Se saisir des lèvres de Kyung, entre deux pleurs, avec un tel naturel et une telle fébrilité mêlés, revient à embrasser des années de rêveries adolescentes, d’espoirs plus récents également, qui ont trouvé sa place dans le secret de son coeur, s’y déposant comme une indestructible dalle de béton pesant en permanence dans son torse. Jesse en a tant rêvé, de cette scène prenant bien des formes ; un baiser volé dans la chambre qu’il occupait dans l’appartement de son père, lorsque Kyung-Tae venait y passer certaines soirées ; un baiser intense lors de leurs retrouvailles à la gare aux portoloins de Londres, lorsqu’il l’a serré dans ses bras sans pouvoir le relâcher ; un baiser providentiel épongeant ses émotions les fois où il s’est retrouvé dans ses bras à relâcher le poids de son quotidien, de ses responsabilités d’adulte trop jeune ; un baiser logique et sensé, une juste de suite des choses, lorsqu’il a goûté à la chaleur entêtante de son corps pressé contre le sien.

Des rêves qui ne se réaliseraient jamais, au final, s’est résolu Jesse il y a quelques semaines de cela, le même jour où il avait décidé de lui déclarer toute l’étendue de ses sentiments pour lui, avant que la catastrophe ne le ramène à la raison. Il s’est tant raccroché à cette absurdité, pour ne pas regarder en arrière et avancer tête baissée, quitter cet entre-deux pour enfin leur donner une chance d’évoluer, après quatre années à stagner. Quel con d’avoir voulu raccrocher avec la seule source de joie de son existence bien terne.

Et c’est d’avoir cherché à abandonner des rêves, des espoirs trop fermement ancrés en lui, que Jesse se retrouve incapable de mettre fin à ce baiser lui serrant le ventre avec la force de ces trop longues années à vouloir Kyung. Une fébrilité vive, brûlante, lui monte à la tête et lui donner le tourni, en découvrant pour la première fois la chaleur humide de ses lèvres, tant fantasmée par son esprit, ces fantasmes ne pouvant même pas effleurer la douceur de cette réalité-ci. Son corps se presse instinctivement contre celui de Kay à sa main se glissant dans son dos, et le sentir ainsi lui répondre, venir chercher ses lèvres avec une intensité redoublée, lui vole un peu plus son souffle. Lui-même tire plus encore sur son pull en un geste maladroit, presque fiévreux, en inspirant bruyamment contre sa bouche, le relâchant un instant pour mieux refermer ses doigts à peine plus haut en une nouvelle prise semblable à la précédente.

Ses paupières peinent à s’ouvrir quand les mains de Kay agrippent ses hanches et le repoussent tout juste ; en retour, celle de Jesse cavale sur ses côtes, s’y referme pour l’attirer à lui dans un réflexe, la pensée même de mettre fin à ce baiser tant attendu ne lui traversant même pas l’esprit. Il finit par saisir, néanmoins, seulement quand les lèvres de Kyung quittent les siennes et qu’il retrouve son regard embué de larmes, le cœur battant un rythme affolé et désespéré. ”Don't say- don't say you don't care”, implore-t-il presque, et c’est à peine si Jesse saisit ses mots, étouffés par le tambourinement de son cœur. Il les perçoit cependant, les ressent plus qu’il ne les entend, en un amas de tristesse, de détresse, comme un dernier fil auquel se raccrocherait Kyung. ”I care –I do, I want, I want...” Jay déglutit difficilement, ses pupilles faisant des allers et retours entre les siennes et ses lèvres, ses doigts pressant sa peau au travers de ses vêtements en une supplication muette de revenir entièrement contre lui. ”Jay. − I know, I know you do”, souffle-t-il d’une voix rapide et brisée, presque essoufflée en serrant ses cheveux entre ses doigts. I know, lui dit-il sans être certain de savoir - qu’est-ce qu’il peut y avoir de si important, alors que leurs bouchent viennent enfin de se trouver, que les mains de Kay sur son corps l’appellent à lui ? ”I care, I do, I promise.” Ce n’est ni vrai ni faux - il n’en sait plus rien, incapable de penser ou d’aligner plus de trois mots cohérents quand dans son crâne tournent des émotions bien trop vives et destabilisantes. Jesse n’arrive plus à démêler qui est ou n’est pas, si ce n’est la saveur salée de ses lèvres encore imprimées sur les siennes ; c’est pourquoi il s’y penche de nouveau pour les saisir en un baiser bref mais non moins intense, avant de mieux s’en détacher, de quelques centimètres à peine.

Son corps tremble presque ainsi fermement collé au sien, ses yeux rougis effleurant ceux de Kyung. Il n’a plus besoin de se cacher, de prétendre, de garder pour lui ses regards et ses gestes, et il ne peut plus revenir en arrière, alors que Kay a répondu à son baiser, le garde contre lui. ”I’ll be here, when everything will be in place… I’ll be here and I’ll come with you”, ajoute-t-il en laissant brièvement son pull pour mieux refermer ses doigts sur son col, l’envers de ses doigts pressant son cou alors qu’il tire sur le vêtement. C’est la seule certitude qu’il a, dans l'œil de cette tempête bien trop douce et enivrante, et il n’a jamais été question pour lui d’autre chose que, un jour, s’enfuir avec Kay et sa famille, loin de ce pays maudit. One of these days. Il n’a pas l’assurance de Kyung, c’est le moins que l’on puisse dire, mais il n’a jamais douté que, si un jour ils peuvent, alors il le suivra.

”But I just--” Sa voix se meurt dans le baiser qu’il dépose malgré lui aux coins de ses lèvres - il n’arrive pas à s’en empêcher, à retenir ce qui bout à la surface de sa peau, dans sa chair et dans son ventre. ”I just want you now, Kay… That’s-- That’s the only thing, I want you now.” Les mots filent d’entre ses lèvres tremblantes, et il n’a d’autre choix que de revenir saisir sa bouche, avec autrement plus d’assurance, de fébrilité également. I want you here, now. C’est la seule étape de son plan qu’il ne peut, ne veut plus respecter. Il a besoin de se fondre contre lui, de laver leurs larmes dans leur amour, de faire disparaître les restes de leur tristesse dans la chaleur de leur deux corps. Alors, ses mains glissent le long de ses côtes, redéfinissant avec fièvre les contours de son corps jusqu’alors simplement effleurés, devinés, pour mieux aller découvrir sa peau sous son pull, au niveau de son dos, une onde brûlante éclatant au fin fond de ses entrailles alors qu’il l’étreint avec plus de force contre lui, perdant le souffle contre ses lèvres et sa langue tandis qu’il recule maladroitement pour l’entraîner avec lui en direction du lit.

”I know, I know you do.” La pression dans ses cheveux légères, sa respiration rapide, la voix basse de Jesse, sonnant différemment maintenant qu'ils s'étaient embrassés – comme si le baiser avait épongé sa tristesse et sa colère autant que les siennes, ouvert une porte dont Kay tenait, de son côté, la poignée en tremblant, hésitant, incertain, redoutant ce qu'il pourrait trouver de l'autre côté. ”I care, I do, I promise.” Son ventre se serra à son souffle venant se mêler de nouveau au sien, son cœur ratant un battement au baiser bref qui lui retourna l'esprit avec la même intensité que le précédent – ses yeux rivés dans les siens, secoué par cette nouvelle occurrence quand il avait cru seulement quelques instants plus tôt qu'il ne reverrait plus Jesse. Cueillir ses lèvres, à cette distance, était désespérément simple ; ses respirations rapides bien trop chaudes ; ses yeux rougis brillaient d'un éclat qu'il aurait voulu graver entre ses côtes.

Il l'avait toujours trouvé beau, un bête constat qui l'avait frappé la première fois qu'il l'avait vu, pour mieux revenir le chambouler sans relâche, sans prévenir, durant les années qui avaient suivi : au détour d'un sourire, d'une moue concentrée, lorsqu'il ouvrait les yeux de son air fatigué, au matin, même lorsqu'il avait le visage baigné de larmes et lui faisait des promesses dont Kyung doutait de la sincérité, sur l'instant. ”Don't say this”, parvint-il à articuler de ses lèvres paralysées par les deux baisers de Jay, son esprit troublé peinant à revenir sur la méfiance presque naturelle qu'induisaient les I promise trop souvent entendus, trop rarement respectés – sauf avec Jesse, qui promettait peu et respectait toujours (souvent) ses paroles (sauf lorsqu'elles concernaient ses plantes). ”I’ll be here, when everything will be in place… I’ll be here and I’ll come with you.” Kyung-Tae cilla – ça, il le croyait, oui ; son cœur voulait faire confiance à la voix lui offrant l'avenir dont il avait rêvé, tandis que les doigts de Jesse tirait sur son pull, sur son torse, puis sur son col, une série de contacts l'appelant à lui, à refermer cette distance, à lui faire parfaitement confiance. ”But I just--” ”What are you doing”, souffla-t-il à la pression douce au coin de ses lèvres, sentant son propre visage s'incliner comme pour aller chercher un autre baiser, son regard coulant sur le visage tout proche de Jay – il l'avait toujours trouvé beau, et des années d'un amour discret, qui avait enflé avec le temps, n'avaient fait que renforcer l'harmonie des traits de Jesse à ses yeux silencieux. ”I just want you now, Kay… That’s-- That’s the only thing, I want you now.” Et les lèvres de Jesse revinrent chercher les siennes, lui coupant le souffle, teintant son visage d'une nouvelle nuance de rouge. C'était un vrai baiser, différent des précédents, confus, troublés, imprécis – des premiers baisers où leurs lèvres incrédules s'étaient trouvées à l'aveugle ; ce baiser-là illustrait cet aveu fébrile, se distillant au fond de son ventre tandis que les mains de Jesse caressaient ses côtes avec une intensité similaire.

Bien sûr, qu'il embrassait bien – Kyung-Tae de quinze ans fut abasourdi de voir ses suspicions timides (et à la fois osées, à rêvasser des lèvres de son ami) devenir soudain réalité ; Kyung de vingt-deux ans, lui, resserra l'étreinte autour de la taille fine de Jesse, son cœur battant lourdement à des endroits incongrus de son corps, comme palpitant d'une multitude de petits ventricules sous sa peau, brûlée par les paumes de Jay trouvant sa peau qui lui semblait pourtant bouillonnante.

I want you now. A retardement, ce souffle eut l'effet d'une bombe, abattant les derniers remparts d'une résistance fragile, mise à mal par son propre système – comment dire non, quand il savait qu'ils partiraient ensemble, un jour, quand il avait cru perdre une partie d'eux quelques instants plus tôt ? ”Okay”, s'entendit-il dire, sa voix éraillée par ses pleurs contre sa bouche qu'il revint saisir aussitôt avec maladresse, fébrile, ses propres mains coulant dans son dos et sur le haut de son jean tandis qu'il le suivant, ses jambes contre les siennes, son ventre se tordant à sa langue, à ses lèvres, au contact enivrant de sa paume sur sa peau. Les questions viendraient plus tard, après ; son corps avait doublé le reste, allant au-devant de l'esprit pour suivre Jesse sur le lit, rattraper sa bouche, s'allonger sur lui, un frisson chaud coulant le long de son échine en épousant parfaitement son corps du sien, ignorant la plainte de son bras coincé entre le dos de Jay et le matelas, l'embrassant en se serrant contre lui, changeant l'angle du baiser le souffle court, avide, une chaleur brusque remontant jusqu'à son visage au rappel de ses I want you now.

Kyung-Tae n'était pas particulièrement bon, au lit : peu d'expérience, mais assez pour savoir qu'il serait loin de s'illustrer, avec Jay – la peur sourde de se trouver médiocre alluma une pointe désagréable dans son torse, avant qu'une nouvelle rasade de chaleur, induite par les jambes de Jesse autour de son bassin, ne la balaie d'une nouvelle vague. ”Hmwait”, fit-il en se détachant de ses lèvres, ses doigts fiévreux se refermant sur son T-shirt (il ne se rappelait pas avoir senti sa veste tomber durant le trajet, et pourtant) en rouvrant les yeux, à peine, pour les baisser sur la peau qu'il avait appréhendée de ses paumes fébriles un bref instant, qu'il découvrait désormais en sentant un nœud lui saisir la gorge.

Il releva son regard dans celui de Jay, une demi-seconde avant qu'il ne disparaisse, englouti par le vêtement tandis qu'il le lui enlevait, l'étouffant une seconde avant que Kay ne le jette au sol ; à peine le temps de le regarder que les mains de Jesse venaient se saisir du sien, interrompant le trajet des doigts de Kyung sur l'élastique de son jogging. ”Are you sure?” murmura-t-il lorsqu'il réapparut à son tour de l'autre côté du T-shirt, torse nu, ébouriffé par l'opération et essoufflé par le désir mordant qui faisait briller ses pupilles de deux étoiles éclatantes – il ne restait rien de ses pleurs dans son souffle, et constatait, impuissant, les traces encore visibles de ceux de Jesse sur ses traits.

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I want you now. Cette pensée s’est frayée son chemin en lui, enflant au fil des années, des regards, des contacts, des rires, des pleurs, des nuits aux côtés l’un de l’autre ; elle a toujours été là, tapie quelque part, une pulsation constante, repoussée tant bien que mal, un secret terriblement mal gardé qui a fini par ne plus en être un. Il était évident pour Jesse que Kyung-Tae savait, autant que lui ne parvenait à l’ignorer. Il a fallu néanmoins attendre cette déchirure, le risque imminent de cette perte pour qu’enfin cette envie ne franchisse ses lèvres, ne vienne s’écraser contre celles du sorcier. I want you now. Et désormais que les mots ont été prononcés, que sa bouche a enfin trouvé la sienne, Jesse est incapable de contenir la fièvre qui grimpe jusqu’à ses joues rougies par leurs larmes et la chaleur qui coule entre ses côtes jusqu’à son ventre, une brûlure forte d’années à être éteinte ; elle ravage tout sur son passage désormais, les braises devenues un incendie que le ”Okay” de Kay ne fait qu’allimenter plus encore.

Jesse ne pense plus à rien d’autre qu’aux mains du sorcier sur son corps, le débarrassant de sa veste à mesure qu’ils avancent d’une démarche maladroite vers le lit, sur lequel il s’échoue dans un soupir avant de l’accueillir contre lui, ses jambes s’ouvrant d’elles-mêmes pour mieux se refermer autour de son bassin. Il n’y a rien d’autre que la fièvre de sentir Kyung sur lui, dans ses bras, chaque baiser, chaque geste épongeant la peur de le perdre pour toujours, qui s’envole alors définitivement. Il n’est plus question de partir, d’être raisonnable ou de penser à leur sécurité ; toutes ces inepties sont avalées par le souffle brûlant de celui dont il rêve depuis trop longtemps - et tous ces rêves semblent bien ridicules, comparés à ce qu’il trouve réellement contre lui, une certitude sourde que tout cela est censé se dérouler ainsi, qu’il n’y a plus de retour en arrière désormais.

”Hmwait.” C’est le souffle court que Jesse ouvre de nouveau les yeux pour retrouver brièvement le regard de Kay ; et il le perd tout aussi vite en le laissant lui retirer son t-shirt, l’aidant avec une maladresse et une fébrilité évidentes. Un frisson violent mord sa peau nue, ses synapses également, et sans même y penser, ses doigts accrochent le bas de son vêtement pour le passer à son tour par-dessus la tête du sorcier et l’envoyer plus loin sans un regard, ce dernier coulant plutôt jusqu’à ses lèvres sur lesquelles il s’apprête à fondre de nouveau, avant d’être interrompu par un souffle bas. ”Are you sure? − Yes.” Le mot franchit ses lèvres avant même que ses yeux ne se relèvent dans les siens, la lueur de désir qu’il y trouve lui serrant presque douloureusement le ventre. Oui, Jesse est certain, et il n’a probablement jamais été aussi sûr de sa vie. Le vouloir est une évidence, et il n’a certainement pas envie de laisser place à la moindre seconde d’hésitation, de peur que Kay, lui, ne revienne sur cette envie, ce quasi-besoin soudain qui a éclaté entre eux avec bien trop de naturel - Jay n’y survivrait certainement pas, à un refroidissement brusque, alors que la peau de son torse épouse la sienne, que son souffle se mêle au sien, que son bassin contre le sien le fait étouffer d’une chaleur intenable. ”Yes, yes I’m sure… I’ve wanted this for so long, I really want you Kyung”, souffle-t-il tout bas, ses doigts imprimés sur ses côtes l’attirant à lui pour rompre la distance inexistante entre eux, comme si ce simple contact pouvait leur permettre de se fondre l’un dans l’autre. Il ne peut pas le laisser hésiter ; alors il revient presqu’aussitôt contre sa bouche dans un soupir lourd de désir, ses mains glissant sur sa peau qu’il découvre sous ses paumes moites, l’une d’entre elles se dirigeant entre ses jambes pour trouver les contours de son désir au travers de son pantalon, la tête lui tournant en le touchant ainsi pour la première fois, et en sentant la respiration de Kay s’alourdir immédiatement - sous sa caresse. ”I want you”, répète Jesse en relâchant un instant ses lèvres, sa paume et ses doigts frottant contre le jean en un geste répété et appuyé, aussi fébrile qu’assuré - I want you now.

Des années d’expérience, à se servir de son corps pour son travail, qui ont su rendre ses gestes mécaniques, par trop instinctifs et détachés, semblent s’évaporer au contact de Kyung. Il est de nouveau un jeune sorcier de vingt-trois ans, se retrouvant pour la première fois dans les bras de celui qu’il aime, aux mains tremblantes et au souffle saccadé, ses doigts n’ayant certainement jamais été aussi gauches que lorsqu’ils remontent jusqu’à la ceinture de Kyung pour la faire glisser hors de sa boucle, précédant les boutons et la fermeture de son pantalon, défaits en des gestes hasardeux. Jesse a envie de Kay, et cette envie le rend brouillon, empressé, fiévreux, et c’est avec cette même avidité qu’il repousse sur ses hanches son jean et son sous-vêtement dans un même temps, baissant les yeux entre eux quand ils lui en débarrassent à quatre mains. Son cœur bat jusque dans sa gorge nouée par l’expectative en se retrouvant à son tour entièrement nu devant lui, sans même saisir que Kyung vient d’attraper ses vêtements pour les lui retirer lui aussi, ne le réalisant que lorsqu’il cherche à revenir contre lui. ”Wait, wait”, murmure-t-il en plaquant sa paume dans le creux de son épaule, se relevant avec difficulté sur un coude pour mieux se pencher vers le sac qu’il a négligemment jeté au sol un peu plus tôt. Tremblant, sans même y réfléchir, il l’éventre rapidement, toutes ses affaires éparpillées en un rien de temps, jusqu’à trouver la pochette qui ne le quitte jamais quand il se rend chez un client ; tout aussi négligemment, il l’ouvre et en sort un tube de lubrifiant, avant de se remettre sur le dos, attirant Kyung sur lui d’une main sur sa nuque, pris d’un puissant vertige en sentant son corps nu embrasser parfaitement le sien. ”I’m sure”, déglutit Jesse avec difficulté - depuis toujours, et maintenant plus encore. Il est sûr et certain, et l’ivresse du désir le lui fait répéter d’une voix qui ne semble plus vraiment lui appartenir. Il est sûr, et il veut que Kay soit aussi sûr que lui, qu’il l’aime et l’embrasse et le touche et lui fasse l’amour, dans n’importe quel ordre, et tout à la fois en même temps.

L’heure n’est plus au doute ; il a trop douté, pendant trop longtemps, et Jesse veut que Kyung-Tae sache à quel point il est sûr, à quel point il a envie de l’aimer, à quel point il a eu envie de l’aimer, toutes ces années, à se repasser ces scénarios tous plus honteux les uns que les autres dans son esprit. Alors il reprend sa main et brièvement son regard pour récolter un peu de mixture dans le creux de sa paume, frissonnant d’expectative alors qu’il laisse le tube retomber négligemment sur son propre torse et remonte mieux ses yeux dans ceux de Kay, son seul point d’ancrage, qui lui rappelle que tout ceci est bel et bien réel, qu’il n’est pas bloqué dans un énième rêve dont le sorcier est le protagoniste. Mais sa peau moite contre la sienne est bien réelle, autant que la sensation humide du lubrifiant qui chauffe de lui-même contre ses doigts, qu’il plonge entre les jambes de Kyung pour les refermer sur lui en une prise ferme et fébrile, sa main libre retrouvant aussitôt sa place sur sa nuque. ”I’m really, really sure”, murmure Jesse dans un souffle saccadé et à peine audible, le perdant tout simplement en découvrant le corps du sorcier à même sa paume, ne prenant pas le temps de se délecter de la lueur de plaisir qu’il voit s’allumer dans son regard, préférant plutôt revenir contre ses lèvres avec presque trop d’intensité et d’empressement.

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”Yes.” Un coup de cloche dans le crâne de Kyung-Tae, comme si ce souffle bas, résolu, chamboulait l’ordre durement maintenu dans son esprit fait de contraintes et de devoir ; ne pas regarder Jesse, ne pas toucher Jesse, ne pas embrasser Jesse, ne pas espérer Jesse et se contenter de le regarder et d’attendre, jusqu’au bon moment – le moment où il serait trop tard, où ses sentiments se seraient effacés de son torse, où Jesse aurait tourné la page et accueillerait sa confession avec un goût de passé. Ce yes venait bousculer tout ce qu’il avait érigé jusqu’alors, pour mieux exhumer du fond de ses entrailles le Kyung-Tae adolescent qu’il avait étouffé depuis leurs retrouvailles, ouvrant les vannes d’un amour et d’un désir qu’il avait enfoncé au fond de lui dans l’espoir de les voir disparaître. ”Yes, yes I’m sure… I’ve wanted this for so long, I really want you Kyung.” La tête lui tournait ; et au milieu de la tempête, Kyung-Tae ne voyait plus le plan, ni les étapes méticuleuses qu’il avait délimitées pour atteindre son but – il eut une inspiration saccadée en retrouvant les lèvres de Jesse, et ferma les yeux pour se laisser avaler entièrement par leur chaleur.

Le tourbillon l’engloutit avec une force brute : leurs gestes étaient fébriles, avides, et Kyung-Tae sentit une morsure brûlante à la caresse entre ses jambes, la réalisation d’années de fantasmes inassouvis qui se cristallisaient désormais entre les doigts de Jay, contre la peau de Jay, lui offrant une réalité dépassant de loin tout ce que son esprit avait pu projeter. Les mots avaient été aspirés par l’onde chaude qui lui roulait dans le ventre, et ni la brève interruption lorsque Jesse le repoussa pour se saisir de son sac, ni les mots de Jay ne surent lui rendre la parole et stopper l’empressement qui s’était emparé de chaque cellule de son être. Il n’entendait même pas ses propres soupirs, avalé par une transe qu’il n’avait connu qu’en de brefs éclairs – il s’était toujours retenu, avec les autres, son regard porté sur la mécanique de leurs corps et de son efficacité, plutôt que des sentiments virulents qui lui enserraient l’abdomen. Derrière la façade rigoureuse et lisse de Kyung-Tae se trouvait une passion écrasée par ses principes et une logique qui se voulait froide ; le feu intérieur qui l’agitait n’avait toujours été perçu que comme un obstacle, un manque de sang-froid qui lui coûterait son avenir et sa vie de rêve.

Mais contre Jesse, rien d’autre ne semblait avoir d’importance. La retenue, la maîtrise, la technique ; balayées par un souffle puissant qui lui grignotait l’âme et guidait ses mains empressées sur le corps de Jay. ”I’m really, really sure.” L’écho de ses paroles résonnait avec une force sourde, s’écrasant entre ses côtes lorsqu’il se retrouva en lui ; Kyung-Tae pressa ses doigts moites contre les cheveux ras de Jay, contre sa hanche, étouffant une plainte basse dans son cou comme s’il pouvait s’y fondre, disparaître en lui et mourir d’un plaisir et d’un bonheur qui le dépassaient, faisant battre son cœur comme s’ils cherchaient à l’arracher de son torse et mieux le réduire en bouillie, écrasé par ce trop-plein de sensations et d’émotions liées, mordant chaque parcelle de corps sans relâche, déchirant sa chair d’amour tandis qu’il se mouvait, fébrile, avide, entre les jambes de Jay, à la fois séparé de son corps et en ressentant chaque pression, chaque souffle, chaque contact.

Il était en train de faire l’amour à Jesse. Il était en train de l’aimer, de provoquer ses soupirs, d’embrasser maladroitement sa peau, son visage et ses lèvres en des baisers désordonnés, de baigner dans la moiteur de sa peau tout en enserrant la sienne ; de vivre l’instant le plus magique et le plus heureux de son existence, de se sentir entier, enfin, complété par le corps de Jay et son souffle saccadé sous le sien…

L’orgasme le saisit sans prévenir, et le bonheur, le plaisir, le sentiment de plénitude rampant sous sa peau explosèrent en une honte contrite, heurtés par une réalité crue qui le saisit d’emblée, le fit cligner brusquement des yeux contre le cou chaud de Jesse après quelques secondes d’un K.O brutal. Fuck. Tremblant, Kyung-Tae redressa honteusement la nuque, tomba sur les traits rougis de Jesse – combien de minutes, non, de secondes avait-il tenu ? Il déglutit en détournant aussitôt le regard, mordu au ventre, cette fois, par un embarras presque glacial, un contraste avec la chaleur de ses bras qui l’étourdissait un peu plus, baissa les yeux sur leurs bassins liés avant de se retenir d’un bras tremblant, constata, en se retirant avec lenteur, que le ventre de Jesse était désespérément immaculé sous lui.

Il retint son souffle jusqu’à ce qu’il bascule sur le dos, sa respiration encore sifflante, ses joues brûlant d’une honte qui lui faisait soigneusement éviter le regard de Jesse – sa présence lui était néanmoins douloureusement rappelée par sa respiration rapide, son odeur encore imprégnée sur sa peau, les vagues de couleur que lui envoyait Dona, représentant un pêle-mêle d’émotions qu’il ne savait voir, ainsi chamboulé de la sorte.

Il eut un soupir et ferma les yeux en arquant les sourcils. C’était un désastre, un fiasco, une honte mortelle qui le suivrait jusqu’à la fin de ses jours ; il avait tout gâché – et si sa piètre performance faisait changer d’avis Jesse ? ”I’m sorry…” Sa voix était éraillée, mangea son o et le força à s’éclaircir la gorge, tandis qu’il passait une main sur son front moite, son cœur tambourinant violemment contre son torse.

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Les muscles de Jesse se tendent, une brève seconde seulement, lorsque Kay se glisse entre ses jambes, et que la sensation lui fait prendre conscience, encore une fois juste une brève seconde, qu’ils sont en train de coucher ensemble. Et il n’est pas certain du pourquoi ou du comment il a pu passer toutes ces années à garder ce désir brûlant au creux de son ventre, à vivre sans la peau moite de Kyung contre la sienne, à vivre ces étreintes dans le secret de son esprit, ou dans ses rêves les plus récurrents. C’est une absurdité dont il n’arrive pas à se remettre, que de s’être tenu loin de cette réalité qui lui semble bien trop naturelle, et qui le laisse pourtant terriblement fébrile, presque maladroit tant il peut être submergé par un torrent d’émotions et de sentiments s’entrechoquant les uns contre les autres.

Pendant cette infime seconde, Jesse a l’impression d’accueillir l’adolescent qu’il a été, à l’autre bout du monde, ce même adolescent vivant encore en lui et à l’origine de ces rêveries qu’il craignait voir rester à jamais des rêveries. Et elles le resteront à tout jamais, en un sens - car aucun rêve ne peut se comparer avec la fièvre et l’émotion qui habitent le sorcier, ainsi pressé contre le corps de Kay.

Et aussi vite, cette seconde s’évapore, et Jesse se laisse entièrement engloutir par la sensation de leurs hanches se trouvant avidement, de celles de Kay s’invitant en lui. Ses doigts se pressent dans ses cheveux, sur sa fesse, ses jambes refermées autour de son bassin en sentant une ivresse engourdir ses sens et ses pensées. Il n’y a plus que Kyung, plus qu’eux deux, plus que ses soupirs rauques se mêlant à ses gémissements, plus que le bruissement de sa peau frottant contre la sienne ; et ce bien-être, indescriptible, unique, qui barbouille son ventre autant que le plaisir.

Jesse en avait presque oublié que l’intimité n’est pas qu’une succession de gestes mécaniques - ou en réalité, il le découvre plutôt, dans les bras de Kyung-Tae. Le sentir contre, sur, en lui, est certainement la plus belle chose qu’il ait jamais expérimenté, et Jesse en est certain : il vit un moment qu’il n’oubliera jamais, et qu’il ne veut jamais voir se terminer.

Et lorsque ce moment s’achève, brusquement, il en est presque sonné, encore parfaitement déconnecté, et enivré de son odeur et de sa chaleur. Ce n’est qu’en sentant Kay s’immobiliser et redresser la nuque qu’il comprend. Et ses doigts pressent légèrement, faiblement sa peau, comme pour le retenir à lui et prolonger un peu plus la vue du sorcier le surplombant, et la douceur de son corps embrassant le sien. Alors il cille, lorsque Kyung se retire et se laisse retomber sur le dos à côté de lui - loin de lui, trop loin de lui, lui dicte son propre corps, qui se trouve soudainement et terriblement froid maintenant qu’il n’a plus le sien pour le recouvrir. Fuck. La tornade des émotions contradictoires revient aussitôt, alors que son cœur bat un rythme presque paniqué à cette interruption brutale, et surtout, à l’écart que Kyung vient de mettre entre eux deux.

Est-ce qu’il a fait une connerie, en l’embrassant ? Est-ce que Kay est en train de regretter ? Est-ce qu’il lui dit ”I’m sorry…” parce qu’il a terminé rapidement, ou parce qu’il considère qu’ils n’auraient pas dû aller aussi loin ? Pourquoi est-ce qu’il ne le regarde pas ? Est-ce que c’est parce qu’il est gêné ? Est-ce qu’il est gêné parce qu’il regre– Jesse prend une profonde inspiration, tentant de se calmer, et de chasser la panique qui cherche à revenir après avoir été brièvement avalée par leur étreinte. ”No please, don’t be sorry…” Please, don’t regret what just happened, please. Il le lui dit dans un souffle presque plaintif, son visage tourné vers le sien, détaillant son profil alors que son cœur tambourine violemment dans son torse. Il a l’impression d’avoir fait une chute de mille étages, depuis un sommet qu’il n’avait jamais espéré atteindre, et de se retrouver immobilisé par l’impact de cette chute douloureuse. Alors, il décidé de sortir de sa léthargie pour se redresser maladroitement sur un coude, jetant un coup d’oeil à Kay en passant son bras par-dessus lui pour attraper sa pochette laissée ouverte de son côté, avec un ”Sorry, I just need to–” inachevé. A nouveau, il se laisse retomber sur le dos, sort une lingette en laissant la pochette entre eux, pour mieux s’essuyer maladroitement - pour cela aussi, c’est comme s’il avait oublié comment faire.

Et un léger silence retombe, menace de faire ressurgir toutes ces questions angoissantes à la surface de son esprit. Jesse a passé des années dans le doute, dans cet entre-deux semblable à une torture par moment, et maintenant qu’il a goûté à l’amour de Kay, il est physiquement incapable de continuer à douter un instant de plus. ”Are you– Is everything alright? Is it because you finished first or…”, demande-t-il d’une petite voix en tournant de nouveau son regard vers lui. ”Do you, hm, do you regret we did it? Because I really don't, and... sorry, I just need to know.” Et en aucun cas il n’a envie de laisser Kay dans le doute, lui aussi. No more bullshit.

Sa main recouvrit son visage qu’il aurait voulu livide, plutôt que le rouge tomate qui lui dévorait les joues, un hybride né de sa gêne et du plaisir qui roulait encore sous sa peau. We just… Il y eut une inspiration, à côté de lui, et la voix plaintive de Jesse : ”No please, don’t be sorry…” Le cœur de Kyung-Tae s’enserra sous cette tonalité rarissime sous le souffle de Jay ; est-ce qu’il lui faisait pitié ? Le sorcier pressa légèrement ses doigts autour de ses yeux clos, comme pour disparaître sous ce masque d’obscurité et échapper à la foule d’émotions et de sensations confuses où trônait, maîtresse, reconnaissable entre mille, une honte familière. Disparaître au creux de ses propres doigts, qui semblaient encore imprégnés du contact brûlant de Jesse : sa peau moite et douce, sa hanche, sa fesse, ses cheveux ras sous ses paumes… ”Sorry, I just need to–” Kyung-Tae rouvrit les yeux, glacés par le mouvement faisant s’enfoncer le matelas sous ses côtes, et tomba, dans un battement de cœur violent, sur Jesse penché au-dessus de lui.

L’embarras brusque fut ravivé par la réalisation qu’il ne revenait pas contre lui ; une pointe déroutante de déception se mêla au soulagement de renouer le contact, et de voir son corps brûler d’un feu qu’il désirait tant étouffer au fond de lui.

Il y eut un silence, et le regard de Kyung-Tae tomba précautionneusement sur le paquet de lingettes laissé entre eux. Paralysé par la tempête soufflant en lui, il étendit les doigts pour en sortir une lingette, en prenant bien garde que les doigts de Jesse se tiennent loin des siens, et dut affronter une nouvelle vague de honte en essuyant son ventre et son entrejambe dans ce silence de l’après qu’il n’aurait jamais cru un jour vivre avec Jesse.

Il y avait parfois des accrocs, durant leurs rencontres ; des accrocs qui n’étaient dus qu’à l’évitement d’épineux sujets autour desquels ils dansaient avec maladresse, feignant tous deux une indifférence qui avait fait grandir en eux son contraire. ”Are you– Is everything alright? Is it because you finished first or…” Kyung-Tae sentit une nouvelle morsure au visage tandis qu’il jetait la lingette dans la corbeille, à côté de la table de nuit, redressé sur un coude ; il tourna la tête vers Jesse, coulant un regard jusqu’à ses grands yeux noirs qui le heurtèrent avec la même violence qui avait animé son corps entier durant ce qui n’avaient été que de malheureuses petites secondes, avant de se laisser de nouveau aller sur le dos.

Il baissa les yeux devant l'intensité des prunelles brillantes de Jay, se rendit compte que son regard tombait sur son corps exposé, rougit de nouveau en détournant vivement le regard ; les mots étaient coincés dans sa gorge, empêtrés en un tas qui se pressait douloureusement contre sa langue, cherchant à sortir de ce mutisme soudain. De ces paroles dépendrait la suite – il avait d’autant plus peur de merder que la confusion lui pourrissait le crâne, qu’il avait l’impression d’avoir vécu le plus beau moment de sa vie et à la fois d’avoir fait la pire erreur de cette dernière, qu’il ne ferait qu’ajouter à son cuisant échec. Finished first – c’était une preuve de délicatesse de la part de Jesse, ou plus objectivement un terrible euphémisme. ”Do you, hm, do you regret we did it? Because I really don't, and... sorry, I just need to know.” Le cœur de Kyung-Tae chuta brusquement dans son torse. Alerté par ce deuxième avertissement consécutif, il releva les yeux dans ceux de Jesse, autrement plus stables que les siens – une peur trouble lui fit ouvrir la bouche, tandis que ses doigts se refermait sur la couette repoussée sur le côté lors de leur étreinte. ”No, I don’t. I don’t,” répéta-t-il un ton plus grave en sentant sa bouche sèche, déglutissant pour mieux l’humidifier tandis qu’il remontait la couette jusqu’à sa taille, rechignant d’être exposé entièrement en dépit de la chaleur sous sa propre peau. ”I don’t think I do”, corrigea-t-il avec un air mortellement sérieux, et mortellement gêné de ne trop savoir se situer, à la fois encore ivre de plaisir et glacé par la rapidité avec laquelle ce dernier lui était venu. ”I’m… Too confused to be sure of anything right now.” I mean, we just had sex. Il s’humecta les lèvres pour endiguer la vague nerveuse qui lui soulevait le cœur ; son regard dégringola sur le torse nu de Jay. Fuck, shit. ”We just, we… I told you I sucked in bed.” Sa voix carambola dans les graves tandis que ses pupilles revenaient à celles du sorcier sur cet aveu désagréable. ”I was so bad, I’m sorry…” reprit-il sur un murmure en laissant retomber sa main entre eux, son regard sondant une pupille, puis l’autre, tandis qu’une onde s’épanouissait dans son torse, une onde d’amour déclenchée par les yeux de Jesse dans les siens.

tw:mention de sexe

Il a une seconde de silence, après sa question, alors que Kay relève précipitamment ses yeux dans les siens, et Jesse se sent comme un animal pris dans les phares d’une voiture au bord d’une forêt. Il a beau avoir pris une voix assurée, il ne l’est pas le moins du monde, ainsi soudainement conscient d’être nu dans le lit de Kay, juste à côté de Kay, après avoir fait l’amour avec Kay. C’est cela qui tourne en boucle dans son esprit désormais, sans savoir s’il s’agit d’une terrible erreur ou non – une erreur, s’il en était, qui aurait un goût incroyable de bien-être, presque de bonheur, de justesse également. ”No, I don’t. I don’t.” Jesse reste pourtant immobile, ou presque, gesticulant tout juste pour glisser ses jambes sous la couverture lorsque le sorcier la remonte ; il retient presque son souffle, comme s’il s’attendait à– ”I don’t think I do.” À ça. Le jeune métamorphomage fait de son mieux pour ne pas être déçu – mais comment ne pas l’être, quand il sent encore sa chaleur recouvrir sa peau, et que le plaisir inassouvi roulant dans ses veines le rend encore fébrile, fiévreux, essoufflé ? Quand Kyung est gêné, hésitant (comme s’il ne l’était pas lui-même, à ne pas oser avoir de geste dans sa direction, alors qu’il meurt tout simplement d’envie de revenir contre lui après cette séparation brutale) ? Quand il a peur qu’ils se connaissent encore moins qu’il y a quelques minutes, avant qu’il ne vienne pleurer tout son amour contre ses lèvres ?

Come on, it’s Kay, you know the guy. Évidemment que Kay est hésitant et préfère ne pas se prononcer dans l'immédiat, c’est Kay. A vrai dire, Jesse le reconnaît-là plus qu’il ne se reconnaît lui-même, à baigner dans ses émotions et à lui offrir ce faux regard stable. Bon sang. ”I’m… Too confused to be sure of anything right now. − It’s– it’s fine, sorry, take your time”, balbutie-t-il en humectant ses lèvres rendues sèches par les baisers de Kyung. It’s fine, it’s fine. Ils ont juste couché ensemble, pas de quoi paniquer ; pas de quoi calmer les battements nerveux de son coeur non plus, semble-t-il. C’est ce qu’il a toujours voulu, non ?

Non, pas exactement. Pas seulement.

Jesse se mordille mécaniquement la lèvre inférieur en attrapant lui aussi la couverture pour la remonter jusqu’à sa taille, détournant le regard pour ce faire, autant de fuites légères pour ne pas avoir à affronter la gêne entre eux, une gêne qu’ils n’ont jamais connue – pas comme ça, à se demander s’il ferait mieux de se rhabiller et de le laisser tranquille, histoire d’éviter que Kyung ait à le lui demander, ce qui rendrait la situation bien plus insupportable encore. ”We just, we… I told you I sucked in bed.” Inévitablement, Jay tourne de nouveau ses pupilles vers Kyung, presque arrondies sous la surprise de ce qu’il avance. Et le pire, est qu’il peut sentir au timbre de sa voix et au regard qu’il plante dans le sien qu’il est mortellement sérieux. Et il faut au moins cela pour que Jesse réalise (espère ?) que là se trouve la source de sa gêne, ce débile accident que lui n’arrive même pas à identifier comme en étant un. ”I was so bad, I’m sorry…” Son coeur fait une chute vertigineuse dans son torse, dégringole jusqu’à son ventre, y atterrit en un impact presque douloureux, face aux deux grands yeux de Kyung-Tae, et à son murmure bas. C’est presque par réflexe, qu’il se retrouve à froncer les sourcils en secouant faiblement la tête, incrédule. ”Kay… You were not bad”, dit-il sur un volume contrastant avec celui de l’autre sorcier, lui donnant l’impression qu’il est en train de le crier dans l’unique pièce composant l’appartement.

A l’expression s’installant sur le visage de Kyung, Jesse voit bien qu’il n’en croit pas un mot, ou qu’il s’apprête à protester – hors de question de lui en laisser le loisir. Alors, il se redresse sur un coude pour se mettre sur le flanc et lui fait face, ses jambes effleurant les siennes sous la couverture nouant un peu plus son ventre encore barbouillé de plaisir. ”No, really, you were not bad at all”, insiste-t-il, ses sourcils toujours froncés et un air sérieux sur ses traits. ”You’re bad at cooking. That, you’re bad for sure.” En l’ajoutant, il ne peut contenir un sourire d’étirer le coin de ses lèvres – les nerfs, sûrement. Et ce faible rictus se mute rapidement en une expiration amusée, avant qu’une rire bas ne lui échappe ; ils en avaient certainement besoin, de rire un peu, et celui-ci lui vient naturellement, en une nécessité de presque vital d’alléger l’air devenu lourd après leur dispute, leur passion, puis leur gêne. ”Sorry”, finit-il par s’excuser après ces quelques secondes à relâcher la tension mordant son corps, et son esprit au passage.

”But you don’t suck in bed”, reprend Jesse après être parvenu à effacer les dernières traces de ce rire salvateur. ”You know I–” Ses yeux restent dans les siens, ce simple contact suffisant à faire chavirer son coeur et à l’interrompre brièvement ; il pince alors ses lèvres, cherchant un peu ses mots, et repoussant surtout le léger malaise de parler de ça avec Kay. Ils se sont toujours épargnés les détails de leurs aventures, pour des raisons qu’il comprend être évidentes, désormais. Mais cela n’a plus rien à voir, maintenant que Kyung est au cœur de cette aventure-ci – aventure, un mot qui sonne bien faux pour décrire tout ce qu’il a pu ressentir l’espace de quelques instants dans ses bras. ”I wasn’t really far from, from– you know. So, no, I thought that was– yeah, great.” Et ses yeux quittent une seconde les siens pour lui avouer ce dernier mot à voix basse, représentant, lui aussi, bien mal ce qu’il a réellement pensé de ce moment tout contre son corps.

Après une brève inspiration, ses pupilles viennent retrouver les siennes, et ce qu’il y trouve l’enjoint à poursuivre sur le même ton. ”But I– I don’t– I don’t want the best guy in bed, or a guy who hold it in for hours, or I don’t know…” Jesse a l’impression de manquer d’air en abattant ces quelques paroles pourtant simples, néanmoins lourdes de sens – du moins, pour lui. Parce qu’il a tellement, tellement envie que Kay comprenne. Alors, il glisse sa main jusqu’à la sienne, entre eux, effleurant d’abord ses doigts du bout des siens, avant de les accrocher doucement. ”I just want you, like I said before”, avoue-t-il de nouveau dans un murmure, ces mots semblant prendre plus de sens encore, désormais, que lorsqu’il les a dit sous le coup de l’émotion un peu plus tôt. That’s the only thing, I want you now. Et probablement aurait-il un mal incroyable à s’en remettre, si Kay ne le voulait pas de la même manière. C’est pourquoi il ajoute d’une voix plus basse encore : ”Am I stupid?”

”Kay… You were not bad.” Son cœur fit un bond face à la voix assurée de Jesse et Kyung put sentir ses joues rougir face au froncement de sourcils du sorcier. Il y avait le soulagement de l’entendre lui dire qu’il n’avait pas été si terrible qu’il l’avait cru, avalé presque immédiatement par le doute et la confusion face aux immenses yeux noirs plantés dans les siens, comme pour tenter de le convaincre de cette absurdité.

Tu parles. L’échec cuisant était encore trop frais (et son esprit compétitif était bien trop rivé sur ses performances, aussi bien académiques qu’autrement plus personnelles) pour que le nœud dans son estomac, mordu, ne se dénoue pleinement. Kyung pinça les lèvres devant les battements sourds de son cœur qui semblaient l’enjoindre à croire Jesse – not so bad, peut-être… Les considérations de Kay furent interrompues par le changement de position de Jay, l’effleurement accidentel de leurs jambes sous la couverture. ”No, really, you were not bad at all.” ”Stop it,” commença-t-il à protester en détournant les yeux, sa jouissance express lui revenant avec autant de force que le parfum de la peau de Jesse. ”You’re bad at cooking. That, you’re bad for sure.” Quoi ? Kyung-Tae dut cligner des yeux et prendre une seconde pour s’assurer qu’il avait aussi bien entendu qu’il pouvait voir un sourire sur les lèvres de Jesse. Sa gorge se serra face à l’expiration amusée de Jay ; il était interdit par cette plaisanterie presque brusque, au milieu de sa propre honte, et de ce malaise sérieux, la suite de leur relation se jouant, en partie, sur cet instant crucial. Le métamorphomage eut un rire, et Kyung-Tae fronça les sourcils – en sentant, à son grand dam, son cœur se soulever pour pousser hors de sa gorge une expiration perdue entre amusement (douloureux) et incrédulité, son regard balayant les traits hilares de Jay (il avait désespérément envie de l’embrasser de nouveau). ”Sorry. But you don’t suck in bed.”

Kyung-Tae baissa de nouveau les yeux entre eux, ravalant dans son silence le doute qui brûlait ses lèvres pincées. I kind of do. ”You know I–” Il y eut une brève pause, incitant Kyung à revenir aux yeux bruns de Jesse, un coup d’œil qui lui valait, à chaque fois que ses yeux roulaient dans leurs orbites pour retrouver ses prunelles, un nouveau bond dans son torse confus.
Il détestait sentir son cœur faire des cabrioles pour un mot ou pour un regard ; ce dont était capable Jesse, sans le moindre effort – une des raisons qui l’avait poussé à rester aussi loin que possible de tout ce qui touchait au domaine des sentiments, avec lui.  ”I wasn’t really far from, from– you know. So, no, I thought that was– yeah, great.” Kay resserra entre ses doigts la couverture remontée sur eux, la gêne mordant de nouveau son visage à cet aveu. Jesse avait toujours été, dans le domaine des émotions, le plus honnête ; longtemps, Kyung avait admiré cette franchise tranchant avec ses propres traits fermés et nerveux. ”But I– I don’t– I don’t want the best guy in bed, or a guy who hold it in for hours, or I don’t know…” Kyung-Tae restait coi, paralysé par l’impression qu’il se jouait là quelque chose d’inattendu, comme un espoir étouffé depuis des années qui se voyait révélé au détour de quelques mots ; il eut le souffle coupé en sentant ses doigts glisser sur les siens, pour mieux s’y refermer avec douceur.

Quatorze ans, de nouveau. Il déglutit difficilement sous le regard de Jesse dans le sien, ce contact voulu, explicite, qui faisait bouillonner dans le torse de Kyung une multitude d’émotions vives. ”I just want you, like I said before.” Ce fut comme si on lui avait donné un coup derrière la nuque : maintenant qu’ils ne se trouvaient plus au cœur de la tempête, ces mots possédaient une force étourdissante, donnant un furieux vertige à Kyung-Tae qui se trouvait avec sa main dans la sienne, et sous le murmure lourd de sens de Jesse. ”Am I stupid?” Sa voix basse le secoua plus que n’importe quel cri. Il s’humecta difficilement la bouche pour lui répondre, sentit les mots fondre jusqu’à ses lèvres avant qu’il ne puisse les retenir : ”No, you’re not.” Kyung-Tae relâcha ses doigts pour mieux se redresser sur un coude, à son tour, les yeux baissés sur le matelas entre eux, de peur de prendre conscience de la proximité de Jesse s’il les relevait vers lui, prit une seconde de silence, avant de reprendre : ”I mean, you’re impulsive and you do act stupid, sometimes,” ajouta-t-il sans pouvoir empêcher un coup d’œil rapide, nerveux de s’entendre dire de telles inepties à un tel moment – quel crétin. Et sa position lui cassait la nuque ; il pouvait également sentir le paquet de lingettes s’enfoncer dans sa cuisse, le rabat en plastique coupant sa peau. ”What… What do you mean, when you say you want me?” Voilà, la dernière ombre qu’il fallait écarter pour une éclaircie dans son esprit confus – ce qu’il n’avait pas cherché à comprendre lorsque les lèvres de Jesse étaient venues chercher les siennes, au milieu de la tempête. Ce want remuait en lui une foule d’émotions entremêlées, et ce bref éclat de courage lui coûtait son souffle, plus rapide, tandis qu’il sondait ses yeux noirs. ”Do you… Want me for now, or for longer? Not in bed, I mean, I don’t know if I could – whatever, that’s not, if you liked it, I mean, I… Shit.” Il s’éclaircit brièvement la gorge comme pour en râcler l’embarras qui s’accumulait au fil de ses mots maladroits, ignorant la brûlure sur ses traits tandis qu’il s’interrompait, son brusque silence mettant en exergue la confusion de ses paroles, glissant une main sur son visage pour en dissimuler les rougeurs.

”No, you’re not.” Le cœur de Jesse se serre violemment dans son torse, alors que la réponse de Kay sort immédiatement, et que le regard de ce dernier est baissé entre eux. Ces trois petits mots viennent le secouer bien plus qu’il ne saurait l’admettre – une constante, face à Kyung-Tae, qui sait faire fondre cette carapace d’adulte trop jeune qu’il est la plupart du temps, surtout face à ses frères et soeurs, pour redevenir cet adolescent émotif et en mal de confiance en lui. Il oublie bien trop facilement comment fonctionner, avec le sorcier, et plutôt que de l’effrayer, c’est la raison qui l’a poussé, toutes ces années, à rester à ses côtés et à nourrir des espoirs plus ou moins secrets. Car il n’y a rien de plus reposant que de pouvoir être un peu bête, hésitant, de se montrer épuisé – d’être sincère et lui-même en sa présence.

Cela l’est habituellement, du moins ; c’est tout autre chose quand quelque chose d’essentiel semble se jouer en cet instant, et que Jesse n’arrive à calmer ni son souffle, ni les battements de son cœur, ni son regard faisant des allers et retours entre eux et celui de Kay. Il retient sa respiration, lorsqu’il le voit relâcher ses doigts et se redresser face à lui, encore une fois bien trop conscient de leur nudité et de leur proximité, pouvant sentir son corps et son souffle effleurer le sien. ”I mean, you’re impulsive and you do act stupid, sometimes”, précise Kyung, et face à cette franchise, Jay arque un peu les sourcils en poussant une expiration entre surprise et gêne ; il n’a pas totalement tort, mais le sorcier est bien trop pris dans cette spirale d’émotions confuses pour lui donner raison sur l’instant. Il préfère garder le silence, lui laisser la parole et le temps de lui répondre – parce que bien malgré lui, c’est ce qu’il attend, une réponse de sa part, après lui avoir révélé ce qui n’était autre qu’une déclaration maladroite. I just want you.

”What… What do you mean, when you say you want me?” Trop maladroite, semble-t-il, alors que Kay lui demande des précisions, et Jesse est tout simplement mortifié à l’idée de devoir se répéter, s’avancer, s’exprimer un peu plus à ce sujet. Please, please get it, avait-il pensé en lui offrant, pour son anniversaire, un dessin idiot qui, pour lui, le mettait déjà complètement à nu, lui et ses sentiments. Il a passé bien trop de temps à enfermer tout cela au fin fond de ses entrailles pour s’imaginer réussir à tout dévoiler à Kay, ses yeux dans les siens, sa peau à quelques centimètres de la sienne, après avoir– ”Do you… Want me for now, or for longer? Not in bed, I mean, I don’t know if I could – whatever, that’s not, if you liked it, I mean, I… Shit”, bafouille Kyung, et Jesse ne parvient même pas à trouver cela ne serait-ce qu’un peu amusant (peut-être un peu attendrissant, cependant), tant il peut ressentir une gêne similaire à la sienne, une morsure virulente à même son coeur.

Bordel, il y a peut-être quinze minutes de cela, il était prêt à raccrocher définitivement avec ses espoirs et cette attente trop longue, à reprendre toutes ses affaires et à mettre une distance entre eux, quitte à vivre avec cet insupportable déchirement. Et le voilà désormais mis face à ce qui lui semble être la question la plus importante de sa vie, paralysé et coi par ce qui se dessine devant lui, devant eux.

Le silence se fait probablement trop long, car Jesse lui-même ressent un inconfort de plus en plus étouffant. Alors il déglutit après une seconde supplémentaire, son regard n’ayant pas quitté le visage de Kay un seul instant. ”No, not now. Hm, I mean– Yes, now, and for longer.” Il peut presque sentir son cœur battre dans sa gorge en chuchotant ces quelques mots lui brûlant les lèvres. Et il se rend compte lui-même qu’il n’est terriblement pas clair, face aux yeux confus de Kyung-Tae. Breathe. C’est ce qu’il fait, en prenant une profonde inspiration pour se donner un peu d’élan, un peu de courage, face à la réalisation qu’il n’y a plus de retour en arrière, désormais – pas après avoir fait l’amour avec lui, pas alors qu’il lutte contre l’envie de fondre de nouveau dans ses bras. ”It’s not that I want you– No, of course I want you. But it’s more that I… want to be with you. ‘Cause I…”, souffle Jesse en baissant brièvement les yeux, incapable de le regarder en face en se dévoilant ainsi, sans avoir la moindre idée de si cette envie est réciproque.

Non, il n’y a plus aucun retour en arrière – les choses ne seront plus jamais pareilles, entre eux.
”I, hm– I’ve been in love with you for years, Kay.”

Jesse est pris d’un puissant vertige, lui donnant l’impression de dégringoler au fond de lui-même ; il ne parvient toujours pas à remonter les yeux dans les siens, car c’est beaucoup plus simple de se mettre à nu en dehors de son regard – quand bien même, même cela lui demande un effort incommensurable. Ses lèvres tremblent presque, et il les mordille un instant en réalisant que, à cette distance, Kay doit parfaitement le voir. ”I don’t know if you remember but– when I left Korea, you know that letter you sent me, and the one I sent you… It never really went away and– fuck, it definitely didn’t help when you moved in here”, ajoute-il en osant enfin remonter son regard dans sa direction – le plus dur est fait, de toute façon, c’est du moins ce qu’il se dit sur l’instant, sachant pertinemment que le plus dur sera d’entendre la réponse de Kay. ”But I felt so stupid, because I can’t– shit, sorry.” Jesse est mortifié, à nouveau, alors que sa voix s’éteint dans sa gorge serrée et qu’une larme malvenue coule sur sa joue, qu’il s’empresse d’essuyer d’un rapide geste de la main en détournant le regard.

Un souffle saccadé file d’entre ses lèvres. ”It’s just that you deserve so much better than this.” Than me. Kay, lui, pourrait avoir une petite amie, aimer sans se mettre en danger – qui est Jesse, pour lui imposer des sentiments dangereux (au Royaume-Uni, du moins), des sentiments venant de quelqu’un n’ayant pas trouvé mieux que de vendre son corps pour survivre ? ”And I feel so selfish because– I– I can’t help but be in love with you, and I swear I really tried to hold it in for so long, but after what just happened… I just really want to be with you.” Il parvient tout juste à reprendre le contrôle de sa respiration rapide, lorsque son regard glisse jusqu’à son visage. ”I’m sorry, I don’t know why I’m being so dramatic about it, and I’m talking too much, but I– I’m so scared that’s not what you want and that I’m just fucking everything up”, avoue Jay dans un long soupir, épuisé par ces montagnes russes, et par la course folle de son coeur, duquel il a extirpé presque à la force d’une volonté hésitante ce qu’il y renfermait depuis ce qui lui semble être toujours.

Jesse le regardait avec une intensité rendue d'autant plus nette qu'un lourd silence était retombé entre eux. Ou plutôt, le silence au-delà des battements assourdissants du cœur de Kyung-Tae, résonnant dans son torse et contre ses tempes, des boum boum allant croissant au fil des secondes où la réponse de Jay tardait. Il pouvait lire dans ses yeux, qu'il observait légèrement par en-dessous, à cette distance, une hésitation qu'il ne connaissait que trop bien – la même qui avait probablement retenu leurs gestes durant leur cohabitation officieuse et que Kyung-Tae soupçonnait, au fond, d'avoir provoquée.

Jesse n'était pas idiot : il avait probablement senti son appréhension à franchir le dernier pas qui les séparait (et le refus qui en aurait découlé). Kyung ne pouvait pas se permettre... N'avait pu se permettre – s'il avait eu les yeux rivés sur un futur qui ne lui avait paru, après des années de galère, pas si lointain, il avait désormais ses pupilles plongées dans celles de Jesse, le cœur martelant sa poitrine, dans l'attente d'une réponse qu'il avait jusqu'alors toujours soigneusement évitée, et qu'il avait aujourd'hui lui-même provoquée.

Jesse déglutit enfin ; Kyung cilla comme pour se préparer à ce qui allait suivre. ”No, not now. Hm, I mean– Yes, now, and for longer.” Son cœur eut un hoquet face à cet aveu confus – ils s'y trouvaient enfin. Merde, ne put s'empêcher d'ajouter le Kay qui avait redouté cet instant durant des années, pour mieux rentrer en collision avec le Kyung de Busan qui avait, lui, espéré entendre ces mots qu'il avait lu dans les yeux de Jay sans parfaitement en comprendre la teneur. ”It’s not that I want you– No, of course I want you. But it’s more that I… want to be with you. ‘Cause I…” Kyung-Tae balaya son visage du regard face à cette interruption malvenue, son cœur bousculant ses côtes en un rythme effréné. Être avec lui... Pour de vrai. Son esprit erratique bousculait dans tous les sens entre son crâne soudain devenu une prison étroite : tout son être fondait vers ce qui pendait aux lèvres de Jesse. I what? Sa gorge sèche garda enfermée ces deux mots trop empressés, conscient qu'il ne se trouvait pas devant une série cristal et que Jesse pouvait, lui, entendre ses commentaires de spectateur désireux de connaître la résolution de ce cliffhanger. Un shot de nervosité hérissa le poil de ses bras en voyant Jesse ouvrir de nouveau la bouche, pour mieux dire d'une petite voix : ”I, hm– I’ve been in love with you for years, Kay.”

Kyung-Tae considéra les yeux baissés de Jesse, interdit, comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.

Fucking shit, we're in it now, souffla le Kay pragmatique et nerveux qui avait tout fait pour repousser ces mots aussi longtemps que possible, ignorant les appels silencieux du regard immense de Jesse, celui de son corps cherchant le sien, au cœur de leurs étreintes, le regard rivé sur leur avenir et les parchemins qui les y mènerait étalés devant lui. Il avait secrètement espéré que ces sentiments passeraient à Jesse – il finirait bien par se lasser, fatigué de se heurter au mur que Kyung-Tae avait rapidement érigé entre eux. Mais Kay avait sous-estimé la résilience de Jesse, et avait préféré croire ce qui l'arrangeait le plus.

Il n'entendit la suite qu'à travers un filtre, son esprit notant un coin de son crâne les paroles de Jesse, y répondant même en un écho lointain, à des lieues du Kay qui fixait, paralysé sur place, les pupilles noires de Jay. Of course-- of course I remember these letters, it broke my heart in pieces. Ses mains tremblantes en ouvrant l'enveloppe, ses yeux hagards, trop chamboulé pour parvenir à faire immédiatement sens des mots sur le parchemin, les dévorant néanmoins comme s'il allait ainsi parvenir à les comprendre. Breathe. Breathe. Mais Kyung-Tae semblait avoir oublié comment respirer, happé par le même vertige qui l'avait frappé six ans plus tôt – lui aussi avait porté cette déclaration timide et muette dans un coin secret de son cœur, subissant la brûlure de ces huit petites lettres que le départ de Jesse avait rendues caduques.

Kyung-Tae cilla devant la voix cassée de Jay, ramené à lui par la larme coulant sur sa joue – son cœur se serra devant la blessure ouverte de Jesse, son corps paralysé par le choc incapable de lui faire franchir la distance jusqu'à son visage humide pour en chasser les traces ; et son esprit, surtout, fut soudain en proie à une telle panique que toute communication avec ses nerfs moteurs avait été brusquement coupée. I've been in love with you. For years. La phrase tourna et tourna encore dans son crâne, entraînant dans ce tourbillon frénétique son cœur alarmé ; appliquer une logique froide, se tenir à un but concret, compartimenter des sentiments malvenus était, devant la vague immense qu'avait provoquée les mots de Jesse, devenu impossible, douloureux, appelant à une migraine virulente face à la collision entre sa volonté de fer et le chaos brûlant de sentiments oppressés, écrasés durant des années par leur propriétaire.

”It’s just that you deserve so much better than this.” Fuck. Fuck. Fuck. Kyung-Tae glissa une main tremblante dans ses cheveux encore moites, son crâne bouillant sous ses doigts fébriles. Il ne s'était pas trouvé dans un tel état d'alerte depuis qu'il avait vu la police en bas de chez lui et de son père ; mais peu après l'arrestation, Kay était parvenu à retrouver un semblant de sang-froid – réorganiser ses pensées, se raccrocher au plan, faire un choix crucial avec une rapidité désarmante (se débarrasser de son père en niant avoir été impliqué), aidé par un instinct de conservation qui lui avait sauvé la peau plusieurs fois ensuite.

Maintenant, son propre instinct jouait contre lui : et la seule force de sa logique peinait à maintenir ces positions qu'il avait cru solides. Une simple digue balayée par un véritable tsunami.

Il aurait dû les arrêter, avant que le mal ne soit fait – les arrêter, et laisser Jesse partir ? Le chaos régnait à l'intérieur de Kay lui fit se demander, une brève seconde, si Jesse ne l'avait pas fait exprès. Fuck, you're making me paranoid. ”And I feel so selfish because– I– I can’t help but be in love with you, and I swear I really tried to hold it in for so long, but after what just happened… I just really want to be with you.” Kyung-Tae releva vivement le regard vers Jesse, qu'il avait baissé en se faisant happer par la bataille qui se jouait en lui. Cela arrivait maintenant, en cet instant précis : Jesse l'aimait et voulait être avec lui. Ils avaient fait l'amour, il avait fini bien trop tôt, et Jesse voulait être avec lui. ”I’m sorry, I don’t know why I’m being so dramatic about it, and I’m talking too much, but I– I’m so scared that’s not what you want and that I’m just fucking everything up.”

Il y eut une pause, brève - et Kyung sentit les mots rouler sur sa langue, poussés par une force qui n'était pas son intellect, une forme inconsciente et primitive, mais qui lui appartenait pourtant.

”That's why,” il inspira pour reprendre son souffle, malmené par le camaïeu d'émotions roulant dans son torse, ”that's why there was the plan.” Il conclut d'un air de conspirateur, comme si dans cette phrase se trouvait un concentré de toutes les réponses et toutes les explications qu'attendait Jesse. ”You weren't supposed to tell me this... Or if you did it would have been later, after everything was over,” continua-t-il sur la même lancée, sa respiration rapide et son regard peinant à se raccrocher à un point fixe, entre lui et Jesse, sous la panique de son cœur ; il pressa ses paumes contre son visage, frotta sa peau brûlante comme pour mettre de l'ordre dans ses idées qui semblaient se bousculer entre elles. ”Fuck,” souffla Kyung dans ses mains, un écho étouffé à l'image du chamboulement en lui. Jesse l'aimait ; depuis des années – il se rappelait encore parfaitement la lettre... Fuck.

Jesse ne comprenait pas, avait-il pensé à de nombreuses reprises, au terme de leurs échanges de regards ou de leurs étreintes serrées, auxquels Kyung s'était arraché le premier. Il réalisait désormais qu'au contraire, Jesse, plus que quiconque, avait compris les implications d'une telle déclaration – d'un tel engagement et de tels sentiments, quand il avait grandi avec une mère qui elle, n'avait vécu qu'en suivant les siens, et devait maintenant s'occuper des conséquences capricieuses de ces derniers. Jesse, autant que lui, si ce n'était plus encore que Kay qui avait défini les règles de leur relation en y plaçant les premières barrières, avait pris sur lui, contenu des sentiments vifs, gardé pour lui les battements de son cœur contre lequel Kyung alla se presser maladroitement, son élan les faisant basculer tout deux, gauchement, sur le matelas dans le dos de Jesse.

Fuck. Kyung-Tae ignora son bras coincé entre Jesse et le lit, et le ridicule de cette étreinte soudaine qui lui monta aux joues pour mieux y verser une nouvelle couche de lave et de gêne. Il ferma les yeux avec d'autant plus de détermination, le nez dans son cou, comme pour ignorer tout le reste, laisser fondre en lui les mots de Jay, ses larmes et ses cris, ses soupirs et ses plaintes basses – comme si l'étreindre était la solution à tous les problèmes. ”I don't want more.” Sa voix était un murmure étouffé dans le creux rassurant du cou de Jay ; son cœur tambourinant, encore, toujours, contre celui de Jesse, à la différence près qu'il dictait désormais ses mots, ayant profité de la confusion de son esprit pour se faire entendre. ”I don't want more”, répéta-t-il dans un souffle, ses cellules grises paralysées incapables de produire autre chose que ces quatre petits mots ; et comme aimanté par cette chaleur, Kyung pressa ses lèvres contre la peau toute proche de Jay, en un baiser fébrile, retint son souffle, continua plus haut, les yeux clos, suivant les battements de leurs cœurs nerveux.