FEBRUARY 2008. cw: langage. relation pas très healthy
Play it cool man. Play it cool. Just. shut up. Nial en est à sa troisième clope, hésite même à allumer un joint, for the nerves. Assis sur une cagette en bois, qui donne sur la fenêtre ouverte de son petit appartement, il tente de calmer ses nerfs. Sans succès. Il se concentre sur le bruit des passants, les conversations qu'il capte à distance. Tout pour sortir de sa tête et de cette phrase qui tourne en boucle jusqu'à lui faire des nœuds au cerveau : Eden is in his room. Eden is sleeping in his room. He's going to wake up and he's going to freak the fuck out... De la cendre tombe sur son caleçon, qu'il balaye d'une main distraite. Aurait presque souhaité qu'elle tombe directement sur sa peau pour que la douleur le sorte de cette espèce de panique qui le saisit à la gorge.

Il sent l'odeur d'Eden coller à sa peau.

Il voudrait retourner dans le temps ou l'arrêter un instant.
Revenir à hier soir, quand Eden l'a attrapé par la nuque pour l'attirer jusqu'à ses lèvres. Ou au réveil, quand ses yeux se sont ouverts sur le visage de son ami, endormi et apaisé. Avant que la réalité ne le rattrape. Cette putain de réalité qui l'a poussé à sortir de son lit comme un voleur. comme un fautif.

Deux pattes se posent sur sa jambes pliées et son regard est attiré vers la petite boule de poils qui le regarde en penchant la tête sur le côté. — Hi buddy. Sa main libre vient caresser l'arrière du crâne de l'animal. You feel me freaking out, right? Si même son chien le sent, Nial est foutu. Peut-être qu'il devrait s'éclipser ? Buddy doit avoir envie d'une promenade et il n'a pas encore fait son jogging. rien ne l'oblige à rester et à être présent quand Eden se réveillera. Une part de lui appelle à la fuite.

Mais l'autre, plus insidieuse et meurtrie hurle le contraire. Nial veut forcer Eden à se confronter à cette fucked up situation dans laquelle il les a mis avec toutes ses règles et ses contradictions. C'est pas lui qui est venu le chercher hier après tout. Il écrase sa clope, se relève en attrapant Buddy et manque de se prendre le coin de la fenêtre. — shite! S'il veut partir d'ici c'est maintenant, mais il n'a pas le temps de se doucher et son survêt est dans la chambre.

Nial est coincé entre deux chemins - la fuite ou la confrontation - quand il entend du mouvement dans sa chambre, se fige alors en resserrant sa prise sur Buddy qui gigotte un peu. Ses narines sentent l'odeur de bois et de feu de cheminée, avec cette note fleurie au milieu comme une touche de douceur qui s'approche accompagnée du bruit de pas sur le parquet grinçant. Nial n'a plus le choix quand Eden passe l'ouverture de la chambre qui mène directement au salon. Et tout s'accélère. Play it cool. Play it cool. Play what cool? Play it cool. — H-hi. Slept well?

Eden est dans un entre-deux, à moitié éveillé, à moitié endormi, totalement étalé sur la largeur du lit, la tête dans l’oreiller. Sa première pensée, alors qu’il se réveille doucement, est qu’il est bien, presque étonnement d’ailleurs, et il s’enfonce un peu plus dans les couvertures, le matelas, afin de s’accrocher à cette sensation encore un peu avant qu’il ne soit totalement réveillé.

Et puis il se rend compte qu’il n’est pas chez lui. Et alors que son cœur s’emballe, la sensation de chaleur le quitte et il se redresse d’un coup, les dernières traces de son sommeil s'estompent, et elles laissent place aux souvenirs de la veille. La mission, le sentiment de vide immense en découvrant la scène, le besoin de ne pas être seul avec ses idées noires une fois son service terminé et… Nial.

Eden est chez lui, il réalise maintenant, la gorge nouée. “Fuck,” il souffle en se levant, attrape ses vêtements - du moins ceux qui se trouvent dans la chambre, sa veste, son t-shirt, et ses chaussures ayant été abandonnés dans le salon - et les enfile à la va-vite, en trébuchant à moitié sur lui-même. “Fuck, fuck,” il répète deux fois pour faire bonne mesure.

Il ne reste pas. Jamais. Il a toujours été très clair là-dessus. Insistant même. Parfois peut-être plus pour lui que pour Nial. Mais la nuit dernière il s’est endormi et il est resté et c’est trop. Il faut qu’il sorte de là.

Il sort de la chambre, toujours tendu, et évite le garde de chien battu de Nial, préférant se concentrer sur la recherche de ses vêtements. “H-hi. Slept well?”

La mâchoire d’Eden se serre parce que oui, il a bien dormi mais non, il ne va pas l’admettre. Alors à la place il hausse les épaules, sort un son qui veut tout et rien dire, et se baisse pour ramasser son t-shirt.

Une fois le vêtement enfilé, il se sent déjà mieux, moins à nu (littéralement et figurativement). Il récupère ensuite ses chaussures - des baskets qu’il ne prend pas la peine de lacer - et son blouson qu’il se souvient avoir jeté près de la porte en arrivant hier. Cette quête le tend, lui fait un peu honte même, puisqu’elle le force à confronter ce qu’ils ont fait hier sans lui laisser la chance de balayer tout ça sous le tapis.

Il pourrait partir maintenant, lâcher un bye sans grand enthousiasme et claquer la porte derrière lui, mais il s’arrête avant, le regard baissé sur son blouson entre ses doigts. Il revoit le groupe de nés-moldus qu’ils ont débusqués hier, des jeunes de la Damocles qui ont cru malin de faire une fête clandestine dans une maison abandonnée juste à côté d’un quartier sorcier, la terreur dans les yeux du plus jeune du groupe qui a tenté de s’enfuir, et la légèreté de Moradi face à tout ça… alors il relève la tête. “You got coffee?”

Aucune réponse ne vient jusqu'à ses oreilles, enfin si, un espèce de grognement qui pourrait tout aussi bien dire yes que no que fuck you. C'est à peine si Eden le regarde et Nial sait à quoi s'attendre depuis le temps ou en tout cas devrait s'y être habitué non ? Il ne devrait pas ressentir cet effondrement à l'intérieur de lui, comme une pierre trop lourde qui tombe du haut de son torse jusqu'au bas de son ventre. Il ne devrait pas avoir à contrôler la moue qui cherche à s'installer sur son visage, ou le froncement de ses sourcils. He should know better, do better, be better.

Heureusement que Buddy (qui sent toujours la terre et l'herbe après la pluie) est dans ses bras parce que soudainement Nial ne sait plus que faire de son corps. Ca sert à quoi des bras déjà ? Et des jambes ? Il est figé sur place, attend la sentence en se forçant à garder les yeux ouverts - parce qu'à ce stade il doit aimer ça un peu la souffrance - pour bien voir le moment où Eden aura fini de s'habiller et claquera la porte sans même avoir prononcé un mot.

Alors, il l'observe la bouche serrée et ce silence le tue, mais il ne viendra pas le rompre. Et tant pis si Eden est inconfortable. Ses yeux verts suivent chaque mouvement avec une attention quasi-masochiste en se demandant comment un tel contraste peut exister en une seule personne. Hier soir, Nial a perçu une vulnérabilité inhabituelle dans l'empressement d'Eden. Dans ses caresses presque tendres. Quelque chose était différent mais il n'a pas parlé et le jour s'est levé. And now, Nial feels cheap again.  

Peut-être que cette fois ce sera celle de trop et qu'il pourra enfin passer à autre chose. S'il passe la porte, ce sera fini. Mais comment mettre un terme à quelque chose qui n'a jamais commencé ?


Sauf qu'Eden ne franchit jamais la porte d'entrée. Qu'il lève la tête à la place et que ça lui coupe le souffle, un peu, beaucoup, à la folie. "You got coffee?" Un instant, il hésite à répondre non. Par mesquinerie. Mais ça se saurait s'il en était capable.  — Y-yeah. Ehm, sure. Just,... yeah. Il s'accroupit et pose Buddy au sol avant de partir en direction de la cuisine. Une petite pièce dans laquelle on ne tient pas à deux et qui est même presque trop petite pour lui. Mais, Nial a connu plus étroit, plus insalubre. Avec Mila, ils savent comment rentabiliser les petits espaces, où trouver les meilleurs objets à des prix imbattables comme la machine à café qui crache à chaque fois un vieux liquide noir sur le torchon et grince à s'en arracher les dents mais fournit un café buvable.

Nial passe ses deux mains sur son visage, utilise le temps interminable pour reprendre une fausse assurance, les bras appuyé sur le comptoir bancal, à respirer par le nez et la bouche comme Jules lui a appris. Puis ça sonne et il sursaute comme un con, ajoute une bonne dose de sucre parce que bien sûr qu'il sait comment Eden prend son café et repart en direction du salon en s'attendant à ce que celui-ci en ait profité pour s'éclipser.

Eden est toujours là, sur le canapé, Buddy à ses côtés. — One coffee! One! Qu'il dit en accentuant le geste et le sourire. Puis, Nial va s'asseoir sur la cagette en bois près de la fenêtre, ne prend pas le risque de prendre place sur le canapé et de le faire fuir et s'allume une clope. La quatrième de la matinée.

Le silence qui suit pourrait presque être confortable s'il ne pesait pas comme une chappe de plomb dans ses entrailles. Et Nial sait qu'il devrait se taire, profiter du fait que Eden est là tout simplement. Boire son café, fumer sa clope. Mais c'est plus fort que lui. Parce que l'odeur d'Eden n'est pas complètement comme d'habitude - distordue - et qu'il revoit l'air qu'il avait hier juste avant qu'il l'embrasse, et encore pendant qu'Eden enlevait leurs vêtements frénétiquement et toujours quand Nial l'a entraîné jusqu'à son lit.

Contre toute raison ; Nial pousse, et plus Eden fuit et plus il vient le chercher. Pathétique. — You want to talk 'bout what happened yesterday? Contre toute raison, parce que Eden ne parle pas de la VB sauf parfois dans le noir quand il a trop bu. Contre toute raison, parce qu'Eden est assis sur son canapé en train de boire un café préparé par ses soins et Nial devrait s'en contenter, mais n'y arrive pas et va tout faire foirer.

Contre toute raison, parce que la raison n'a jamais rien eu à faire dans cette histoire.

Eden attend la réponse de Nial avec presque un air de défi dans les yeux, incapable de poser normalement une simple question visiblement. Il s'attend toujours à ce que Nial finisse par l'envoyer balader. Il l'a déjà fait, il pourrait très bien le refaire. Eden n'est pas fou, il a conscience qu'un autre l'aurait déjà envoyé valser il y a bien longtemps. Mais Nial est là, toujours, tout le temps.

"Y-yeah. Ehm, sure. Just,... yeah." Eden continue de l'observer, le visage totalement fermé. Ses yeux suivent ensuite le petit chien - Buddy - avec un peu de dédain et soudain, il est seul dans la pièce.

Au début, il ne bouge pas d'un pouce, comme si les murs allaient se mettre à l'attaquer si jamais il faisait un pas en avant. Jusqu'à maintenant, il ne s'était jamais vraiment attardé sur le décor; de toute façon, ses visites peuvent sûrement se compter sur les doigt d'une main. Mais maintenant qu'il peut prendre le temps de regarder, tout l'intrigue, si bien qu'il ne sait pas par où commencer.

Il commence par examiner la table basse rafistolée, les posters, et s'installe sur le canapé, Buddy le suivant de près. Ses yeux se posent alors sur une affiche qu'il connait que trop bien, une des motivaffiches du WC qui hante les cauchemars d'Eden, si bien qu'il lui faut un moment pour remarquer qu'elle a été twistée. Il est en train de se demander ce que Nial fout avec un truc pareil affiché dans son salon quand il finit par remarquer qu'en dessous de "Mindset is everything" - et à côté de ce pauvre poussin qui a rien demandé à personne - est écrit "Especially when you suck a dick."

Eden se surprend alors à sourire, étonné mais très amusé par l'affiche quand Nial revient dans le salon avec un "One coffee! One!" très enthousiaste qui le prend par surprise et le fait s'étrangler sur sa propre salive et tousser. Il accepte sa tasse avec un faible, "Thanks," et regarde son contenu, ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre. Il n'a donné aucune indication à Nial et ne se voit pas lui avouer qu'il a jamais pu blairer le goût du café. Prenant sur lui, il finit par porter la tasse à ses lèvres et prend une gorgée un peu timide, immédiatement surpris par le goût sucré et non amer de la boisson. Les yeux écarquillés, il jette un regard à Nial mais ne dit rien. C'est tellement mieux de rester assis là en silence.

Il regarde Nial tirer plusieurs fois sur sa cigarette avec une certaine envie - pour la cigarette, pour Nial, il préfère pas se poser la question - et attend, il ne sait pas trop quoi.

Et puis, éventuellement, "You want to talk 'bout what happened yesterday?"

Les yeux d'Eden alternent entre la motivaffiche et Nial, et la première réponse qui lui vient est un "Fuck no!" avant qu'il ne comprenne que Nial parlait de la raison de sa venue et pas du reste.

"There's not much to say," il répond alors, à la place, avec un haussement d'épaule. "It was... work, you know. Dumb kids doing dumb shit." Il baisse à nouveaux les yeux en répondant ça, le visage d'un gamin, à peine majeur, lui revenant en tête. Les cheveux roux, des tâches de rousseurs, et un regard complètement tétanisé quand il avait croisé celui d'Eden. Il ferme ses yeux avec insistance, baisse un peu plus la tête pour pas que Nial le remarque, et finit par ajouter, "And now, way too much paperwork for us- hand me a fag, will ya," il demande alors, pour se changer les idées, sans marquer de pause dans sa phrase, parce qu'il ne veut pas en parler, ne veut pas y repenser.

"Where's your sister at?" il demande ensuite pour définitivement parler d'autre chose, regardant autour de lui pour illustrer ses propos, soudainement horrifié à l'idée qu'elle ait pu être là hier.

Il y a tant de sujets que Nial souhaiterait aborder mais dont ils ne parlent jamais. La VB n'en fait pas partie. Il déteste ce métier forcé dans lequel on l'a enfermé, en fait des cauchemars les rares nuits ou les joints ne l'engourdissent pas assez. S'il pouvait retirer chacun des souvenirs qui y sont reliés, il le ferait sans sourciller. Mais tout l'intrigue et l'obsède dès qu'il est question d'Eden. Nial veut savoir, en a besoin même s'il n'a pas envie d'entendre la réponse et que ce n'est pas la question qu'il voudrait poser. "There's not much to say," un haussement d'épaule accompagne le préambule "It was... work, you know. Dumb kids doing dumb shit."  — Yeah. Because he does. Il le sait même que trop bien. Nial déteste son métier mais le hait encore plus quand ça concerne des gamins ou des hybrides ou des gens comme lui. Des innocents dont il devient le bourreau malgré lui. Et tout autant lorsque ça met Eden dans son état, c'est plus fort que lui, l'instinct lupin qui hurle à l'alalie. "And now, way too much paperwork for us- hand me a fag, will ya," Nial entend la tentative d'évitement, sent venir la fin de la conversation. Fume trop longtemps sur sa clope et sert le poing de son autre main pour ne pas faire une connerie - comme s'approcher d'Eden et le prendre dans ses bras. — That sucks. parce que c'est vrai et qu'il y a rien de plus à dire, et il s'avance sur le bord de la cagette en lui tendant le paquet - espère que leur main vont se frôler parce qu'il en est réduit à ça. toujours. Se redresse rapidement comme si de rien n'était.

Il n'y a pas de véritable échappatoire à la situation. Il n'a rien à lui offrir qu'une oreille attentive, une cigarette et il imagine, son corps. Tout ce qu'il pourrait proposer en plus ne serait pas accepté. Dehors, il y a une mère qui presse sa fille et le grincement de la porte du bar qui ouvre. Nial ne pensait pas qu'il était si tôt.

A l'intérieur, il y a la voix d'Eden. "Where's your sister at?" Il sait d'où provient la question, il est pas si con et ses yeux roulent un peu dans leurs orbites. C'est toujours comme ça entre eux. Un pas en avant et trois en arrière. — She's back home. Le mot sonne creux dans sa bouche. Comme un aveu de sa lâcheté, de sa fuite, de sa faiblesse. 'Twas Anya's birthday yesterday. Guess, she's decided to stay with them. Il lui a composé un morceau qu'il a enregistré sur un vieux logiciel. She turned twelve. Et ça fait huit ans qu'il ne l'a pas vue. Il se demande souvent si la plus jeune des Slow se souvient de son visage, de sa voix, ou s'il n'est qu'un prénom parmi tant d'autres qui lui offre des cadeaux mais ne vient jamais lui rendre visite. Un fantôme comme son père qui est en prison. Une déception de plus pour une si petite fille. Et puis, il se souvient que c'est pour son bien, leur bien à tous. Better this way. Safer.

Il plonge son regard vert dans les yeux d'Eden, une seconde, deux, avant de baisser la tête vers sa clope presque entièrement consumée. Et de dire entre ses dents, dans un espoir vain — She won't come back today. She never does. D'où le joint entamé sur le cendrier et la bouteille de bière ouverte. Nial avait prévu de s'enfumer jusqu'à l'oubli hier soir avant d'être interrompu par Eden. Il aurait regardé un film qu'il connaît par coeur, ce serait endormi avec sa culpabilité et ses remords.

En un sens, la venue d'Eden l'a aidé.

Stay. Please. I need you. au bord de ses lèvres, mais ça voudrait dire ravaler un peu plus sa fierté, donner encore de sa dignité. Et il n'en a déjà plus beaucoup quand il est question de la deuxième partie de cette meute cabossée qui n'en est pas vraiment une.

Il n'a pas envie d'être seul. — You need to go or...? est tout ce qu'il trouve à dire, sa main qui glisse inconsciemment sur la marque à son épaule, la cicatrice à l'origine de toutes les suivantes.

"That sucks." Eden renifle, une espèce de rire sans joie, et hausse encore des épaules. Il n'y a rien d'autre à dire de toute façon.

Il attrape ensuite le paquet que lui tend Nial et en sort une cigarette, qu'il porte presque immédiatement à sa bouche avant de l'allumer. Il tire une, deux fois dessus, comme pour soulager une envie qui, malheureusement, ne passe pas. L'envie est toujours là, sous sa peau, alors il tire sur sa cigarette une troisième fois, au cas où.

"She's back home. 'Twas Anya's birthday yesterday. Guess, she's decided to stay with them. She turned twelve." Eden acquiesce, écoute patiemment. "Cool," il répond simplement, avant de boire une nouvelle gorgée de son café. Ils ne font pas ça souvent, parler de leurs vies, de leurs familles. Le plus souvent, c'est Eden qui parle de la meute, mais en général, ça lui laisse un goût amer et il finit toujours par couper court à la discussion, parler de Carver faisant remonter à la surfaces des souvenirs trop douloureux. Et Nial, Eden sait deux/trois choses sur sa famille mais ça s'arrête là. Il a surtout entendu parler de sa sœur, Mila, qu'il a croisé une ou deux fois, mais c'est tout.

"She won't come back today. She never does," Nial ajoute alors ensuite, le regard plongé dans celui d'Eden qui sent sa gorge s'asséchée. Il voit la suite venir à des kilomètres et il ne sait pas quoi faire, ni quoi dire. Son café est presque terminé, sa cigarette aussi, s'il continue de tirer dessus comme ça et alors- "You need to go or...?"

Eden ne sait pas quoi dire. Il devrait partir, il doit partir, est déjà resté bien plus longtemps qu'il n'aurait dû, n'aurait même pas du venir hier soir. Il aurait simplement dû rentrer chez lui ou alors aurait dû aller au Phoenix ou n'importe où ailleurs pour voir du monde, pour ne pas rester seul, parce que c'était ça le but à la base. Voir quelqu'un, trouver un peu de compagnie, ne surtout pas rester seul.

Mais c'est des conneries ça, bien sûr. Certes la solitude était bien le problème mais ce n'est pas un hasard si Eden s'est rendu ici - sans y penser, peut être, mais pas sans raison. Il est venu ici en autopilote mais il savait très bien ce qu'il faisait en se jetant pratiquement sur Nial, voulant à tout prix le toucher, sentir son corps contre le sien, et ne plus penser aux ados transformés en poupées de chiffon qu'ils ont embarqués. Il est juste trop lâche pour l'admettre.

Il devrait partir, donc, mais il ne se lève pas, regarde la cigarette de Nial puis Nial lui-même, et finit son café, d'une traite. L'envie est toujours là...

"No, I can stay," il finit par répondre, admettre même, peut être un peu à contre cœur. C'est son jour de repos, aujourd'hui, alors il n'a pas vraiment de raison de partir. "You had plans or... ?" Il se rend bien compte qu'il s'est imposé sans invitation hier. C'est toujours Eden qui dirige et Nial suit, et ça ne risque pas de changer, tant qu'il aura son mot à dire. Mais il se rend bien compte que se pointer chez Nial et imposé sa présence, c'est autre chose.

Nial aime bien l'ordre, ça lui permet de savoir comment mettre le chaos. Si les règles du jeu sont claires, il sait lesquelles enfreindre. Une forêt interdite, des lois qui pénalisent l'alcool, un homme qui érige des règles au cœur même de leur relation et Nial saura alors où aller, que boire, qui embrasser. C'est plus fort que lui. Il ne se pose même pas la question si c'est normal. Qu'est-ce que ça veut dire de toutes façons, normal...

Mais, si Eden vient chez lui en dehors des périodes proches de la pleine lune, s'endort dans son lit, et reste le lendemain à boire un café sur son canapé alors Nial perd tous ses moyens. Et si quand lui est offert une porte de sortie sur un plateau celui-ci ne s'en saisit pas, il y a de quoi en faire tomber son mégot de clope, non ? "No, I can stay," Et si sa voix n'est pas aussi enthousiaste qu'il aimerait l'entendre, Nial n'en fera pas la remarque. Ne va pas risquer de l'énerver quand il a la chance de pouvoir le garder un peu plus longtemps près de lui.

A la place, il masque son sourire en prenant une gorgée de son café froid.

"You had plans or... ?" C'est peut-être la chose la plus stupide qu'Eden ait jamais dite ; comme si Nial avait des choses de prévues à part continuer de se détruire l'organisme et se morfondre. Comme s'il n'aurait pas tout annuler de toutes façons. — Nah, 'm free. La promenade de Buddy attendra. Son jogging aussi. tout devient au second plan soudainement.

Mais, c'est un terrain inconnu pour lui, pour eux. Nouveau. Terrifiant presque. Et Nial ne sait pas quoi dire ni quoi faire maintenant qu'il sait qu'Eden reste. Et un nouveau silence s'installe. Celui-ci est différent, plus confortable mais plus chargé aussi, de non-dits et d'incertitude. Et Nial n'a jamais été doué pour les silences. Il se lève donc après avoir jeté son mégot, passe une main dans ses cheveux, reste un instant à bouger sur ses pieds (d'avant en arrière) puis pousse un petit soupir exaspéré à mi-chemin entre le rire et l'incrédulité de sa propre timidité. Il se dirige vers la table basse, et nettoie les traces de tabac - en silence, récupère la bouteille de bière - en silence. Se dirige ensuite vers la cuisine. — You want to... Déglutit. Want to fuck, want to kiss, want to cuddle. You can take a shower, if you want. Sort à la place de toutes les autres pensées qui auraient souhaité prendre forme dans sa bouche.  The water pressure's shite.

Il quitte la pièce en pleutre. Dépose son café dans l'évier, vide la bière, jette la bouteille tel un automate, le regard un peu dans le vide et les épaules baissées.

Puis, il attend. C'est Eden qui décide du tempo, de la cadence, des règles. Et Nial suit. Il ne sait pas faire autrement dès qu'ils sortent du secret de la nuit. Il se demande si c'est la faute à son loup ou à Eden parce qu'il n'est pas comme ça habituellement.

Eden a accepté de rester. C'est déjà un grand - énorme même - pas pour lui et maintenant il ne sait plus trop à quoi s'attendre et ça le stresse. Il a toujours son blouson dans les mains, ses chaussures aux pieds, donc au pire, il peut se lever et partir. La porte est juste là et il ne pense pas que Nial le retiendrait.

C'est pas tellement qu'il regrette d'avoir décidé de rester, il est bien loin de ça maintenant, mais plus qu'il appréhende la suite. Parce que Nial et lui... ils ne font pas ça, jamais. Soit ils se voient juste pour trainer - s'entraîner avant un combat, discuter vite fait au taf, dans de rares cas boire un verre, dans deux cas encore plus rares qu'Eden n'est pas près d'oublier, aller au cinéma - soit il se voient pour... autre chose. Mais ils ne mélangent pas les deux. Jamais. Eden a toujours eu besoin que ça reste comme ça, deux instances séparées, pour bien dissocier sa relation avec Nial - pas vraiment des amis mais une meute, ou du moins ce qui pourrait s'en rapprocher le plus - et ses moments de faiblesse.

Mais là, la ligne entre les deux est très fine, quasi invisible, parce qu'il n'y a pas eu de temps de recharge, de transition, entre l'Eden qui s'oublie, qui se laisse aller, et qui pensera aux conséquences plus tard, et l'Eden bien barricader qui tient Nial à distance. Et honnêtement, ça lui fait peur. Il a déjà trop merdé. Il est venu chez lui, il est resté, et il continue de rester alors qu'il a déjà plusieurs occasions de s'enfuir. Toutes ses règles précautionneusement établies sont en train de s'effondrer comme un château de carte et le pire c'est qu'il aide à souffler dessus.

"You want to..." Nial commence alors à proposer et le corps d'Eden se tend parce qu'il a peur des prochains mots qui pourraient sortir de sa bouche, peur qu'il ai envie de dire oui. "You can take a shower, if you want." Eden soupire, soulagé, et répond beaucoup trop facilement, "Yeah, I'm gonna do that," sans réfléchir, parce qu'il s'attendait à autre chose et le oui était déjà sur le bout de sa langue, malgré lui.

"The water pressure's shite," Nial précise et, honnêtement, Eden s'en fout royalement. Il veut juste s'occuper, faire quelque chose de son corps qui ne soit pas juste: rester planter là, paralysé par la peur. "That's fine."

Nial s'en va alors et Eden a de nouveau une porte de sortir juste devant lui. Mais encore une fois, il s'en détourne - quitte à le regretter plus tard - et se dirige à la place vers une autre porte. Il la choisit un peu au hasard sur les deux restantes, priant pour que ça soit bien la salle de bain et pas la chambre de Mila, et souffle son soulagement quand il tombe bien nez à nez avec une salle de bain.

Prendre une douche était un concept pas mal sur le papier, jusqu'à ce qu'il se retrouve tout seul dans une salle de bain qui n'est pas la sienne, avec des affaires qui ne sont pas les siennes. Sentant le stress recommencer à monter, il s'empresse de se déshabiller et de se mettre sous la pomme de douche, comme pour noyer tout le reste - ironique pour quelqu'un dont c'est la phobie.

Il ressort cinq bonnes minutes plus tard, attrape la première serviette qui lui tombe sous la main et s'enroule dedans en regardant ses vêtements en boule par terre comme s'ils l'avaient personnellement offensé. Il n'est pas sûr d'avoir envie de les remettre, les voyant comme salis par la mission de la veille. Le problème, c'est qu'il n'a pas de vêtements de rechange ici - il manquerait plus que ça - il ne lui reste donc plus qu'une seule solution.

C'est timidement qu'il sort de la salle de bain, la serviette enroulée autour de sa taille, et qu'il se dirige vers Nial, en prenant soin de garder une bonne distance entre eux. "D'you mind if I borrow you some clothes?" il demande en le regardant à peine, avant de changer d'avis.

Nial attrape une éponge et commence à laver mécaniquement, plus pour s'occuper qu'autre chose. Tous ses sens sont en réalité tournés vers Eden. Il suit les bruits de pas qui proviennent de la pièce d'à côté, ne se rend pas compte à quel point il est tendu - tout son corps à l'affût - jusqu'au moment où la porte de la salle de bain se referme et que quelques minutes après, il entende l'eau couler. La tension s'écoule elle aussi le long de son échine.

Il n'arrive pas à réaliser tout ce qu'il se passe depuis hier. Depuis qu'il a ouvert la porte, depuis qu'Eden est entré dans son appartement. S'attendrait presque à ce qu'une équipe de tournage apparaisse de derrière un meuble, souriez c'était une blague. C'est toujours comme ça, dès que Nial croit avoir un peu plus compris leur relation et le brun, celui-ci fait quelque chose de complètement surprenant qui vient tout chambouler dans sa tête.

Quand Eden sort, Nial est toujours en train de nettoyer la même tasse - aucune vaisselle n'aura été aussi propre que celle-ci - il tourne la tête et son regard glisse un instant sur le torse d'Eden et sur sa serviette qui est enroulé autour de sa taille. Fuck, il voudrait l'attraper, le saisir par les hanches, dénouer ce bout de tissu et ... Et son visage se relève d'un coup brusque quand il entend la voix d'Eden. "D'you mind if I borrow you some clothes?" Sa réaction est immédiate, incontrôlable, désastreuse. La tasse produit un bruit un peu trop fort quand elle est abandonnée dans l'évier quand il se retourne complètement, la bouche entrouverte. Et Nial ne comprend pas vraiment pourquoi l'idée d'imaginer Eden dans ses vêtements lui crée cette vague et ce grondement dans le bide. Il retient un grognement qui se transforme en une toux étranglée. — Hm. No problemo bro. No. problemo. bro. ... Toute tentative de la jouer cool et définitivement abandonnée quand il précise : Take anything you need in my bedroom. I'll be in the bathroom, taking a shower and brushing my teeth. Yup. See ya. Nial bouge en même temps que sa voix commente inutilement ses actions. I'm going now.

Il ne peut pas rester dans cette pièce exiguë plus longtemps.
Son cœur bat trop fort et ses joues chauffent.

Dans la salle de bain, il évite son reflet dans le miroir, ne veut pas voir l'impact que cette simple phrase a eu sur lui et rentre dans la douche. Ses gestes sont automatiques, et il fait tout son possible pour ne pas penser à l'image qu'il va trouver en sortant. Stupid brain, stupid heart, stupid dick. Il sort vite, se sèche à moitié avec une nouvelle serviette, se brosse les dents, passe plusieurs fois la main dans ses cheveux. Tout pour éloigner le moment où il devra se confronter à nouveau à Eden.

Mais, au bout d'un moment, il ne lui reste rien à faire. Alors, il sort et garde son visage rivé sur ses pieds et le sol de son appart. — We could watch a movie, qu'il dit à ses pieds en entrant dans sa chambre.  Ne pas lever la tête, ne pas lever la tête. Peut-être qu'il peut passer le reste de la journée sans le regarder ?

Un léger sourire vient étirer les lèvres d'Eden face à la réaction de Nial. "Hm. No problemo bro." Il lève les sourcils, à la fois amusé et déconcerté par cette réponse. No problemo? "Take anything you need in my bedroom. I'll be in the bathroom, taking a shower and brushing my teeth. Yup. See ya. I'm going now."

"O...kay," Eden répond, toujours un peu amusé, en suivant Nial des yeux alors qu'il quitte la cuisine puis le salon pour la salle de bain.

Eden se retrouve ainsi à nouveau seul, la porte toujours là, toujours facile d'accès, mais Eden ne s'en approche toujours pas - et ce n'est peut-être même pas à cause de son absence de tenue. A la place, il se redirige vers la chambre, qu'il a quittée presque en panique tout à l'heure, regarde à peine le lit - il ne veut même pas y penser - et se tient un peu inutilement devant le placard. Il ne pensait pas qu'il devrait choisir lui-même ce qu'il allait mettre, s'attendait à ce que Nial lui jette simplement des vêtements au hasard avant de passer à autre chose.

Mais il est sous la douche maintenant - Eden entend la tuyauterie grincer et l'eau couler - et il doit se débrouiller tout seul. Il commence par attraper un caleçon et des chaussettes au pif qu'il enfilent rapidement, laisse tomber la serviette au sol, puis il regarde les t-shirt, en attrape un qui à l'air un peu plus vieux, un peux plus doux que les autres, et l'enfile également. Il passe ensuite un pantalon de survêtement noir et le sweatshirt qui va avec.

Tout est un peu trop grand sur lui mais ça donne un aspect assez réconfortant; les manches un peu longues couvrent une partie de ses mains, le bout du jogging tombe sur le sol, si bien qu'on voit à peine ses pieds, et il n'a qu'à baisser la tête pour cacher son visage dans le col du sweat.

Il reste encore un instant tout seul et ça lui laisse le temps de se demander ce qu'il fout là. Il ne devrait pas être ici. C'est ce qu'il se répète depuis tout à l'heure mais, bizarrement, plus il se le répète, moins ça n'a de sens. Il a l'impression que ce qu'il fait aujourd'hui ne compte pas, qu'il est dans une espèce de bulle depuis hier soir, comme s'il était quelqu'un d'autre l'espace d'une journée, un rôle qu'il peut jouer sans devoir subir quelconques conséquences. C'est... nouveau, une sensation un peu étrange, et inquiétante bien sûr puisque nouvelle, mais pas forcément désagréable. Au contraire.

"We could watch a movie," Eden entend Nial lui demander en entrant dans la chambre.

Eden se retourne et fronce les sourcils quand il voit Nial la tête baissée, le regard rivé sur ses pieds. "Sure," il répond en haussant des épaules. Il est prêt à se laisser faire pour une fois. Ce genre de plan, c'est pas son truc. Il ne sait donc pas vraiment ce qu'ils sont censé faire. Un film ne semble pas être une trop mauvaise idée, même si le peu qu'Eden a pu voir l'a laissé plus perplexe qu'autre chose. "You got any fun ones?" Eden demande en lui passant devant pour retourner dans le salon - la chambre sent beaucoup trop comme Nial et lui, ça lui noue l'estomac. "I'm not sure I'm in the mood for a sob story like last time." Le dernier qu'ils ont vu ensemble... yeah, très peu pour lui. "We talking muggle ones, right? Cause I'm not in the mood for some BCBC crap either," il continue en se laissant tomber sur le canapé. Inconsciemment - ou d'accord, peut être consciemment - il ne prend pas l'entièreté du canapé, laisse une place pour Nial à ses côtés.