Janvier 2008, La Madriguera. Cette soirée, personne ne l’a vu venir. Tout est parti d’une conversation entre Lena, Seamus, et Dean - une simple remarque sur l’approche de l’anniversaire de Dae Won - et soudain, l’escalade a commencé. Dean a encouragé Lena à faire quelque chose de spéciale, Seamus lui a bien sûr proposé une fête, et quelques jours plus tard les deux étaient en train de préparer le plus gros anniversaire surprise que la planque ait jamais vu - sans bien sûr jamais vraiment demander son avis ni à Lena, ni à Dae Won. (Bah non, c’est une surprise.)

Et pour l’instant, Dean doit avouer que c’est une belle réussite, même s’il n’a pas encore croisé le principal concerné (mais il n’est que minuit, il a encore le temps d’arriver non ?) La planque est pleine à craquer, les gens semblent s’amuser, Dean est sobre, et cette fois-ci, il ne quitte pas Seamus d’une seule semelle. Ethan who?

Au lendemain de Noël, Dean avait peur. Peur d’être allé trop loin, peut d’avoir tout gâché, peur d’avoir définitivement enterré sa relation avec Seamus mais, finalement, un miracle s’est produit. En fait, c’est comme si Seamus n’avait rien entendu. Du moins c’est ce que Dean s’est dit au début.

A son réveil, Seamus était encore là, un peu tendu mais sûrement parce qu’il n’avait pas hyper bien dormi - l’ordre c’est pas non plus le grand luxe, y a pas de king size - et tout de suite, Dean s’est souvenu des trois mots qu’il avait prononcé avant de s’endormir. Mais Seamus n’est jamais revenu dessus et Dean était ravi de faire comme si de rien était. Et en même temps, le fait qu’il avait fini par le dire à voix haute lui a enlevé un poid, comme s’il s’agissait de la dernière pierre du mur qui les séparait.

Parce que depuis Noël, Dean et Seamus ne se sont jamais aussi bien entendus. Dean ne marche plus sur des œufs, n’hésite plus sur ses mots, traite enfin à nouveau Seamus comme son meilleur ami et juste son meilleur ami. Du moins il essaye.

Parce que depuis Noël… Seamus lui envoie des signaux… mixtes. Au début, Dean ne faisait pas forcément gaffe. C’était pas vraiment différent de d’habitude, Seamus ne se gênant pas vraiment pour se balader en short ou torse nu. Mais récemment c’est devenu… fréquent. Beaucoup trop. Surtout pour l’hiver. Et Dean est peut être parano mais il a l’impression que c’est toujours quand il est dans les parages. Et il est peut être doublement parano mais il a parfois l’impression que Seamus guette sa réaction.

“Tu sais qu’on a tendance à dire que les meilleures blagues sont les plus courtes ?” Dean demande à Seamus lorsqu’ils rentrent tous les deux dans la cuisine, Seamus le saladier de punch vide dans les bras. “Donc je t’autorise jusqu’à la fin du mois pour vider ton stock mais après je veux plus entendre de blague sur les chiens.”

Seamus pose le saladier sur le plan de travail et Dean commence à sortir les ingrédients pour refaire une tournée. La cuisine est étonnamment calme, comparé au reste de la planque, donc Dean doit penser à ajuster sa voix quand il ajoute, “Tu crois que Lena va nous en vouloir pour tout ça ?”

Dean installe son plan de travail méticuleusement, ne fait pas vraiment attention à ce que fait Seamus derrière lui. Il aligne les bouteilles de jus de fruits (ananas, fruit de la passion, goyave, mangue), celle de rhum, et prépare la vanille, la cannelle, et le citron alors que Seamus renchérit sur les blagues de chien parce que bien sûr. “Et sinon quoi ? Tu vas me mordre ?”

Son ton est difficile à déchiffrer, mais Dean croit tout de même y décerner un peu de malice. Alors il renifle à moitié, rigole à moitié, se mord la lèvre et sent ses joues commencer à chauffer. Pas pour la première fois, il se demande si Seamus le fait exprès, s’il le fait consciemment d’employer ces mots sur ce ton, et surtout pour quoi ? Pour se moquer ? Le tourmenter ? Le tester ? Ou simplement pour s’amuser ? Ou alors ça n’a rien de conscient et il est simplement toujours dans son délire et c’est simplement Dean qui sur-interprète tout, ce qui est peut être la solution la plus probable.

“Ah ah,” il rétorque platement pour désamorcer, sans le regarder. Il doit rester concentré sur la recette dans sa tête.

Dean commence à verser les différents jus de fruits dans le saladier pendant que Seamus le rassure pour Lena. “Nous en vouloir ?! Mais NOOOON ! Déjà elle passe sûrement une super soirée, et qui pourrait nous en vouloir à nous !” Du moins c’est ce que Dean croit comprendre, puisque Seamus a la bouche pleine de pizza. “Tout le monde s’amuse, c’est le plus important.”

“Oui t’as sans doute raison. Je sais pas, elle avait pas l’air hyper chaud quand on lui en a parlé et-” Dean s’arrête net dans sa phrase et suspend ses gestes au-dessus du saladier pour éviter de s’oublier et de vider toute la bouteille de rhum dedans. (Déjà qu’on a tendance à lui dire qu’il sait pas doser les verres…)

Seamus est contre lui, collé à lui pour zéro raison apparente, son souffle juste dans le cou de Dean, son odeur - cette foutue odeur - qui prend le dessus sur le reste, et Dean ne comprend pas pourquoi. Il était très bien à quelques mètres de lui, non ?

Dean sent les frissons venir et repose les bouteilles sur la table avant de faire un malheur, serre les poings sur le plan de travail, et se recentre. “Tout va bien ?” Il demande, la voix calme, posée, contrôlée. C’est une question pour Seamus mais en réalité, Dean se la pose plus à lui-même vu que pour son meilleur ami, tout à l’air de bien rouler. Bastard.

“Si c’est pour m’aider, t’inquiète, je gère,” Dean ajoute en tentant doucement de reprendre la recette et en évitant de penser au fait qu’il ne gère rien du tout. “Il fait chaud un peu, non ? Tu veux pas ouvrir la fenêtre ?” Il propose ensuite, à la fois pour regagner un peu d’espace personnel mais aussi parce qu’il commence vraiment à avoir chaud, cet imbécile.

“Mec, j’étais barman quand même avant, je pense je peux quand même… être utile.” Peut-être mais si Dean ne s’occupe pas de ça tout seul, il risque de perdre le fil et, surtout, faire un truc stupide. Il ne répond donc rien, continue de s’affairer. Au moins, Seamus a remis un peu de distance entre eux, il peut se détendre, même s’il a encore des fourmis là où leur épaules se sont touchées.

“Tu as chaud ?” Seamus relève, un sourire évident sur les lèvres, malgré le fait que Dean soit dos à lui. Quelques instants après, la fenêtre s’ouvre et un peu d’air rentre dans la pièce, accompagné par l’odeur salée et humide de la mer. Dean prend le temps de respirer, encore un peu plus apaisé tandis que Seamus ne lâche pas l’affaire. “Qu’est-ce qui te donne chaud ? Clairement pas l’alcool, tu es parfaitement sobre.”

C’est vrai, il est sobre, et Dean n’a jamais été autant soulagé de l’être. Il a toujours eu l’alcool un peu aléatoire, soit très tactile, enjoué, et un peu trop honnête, soit carrément mielleux et émotif. Dans les deux cas, se retrouver seul dans la cuisine avec Seamus dans un de ces états aurait été désastreux et probablement mortifiant pour lui au réveil. Au moins, là, il garde les idées claires. Du moins il essaye.

Du coup, pour répondre, Dean hausse les épaules. Il ne peut pas vraiment dire la vérité, mais il n’a pas non plus envie de se braquer ou d’inventer midi à quatorze heures. Dieu sait qu’il n’a jamais été un très bon menteur et que l’improvisation, c’est... pas son truc. “Alors déjà, t’es venu te coller à moi,” il explique en coupant le citron avec presque un peu trop d’enthousiasme. “Et puis je sais pas, j’ai souvent chaud ces temps ci. Même si on est en Janvier. Peut-être un truc de loup-garou,” il ajoute, bien content d’avoir cette excuse à portée de main.  Il en parle de plus en plus facilement et avec toujours un peu plus de legerté. C'est pas encore la fête mais il s'y fait. Petit à petit. “Mais c’est vrai qu’il fait toujours plus frais ici que là-bas.” Il a cru qu'il allait étouffé tout à l'heure, avant de voir le saladier de punch vide et de sauter dessus pour avoir une excuse de s'éloigner de la fête.

Le punch est d'ailleurs maintenant presque terminé. Dean remue le cocktail avec la louche pour servir et poursuit. “Y a tellement de monde, aussi... Je suis même pas sûr d’avoir vu Lena et Dae. Alors que c'est quand même pour eux la fête. Enfin pour lui. Tu les as vu toi ?”

Dean attend une réponse mais celle-ci ne vient pas. Il fronce les sourcils, repousse le saladier à nouveau plein, et se retourne, se demandant brièvement si Seamus s’est endormi. Mais quand il est dos au plan de travail,  il peut remarquer que non, Seamus est bien éveillé et toujours là, le nez à la fenêtre.

“Seamus ?” Dean demande en commençant à se marrer un peu. Il est en train de phaser ou quoi ? “Seam, tu m’entends ?” Il pousse quand il n’obtient toujours pas de réponse. Il se rapproche alors de lui et, dans un parallèle assez ironique, se colle à lui, en tournant le visage vers lui pour être sûr qu’il le voit. Il ajoute un geste de la main pour faire bonne mesure. “Eh oh ? Y a quelqu’un ? T’es aller où là ?” Il demande en rigolant doucement.

Les bruits de la fête étouffés donnent à Dean l’agréable impression d’avoir la tête sous l’eau. Il se sent plus léger, comme dans un entre-deux, un moment suspendu, si bien que les taquineries de Seamus l’amusent doucement, plus qu’elles ne l’agacent, le perturbent, ou le déstabilisent. “C’est de ma faute ? Je te donne chaud ?”

Cette phrase, ce ton… Ça semble confirmer ce que Dean soupçonnait déjà, que l’attitude de Seamus depuis son anniversaire n’était pas vraiment si anodine que ça. Ce qu’il n’arrive pas à savoir, cependant, c’est la raison derrière. Et ça l’intrigue, lui donne un peu envie de creuser, s’il doit être honnête. Si bien qu’il laisse courir, ne cherche pas à corriger le tire ou à effacer les traces qui pourraient le trahir. Si Seamus l’a bien entendu le soir de Noël, de toute façon, Dean n’a plus rien à cacher. “On pourrait dire ça…” C’est murmuré au saladier de punch, plus pour lui que pour Seamus, mais c’est là, dans l’air.

Il va un peu plus loin lorsqu’il se replace contre Seamus, oubliant déjà que c’est lui qui a voulu mettre de la distance entre eux. Bizarrement, il a plus si chaud que ça.... “Yes j’ai vu Lena au début, elle se faisait belle pour son boy… enfin son ami comme elle dit.”

Dean souffle un rire, baisse la tête, et la secoue en entendant le mot boy mais il ne fait pas plus de commentaire. Les yeux un peu brillants, Dean répond sans remettre une once d’espace entre lui et Seamus. (Seamus ne semble absolument pas gêné par leur proximité alors Dean en profite.) “Tu crois pas que c’est le cas ? Qu’il est juste son ami ?” Il offre à Seamus un sourire complice qui reste figé sur ses lèvres. Sa question n’en est pas vraiment une, plus une remarque ironique et une balle perdue pour Lena et ce qu’elle prétend, malgré le fait qu'il est bien le dernier à pouvoir la juger sur ça.

Un silence s'installe brièvement ensuite, avant que Seamus enchaîne, ne lâchant jamais le morceau. “Bah alors, au final, tu as froid ? Pour ça que tu reviens ?”

A l’extérieur de la cuisine, les invités de la soirée se mettent à bruyamment acclamer quelqu’un, et Dean suppose que cela signifie que Dae Won a enfin fait une apparition - ou autre chose de tout aussi réjouissant - mais il ne bouge pas d’un pouce pour aller voir ce qu’il se passe, ne détourne pas le regard de Seamus. “J’ai fini,” il dit à la place, avant de préciser, “le punch. Donc si tu veux qu’on y retourne…” il fait un bref geste de la tête vers le plan de travail sans amorcer un quelconque mouvement pour aller le récupérer et sortir de la cuisine.

Plus tard, Dean se repassera en boucle dans sa tête tout ce qu'il s'est passé avant qu'ils en arrivent là; la préparation de la soirée, le début timide, l'effervescence ensuite, le calme de la cuisine, leur brève discussion et ensuite... ça. Il se le remémorera, encore et encore à s'en arracher les cheveux, à s'en rendre malade, pour tout analyser, décortiquer, et pour éventuellement arriver à la terrible conclusion qu'il est un idiot fini.

Mais pour l'instant, pour une fois, il s'oublie, se laisse aller, laisse les choses venir sans se prendre la tête, et fait face à Seamus, fait un pas en avant, regarde Seamus en faire de même, et son cœur s'accélère comme s'il voyait le choc venir avant même que son cerveau ne rattrape le programme. Parce que Dean, honnêtement, ne s'attend pas à ça, parce que c'est un idiot fini. Il entend, depuis tout à l'heure, les mots de Seamus, les subtilités qui accompagnent sa tonalité, mais il ne réalise pas ce qu'il se passe, peut-être tout simplement parce qu'il n'y croit pas, parce qu'il refuse de s'emballer ou de se faire des faux espoirs. Et pourtant, Seamus est juste là et l'instant d'après, il tire Dean vers lui et ses lèvres sont sur les siennes et là... le cerveau de Dean fait définitivement un court circuit.

Au premier contact, Dean laisse s'échapper un petit son de surprise, parce que le mouvement lui à fait perdre l'équilibre et que les lèvres de Seamus sont contre les siennes, parce que Seamus l'embrasse et que c'est nouveau parce qu'ils n'ont jamais fait ça, bien sûr qu'ils n'ont jamais fait ça, Seamus est son meilleur ami, depuis son enfance, autant dire depuis toujours et ça a été la merde entre eux pendant tellement longtemps et Dean s'est retourné la tête, s'est torturé avec ses pensées parce qu'il s'est rendu compte bien trop tard que ce n'était pas que de l'amitié qu'il ressentait pour Seamus mais bien de l'amour parce que, encore une fois, c'est un idiot fini. Et il s'est toujours dit, répété, encore et encore, que ça n'aboutirai jamais à rien, a refusé d'espérer quoi que ce soit, sans pour autant essayer de passer à autre chose parce que le rôle de l'amoureux transi torturé lui va si bien.

Mais Seamus l'embrasse maintenant et c'est bien réel et ça se passe maintenant et il doit réagir, doit faire quelque chose. Alors il l'embrasse en retour, rend tout ce qu'il reçoit, et se rend compte à mi-chemin qu'il a aussitôt levé les mains quand Seamus l'a attiré vers lui, se refusant encore et toujours la liberté de s'affirmer, mais plus maintenant, pas quand Seamus l'embrasse.

Totalement consumé par le baiser, Dean place une de ses mains contre la mâchoire de Seamus, une autre dans ses cheveux, et évacue peut-être des années de frustrations dans un baiser qui devient beaucoup trop intense beaucoup trop vite.

Malheureusement, le cerveau de Dean ne reste jamais en pause très longtemps, surtout quand il est sobre, et malgré l'émotion qui le saisit depuis qu'il n'y a plus d'espace entre lui et Seamus, il commence déjà à cogiter et il sent alors l'anxiété arriver; l'angoisse de faire une erreur qui pourrait couter trop cher, que tout cela est trop beau pour être vrai, d'être un idiot fini.

C'est presque à contre cœur qu'il repousse Seamus mais il se le doit. "Attend," il dit une première fois, encore à moitié collé à Seamus, leurs lèvres s'effleurant toujours. "Attend," il dit plus fermement et il repousse plus fermement, et le but maintenant est de mettre au moins un bon mètre entre Seamus et lui. Mais même ça, ça ne semble pas assez parce qu'il voit les cheveux ébouriffés de Seamus, ses lèvres malmenées, et il sent toujours sa putain d'odeur, partout, tout le temps, alors il rit mais ça n'a rien de joyeux ni d'amusé. Il se prend la tête et serre les poings autour de ses dreads. "Pas comme ça," il se fit à moitié à lui-même, à moitié à Seamus. "Putain, pas comme ça."

Dean est beaucoup trop vite submergé par ses émotions contradictoires mais une semble prendre le dessus, l'angoisse, qui a un arrière goût de regret, parce qu'il a embrassé Seamus mais qu'il n'a aucune idée de ce qu'il ressent, de ce qui l'a poussé à faire ça et il ne peut pas croire que ses sentiments sont partagés parce que ça fait bien longtemps que Dean a oublié comment on est optimiste. "Désolé, je... tu..." il bafouille, évite le regard de Seamus puis finalement se décide à l'affronter, le regarde droit dans les yeux et réalise, réalise seulement maintenant que pendant que lui était parfaitement sobre, Seamus... beaucoup moins. Idiot fini, idiot fini, idiot fini...

"T'es bourré." Ce n'est pas une question. Dean relève ce détail comme s'il le découvrait seulement maintenant, comme si ça ne faisait pas des mois et des mois que l'alcool avait pris une place importante dans la vie de Seamus, comme s'il n'avait pas passé la soirée à suivre Seamus comme son ombre et à le voir enchaîner les verres. Alors, c'est en riant amèrement qu'il répète, "T'es bourré. Bien sûr que t'es bourré. J'y crois pas, j'y crois pas..." Dean se reprend la tête dans les mains, se maudit d'avoir été aussi naïf, d'être un putain d'idiot fini.