Personne n'a remarqué.

C'était discret, un simple mouvement de couverture parce qu'il faisait trop froid. Mais Neville a fait preuve de magie très tôt. Il fait partie de ces sorciers précoces qui ont démontrer leurs pouvoirs peu de temps après leur naissance. Mais seulement, personne n'a remarqué.

Puis il a perdu ses parents, vu son grand-père mourir. Il a été élevé par sa grand-mère. Une femme forte, sorcière au caractère bien trempé, qui ne cachait pas sa déception en voyant le manque de pouvoirs de son petit-fils. Il était maladroit, tête en l'air, toujours dans les nuages. Il bégayait, se pliait toujours à l'avis des autres. Il avait cet air faible, un peu agaçant mais pas bien méchant. On lui a souvent dit qu'il ne faisait pas honneur à ses parents. On a longtemps cru qu'il était cracmol. Même quand son oncle l'a poussé d'une jetée, il a manqué de se noyer. Il a fallu qu'on le lâche du troisième étage pour que ses pouvoirs se révèlent enfin à nouveau et lui évitent une chute mortelle.

Il n'a jamais été extraordinaire. Loin d'être le premier de la classe, à part lorsqu'il s'agissait de s'attirer des ennuis.

Mais Neville a toujours eu des pouvoirs. On ne les avait juste pas remarqués.
Et il a toujours eu un immense courage, qu'il refusait de voir.
Jusqu'à Poudlard. Jusqu'à la magie.

« Longbottom, is it? »

Neville se lève, un étrange sentiment dans les tripes. Il a l'impression de sentir le monde se mélanger autour de lui alors qu'il relève les yeux vers Professor Moody. « Professor Sprout tells me you have an aptitude for herbology. » Le compliment glisse sans qu'il n'en saisisse l'ampleur, du moins pour le moment. Neville n'a pas l'habitude qu'on parle de lui en positif, en particulier pour ses prouesses magiques, alors il hoche la tête machinalement. Le nœud qui s'est formé dans son estomac est toujours bien présent. « Th... There's the, hum... The cruciatus... curse. » « CORRECT! CORRECT! » Moody fait gesticuler sa baguette sous le nez de son élève. « Come! Come! » Le professeur fait signe à Neville de le rejoindre à son bureau, où est posé la gigantesque araignée manipulée plus tôt. Neville s'avance sans y réfléchir, comme un automatisme. Il a l'impression que son cerveau a freezé. Ses yeux ne quittent pas l'araignée. Il sait ce qui l'attend. « The torture curse... »

« Crucio! »

Instantanément, l'araignée se tord de douleur en émettant des cris stridents. Qui savait que les insectes pouvaient émettre de tels sons ? Mais ce n'est pas l'araignée qu'il voit.

Les cris de ses parents résonnent dans sa tête. Il ne les a jamais entendus pourtant, il n'a jamais vu. Mais il imagine la femme au regard hagard, à l'air éternellement perdu, qui lui donne ses papiers de chewing-gum comme s'il faisait une collection. Il l'imagine là, allongée sur cette table, se tordant de douleur. C'est un étrange concept en réalité. Cette femme, en un sens, est une inconnue. Elle ne le reconnait jamais, ils ne parlent de rien. Il n'a jamais eu d'étreinte chaleureuse de sa part, ni de mot réconfortant. Il n'a jamais eu de remontrances ni de conseils. Il n'a jamais eu de mère, en réalité. Elle est ce fantôme, à la fois palpable et inaccessible, un reliquat de la sorcière qu'elle a jadis été. Neville sent cette distance avec ses parents, une distance protectrice qui rend le concept de leur existence abstrait. Il n'y a que quand il sert ces papiers de chewing-gum dans la main qu'il a l'impression d'avoir une vraie relation avec sa mère.
Pourtant, l'imaginer là, agonisant face à la torture des mangemorts, ça lui soulève le cœur.

« Stop it! Can't you see it's bothering him? Stop it! »

Même lorsque le maléfice est levé, Neville ne quitte pas des yeux l'araignée. Il finit par les fermer, tenter vainement de chasser l'image de ses parents. Il n'entend pas la suite, reste planté là, les bras ballants.
S'il savait que celui qui allait lui remonter le moral avait pris part à la torture de Frank et Alice Longbottom...

« Protego! »

Un bouclier translucide apparaît entre Neville et l'éclat vert venu de sa droite. Par automatisme, le sorcier envoie un stupéfix en direction de son assaillante. Des yeux, il cherche du regard Hermione, qui vient de lui sauver la mise, encore une fois.

Hermione a toujours été celle qui a cru en Neville depuis le départ, malgré sa maladresse, malgré son manque de confiance en lui. Elle l'a soutenu, l'a régulièrement aidé à retrouver Trevor et ce n'est pas un petit petrificus totalus qui a changé les choses entre eux. Neville lui sera toujours reconnaissant pour tout ce qu'elle a fait pour lui. En particulier maintenant qu'elle vient de lui sauver la vie...

Retournant en plein cœur de l'action, Neville lance des sorts à tout va, tâchant de toucher les mangemorts comme il peut alors qu'il court dans le Département des Mystères.

Et puis le temps s'arrête.

Sous ses yeux, Bellatrix s'effondre, frappée de plein fouet par le ricochet de son propre sort. En face, Tonks, la baguette encore levée, échappe de justesse à la vengeance de Rodolphus.
Bellatrix est morte.
...

Plus que deux.

« Alright. » Sa voix résonne dans la salle sur demande. Tous les regards sont tournés vers lui, pourtant il ne bégaye pas, et son regard assuré balaye la pièce à la recherche de celui ou celle qui ne l'écouterait pas. Mais tous les élèves sont silencieux, aucun ne semble se dissiper. « Today, we'll be practising the stunning spell. » Un murmure d'excitation parcourt l'audience. « It is a very powerful spell, and it can become quite dangerous. » Pas d'hésitation dans sa voix, pas de mot répété trois fois par manque de confiance en lui. Neville ignore si ce sont les balafres qui marquent son visage ou simplement le respect palpable que les membres de l'AD lui portent qui booste son ego. Depuis le départ de Ron et Hermione, c'est à Ginny, Luna et lui de prendre la relève. Alors il a dû s'endurcir un peu. Montrer l'exemple aux plus jeunes et faire vivre la résistance en formant de potentielles nouvelles recrues pour l'Ordre. L'AD est ce qu'il a de plus cher. C'est son combat, sa famille tout en même temps.

« Ready for the demonstration? » Ginny s'avance, la baguette prête. Elle a ce sourire déterminé, ce regard flamboyant que Neville a toujours admiré chez elle. C'est une battante, une guerrière, et ce depuis toujours. « Take your wand, Longbottom. » Le sorcier sourit devant la fougue de son amie et prépare lui aussi sa baguette. Ils se placent au cœur de la salle, au milieu des élèves, et se tournent autour, lentement, scrutant les faits et gestes l'un de l'autre. Qui lancera le sort en premier ? Cette danse rappelle à Neville le Yule Ball, auquel le Longbottom avait osé inviter Ginny. Cela faisait un an qu'il espérait pouvoir passer plus de temps avec elle. Elle était courageuse et gentille. Battante et attentionnée. Il avait eu un petit crush, du genre qu'il savait ne jamais voir se concrétiser. Mais ça lui faisait du bien, l'insouciance des premiers émois. Une fois l'été passé et la cinquième année entamée, elle était devenue l'une de ses plus proches amies, mais toute aspiration romantique s'était évaporée. C'était mieux ainsi, songeait-il. Depuis, il ne peut s'imaginer ressentir quoi que ce soit d'autre à son égard. Elle est comme une sœur, ce serait impensable.

« Stupefy! » Neville se sent propulsé quelques mètres en arrière et il sent son corps heurter de plein fouet le mur en pierre. Le choc chasse l'air de ses poumons avec une violence inattendue. Ginny a toujours été forte pour les sortilèges offensifs. Ce qui est une très bonne chose pour le cours, un moins bonne pour sa colonne vertébrale.

Distraitement, Neville arrose les plants de sisymbre qu'il fait pousser dans sa chambre au Manoir. Cette plante, découverte lors de sa sixième année à Poudlard, possède d'incroyables propriétés curatives. Elle est également un ingrédient essentiel à la réalisation de polynectar, potion régulièrement utilisée par l'Ordre, notamment pour la recherche des horcruxes.

La botanique est l'une des rares occupations qui détend réellement Neville. A chaque fois qu'il saisit ses gants en écailles de dragon, il sent ses muscles se détendre et le calme l'envahir. Les plantes se montrent être de très bonnes confidentes. Il peut leur partager sa peine, leur dire à quel point ses parents lui manquent maintenant qu'il ne peut plus les voir. A quel point la distance avec sa grand-mère, cachée dans une des planques de l'Ordre qu'il ne visite jamais - pour sa protection - le pèse un peu plus chaque jour. Il peut dire à quel point tout ça le dépasse, à quel point il est inquiet, si bien que la peur le tenaille à chaque fois qu'il voit l'un de ses amis partir en mission, sans jamais être sûr de le revoir un jour. Il peut tout leur dire, et elles prêtent une oreille attentive. Jamais vexées, jamais tristes ou en colère.
Juste le silence, doux et apaisant, de la vie qui prospère.

« La magie est puissance. » Neville sent ses oreilles siffler. Il a dû mal entendre. Tout ça n'est qu'un mauvais rêve, une hallucination, un tour joué part Voldemort et ses sbires. Ça ne peut pas être vrai, pas lui, pas Harry. Mais malgré tout, le discours continue. « Nous pouvons aider nos confrères moldus, et montrer notre puissance au monde. Nous pouvons changer le futur et créer une société où chacun a la place qu'il mérite. Mais avant tout ça, il faut que le monde sorcier s'unisse et commence à agir pour le plus grand bien. Merci à tous. » Les mots du survivant tournent en boucle dans l'esprit du Longbottom. Ça ne peut pas être lui. Du polynectar, sans doute, ou un autre maléfice. Il a entendu parler de cette plante, qui pousse en Malaisie, capable de provoquer des hallucinations collectives très réalistes... Mais au fond de ses entrailles, Neville a ce désagréable sentiment qu'il ne s'agit pas des effets d'une plante d'Asie du sud-est. Qu'il s'agit bien d'Harry Potter, vivant, en chair et en os, et complètement brainwashed.

La bataille éclate entre mangemorts et membres de l'Ordre, mais tout semble flou pour Neville. Il a l'impression d'avoir une brique dans l'estomac, un truc indigeste qui lui donne la nausée. Pas Harry. Neville refuse de l'accepter. Et dans le brouhaha général, au beau milieu des échanges mortels, Longbottom sent quelque chose se briser en lui. Harry, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, a toujours été son héros. Le sorcier le plus courageux qu'il connaisse, celui qui n'hésitait pas à ses sacrifier pour les autres. Celui qui lui a montrer comment inspirer des générations de sorciers. L'emblème de la résistance. Leur martyr.
Le voir sur cette estrade, récitant un discours pauvrement écrit sur la suprématie des sorciers, c'est pire que la mort. C'est voir ses espoirs écrasés par quelques phrases.
Alors Neville sait que pour avancer, il devra devenir son propre héros.

Il voit sa mère. Elle lui sourit faiblement et glisse dans sa main un papier de chewing-gum. Il sent la texture râpeuse de l'aluminium. Il fait glisser ses doigts sur le motif coloré qui souffle des bulles sans jamais s'arrêter. Il repense au contact avec la main d'Alice Longbottom. Il repense à leur bref échange de sourires. « Expecto patronum! » Neville ouvre les yeux et fait face à une volute de fumée bleuâtre. La lumière est incandescente, et reste quelques secondes en l'air avant de se dissiper. Neville soupire. « It's alright, Neville. » Luna glisse sa main dans celle de son amie. Elle a cette présence chaleureuse qui apaise le Longbottom instantanément. Il respire calmement. « Try again. »

Neville ferme les yeux, se concentre. Tous les souvenirs heureux qui lui viennent sont teintés de tristesse. Les souvenirs de ses parents lui rappellent qu'il n'a jamais eu de réelle relation avec eux. Poudlard lui manque. Repenser aux moments partagés dans les dortoirs de Gryffondor lui font repenser à Harry, à ce qu'ils ont perdu. Puis il pense à sa grand-mère. Elle se tient droite, le regard vif, l'air fier. Elle l'observe avec une lueur qu'il n'avait encore jamais vu dans ses yeux. Elle a un petit sourire. C'est la dernière fois qu'ils se sont vus. Il ne sait pas quand il pourra lui parler de nouveau, quand la guerre sera finie sans doute. Mais ce jour-là, elle lui a dit à quel point elle était fière de lui. A quel point elle retrouvait Frank dans son petit-fils. A quel point il était un grand sorcier, admirable et courageux. A quel point elle l'aimait. « EXPECTO PATRONUM! » Une brise fraîche agite ses cheveux, lui fait ouvrir les yeux. Un magnifique lion, majestueux, à la crinière colossale, lui fait face. Il a un regard à la fois doux et fier, une carrure à la fois puissante et élancée. Puis il disparaît. Évaporé.

Neville en a le souffle coupé. Il sent la main de Luna serrée dans la sienne. « Neviile! I'm so proud of you! » Lui aussi est fier. Il pensait qu'il n'y arriverait jamais. « You have to tell Ginny and the others! » Neville sourit, l'air un peu béat. Il est un lion. Un lion enfin sorti de sa cage.