in this world, when people leave
they don't come back
tw : deuil, lowkey dépression heinLes yeux d’Elena vont d’une pupille bleue à l’autre, fixent un instant Nate en silence. Elle reste peut-être un peu trop longtemps accrochée à son col avant de le relâcher, lisse malgré tout sa veste (un peu) froissée avec tout le naturel du monde. L’alcool lui fait doucement rosir les joues, fait battre son cœur plus lentement, avec moins d’empressement, presque mollement. Lena sourit, roule des yeux dans un faux agacement. “
Prends-la, c’est bon”, et elle fourre le carton à pizza dans les mains du blond, dans une brusquerie qui n’appelle pas franchement à la négociation. “
Je mange un peu moins, en ce moment,” elle prévient en avisant son regard. (C’est un euphémisme : en temps normal, Elena aurait déjà descendu au moins une pizza et demie d’un gabarit semblable.) "
Ça va revenir.” Ou peut-être pas. Un bord de son sourire tressaille. Lena repose sa deuxième bière, à peine entamée. Elle aimerait dire que ça va revenir, comme son genou va guérir, comme elle va se remettre
de tout le reste. Surtout elle aimerait le
croire, et suffisamment pour que Nate y croit aussi, sans l’ombre d’un doute. Elena détourne les yeux, attrape le carton vide et le referme sur ses genoux, comme pour faire diversion.
Ça va revenir. Elle considère sa bière, la laisse finalement là où elle est. Elena se sent d’un coup vaguement triste et minuscule. Elle veut s’agiter, reprendre un air plus bravache, mais elle n’arrive à replier qu’une seule de ses jambes sous elle. Il y a un goût amer dans sa bouche, qui n’a rien à voir avec l’alcool. Ses yeux courent le long des bras de Nate, ses manches légèrement retroussées, y recensent les cicatrices dont elle ne connaît pas l’origine. (
Il y en a tellement. Trop.) Elle suit leur mouvement jusqu’au visage de Nathan, le regarde se goinfrer de pizza, sent un léger sourire lui revenir. Lena a l’impression de voir le Brisbane revenir à la vie (littéralement) et ça la tire un peu de sa torpeur, quoique pas de son silence. Elle reprend une gorgée de bière (elle ne devrait sûrement pas), pose une main derrière elle pour pouvoir mieux se soutenir alors qu’elle se contente de le fixer. Nate et Lena ne sont pas
franchement du genre silencieux, mais elle ne trouve pas le calme foncièrement insupportable ; peut-être parce que tout ça paraît encore tellement irréel, qu’elle a envie de le toucher sous tous les angles et de le regarder sous toutes les coutures pour s’assurer qu’il est bien là,
vivant, en chair et en os, et qu’il le sera toujours le lendemain, et le surlendemain, et… Elena sourit, mais garde ses mains pour elle.
Nate finit sa pizza. Elle reprend encore une ou deux gorgées de bière en silence, se sent osciller entre une joie indolente et une tristesse profonde, inexplicable, qui la traque sans répit et la fait s’attarder sur les traits émaciés du Brisbane, ses yeux un peu plus ternes, son propre genou. Elle aimerait autant continuer à se prélasser dans ce silence presque familier, que retourner à leurs conneries habituelles, qui suffisent au moins à les tromper sur l’instant. Elle aimerait partir, pour ne pas se confronter à un fantôme du passé qui rouvre des plaies pas même prêtes d’être fermées ; mais elle aimerait tout autant rester pour toujours, et le garder en permanence dans son champ de vision, pour ne plus jamais le laisser filer. Elena tord la bouche en une grimace et sort son téléphone. Il fait nuit. “
Je vais devoir y aller ou je vais encore inquiéter tout le monde.” C’est un demi-mensonge. Elle pourrait envoyer un message à Benny, à Dae, à Sinead, pour les prévenir qu’elle rentrera tard mais que tout va bien (ce qui ne serait pas forcément rassurant pour eux, formulé de la sorte, mais soit). Elle pourrait même leur dire qu’elle est avec Nate, et tous la connaissent suffisamment pour savoir ce que ça veut dire ; mais Elena se contente de demander à Dae si elle peut finalement dormir au Manoir, même si c’était Little Italy qui était prévue pour aujourd’hui. Elle n’attend pas sa réponse pour tendre son téléphone à Nate, sur l’écran des nouveaux contacts. Continue à le fixer alors qu’il se débat avec les touches du téléphone, comme si celles-ci étaient trop petites.
Elena se laisse tomber sur ses deux pieds, dissimule aussitôt sa grimace sous une joue mordue vigoureusement. “
Mais tu te débarrasseras pas de moi comme ça. (Elle pointe un doigt faussement menaçant et des sourcils haussés dans la direction du blond.)
Je passe te prendre la semaine prochaine. Il faut absolument que tu vois la maison. (Elle ne sait pas, évidemment, qu’il n’y aura plus de
maison la semaine prochaine, merci Marlon, ugh.)” Lena s’agite, jette les cartons de pizza dans la poubelle de Tommy sans une once d’inquiétude, gagne la sortie des Docks avec Nate sur les talons. Elle se retourne dans un sourire. “
J’peux transplaner, tu sais.” (Mal. Elle peut entendre Lou hurler d’ici, et elle aimerait autant que
le meilleur ami de celui-ci ne reste pas la regarder quand elle le fait.)
Elle attend un peu sur le perron. Elle ne sait pas trop quoi. Nate tend les bras ; Elena ne se fait pas prier pour s’y réfugier une nouvelle fois, et toujours y rester un peu trop longtemps. Elle se détache et recule légèrement, mais pas suffisamment. Le regarde par en-dessous, parce que ce tocard lui met toujours bien une vingtaine de centimètres, surtout avec son genou tout rabougri. “
Bon.” Lena ferme son poing, le laisse rebondir deux fois contre le buste du Brisbane. ll faut qu’elle y aille mais ses pieds ne répondent pas trop (sa jambe atrophiée, sûrement). Il faut qu’elle y aille mais le rayon d’un lampadaire joue dans les boucles dorées de Nate et elle a du mal à regarder autre chose. “
Ce sera pour une autre fois, les tatouages.” Elle se recule dans un sourire et une expiration amusée. Lena recommence à respirer plus normalement. Elle recule encore de quelques pas, sans lâcher Nate des yeux pour autant. Pivote finalement tout juste, pour ne plus lui jeter qu’un œil de côté. “
Hey ? T’étais dans mon top 2, au fait.” Elle hésite un instant à ajouter quelque chose, reste le doigt sur le menton et la bouche semi-ouverte… Transplane finalement sans rien dire de plus, un sourire aux lèvres.