Même si tu voulais raconter ce que tu venais de voir, tu avais peur qu'on te prenne pour un fou. Tu avais plus de chance de faire sens si tu racontais plutôt ce que tu avais ressenti à ce moment-là (bien que dans ta tête, cette vague d'émotions intenses n'était pas plus compréhensible que le reste). Tu raconterais la peur intrinsèque, qui s'immisce sous ta peau, comme si ce qu'Alex ressentait, ça se transmettait aux alentours. Tu raconterais la confusion qui soulève ta poitrine, la terreur de réaliser que dans ce foutu monde sorcier, vous pouviez rien faire -même pas un simple déménagement- sans risquer de vivre -et de préférence, survivre- à la peur de votre vie.
Tu es à mille lieux d'ébaucher la terreur et la douleur qu'Alex avait pu ressentir, mais cette miette qu'il te transmet, déjà, c'est de trop ; tu te ratatines dans un coin, à crier à l'aide, à suer à grosses gouttes.

Si tu voulais raconter ce qui s'était passé, peut-être qu'avec le recul, tu comparerais l'incident à l'œuvre de Stephen King, IT ; le bail d'horreur avec le clown qui prend l'aspect des peurs des gens (et les butent au passage, joie). Parce qu'en soi, le type chelou qui était apparu par magie sous le nez terrorisé d'Alex, toi, il te faisait pas plus peur que ça. Et pourtant, c'était comme s'il avait aspiré tout l'air de la pièce ; c'est comme s'il savait ce qui vous faisait peur, alors que tu savais pas toi-même ce dont tu avais peur...
Un coup à ne plus regarder de film d'épouvante de sitôt.

Sans doute alarmés par le boucan que tu fais, les autres interviennent, bien à l'abri derirère leurs baguettes. Ça paraît si facile, comme ça ; une formule dans un latin brouillon, et ça y est, finis les clowns et les vieux mecs chelous... (Autant dire que tu étais pas prêt de visionner IT avec quel que sorcier que ce soit, il risquerait de penser que c'est une comédie).
Ça tape un peu dans le dos d'Alex, ça le rassure, le remet sur pieds, et puis ils se cassent. « Hé ! Euh, vous allez pas le laisser comme ça ?! Apparemment, si. Tu te précipites sur Alex, l'attrapes par les épaules, l'observes minutieusement, sans savoir ce que tu voulais trouver sur son visage moite. Ça va, mec ? C'était quoi, ça, l'épouvantail ? Il t'a fait quoi ? C'était qui, ce mec là ? » Tu le noies sous les questions comme d'autres le noieraient sous les messages rassurants. En même temps, tu l'éloignes du piano et du reste du déménagement, estimant qu'il n'était pas en état de fournir un effort physique supplémentaire. Non, ce dont il avait besoin (et toi aussi, par la même occasion), c'était d'un remontant, et d'une couverture.
« On peut pas continuer comme ça ! J'croyais qu'on était en sécurité ici ? C'est les ennemis qui ont envoyé ce truc, là ? Les bêtes sauvages, elles sont toutes aussi traumatisantes dans le monde sorcier ? Et puis, pourquoi on n'a pas plus de sorciers pour nous protéger, ici ?! » Et toujours, la colère, la frustration qui remontent, balayent les frayeurs passagères, refusant que tu t'y habitues...

juin 2007, le théâtre. TW re-descente de crise d'angoisse Alex a l'impression d'être nu, les nerfs à vif, la moindre brise pouvant le faire basculer. Il tremble un peu et ses idées ne sont pas encore totalement remises en place mais sa respiration a retrouvé un rythme normal et Nico ne quitte pas son espace, fait en sorte qu'une partie de son corps le touche à chaque instant pour l'ancré, le recentré.

Soudain, Donald est là, sous son nez, partout, et Alex sursaute, se laisse manipulé parce qu'il ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe. "Ça va, mec ? C'était quoi, ça, l'épouvantail ? Il t'a fait quoi ? C'était qui, ce mec là ?"

Nico va pour répondre mais Alex lui fait signe que ça va, qu'il s'en charge. Quelque part, il a l'impression que Donald est un peu devenu sa responsabilité aujourd'hui. Pour Ruben, sans doute. "Un épouvantard," il le corrige parce qu'Alex aime corriger les gens et il aime montrer qu'il sait et la maintenant tout de suite, il a besoin que Donald le prenne au sérieux, continue de le voir comme une référence ici, et pas comme le pauvre mec fragile qui vient de s'effondrer pour aucune raison apparente. "C'est compliqué. Une créature magique qui se fourre dans les endroits poussiéreux. Une sorte de monstre qui se forme avec la peur des autres," il se sent obligé d'ajouter, histoire d'être sûr que Donald comprenne que c'est pas Alex qui est fragile mais l'épouvantard qui est horrible.

Il se laisse guider à l'écart, étonnement reconnaissant envers Donald. Le regard des autres devenant assez pesant, même s'ils font semblant de ne pas leur prêter attention. "Je lui loin d'être un expert mais on aurait du se douter qu'on allait en trouver ici. ça va toi ?"

Donald a l'air secoué mais pas forcément pour les même raisons qu'Alex et il se lance alors à nouveau dans une tirade qu'Alex a du mal à écouter sans tirer la grimace. "On peut pas continuer comme ça ! J'croyais qu'on était en sécurité ici ? C'est les ennemis qui ont envoyé ce truc, là ? Les bêtes sauvages, elles sont toutes aussi traumatisantes dans le monde sorcier ? Et puis, pourquoi on n'a pas plus de sorciers pour nous protéger, ici ?!"

La dernière phrase fait mouche et Alex repousse l'idée avec un geste de la main un peu amer. "On a pas besoin d'eux ici," il répond, même si ce qu'il vient de se passer prouve tout le contraire. "Et puis t'as rien à craindre," il poursuit, se rappelant que Donald est ici en tant que réfugié et doit absolument se sentir en sécurité. Les dents serrées, Alex se prépare mentalement à recracher le petit discours bien ficelé qu'il a appris. "Il y a des sorciers qui passent régulièrement pour nous protéger de ce genre de choses." Il pointe Tara du doigt pour l'exemple. "Je sais que ça en avait pas l'air, mais en règle général, les épouvantards sont assez inoffensifs. Ils font peur mais ils peuvent pas nous atteindre. Leur but c'est de chasser les gens de leur coin sombre. Mais pour les sorciers, c'est assez facile de s'en débarrasser. Ce que t'as vu... Disons que j'ai peut être un peu sur-réagit. Mais c'est rien. Je vais bien et toi aussi tu vas bien aller."