24 décembre 2007, St James Manor | Sofia n'était pas allée jusqu'à lancer quelques cantiques à travers les couloirs ni à enchanter des chandeliers comme à Poudlard, mais elle avait tenu à ce que le manoir soit décoré pour les fêtes. “ It's good for moral, avait-elle insisté. ” On ne peut pas dire que l'initiative avait eu un franc succès - même les guirlandes refusaient de rester accrochées aux tableaux et aux lampes - et l'amalgame de babioles dépareillées donnait au manoir une allure grotesque. Un flocon bleu par ci, une elfe en robe rose par là, et du tartan sur les tables, sans doute apporté (imposé) par McGonagall.

Chaque année, pourtant, Neville trouvait un certain réconfort dans les fêtes de fin d'année. Ce semblant de normalité, cette parenthèse conviviale qui rassemblait tous ses proches autour d'un bon banquet. Il trouvait même les décorations attendrissantes : peu lui importait si leur Noël n'était pas aussi grandiose que durant leur adolescence, pourvu qu'ils soient tous ensemble.

Peut-être que c'est parce qu'ils ont essuyé trop de pertes, cette année. Peut-être que c'est parce qu'il sait combien de ses camarades risquent leur vie en ce moment même. Peut-être que c'est parce que Gran ne pourra pas venir ou parce qu'Harry est de retour mais pas vraiment. Peu importe les raisons, cette année, Neville n'a pas le cœur à la fête.

Il est furieux, à vrai dire. Furieux de rester là, à ne rien faire. A regarder les autres se battre à sa place pendant que lui se goinfre de dinde aux marrons sans avoir la moindre idée d'où peut bien être le prochain horcruxe. La guerre n'a que trop duré. Toute cette année, il l'a passée à nourrir une frustration grandissante devant son inefficacité. Il n'y a même pas deux mois, il manquait même de se faire capturer par Al-Massri, et son très ostensible nouveau tatouage au bras gauche.

Bien sûr, c'était précisément pour cette raison que les rangs du cercle 6 de la task force (qu'importe le nom qu'on leur donne) s'étaient renforcés. Et si Neville était ravi de retrouver quelques uns de ses camarades de l'AD, il espérait que ce serait suffisant pour les faire avancer. Il l'espérait de tout son cœur, car il voulait avant tout faire taire cette petite voix qui lui disait chaque jour que tous leurs efforts ne servaient à rien.

Neville est en train d'enlever son pull de Noël, décidant finalement qu'il n'est pas d'humeur à faire semblant ce soir, quand Luna entre dans le petit salon. Comme à chaque fois qu'il la voit, il esquisse un sourire et sent ses muscles se détendre un peu. C'est comme si un soleil rentrait dans sa vie et venait projeter sur lui une aura de lumière et de chaleur.

Depuis sa.. discussion avec Anthony, Neville sait à présent identifier cette sensation. Une vague qui le frappe à chaque fois qu'il pose les yeux sur elle. Il a longtemps lutté contre, nagé à contre courant pour se persuader qu'elle avait moins d'importance à ses yeux qu'elle n'en a en réalité. Mais c'est impossible. Ce serait plus simple, bien sûr, parce qu'il n'aurait pas cette peur déchirante de la perdre du jour au lendemain, comme il a déjà perdu ses parents, ses amis, ses repères. Mais ignorer ce sentiment ne le fait pas disparaître. C'est juste plus difficile de ne rien dire à présent. Comme si une litanie de mots longtemps ravalés lui brûlait à présent la gorge et les lèvres, prête à se déverser sur elle avec la même force que ses sentiments.

“ Hi, glisse-t-il simplement à son égard en saisissant un second pull, gris cette fois. How was it? ” Il passe sa tête par l'encolure et lui jette un regard mi-bienveillant mi-inquiet. Luna est allée rendre visite à Harry, aujourd'hui. Et comme à chaque fois, il sait que l'expérience n'est pas facile. Pour aucun d'entre eux. Le voir dans cet état. Son mépris, son indifférence glacée à leur égard. Neville n'a même pas eu droit à un mouvement de tête dans sa direction. Du silence, rien que du silence répondait à ses questions, à toutes ces choses qu'il lui disait pour accrocher la partie d'Harry - du vrai Harry - enfouie dans cette carapace vide. Il sait qu'il est encore là, quelque part. Que la partie n'est pas terminée. Quand bien même, ce n'est pas facile.

Luna, quant à elle, est parvenue par il-ne-sait quel miracle à le faire parler. Rien de très utile, malheureusement, mais c'est toujours ça de prix. Pourtant Neville ne peut s'empêcher d'être inquiet quand il la voit partir à l'Iron. Il sait combien des mots peuvent faire plus mal que des sorts.

“ Want some hot chocolate? ” Il désigne une tasse sur la petite table près du foyer. “ I know it's almost dinner but- ” Il ne termine pas sa phrase, se contente d'un nouveau sourire en direction de la sorcière. “ I'm happy to see you. ”

24 décembre 2007, St James Manor | Une année est sur le point de s'achever ; une nouvelle se prépare. Meilleure que celle qu’ils viennent de passer, elle l’espère. Il le faut, elle ne veut pas vivre pire que ça, malgré les menaces permanentes, elle ne veut même pas l'envisager. L’heure n’est pas aux inquiétudes, en ce réveillon de Noël, mais aux réjouissances. C’est toujours un an de plus ensemble. Et se dire que Harry est de retour parmi eux, contre son gré certes, reste une belle victoire, pas seulement d’un point de vue politique.

Voir le manoir décoré pour l’occasion lui réchauffe le cœur. Ça l’amuse de parcourir les couloirs, explorer les pièces à la recherche de quelques éléments décalés. Ils devraient répéter ça l’an prochain, faire moins dans le classique  qu’elle pense furtivement. Mais pour une fois, Luna ne serait pas contre le retour de ces vieilles traditions. Celles qui sont réconfortantes, où seul partager de bons moments avec ses proches est important. Où on se demande si le repas sera prêt à temps, s’il y en aura assez pour tout le monde. Si nos cadeaux plairont cette année. Aucune guerre en arrière-plan, rien qui menace de leur voler des êtres chers, encore. Et ne plus avoir à s’affoler en cas de retard ou d’absence de nouvelles. Elle ne dirait pas non à un retour à la normalité, Luna, vraiment. Mais ce Noël est loin d’être leur dernier. Ils sont toujours en guerre, oui, mais il y aura d’autres jours à fêter, des petites victoires dont se réjouir. Alors en attendant, elle se concentre sur l’instant présent, s’accorde parfaitement à l’ambiance chaotique des lieux pour compenser une certaine inquiétude difficile à cacher, porte son plus beau pull pour l’occasion et ce serre-tête ensorcelé qui devrait clignoter à minuit pile, le vingt-cinq décembre.

Ses pas la guident doucement vers le petit salon où elle finit par retrouver Neville. Elle l’avait vu s’éclipser un peu plus tôt dans la journée, s’est dit qu’elle chercherait à le rejoindre après, le temps qu’il puisse calmer toutes les pensées qui semblaient le tracasser. Le pull festif est vite abandonné au profit d’un autre, assez sobre, gris. Et elle comprend que cette journée est plus difficile que les précédentes. Peut-être même plus pour Neville, qui supporte de moins en moins le confort du manoir alors que rien n’avance de leur côté. Pourtant, il l’accueille avec ce même petit sourire discret, celui qu’elle apprécie tant et dont elle ne se lassera jamais. Celui auquel elle ne peut s’empêcher de sourire en retour. Mais elle n’arrive pas à ignorer cet air sur son visage, quand il est seul. Alors elle le regarde faire, profite qu’il soit distrait un court instant pour s’approcher davantage.

Une main s’avance maladroitement vers son épaule, cherche à s’accrocher à ce pull gris mais finit par se refermer dans le vide. Juste une fraction de seconde qu’il ne remarquera sans doute pas. Ce n’est rien de plus qu’un geste instinctif qui n’a pas à être justifié, qui doit se limiter à ça. Maintenir une distance qui est nécessaire, chercher du réconfort partout sauf là où il faut.

Luna se souvient de cette peur ridicule – n’étant alors qu’une enfant –  de rester coincée dans ses vêtements, au niveau de la tête ou bien des épaules, finir par manquer d’air. Un mauvais moment à passer, aussi bref soit-il, qui semblait pourtant durer une éternité. Chaque fois qu’elle rouvrait les yeux, le sourire de sa mère suffisait à balayer ses pires craintes. Et puis un jour, ce sourire s’est éteint ; elle n’était plus là. Tout comme la peur, envolée. Sa maman l'avait emportée avec elle pour soulager Luna. Elle ne s’en était rendue compte que des années plus tard. A choisir, elle aurait préféré avoir ce pouvoir-là. Etre le visage rassurant de quelqu’un, qui réussirait à ôter toute angoisse en étant juste présente, alléger les tourments pour progressivement les remplacer par de la légèreté.

“ Hey. ” La question suivante l’interpelle. Tout comme cet air dans le regard de Neville. Luna est allée rendre visite à Harry plus tôt dans la journée. Le voir dans cet état reste difficile, à chaque fois, mais elle sait que son ami est toujours là quelque part. Elle s’accroche à cette idée, y retourne dès qu’elle a un moment mais pas trop non plus. Pour se préserver elle-même, indirectement, mais surtout lui. Même si c’est pour rester assis l’un à côté de l’autre dans un silence apaisant, pendant des minutes voire des heures. “ I didn’t want him to be alone, especially today. He must feel so… La phrase se coupe, le regard se perd dans le vide. He must feel so lost. I thought some company would be nice, even if it’s just a moment. ” C’est mieux que rien du tout, comme on dit.

La tête se tourne vers la cheminée et la tasse juste devant. Un bon chocolat chaud leur ferait du bien oui. Elle n’a pas le temps de répondre qu’il reprend déjà : “ I’m happy to see you – Me too. ” Réponse quasi immédiate. Peut-être qu’elle n’était pas tombée sur Neville par hasard, à ce moment précis. Peut-être qu’elle avait besoin de le voir après sa visite auprès d’Harry. Peut-être qu’elle ne le réalisait que maintenant. “ I was looking for you, I guess. ” Et ce sourire-là, aussi. “ We still have time for one cup, don’t you think? So you can tell me how was your day too. ”