lui-même également, sur ces choses qu’il ne peut pas nommer. ”Thing’s I’m so ashamed of.” La honte est le seul sentiment sur lequel il est réellement capable de mettre un mot, car peut-être est-ce le seul sentiment qu’il autorise à s’étendre – la peine, la douleur, la peur, le désespoir, eux, n’attendent pas son accord pour investir son esprit.

Les pressions répétées de ses doigts dans le dos de Celyn se font moins erratiques, autant que ses sanglots se font plus espacés. Ezekiel reste néanmoins tout contre son partenaire, incapable de se détacher ou de réellement bouger sur l’instant, paralysé par la honte et l’insupportable plaie à même sa poitrine. ”I didn’t know any better, I thought– He told me–” That’s how we do business here, if you’re not ready for this, maybe you don’t have what it takes to make it here. ”I didn’t know it would make me feel so… medonho”, articule Ezekiel du bout de ses lèvres pressées contre la peau du cou de Celyn désormais. La fatigue l’empêche de trouver un mot plus approprié que celui-ci, honteusement pioché dans sa langue natale, celle qui lui vient le plus naturellement sur l’instant. Lentement, il rouvre les yeux, sa vision troublée par les larmes l’empêchant d’apercevoir précisément quoi que ce soit – tant mieux, il serait, de toute façon, incapable de regarder Celyn dans les yeux en cet instant. ”I was so young, Celyn– so gullible, so eager to succeed”, dit Zeke dans un souffle saccadée mais tout juste plus calme, une tension certaine néanmoins dans la voix, se faisant de plus en plus sensible à chacune de ces justifications qu’il se sent obligé de trouver. ”And I just don’t– I don’t understand how I could let him talk me into doing anything he wanted from me for five years.” You agreed, remember? Il étend ses deux paumes sur dans son dos en un geste fébrile, poursuivant d’une voix plus basse, plus faible, dénuée de sanglots désormais, simplement d’une tristesse poisseuse et résignée : ”And I don’t know why it’s not going away, darling. It’s just the two of us now, it shouldn’t hurt so deeply anymore.” It’s never going to go away, is it?