Tout s’est enchaîné à une vitesse affolante pour Jesse qui, même s’il a l’habitude de mener et gérer une vie désordonnée et à cent à l’heure, s’est retrouvé légèrement étourdi par les nombreux tournants de son existence. A tel point qu’il lui a été difficile de voir le temps passer, et de trouver une solution à tout. ”Nooon non non non”, s’est-il mis à paniquer en réalisant que son téléphone portable, son seul moyen de contact avec Winston (et accessoirement avec l’Ordre du Phénix), refusait de s’allumer. Après avoir réalisé que taper dessus ou le taper contre le sol n’y ferait rien, il a été frappé par un constat glaçant : et s’il n’était plus jamais capable de retrouver la trace de Cal– de Winnie ? Son premier réflexe a évidemment été de se tourner vers Kyung qui, malgré ses connections, ne connaissait personne trempant dans le trafic d’objets moldus.

C’est à contrecœur qu’il a dû demander à ce connard de Mister G, qui a évidemment sauté sur l’occasion pour lui mettre une petite pression supplémentaire. ”Hm, ça dépend. Peut-être que je connais quelqu’un ouais. Après, qu’est-ce que j’y gagne ? − ... − Tu sais pas ? C’est pas grave, je vais te dire : rien, j’y gagne rien. Donc casse-toi de m– − Ok ok, je, euh, je peux travailler gratuitement pour une soirée. − Une ? − Deux ? − Voilà ce qu’on va faire : tous les clients que tu prends cette semaine, tu touches pas une noise dessus. Vois ça comme un dédommagement pour les risques que je prendrais. − Putain… ok, deal. − Aaaah, bah là on parle ! Tu vois quand tu veux ! Bien sûr que je connais quelqu’un, on en reparle à la fin de ta semaine. Dégage maintenant avant que je change d’avis.” Il a fallu trois putain de semaines avant que cet enfoiré de Mister G ne lâche son contact, un type un peu douteux qui a demandé à Jesse une fortune en l’échange d’un chargeur tout neuf, ou du moins, c’est ce qu’il a prétendu, mais au moins fonctionnel.

Le cœur battant jusque dans ses tempes, Jesse s’est installé au fond d’une bibliothèque moldue, sous une apparence d’emprunt, en priant pour que le fruit de presque un mois à travailler gratuitement fonctionne. Et ce fut le cas.

Cela va faire trois mois (plus ?) que Jesse n’a plus de nouvelles de son frère. Caliban a tout simplement disparu des radars, et même ses colocataires n’ont pas su lui donner la moindre information. Il s’est envolé dans la nature, du jour au lendemain ; et si l’aîné a cherché dans un premier temps à mener enquête seul, plus les semaines sont passées, plus il a dû se rendre à l’évidence : Cal ne reviendrait pas, et est potentiellement en danger. Winston est sa dernière chance. Parce que si Cal est en vie, peut-être, par chance, est-il en sécurité ; peut-être, par chance, Winnie saurait où il est.

”Meeeec ! Tu dates !” Jesse sursaute en entendant la voix de Winston le tirer de ses pensées – et il ne se demande même pas comment il a pu le reconnaître derrière son faux visage, lui adressant plutôt un petit sourire en coin en le regardant s’installer en face de lui. ”T'sais, je commençais à m'inquiéter ! Pourquoi tu répondais plus ? T'étais fâché ?” Si seulement. ”Ouais j’suis désolé mec. C’est tout con en plus : mon chargeur a juste lâché. Et c’est un parcours du combattant ici pour réussir à en trouver un, j’te raconte même pas…” Non, il ne va pas lui raconter qu’il a dû supplier son maquereau, travailler gratuitement quelques semaines, redoubler de petits jobs à côté pour ne pas crever la dalle, se retrouver dans une allée sombre avec un mec chelou, s’infiltrer dans un lieu sorcier, et prendre une tonne de risques débiles juste pour une histoire de chargeur à la con. Mais cela valait amplement le coup. ”J't'ai mal conseillé avec ton gars, c'est ça ? D'ailleurs, raconte !” Les yeux de Jesse s’ouvrent en grand face à la surprise, et il n’arrive pas à contenir un sourire bien plus large d’investir ses lèvres à la mention de Kyung, de ces sourires un peu trop idiots, un peu trop heureux, qui se suffisent à eux-mêmes tant ils peuvent en dire long. ”Wow clairement ça fait longtemps qu’on s’est pas captés, il s’est passé tellement de trucs depuis la dernière fois, je sais même pas par où commencer”, dit-il en secouant la tête avec, toujours, ce sourire indécrottable.

Il a l’impression que cela fait une éternité que les choses se sont concrétisées avec Kay, et en même temps, que tout est encore terriblement frais et nouveau. Et il n’est pas certain de comment il pourrait expliquer cela avec des mots - il n’y en a pas vraiment pour exprimer ces deux derniers mois. ”Non bah non, tu m’as même plutôt bien conseillé, on–” Et au moment où il s’apprête à au moins tenter de tout déballer, Jesse observe Winston sortir un petit fiole de sa poche et en boire au moins une gorgée ou deux. Instinctivement, il émet l’hypothèse qu’elle doit contenir de l’alcool fort – pourquoi il aurait besoin de picoler en douce, alors qu’il a déjà une pinte de monaco devant lui ? Et ce n’est pas tant ce geste que la mine affreuse de son ami qui le pousse à froncer les sourcils et à le darder une brève seconde en silence avant de demander : ”Ça va Winnie ? T’as une p'tite mine, t’es malade ?” Et Jay se rappelle de ses expressions inquiètes, et de ses paroles énigmatiques de la dernière fois, alors il ajoute en se penchant un peu vers lui : ”Il s’est passé un truc ?”

”Vraiment ?” Jesse hausse les sourcils face à la surprise de Winnie, détaillant rapidement ses cernes, son teint pâle, la lueur différente également au fond de ses yeux – non, vraiment, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez son ami. Il sait qu’il ne peut pas trop lui en dire sur sa vie, mais il ne peut pas ne pas au moins s’assurer que tout va bien. ”Bah… ouais ?”, reprend-il sans trop vouloir l’offenser et rajouter sur le fait qu’il a une sale mine, dans l’éventualité où il serait juste un peu fatigué et malade. ”Perdita m'a dit que ça allait pourtant, en plus j'ai mangé, je... − Attends attends attends, quoi ?” Les yeux du métamorphomage s’arrondissent aussitôt en même temps qu’il fronce les sourcils – Perdita ? Aux dernières nouvelles, ou du moins de ce que lui avait glissé Winston entre deux blagues, sa sœur était portée disparue, pour ne pas dire supposée morte (son coeur se serre brièvement à cette pensée, et à celle de Cal… non. Cal est quelque part, lui aussi, et il va bien, il faut juste qu’il le trouve, il faut juste que–) Elle est donc en vie ? Elle est donc revenue ? Cela fait décidément bien trop longtemps qu’ils ne se sont pas vus, et alors que Jesse s’apprête à lui demande what the fuck, Winston reprend après un geste nerveux que Jay ne peut s’empêcher de relever : ”Bah rien d'grave. Une altercation avec la VB alors qu'on allait manger des sushis...” Merde – Jesse sait pertinemment que la vie de fugitif (ennemi de l’état aime à dire le gouvernement) n’est pas ce qu’il y a de plus rose, mais il est toujours abassourdi d’être mis devant cette réalité qui n’est pas la sienne. Il est si aisé d’oublier que l’on est en guerre, quand on est de l’autre côté et que l’on n’a pas le temps de penser à autre chose qu’à sa propre peau et celle de sa famille.

”Le hound était mordant...” C’est à ce moment-là, que Jesse comprend – et également en voyant Winston verser le contenu de sa gourde dans son monaco, un liquide rouge et opaque se mêlant rapidement à sa boisson et lui donnant une teinte bien plus foncée et vive que la sienne. Putain de bordel de merde ; il se tend sur sa chaise en regardant son ami porter sa pinte à ses lèvres. Non pas parce, comme beaucoup, il aurait peur ou ressentirait le moindre dégoût à l’encontre des vampires (et puis quoi encore ?), non. Mais parce que c’est la première fois qu’il est mis face à cette situation, de voir un proche, ou même qui que ce soit, s’être fait transformer, et son coeur s’emballe légèrement face à cette nouvelle lui tombant sur le coin de la gueule comme un méchant coup. ”Et du coup ? Avec Kay ?” Il n’entend même pas sa question, trop absorbé et confus par ces informations bien plus importantes sur le ton de la conversation. ”Attends, mec, attends, je–”, commence-t-il avant de se reprendre, ayant une légère expiration nerveuse en se redressant sur son assise, sondant brièvement le regard de Winston caché derrière ses lunettes de soleil. ”Putain, mais merde Winnie, j’suis vraiment désolé, ça craint, c’est–” Merde, il n’arrive pas à trouver ses mots, il n’a absolument aucune idée de ce qu’il faut dire dans une situation pareille. Est-ce que ce n’est pas offensant, de lui dire qu’il est désolé ? Il sent ses oreilles chauffer sous la gêne et le cou des émotions. ”Et puis, pardon mais : Perdita ? Mais c’est ouf, je– elle va bien ? Enfin, et toi tu vas bien ?” Cela ne lui ressemble pas, mais Jesse s’embrouille un peu les pinceaux – il faut dire que Winston vient de lâcher deux énormes bombes sans prévenir. ”Pardon, c’est juste que– wow, ça fait masse d’infos d’un coup”, s’excuse-t-il avec un rire nerveux, avant de reprendre avec un peu plus de sérieux en se penchant légèrement vers lui : ”Mais du coup, tu… Tu tiens le coup ? T’es pas tout seul hein ? Genre ya du monde, là-bas, pour t’aider ? Tu sais, si je peux faire quoi que ce soit… Enfin, je sais pas trop quoi, mais hésite pas.”

”C'est gentil Jesse, t'es un vrai !” L’énergie de Winnie a quelque chose de contagieux, et ce depuis toujours, et c’est pourquoi il a été si évident pour Jesse de garder contact avec lui après Hogwarts, et même maintenant. Mais sur l’instant, elle n’arrive pas complètement à recouvrir les remous qu’ont déclenché toutes ces nouvelles soudaines - bordel, il aurait en effet clairement dû trouver un chargeur bien avant. ”Mais t'inquiète, y a Perry et les autres. Puis pour l'instant, ça va. Bon, le réveil a été un peu dur puis le changement d'régime alimentaire est... spécial ?” Cette fois, il ne peut pas s’empêcher d’avoir un petit sourire en coin et une brève expiration amusée face à l’euphémisme du siècle ; enfin, qu’est-ce qu’il peut bien en savoir, après tout, de ce que ça fait vraiment de vivre avec cette malédiction ? Il ne connaît pas d’autres vampires personnellement, et à vrai dire, tout ce qu’il connaît des vampires est probablement tiré de clichés imprimés malgré lui à l’arrière de son crâne. ”Putain, tu m’étonnes.” Merde, c’est offensant de dire ça ? ”Mais y a pire”, conclut Winnie et Jesse secoue faiblement la tête en reprenant une gorgée dans son verre. ”Ouais, ok, je vois… En tous cas, ‘fin, voilà, hésite pas hein.” Jay ne sait toujours pas en quoi il pourrait vraiment aider, mais il répète ça comme un réflexe, peut-être parce que, justement, il n’y a pas grand chose à faire.

Au moins, Winston n’a pas l’air complètement au fond du trou, et Jesse garde le silence en le regardant verser à nouveau le contenu de sa fiole dans son verre (il n’y a plus vraiment de doute quant à ce qu’elle contient désormais) ; il ne peut pas s’empêcher de regarder un instant autour d’eux, juste pour s’assurer qu’on ne les regarde pas de travers, avant de revenir à son ami. ”Bon, je te fais le récap mais en vitesse, mais t'as entendu des histoires avec les prisonniers du régime ? − Hmm, juste des rumeurs…” Surtout au sujet du N9 du Ministère, d’Azkaban également et de ses Détraqueurs aspirant l’âme des prisonniers… des histoires glauques. ”En gros, ils étaient retenus sur une espèce d'île puis ça organisait des chasses à l'homme ? Bref, horrible.” Jesse manque d’avaler de travers, tousse légèrement en portant son poing à sa bouche - quoi ? Rien à voir avec les rumeurs dont il avait entendu parler, donc, et un frisson glacé cavale le long de sa colonne vertébrale. Et à la fois, aussi terrible cela puisse-t-il être, il a été tant désensibilisé par les horreurs perpétrées par le gouvernement que c’est à peine s’il est surpris que le régime puisse organiser une chose pareille - même s’il est indéniable que, sur ce coup-ci, l’horreur a réussi à surpasser l’horreur. ”Mais tu déconnes…”, souffle-t-il en ouvrant grand les yeux. ”Mais l'Ordre a réussi à les libérer, et il y avait Perdita parmi eux ! Bon, niveau moral et tout, c'est pas toujours fou mais au moins elle est en un seul morceau et on est ensemble maintenant !” Au moins, il y a une happy end à cette histoire sordide, mais Jesse n’arrive pas complètement à se défaire de la boule pesant sur son ventre. Est-ce que ça veut dire que si Kyung avait été incarcéré après avoir été emmené au poste le soir de son anniversaire, il aurait pu–

”Et toi, du coup ?” Jesse cille en revenant à Winnie, se rend tout juste compte qu’il avait plongé son regard au fond de son verre, et que son ami a déjà fini le sien sans même qu’il ne le réalise. Il fait signe au serveur qu’il n’a pas besoin qu’on le serve à nouveau pour le moment, avant que la question inévitable ne revienne sur le tapis : ”Avec Kay ?” Naturellement, un sourire vient étirer les lèvres de Jay, qui détourne le regard, comme s’il pouvait réussir à cacher le bonheur évident qui vient d’éclater sur son visage. ”Avec Kay, t’as raté pas mal d’épisodes aussi mec”, lance-t-il finalement en ramenant son regard à Winston, un peu trop conscient du rouge qui est remonté jusqu’à ses joues, et qu’il dissimule aussitôt (trop tard) de sa magie. ”Par où commencer, hm… Bah tu te rappelles, c’était bientôt son anniversaire ?” C’est incroyable, à quel point il avait besoin de sortir toute cette histoire de son système, et à quel point elle lui revient instinctivement. Jesse n’en a parlé à personne, garde tout pour lui depuis des mois - à qui pourrait-il bien raconter cela, sans prendre de risque ? Alors il reprend depuis le début, et expose tout à Winston : le dessin qu’il a offert à Kay pour son anniversaire, la police qui a fait irruption alors qu’il allait se déclarer, comme il a dû se transformer en fille dans l’urgence, la nuit que Kay a passé au poste pour suspicion d’homosexualité (”Alors qu’il s’était encore rien passé entre nous ! … Attends attends, me regarde pas comme ça, j’y viens.”), sa soudaine décision qu’ils devraient arrêter de se voir aussi souvent (”Je sais, c’était débile, mais j’avais peur qu’il lui arrive quelque chose à cause de moi tu vois ?”), leur dispute à ce sujet (il passe sous silence leur crise de larmes, tout de même)...  ”Et là, je sais pas ce qu’il s’est passé, mais… on s’est embrassés, et on a… bref”, finit-il par lâcher dans un nouveau sourire qu’il vient cacher derrière son verre dont il prend une longue gorgée. ”Et depuis, bah, on est ensemble. Enfin, on peut pas vraiment faire de dates, ou se tenir la main quand on est dehors ou ce genre de bails, tu te doutes. Mais… ouais, on est ensemble et ça se passe bien. Super bien, même.” Un euphémisme, que trahit le large sourire qui remonte jusqu’à son regard rien qu’en pouvant enfin prononcer ces mots.

”Comment t'as trop géré mec !” Un sourire discret (pas vraiment discret) fend les lèvres de Jesse – il ne sait pas s’il a vraiment trop géré, mais en tous cas, ils s’en sont pas si mal sortis avec Kyung, si on omet les quelques années à se tourner autour, vivre ensemble, dormir ensemble sans oser se déclarer. ”Un peu ouais.” Il se laisse même porter par ces félicitations qui font battre un peu plus rapidement son cœur et l’emplissent d’une joie fière qu’il n’arrive pas complètement à dissimuler, et il fête cela d’une nouvelle gorgée de bière fraîche. ”Pourquoi tu te transformes pas en toi version fille pour aller en dates ? Je suis sûr, tu serais toujours aussi bg.” Un rire file d’entre ses lèvres, même si cette idée est loin d’être bête, et a même déjà été adoptée à plusieurs reprises – quand ils ont visité des nouveaux appartements ensemble, et même une ou deux fois en public. Ce n’est clairement pas ce qu’ils préfèrent, mais c’est un bon moyen pour avoir des brefs et discrets signes d’affection sans attirer trop les regards. ”Tu déconnes mais en vrai on fait ça parfois. C’est pas idéal, mais bon, c’est pratique”, avoue-t-il en haussant une épaule. ”En tout cas, grave content pour toi, c'est même ma bonne nouvelle de la semaine ! Enfin en plus de savoir que t'étais bien vivant.” Savoir que t’étais bien vivant. Il ne suffit que de ça pour le faire redescendre de son petit nuage, et le ramener presque brusquement à la réalité. Non pas qu’il avait oublié la raison de cette entrevue avec son ami, non, mais que le moment se présente pour enfin poser cette question dont il n’est pas certain de vouloir connaître la réponse – car Winnie est sa dernière et seule piste, et les chances qu’il ait entendu parler d’un certain Caliban sont si minces…

Alors Jay se redresse sur sa chaise, se penche un peu en direction de Winston : ”Dis mec, je– – Hé toi !” Le sorcier sursaute presque à l’injonction du serveur qui se tourne vers eux en pointant son ami du doigt, puis en saisissant sa manche. Merde. Le regard de Jesse tombe sur le verre rougeâtre de Winnie, puis la gourde entre ses doigts, puis remonte jusqu’au serveur et son expression presque éteinte. Ses yeux valsent entre l’inconnu et le résistant, restant coi un instant en comprenant avec un temps de retard ce qu’il se passe alors que le silence s’épaissit, que les regards commencent à se tourner vers eux, que le serveur se penche lentement sur le vampire, que le sourire de ce dernier s’élargit et révèle deux canines acérées qui tordent le coeur de Jesse, lui font faire un furieux bond dans son torse. Merde merde merde. Qu’est-ce qu’il faut faire dans ce genre de situations ?

Sans trop réfléchir, Jay se lève brusquement en faisant grincer intentionnellement sa chaise sur le sol pour attirer l’attention sur lui. ”Écoutez, on veut pas d’emmerdes nous, on va y aller.” Le serveur a l’air de n’entendre ou de comprendre qu’à moitié ce qu’il lui dit, comme encore sous le charme de Winston, mais il le regarde lui, alors Jesse en profite pour sortir avec précipitation de sa poche quelques billets de livres moldus qu’il avait pris avec lui pour l’occasion, et pour les jeter sur la table. ”Gardez la monnaie”, dit-il rapidement avant de refermer sa main sur le poignet de Winnie pour le tirer hors de sa chaise et l’entraîner hors du bar, slalomant entre les tables où les regards des moldus sont encore rivés sur eux tout du long de cette sortie tonitruante où ils percutent quelques chaises et verres. Une fois dehors, Jesse ne s’arrête pas, et s’il relâche Winston, il continue à avancer dans la rue, empruntant une ruelle, puis une autre, jusqu’à en trouver une parfaitement isolée et déserte, presque essoufflé par la panique et la précipitation. A ce moment-là seulement il relâche complètement sa magie pour retrouver sa véritable apparence, passe une main sur ses cheveux courts en se tournant vers Winnie. ”Mec, ça va ? Pardon j’ai paniqué mais j’ai cru que t’allais–” le bouffer. Ça se dit, ce genre de trucs, à un vampire ? Est-ce qu’il a complètement paniqué pour rien, et a agi comme un gros con paranoïaque en présence d’un vampire ? Est-ce que c’est être un gros con paranoïaque que d’avoir l’impression, là tout de suite, que Winston le dévore des yeux ? ”Tu veux que–” Merde, il n’a aucune idée de comment formuler ça. ”Tu veux que je t’aide ?”

Le serveur était suspendu aux lèvres de Winston, les yeux de Winston étaient suspendus à la carotide du serveur. Il pouvait la voir battre là où le col de la chemise de l’homme s’arrêtait, dévoilant le cou blanc et Winston imaginait la douceur de la peau sur ses lèvres, son goût un peu salé à cause de la transpiration causée par une journée de travail, la sensation du sang qui jaillirait sur sa langue quand il l’aurait mordu. C’était injuste de se contenter de boire à la bouteille quand la source était si tentante, on l’avait toujours refusé à Winston alors qu’il ne rêvait plus que de ça (la nuit, le jour, même alors qu’il ne dormait plus réellement). Et le serveur s’approchait alors que l’hybride continuait à lui susurrer des ordres de son ton le plus charmant, plus que quelques centimètres. Le vélane déglutit, se prépara à mordre (il avait tellement faim) et l’aurait sans doute fait si Jesse ne s’en était pas mêlé. Le regard haineux qu’il retourna à son pote n’avait rien d’humain, traits vélanesques déformés par la colère un, crocs saillants. Le charme était rompu et Winston se vit saisir par le bras et arraché loin de sa proie. Gémissement de frustration de bête affamée.

L’air frais le ramena à la raison (un peu, pas totalement) et il battit des paupières comme si il venait de se réveiller d’un rêve particulièrement prenant quand Jesse les arrêta dans une ruelle déserte. Son estomac criait famine (presque plus que d’habitude), son pote avait repris sa véritable apparence (depuis quand ? Et cela faisait combien de temps que Winnie n’avait pas vu son vrai visage ?). L’air du métamorphomage ne lui disait rien bon, contrairement à son cou. ”Mec, ça va ? Pardon j’ai paniqué mais j’ai cru que t’allais–” Winston regardait la pomme d’Adam bouger plus qu’il n’écoutait Jesse, il s’approcha un peu. ”Tu veux que–” Regard interrogateur du vampire. ”Tu veux que je t’aide ?” Il sourit, hocha la tête avant de revenir au ton mielleux. "Oh oui s’il-te-plaît, tu sens si bon." L’odeur de Jesse lui emplissait les narines, il lui attrapa le bras en mode rapace et le tira brusquement vers lui.

Peut-être qu’il l’aurait mordu si ses yeux n’étaient pas tombés sur ceux de Jesse à cet instant précis. Winston ôta la main de sa cible comme si le contact l’avait brûlée. Il avait le souffle court, voyait encore à moitié en rouge sang et reculer de quelques pas lui demanda un effort surhumain. "Oh merde, désolé" commença-t-il d’une voix tremblante, larmes aux yeux. Putain, il avait failli avoir son pote. "Je croyais que ça irait, j’avais amené ma gourde, sinon je serai pas venu. Putain, je croyais que ça passerait et… " La fin se perdit dans un sanglot alors qu’il visualisait Jesse allongé dans une flaque de sang, lui pendu à son cou. "Vraiment désolé, je… J’ai toujours faim, tellement faim, et ça s’arrête jamais vraiment…" La malédiction des vampélanes qu’on lui avait dit, il boirait jusqu’à exploser dans une gerbe de sang. "Ma gourde" gémit-il, au bord de la panique, constatant avec effroi qu’elle était restée dans le bar. "Merde, merde, merde…" Regard désespéré à Jesse, il n’était plus réellement en état pour réfléchir à un plan d’action.

tw:sang

Jesse pose la question tout naturellement, en dépit de la boule nerveuse au fond de son ventre ; Winston est l’une de ses plus vieux potes, et il ne va quand même pas le laisser en pleine crise, au beau milieu de nulle part, dans une ville remplie de moldus qui n’ont rien fait de mal et représentent des proies faciles pour un jeune vampire affamé. Et vraiment, s’il ne s’agit que de donner un peu de son sang pour l’aider, il est plus que prêt à le faire. ”Oh oui s’il-te-plaît, tu sens si bon.” Cette dernière phrase trace un frisson de malaise le long de sa colonne vertébrale, mais il tente de ne pas trop le montrer, lui sourit plutôt en retour, s’apprête à prétendre être plus assuré qu’il ne l’est réellement– mais sa voix reste coincée au fond de sa gorge, alors que Winston l’attrape fermement par le bras et l’attire à lui. Son cœur descend brusquement dans son estomac, et c’est une sorte de couinement entre la surprise et la peur qui lui échappe. Merde merde merde.

Lorsqu’il croise le regard de Winston, Jesse réalise qu’il a armé son poing, prêt à l’abattre sur son visage pour se défendre ; mais l’un et l’autre restent immobiles, se toisent en silence, un éclat d’horreur dans leurs yeux à tous les deux. Et son cœur fait un nouveau bond quand Winnie le relâche tout aussi brusquement qu’il l’a attrapé, et une onde de soulagement éclate dans son torse, discrète seulement, alors que la panique coule encore dans ses veines. Il porte une main à sa gorge en un geste nerveux et instinctif, comme pour vérifier qu’il n’est pas blessé (c’est débile, il sait qu’il n’a pas été mordu, mais son corps a comme un temps de retard sur son esprit, à moins que ce soit l’inverse). ”Oh merde, désolé.” Jesse reste interdit face à ces excuses bredouillées d’une voix tremblante ; il a encore du mal à redescendre de sa panique, mais il y parvient progressivement en se retrouvant face à un Winston bien plus affolé que lui. Merde ; son coeur se serre, sa gorge aussi, parce qu’il peut voir le désespoir dans ses yeux et dans sa voix. ”Je croyais que ça irait, j’avais amené ma gourde, sinon je serai pas venu. Putain, je croyais que ça passerait et…” La phrase de Winnie se conclue par un sanglot, et Jesse se rapproche de nouveau de lui pour poser une main dans le haut de son dos, sans trop se pencher sur lui pour autant. ”Hey hey, c’est pas grave Winnie, t’inquiète, tout va bien”, tente Jay d’un ton qui se veut rassurant et bienveillant, un peu tremblant néanmoins. ”Vraiment désolé, je… J’ai toujours faim, tellement faim, et ça s’arrête jamais vraiment…” Le changement d'régime alimentaire est... spécial ? Mais y a pire, lui a dit Winston un peu plus tôt avec un sourire, comme toujours, et Jesse remet terriblement en perspective ces quelques paroles qui minimisaient clairement le poids de sa malédiction. Et le pire, c’est qu’il ne sait vraiment pas quoi dire, pas quoi faire pour l’aider.

”Ma gourde. Merde, merde, merde…” Son ami se met à panique brusquement, et Jesse panique de concert, tente néanmoins de garde la face, malgré ses deux yeux qui s’arrondissent et sa main qui revient à lui tandis qu’il regarde aux alentours. Think, think – c’est l’une de ces instances où il peut être heureux d’avoir à sa charge cinq frères et sœurs plus jeunes que lui, et d’avoir appris à être débrouillard et réactif pour les aider. Mais la situation est un peu différente, et il a du mal à réfléchir correctement. ”T’inquiète t’inquiète, attends…”, marmonne-t-il, un peu pour gagner du temps.

Hors de question de retourner au bar, sans compter qu’ils sont sûrement déjà tombés sur la gourde de Winnie – non, ça les mettrait trop dans la merde, surtout s’il doit faire usage de la magie pour récupérer le précieux récipient. Il ne va pas non plus le nourrir à la source – il aime son ami, mais pas au point de courir le risque d’être transformé lui-même en vampire. Think, think – son regard se pose sur les poubelles rangées contre le mur derrière Winston. ”Ok, attends, bouge pas de là.” Il a déjà dumpster dive, lors de ses premiers mois au Royaume-Uni, et depuis qu’il a commencé à se faire de l’argent, il s’est promis de ne plus jamais le faire. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais. Jesse ouvre le couvercle d’une première poubelle, et il a un haut-le-cœur violent qui manque de lui faire rendre le contenu de son estomac. Mais il tient bon, retient sa respiration et se penche au-dessus pour regarder à l’intérieur ; il y a surtout des sacs fermés, des épluchures de légumes, des restes de repas… et quelques canettes vides de bière. Alors il plonge son bras pour en saisir une, referme rapidement le couvercle pour reprendre son souffle, crachant par terre rapidement pour se débarrasser de la salive accumulée par le dégoût. ”Frère désolé j’ai pas mieux…”, s’excuse-t-il en revenant à Winston avec un air toujours dégoûté – il prend quand même la peine de sortir sa baguette pour rincer la canette d’un rapide sortilège (encore une fois, merci son rôle de grand-frère de lui avoir appris des sorts de nettoyage).

Son regard remonte de nouveau dans celui de Winston, et la lueur désespérée qu’il y voit lui donne un peu de courage pour pousser une expiration brève, redresser les épaules, et pointer sa baguette sur son avant-bras. ”Ok, allez, let’s go”, dit-il, encore une fois, pour se donner un peu de courage, et il grimace d’avance en murmurant un sortilège pour tracer une entaille sur sa peau (se tenant un peu à distance de son ami, juste au cas où). La douleur lui tire un petit “hm” étouffé contre ses lèvres pincées, et la vue de son propre sang le fait un peu pâlir – mais il tient bon, place la canette contre son bras pour récolter le sang qui en jaillit avant de lever les yeux vers le ciel pour ne pas avoir à regarder ça (ça la foutrait mal, s’il tournait d’un seul coup de l’oeil, et il sent qu’il n’est pas si loin que ça). Et quand il sent qu’il est au point de rupture, il tend la canette remplie de sang à Winston, son regard toujours fuyant. ”Tiens, j’espère que c’est assez, désolé faut juste que–” Il pousse un soupir lourd en portant sa main à sa plaie ne saignant presque plus (mais quand même), fait quelques pas pour aller se laisser tomber contre l’un des murs de la ruelle, assis à même le sol. ”Juste que je m’assoie une petite minute.”