Que Morrigan ne soit pas dupe : s’habiller propre n’est pas non plus le chic (badum tss) de son oncle.

Et pourtant, ce soir, il a fait l’effort. De se raser la barbe et de bien tailler sa moustache, de passer une chemise propre et même un veston, de ressembler à quelque chose d’autre qu’un espèce de grincheux mal embouché. L’illusion est crédible, même, pour cette soirée semi-privée au Filet du Diable. Dresscode mandatory.

Amener sa nièce au strip club n’est clairement pas l’idée que les gens normaux se font d’une sortie familiale, mais pour les Farrow, pour les Black Hands, ça n’a rien d’inhabituel. C’est même plutôt le contraire, soit curieux que Moe n’ait pas encore eu quelques missions à effectuer au sein de ces endroits plus ou moins salubres, plus ou moins lugubres. Il y passe beaucoup moins de temps que dans sa jeunesse, mais jadis, il vivait pratiquement dans les bars, la nuit, rattrapant ses heures de sommeil au Ministère. Lance a pris le temps de monitorer les missions données à sa nièce - il est après tout celui en charge de Londres - avant de décider d’en faire son ombre.
Et que tant qu’à aller dans son premier strip club, que ce soit au Filet du Diable, pour une affaire qui en vaille la peine.

Son frère - éternel moralisateur - lui a bien sommé de faire attention à Morrigan. Comme si sa fille aînée était une chose fragile incapable de prendre soin d’elle-même. Lance s’est bien moqué, d’ailleurs, de ces relents de père couveur, sans prendre la peine de rassurer ledit couveur. Il a préféré le laisser mariner dans ses doutes et son peu de confiance en son propre aîné.
Comme s’il emmènerait Morrigan sur n’importe quelle mission.
Comme s’il n’était pas là justement pour faire attention.

Le sorcier transplane près du lieu de rendez-vous, pour y trouver Morrigan, bien à l’heure. Tant mieux. Un signe de la main pour la saluer, avant qu’il attrape sa cape pour en écarter les pans et juger sa tenue, tel un exigeant critique de mode. « C’est très bien. Il laisse retomber le vêtement, satisfait de son examen. S’il a réussi, il n’y avait aucune raison qu’elle échoue. Ce n’est pas sorcier. Ne laisse rien dans ta cape. »

L’Alberich sont des collègues, mais ce n’est pas une raison pour avoir confiance en leur personnel au vestiaire.

Ces derniers mots sont les seuls qu’il lui accorde avant de lui tendre le bras pour l’entraîner vers l’entrée du Filet du Diable. Aucun son ne s’échappe du bâtiment, parfaitement insonorisé. Le videur les regarde d’un oeil torve et Lance sort ses papiers, puis Morrigan, et une fois les vérifications de leur majorité (hrm) et leur statut de sang faites, ils peuvent rejoindre l’entrée feutrée du club. Un rideau les sépare encore du lieu, alors qu’on vient s’occuper de les débarrasser de leurs capes.

Près de la porte, devisant avec une paire de clients, cet indécrottable Hades Cromwell, que Lance ne sait toujours pas s’il est heureux ou pas de voir. Leurs contacts sont certainement cordiaux, affaires obligent, mais il y a quelque chose qui le rend mal à l’aise en la présence de l’homme. Et il est certain que l’autre le sait parfaitement. Autant qu’il a conscience de l’effet (pervers, sale) qu’il a sur lui, bien qu’il n’en ait jamais rien dit (Hades est un danger). Les deux clients précédents s’effacent, leur laissant le chemin libre. « Farrow, le salue le Cromwell d’une voix agréable, un sourcil haussé d’intérêt. Quelle surprise. Commencerais-tu à faire une habitude de ces visites ? Évocation nette à sa dernière soirée ici, dont le seul souvenir suffit à faire pulser sa tête de douleur. Enfin, pour ce dont il se souvient, vu comme Ford et lui étaient proprement défoncés. Not so good, not so old, times. J’encourage l’achat local. Ça suffit à faire échapper un éclat amusé au Serpentard, qui se retourne ensuite vers Morrigan. En bien plus charmante compagnie, je remarque. Une petite tournée des lieux touristiques pour ma nièce. Elles sont toutes un peu nos nièces, n’est-ce pas ? » Ah, il lui ferait bien avaler ce demi-sourire mesquin et ces sous-entendus vaseux, à l’Hades, mais il se contente de ne pas lâcher son regard, jusqu’à ce qu’il s’écarte pour les laisser passer.

Un murmure à l’oreille de la journaliste, alors que le rideau se lève et que le club bondé se révèle.
« Bienvenue dans le ventre de l’Alberich. »

« Un homme charmant, ton pote Cromwell. Grimace automatique. Ne sois pas si généreuse envers lui. » Entendre sa nièce qualifier le Cromwell d’ami est presque douloureux. Le Filet du Diable a son allure des meilleurs soirs, la clientèle moins fortunée gardée à l’extérieur - ou juste celle qui n’a pas la chance d’être dans les petits papiers de l’Alberich. Rien qui ne soit déplacé, qui qui ne fasse tache dans le décor soigné du strip club.
Pas de Ford et de Lance en train de cuver leur drogue et leur alcool dans un coin, empestant la cigarette et la sueur à des kilomètres, quoi.

« Alors ? Où est notre homme ? Pas si vite, Magpie. » Pas même de soupir, alors que Moe est déjà décidée à débusquer les criminels (autre qu’eux) sans attendre. À quelque part dans son esprit, le souvenir de sa propre jeune impatience et des frasques terribles, désormais apaisées. Être Middle Finger offre beaucoup de calme et autant parfois, écumer les bars crasseux lui manque, autant il apprécie d’être loin de l’action. Disons juste qu’à l’occasion, il ne refuse pas quelques sorties, comme celle-ci, justement.
Un geste vers le bar, où il prend lui-même place sur un tabouret. Leur point de vue idéal pour garder un oeil sur qui passera le rideau qui sépare la salle principale du vestibule. « Commence toujours par un verre. » Ne pas boire dans un endroit tel que celui-ci est douteux. Au barman, il commande ce qu’ils ont de moins fort en termes d’alcool (de toute façon, c’est tout ce qu’il y a de disponible, afin de ne pas enfreindre les lois). Ce qui leur laissera l’esprit le plus clair possible, sans non plus attirer l’attention.

Ses yeux clairs sont un instant fixés sur l’entrée, avant de revenir se poser sur Morrigan : « Plus détendue. Ses épaules sont si raides, tendues, on dirait qu’elle va bondir sur chaque client qui passe le rideau. Le Farrow entame la discussion avec légèreté, presque négligence : Comment se passe le boulot ? » La brune n’a pas le temps de répondre que deux cocktails se déposent devant eux - différents, les cocktails. Un simple pour lui, un double couronné de fumée violette pour Morrigan, quelques mystérieuses étincelles crépitant à l’occasion dans le nuage stagnant. Il fronce les sourcils, mais le barman prendre la parole et éclaire son interrogation : « Cadeau de la maison pour la nièce. » Le rideau du vestibule retombe avant qu’il ait pu voir l’expression satisfaite d’Hades. Il l’imagine très bien, sans même la voir.

Cette fois, il soupire.

Le Middle Finger prend son verre et le cogne doucement contre celui de sa nièce, reprenant un peu de son sourire. « À ce soir. »

L’homme guette la réaction de Morrigan, lorsqu’elle goûte à son cocktail fumant. Bon… ça ne semble pas top, mais au moins, pas empoisonné. Il trempe ses propres lèvres dans la boisson sucrée, presque écoeurante de sirop, toute ouïe aux mots de la jeune femme. « Ça se passe, tu sais ... entre un scandale de triche aux courses d'abraxans jusqu'à la découverte d'un sorcier passionné de filet du diable au point d'en élever un dans son salon, j'ai pas vraiment le temps de m'ennuyer... Tu dois voir la crème du monde sorcier, c’est sûr », qu’il glousse, amusé à l’idée de toutes les imbécilités auxquelles sa nièce doit être confrontée quotidiennement. Par choix, en plus ! Il se souvient de tous les événements couverts par Rhys, coupes de Quidditch et tournois de cartes explosives, et se dit que franchement, il regrette presque de ne jamais avoir eu de talent pour l’écriture.

« Et maintenant, qu'est ce qu'on attend ? » D’une poche de son veston, Lance sort deux photos. Sur la première, un couple en train de rire aux éclats, ses cheveux blonds à elle cachant pratiquement tout à fait le visage amoureux de lui - « Veronica O’Leary et Graham Moffat. Ils nous doivent un sacret paquet de pognon, ceux-là, et pas qu’à nous… disons que si on les voit ce soir, on va aussi rendre un petit service à l’Alberich. » Le barman tressaille, lorsqu’il capte le nom du gang, et Lance lui adresse un signe discret de la main. Quelque chose de silencieux qui signifie à la fois t’inquiète, je suis dans la confidence et te mêle pas de ça. Il jette un coup d’oeil au rideau derrière lequel Hades est caché, comme s’il venait de comprendre quelque chose d’important, et le Farrow peut seulement rouler des yeux.

Il attend que le barman soit parti plus loin avant de révéler la seconde photo. Sur celle-ci, deux hommes, cette fois - l’un au faciès sérieux et racé, les hautes pommettes qu’il connaît par coeur pour qu’elles sont les mêmes que celles de Myrthild, business in the streets, business in the sheets, et l’autre la mine un peu plus patibulaire, sans non plus être stupide. « On a très peu de chance de voir celui-là, on ongle qui tape sur le visage de Louis Travers, alors on espère lui. » Le deuxième larron. Un homme de main du magnat des elfes de maison, qui vient apparemment très souvent au Filet du Diable, dans des endroits très privés, en compagnie de gens très importants. « On est ici pour le couple. Lui… c’est un bonus. » Il laisse Morrigan bien observer les photos avant de les reprendre et de les ranger. Il ne manquerait plus qu’il laisse ça traîner n’importe où !

« D'accord je vois le plan, on règle nos propres affaires tout en rendant service à nos concurrents ... ce qui fait jamais de mal. Une pierre deux coups en somme. » Elle a tout compris. Encore heureux, vu la simplicité du plan : le contraire l’aurait inquiété. Moe est futée, il n’a pas à craindre quoi que ce soit, de ce côté-là. « On fait quoi s'ils te reconnaissent ? Ils savent qui tu es, non ? Lance effectue petit geste de la main, un ni oui ni non, et hausse les épaules pour accompagner sa réponse. Oui et non. Ils m’ont vu, mais aussi d’autres intermédiaires. Tant qu’ils pensent que je suis seulement le messager, ça va. » On accorde moins d’importance aux pions - on les oublie, on les catégorise vite dans le même bateau que soit, celui des petites gens en recherche de plus d’argent, de sensations fortes, de plus de dope. Les têtes pensantes, moins on les voit, mieux celles-ci se portent… et plus on les pense inoffensives, également. « Puis, je les vois bien mal aller me dénoncer sans se dénoncer eux-mêmes. »

Ça, vraiment, il a très envie de voir.
Un petit sourire goguenard étire ses lèvres, à cette perspective. C’est la beauté du crime organisé. C’est malhonnête et c’est bien le but de l’opération. Une autre gorgée de son cocktail sucré ; il retient péniblement une grimace. À ce compte, même le whisky dégueulasse de Ford serait le bienvenu : au moins, il aurait l’impression de boire autre chose que du sucre… Il attrape un des deux verres d’eau déposés près d’eux, afin de se rincer un peu le gosier, regrettant de ne pas avoir commandé une bière. Même sans alcool. « On est là seulement pour leur passer un petit message. Celui qu’on ne les oublie pas, nous. » Certains le font autrement. Certains gangs vont chez leurs créanciers pour les secouer - d’autres s’occupent de les traquer ailleurs, comme les Black Hands. Dans leurs loisirs, pour leur montrer qu’ils n’auront pas de repos. « C’est une question de dosage. Pour le moment, pas besoin de violence. On peut s’arranger, par contre, si c’est ce que tu veux », concède l’oncle généreux à sa nièce préférée (même s’il ne devrait pas en avoir). Curieuse, surtout, la nièce. Oh, si son père apprenait cette proposition, il ne serait pas très content… et en même temps, ce n’est pas lui, le Middle Finger, et aux dernières nouvelles, Lance peut bien donner la mission qui lui chante à Morrigan.

Une salve de rires, féminins et masculins, résonne jusqu’à leurs oreilles depuis la porte d’entrée. Ses yeux clairs y courent, par habitude. « Tu devras trouver une façon de faire savoir à madame O’Leary qu’on la surveille. » Et quand on parle du loup, ou plutôt de la louve… la voilà qui passe justement le rideau.

Le criminel a confiance en sa nièce. La mission est simple et si quoi que ce soit tourne mal, il sera là pour intervenir - serait-ce discrètement, à la manière des Black Hands, afin de ne pas miner la confiance en elle-même de la petite. Ce test en sera un parmi tant d’autres, alors qu’elle montera les échelons du gang.

Dès que Morrigan se lève, Lance semble s’effacer - presque littéralement, alors qu’il change de siège pour se mettre davantage en retrait, hors du champ de vision de la O’Leary, mais autant que possible à portée d’oreille de leur conversation. Déjà, elle y va définitivement plus frontalement que lui, en l’abordant dès son arrivée et il doit se forcer pour ne pas interrompre, lui dire non, pas comme ça, recommence.
Déjà, parce qu’il ne peut pas, la beauté des exercices en situation réelle.
Ensuite, parce que sa méthode n’est pas celle universelle, et personne n’est à l’abri de belles surprises.
Il n’empêche que si frontalement…

(bon sang, qu’est-ce qu’il devient chiant : ce n’est pas pour rien qu’on ne fait pas de vieux os, dans le crime organisé, on devient des vieux barbons rétrogrades avant même la cinquantaine)

Derrière Veronica se cachait évidemment la silhouette du Moffat, qui dépose un baiser contre son cou avant de s’esquiver en direction d’une alcôve privée. Du coin de l’oeil, Lance surveille laquelle et qui y entre - une demoiselle aux longues jambes dessinées d’écailles luisantes, vêtue d’un minuscule ensemble de lingerie lamé d’argent. Il a le vague souvenir de l’avoir déjà vue. Souvenir qui a le goût du mauvais whisky et de la perlimpimpin, lorsque sa mémoire s’éclaircit : c’était l’une de celles qui se trémoussaient sur les genoux de Langford, lors de sa dernière visite en terres allemandes. Pour ce qu’il s’en souvient. « ... avec tout l'argent que vous devez aux Black Hands. » Il s’éclabousse un peu dans son verre, où il peut seulement marmotter un « Par Helga » en s’essuyant la moustache devant la fausse candeur atrocement franche de Morrigan. Ses yeux pâles se fixent sur la silhouette (moins boudinée dans cette robe-ci que dans l’autre) de la O’Leary, qui se trémousse avec un malaise palpable à ces mots. Le barman dépose un second verre pour la Farrow « Vous faites erreur, dit la blonde en secouant sa crinière, un petit rire discordant au bord des lèvres. Je n’ai pas… enfin, voyons, je ne dois rien à personne. Vous vous trompez. » Son visage se tourne, à la recherche évidente du partenaire encore dans son alcôve, puis revient à celui du barman, avec pour but évident d’ignorer Morrigan. « Je ne savais pas que les étudiants d’Hogwarts faisaient des sorties scolaires au Filet du Diable », déclare la femme au serveur avec décision, avant de se lever de son siège pour se diriger vers l’alcôve où Graham a disparu depuis déjà quelques minutes.