Imani avança fièrement vers le tabouret de répartition. Mamie Frida lui a dit qu’elle espérait que sa petite fille ne la décevrait pas. Et l’enfant de onze ans savait ce que cela voulait dire. Poufsouffle était inenvisageable, Gryffondor accueillait trop de traîtres à leur sang, Serdaigle avait un goût de trop peu. Pour la matriarche, il n’y avait bien que Serpentard qui rendrait bien sur le futur CV de sa petite-fille (bientôt) préférée. Imani était confiante, mais moins quand le Choixpeau ne donna pas sa réponse immédiatement. Il était question de dualité, de la voie qu’elle aurait dû suivre et de celle sur laquelle on l’avait mise, de liberté et de bravoure. Et tout ça sonnait un peu trop rouge et or pour elle, et Frida ne serait vraiment pas contente. Alors soupir de soulagement quand c’est finalement “Serpentard !” qui retentit dans la salle. La petite n’afficha sa joie que par un petit sourire satisfait, et rejoignit fièrement la table des vert et argent.

La scolarité de la plus jeune Beckett fut globalement exemplaire. La première année fut marquée par les bruits de couloir sur le retour du Lord, rumeur plutôt populaire dans la salle commune des Serpents. Imani était plutôt brillante, de par l’avance accumulée grâce aux cours imposés par Frida. Elle ne faisait pas partie de ces élèves qui passaient leurs journées à la bibliothèque, pourtant - elle laissait ça aux nés-moldus qui avaient de toute évidence besoin de plus travailler qu’elle pour arriver à un résultat la plupart du temps moins bon. En deuxième année, le prétendu Elu avait disparu. Les sang-purs et sang-mêlés pas trop sale semblaient se plaire à terroriser les nés-moldus, et si Imani n’était pratiquement jamais à l’origine de ces brimades, elle n’était pas la dernière à en rire. Troisième et quatrième années s’enchaînèrent sous l’égide des Carrow, sans qu’Imani ne soit inquiétée en quelque manière que ce soit. Au contraire, les Mangemorts ne manquaient pas de l’ériger en modèle - peut-être parce que c’est la petite-fille de Frida Beckett. A la fin de sa quatrième année, ce ne fût pas chez sa grand-mère qu’elle retourna, mais chez sa mère, bloquée en Irlande à cause du durcissement des frontières. La cohabitation se passa mal, Imani se sentit incomprise par son noyau familial, ici ce n’étaient pas les idées du Lord qui primaient, et l’adolescente envoya une lettre à sa grand-mère pour qu’elle vienne la chercher. Au fond d’elle, elle avait compris qu’il y avait des résistants dans sa famille, mais elle préférait l’ignorer, pour sa propre sécurité et (un peu) la leur. En cinquième année, elle avait été nommée préfète sans trop de surprise, et avait réussi brillamment ses BUSEs.

Sixième année en vue, et elle avait passé son été à travailler d’arrache-pieds. Frida lui avait glissé que le Lord a pour projet d’envoyer les meilleurs étudiants représenter le Royaume-Uni dans un tournoi à l’étranger. En octobre 2000, Imani faisait partie de la première délégation représentant Poudlard. Et si dans l’histoire du tournoi son nom restera comme l’une de celles ayant réalisé le meilleur score, ce n’était pas ce qui avait le plus marqué l’adolescente. C’était une main posée sur son épaule, par une étudiante de Bakari, aux yeux sombres qui semblaient la sonder au plus profond de son âme. “Tu as été maudite.” Imani en était restée interdite, n’avait pas pu demander de plus amples explications. A la fin du tournoi, elle avait envoyé une lettre à Frida, qui lui avait pris rendez-vous chez une experte en malédictions pendant les vacances de Noël.

Imani s’attendait à se rendre dans une petite bicoque sombre, et à se trouver devant un vieux sorcier, qui murmurait des choses dont on ne pouvait saisir le sens. Mais elle se trouva face à une sorcière d’une petite quarantaine d’années, très dynamique et au rire franc. Ava - puisque c’est ainsi qu’elle se présenta - la fit s’asseoir dans un fauteuil plutôt très confortable, et s’installa face à elle. S’en suivit un étrange rituel (dont il lui fût demandé de garder le secret), à la fin duquel Ava annonça à la jeune Beckett qu’elle était effectivement sous l’emprise d’une malédiction. A la fin du rendez-vous, il avait été déduit que la malédiction l’avait touchée à l’âge de sept ans, que c’était une magie plutôt d’origine africaine, et qu’il semblait qu’elle ne pouvait s’éloigner de son pays de naissance sans éprouver des signes de déprime et de souffrance physique, qui se manifestaient en général au bout de quelques jours. Des dizaines de questions restaient encore en suspens, et Imani venait de découvrir un domaine où les réponses n’étaient pas si simples. Elle avait eu une connexion particulière avec Ava, comme un magnétisme inexplicable. La sorcière avait dû le ressentir également, parce qu’elle lui avait glissé un livre de son immense bibliothèque, si tu as le temps entre tes révisions pour les ASPICs. Non seulement elle eut le temps pour ce livre-ci, mais également pour une grosse partie de ceux que Frida avait dans sa bibliothèque. Et cela ne l’empêcha pas de s’adonner à son rôle de préfète-en-chef en parallèle de sa septième année. ASPICs en poche, grand-mère fière, maintenant, il est temps qu’elle s’accomplisse par elle-même.



Imani entra à la LAAW pour la deuxième rentrée de l’établissement, et après de nombreuses hésitations, intégra l’Euro-Glyph School of Extraordinary Languages. C’étaient surtout les civilisations qu’elle voulait étudier - plus particulièrement les magies du monde - mais elle apprit également les bases de l’arabe et du français. Mais à vrai dire, elle n’était allée à l’université que pour Frida, qui voyait d’un très bon œil que sa petite-fille intègre la nouvelle université du Gouvernement (même si elle aurait préféré qu’elle étudie le droit, mais cette possibilité n’était pas encore disponible à l’époque). Imani ne goûta pas vraiment aux vrais plaisirs de la vie étudiante. Ses amis, eux, étaient plus préoccupés par la prochaine soirée, par le beau-gosse de troisième année, par leur prochain week-end au parc d’attraction. Imani n’aimait pas particulièrement l’alcool (la légende disait que c’était parce qu’elle ne le tenait pas, mais maintenant que c’est interdit, on ne pourra jamais vérifier), ne se sentait pas vraiment attirée par les choses de l’amour et n’avait pas le temps de s’amuser tout un week-end. En parallèle de ses cours Imani continuait d’échanger très régulièrement avec Ava, et obtint même un stage dans le cadre de ses études. Lors de ce stage, Imani découvrit la base du métier de briseur de malédiction. Dans la plupart des cas, la malédiction ne peut être brisée que par celui qui l’a lancée. Le rôle du briseur, c’est de remonter à la source, de comprendre la malédiction, de la décortiquer, pour comprendre comment l’annuler. Ensuite, selon la somme payée par le client, il était possible d’aller directement négocier avec le lanceur de malédiction - et parfois, si le paiement était généreux, le lanceur pouvait mystérieusement disparaître, et sa malédiction avec. Mais ce genre de cas était rare : la plupart du temps, les sorciers avaient appris à vivre maudits et le fait de pouvoir blâmer une personne suffisait à rendre leur vie plus facile.

En troisième année, Imani se spécialisa en magie africaine - c’est prometteur, lui avait dit Frida. En effet, peu de membres du gouvernement s’y connaissaient en magie africaine, et puis, après tout, elle avait un peu ça dans le sang. Elle réalisa son dernier stage chez un vieux sorcier ivoirien, resté bloqué au Royaume-Uni avec la fermeture des frontières. Cet homme - dont elle ne sût jamais le prénom - ne lui accorda pas sa confiance facilement. Pendant de longs jours, Imani ne fit qu’observer. Elle notait dans son carnet ce qu’elle remarquait, les gestes du vieil homme, ses paroles, des croquis de ce qu’il fabriquait. Et un jour, il se mit à parler. Il raconta ses légendes, ses dieux, sa vie. Ainsi, sans qu’elle ne s’en rende compte, Imani avait commencé à apprendre la magie vaudou. Ses mains maniaient les plumes, les cordes et les pigments pour former les talismans. Ses lèvres récitaient les prières aux esprits. Ses oreilles entendaient les voix demander un sacrifice en échange de ce que les clients désiraient. Mais si cela était venu si facilement, ce n’était pas parce que c’était dans son sang - ce vaudou-là est celui de l’Ouest, alors que ses origines sont à l’Est - mais bien parce qu’elle avait été attentive, et que son désir profond n’était pas d’apprendre à maîtriser la magie vaudou. C’était juste arrivé, comme ça.

A la fin de ses études, Imani devait rendre sa dette au gouvernement - même si Frida aurait pu la faire annuler, l’un des (nombreux) privilèges à être la petite fille préférée. Elle devint interprète dans le département de la Coopération Magique Internationale, mais en dehors des grandes réunions internationales ou des conférences à traduire, Imani ne débordait pas de travail. En parallèle de son emploi de fonctionnaire, elle ouvrit dans son propre cabinet de briseuse de malédictions. Le succès fut timide la première année. Imani ne parvenait pas toujours à identifier la source de la malédiction, et puis elle fut mise en difficulté par des clients qui souhaitaient jeter des malédictions plutôt que d’en briser - et cela rapportait beaucoup plus. Alors elle se laissa prendre au jeu, pour tester, pour s’entraîner, pour pratiquer son vaudou… pour s’amuser. Le cabinet étant officieux, Mamie Frida étant au courant, cela ne pose pas de problèmes. Au contraire, avoir une briseuse (et une jeteuse) de malédiction dans la famille, ça peut toujours être utile. Et Ia jeune femme n’attend qu’une occasion pour briller auprès du Lord. Parce qu’il n’y a que comme ça qu'elle pourra rendre Frida entièrement fière.