It was then that the prince learned that innocence lost cannot be regained.
There are stains that cannot be washed away.
Not after years of repentance. Not in a whole lifetime of regret.06/1998 - before the dark
«
Everything we'll be better tomorrow. » La voix de Fred, qui transpire une certitude apaisante. Allongé dans son lit de l’autre côté de la pièce, George ferme les yeux, subtilisant l’obscurité de la chambre à celle qui l’attend sous le couvert de ses paupières.
«
I guess so. » Il ne parviens pas à rassembler dans sa voix la moitié de la certitude qu’il perçoit dans celle de son jumeau. Il ignore pourquoi. Il lui semble juste trop simple de se figurer que la soirée du lendemain sera meilleure de la veille, comme si l’inverse ne pouvait décemment pas se produire.
Qu’ils récupèreront le diadème et Ginny. Surtout Ginny.
Qu’il en sera forcément ainsi.
Qu’ils seront bientôt à nouveau tous réunis.
«
I never thought we'll get back at Hogwarts in those conditions. Hopefully, we'll leave the castle as gloriously as we did the last time. »
Un sourire chatouille le coin des lèvres de George alors que les souvenirs de la scène défilent brièvement dans sa tête. Le feu d’artifice transformant les couloirs du château en un labyrinthe de lumière, le sol défilant à vive allure sous lui et sous Fred juste avant qu’ils ne s’échappent par la grande porte… La sale face de crapaud d’Ombrage aussi et surtout, reconnaissable même dans la foule d’élèves venus saluer leur sortie, parfaitement identifiable dans son grotesque et sempiternelle tailleur rose.
Le bon temps.
L’avant.«
I’ll wish for that. » Qu’il répond simplement, devinant sans même le voir un sourire jumeau au sien sur le visage de son frère.
«
As you should! »
Sur ces mots, le silence retombe.
Ils ne sont pas tant familiers à ça, l’un comme l’autre : le silence. Ils ont toujours été bavards, Fred nettement plus que George sans qu’ils ne se distancent jamais beaucoup l’un l’autre.
Malgré tout, s’ils bavardent en général plus qu’ils ne se taisent, le silence ne les trouble pas, tout du moins pas lorsqu’il n’est partagé que par eux deux.
Rien ne manque jamais de naturel lorsqu’il est question de lui et de Fred.
Ils écoutent le bruit de leurs respirations entre-mêlées, laissent le monde s’assoupir alors qu’une nouvelle journée s’achève et que viens le moment de basculer dans le sommeil.
«
Sleep well, brother. » La voix de George s’élève au bout d’un petit moment et il n’est guère surpris quand celle de son jumeau ne tarde pas à se faire entendre.
«
You too. »
Et ça lui suffit. Ce sera mieux demain, mais en attendant ce n’est pas trop mal non plus. Il trouve encore le moyen de sourire un peu, George, juste avant de s’endormir.
06/1998 - the fall
Instant quasi-irréel.
Le temps qui se pétrifie, qui suspend pour ainsi dire sa course.
Le sort jeté en direction de Fred, son torse vulnérable devenue une cible inévitable.
Et George aux premières loges, jouissant d’une vue parfaite pour assister à la mort de son frère.
Il a quelqu’un à côté de lui, une main préventive, prête à se saisir de lui s’il lui venait l’idée de se jeter en direction de son jumeau, se mettant lui aussi sur le chemin d’une mort qui ne s’évitera plus.
Il n’est plus question de sauver qui que ce soit, seulement d’emboiter le pas à l’autre dans sa chute. Il le sait George, il le ressent. Que c’est la fin, que c’est terminé. Même si c’est grotesque vraiment, ce n’était pas sensé se passer comme ça.
C’était supposé être une bonne journée. Une bonne soirée surtout.
Ils étaient sensés rentrer à la maison, tous.
Victorieux. Ce foutu diadème à la main.
Ils étaient sensés être ensemble.
A la place c’est la chute.
Le sort qui trouve sa cible et Fred qui est fauché en plein vol.
Son frère si drôle, si solaire, si effroyablement vivant…
Plus rien de ça.
Plus qu’une masse. Plus qu’un corps. Plus rien.
Plus rien du tout.
C’est fini.
C’est vraiment fini.
Il se met à secouer la tête, George, les yeux plein de larmes, le corps agité de tremblements.
Il secoue la tête, encore et encore et encore.
Droite, gauche, droite, gauche, droite, gauche.
Il essaie de rejeter tout ça en bloc.
Comme s’il pouvait, par son unique volonté, restaurer les choses telles qu’elles étaient un instant plus tôt. Figer et remonter le temps. Dresser de nouveau Fred sur ses deux jambes.
Plus un corps, plus une masse.
Un être vivant, son frère.
Mais il a beau secouer la tête, rien ne se passe.
Il reste seul, toujours seul.
C’est là l’idée qui fait son chemin en lui. La perspective de ce qui l’attend.
Le vide, le manque.
Un trou béant, là où son frère avait l’habitude d’être.
Fred…
Il ne peut pas. Il ne peut pas vivre comme ça.
Il pleure pour de bon à présent, tellement qu’il y voit à peine clair.
Et puis il y a une force surtout, qui enfle dans sa gorge.
Une énergie qui grandit, s’étoffe, telle une vague gagnant en proportion juste avant de s’abattre.
C’est à ce moment là, alors que la force atteins son paroxysme, qu’il la laisse érupter.
Il se met à hurler.
06/1998
Il devrait rejoindre sa famille. Rejoindre quelqu’un du moins. N’importe qui. Tout vaut certainement mieux que de rester obstinément seul, d’autant qu’il n’aime pas ça. Il n’a jamais vraiment connu ça : la solitude. Ça lui est presque étranger. Il est habitué à évoluer dans un foyer grouillant de monde, où le moindre instant de rêverie a tendance à vous faire écraser le pied de quelqu’un par inadvertance. Plus encore, il est habitué à Fred. A son jumeau, toujours planté à côté de lui, ou tout du moins pas bien loin.
Toujours Fred, quelque part, à portée d'oreille et de vue.
Mais plus maintenant.
Cela fait un peu plus de vingt-quatre heures à présent.
Une journée.
Une journée que Fred est mort.
Une journée que George est seul.
Il a presque envie de partir lui aussi, tout brisé qu’il est. Il a l’impression qu’il n’y a plus rien ici pour lui. La solitude l’étrangle et le manque de son frère est si tonitruant qu’il empli tout, ne laissant la place pour rien d’autre.
Son estomac est vide et pourtant il a envie de vomir.
Mal dans sa tête, mal dans son corps.
Si ce n'était pas pour ceux qui restent, pour ses parents, pour sa fratrie amputée, il irait rejoindre Fred dans la seconde. Pensée odieuse, trop immonde pour seulement songer à la prononcer à voix autre, y compris dans une pièce solitaire.
Il a enfin une chambre rien qu’à lui. Un luxe dont il s’est toujours passé volontiers et il aimerait bien s’en passer maintenant aussi. Il porte une main à son visage, serre les dents alors qu’il s’étrangle sur un nouveau sanglot qui enfle dans sa gorge.
Ça n'apporte rien de pleurer, ce qui ne l’a pas empêché de verser larme sur larme, des heures durant, pratiquement sans interruption depuis son réveil.
Il ne peut pas faire ça. Il ne devine plus de lumière nulle part, plus d'issue par laquelle s'engouffrer.
Il est piégé.
Cloisonné dans une existence qui ne recouvre pour lui plus de sens. Même si la guerre doit finir, même si le conflit doit être remporté, la paix dans le pays restaurée... Fred sera toujours mort. Il n'y a pas de remède à ça.
Pas de solution pour George, pas de porte de sortie.
Ne lui reste qu'à se perdre dans le combat. Faucher des vies quand bien même cela ne rendra pas à Fred la sienne.
Une existence vaine.
Une existence tout de même.
10/1998
Les sorts fusent d'un côté comme de l'autre. La rue sombre s'illumine dans une foulée de déflagrations rapides. Festivité lugubre, morbide. Les gestes de George sont fluides, sûrs. Il ne flanche pas, même pas alors que peu à peu il perd l'avantage. Son corps est affaiblit, son visage durcit par les dernières semaines passées seul en homme enragé, porté par un mélange de douleur et de colère tel qu'il emporte tout le reste.
Il n'éprouve pas de peur alors même qu'il devrait. Il devrait s'inquiéter de ça aussi. L'instinct de survie qui ne viens pas, comme anesthésié. Il continue de se battre, de maintenir la tête de l'eau alors même que la mort commence à ramper dans sa direction. Il ressent presque sa morsure, pareille à une paire de griffes venues taquiner la chair trop tendre de son cou.
Des rires déments fusent autour de lui. La victoire de l'ennemi annoncée alors que la défaite de George se part d'un goût d'évidence.
Fuir. Transplaner. Tout du moins essayer.
Pour ses parents, au moins.
Histoire qu'ils ne pleurent pas un autre gamin.
Peut-être qu'il pourrait, à moins que non..
Non.
Nouveau sort qui fuse et la baguette de George qui lui échappe. Sa main n'a même pas le temps de retomber mollement, tragiquement vide.
Une attaque l'assène de plein fouet et sans qu'il ait eut le temps de dédier à qui que ce soit une dernière pensée les ténèbres s'abattent sur lui.
11/1998
Il ignore depuis combien de temps ça dure. Il sait juste que ça fait trop longtemps. Il n’en peut plus. Il n’en peut vraiment, vraiment plus. Il a besoin que cela cesse. Il a besoin que tout cesse. Il force encore sur ses membres, vainement. Ses jambes ne bougent pas d’un pouce, ses bras pas davantage.
Il va devenir barge.
Il va vraiment devenir barge.
Il a perdu l’énergie de crier, de grogner, de se débattre.
Ça lui reviens parfois. Une montée de colère, grossière et vivace, à laquelle il s’abandonne avant de la laisser retomber, le laissant plus vide et asséché encore.
Parfois, le sommeil l’emporte. Quelque chose qu’on peut appeler sommeil, tout du moins, mais ça n’en est pas vraiment. Il n’a pas l’impression d’atteindre une forme de quiétude, jamais. Il est censé cicatriser, se remettre, c’est le but de tout ça après tout. On ne l’immobilise pas par plaisir, à seule fin de le voir perdre le peu de sanité qu’il lui est encore possible de rassembler.
Il n’empêche qu’il ne va pas bien.
Pas bien du tout.
Il lui semble que ça fait tellement, tellement, longtemps qu’il ne s’est pas senti « bien ». Franchement, il ne sait même plus à quoi ça ressemble, et ça fait même pas un an.
Même pas un an sans Fred.
Comment il va faire, comment il va faire…
Il tire encore, il force.
Il s’escrime, espèce d’abruti.
Ca bouge pas. Il est coincé, piégé. Plus d’issue pour lui.
Sa colère s’émousse, ça arrive parfois. Pas au profit d’une émotion positive, toutefois, non. Jamais.
C’est le désespoir qui s’invite dans son coeur et qui pèse si lourdement son torse qu’un gros sanglot lui échappe.
Il n’a pas envie de pleurer. Il ne veut pas. Mais que faire d’autre franchement ? Il n’y a rien d’autre à faire.
Et quand c’est parti, c’est foutu.
Un sanglot, puis un autre, et encore un autre.
Il essaie de se calmer, mais ça marche jamais. Il parviens juste à s’étouffer et ça le désempare.
C’est pathétique.
Il est pathétique.
«
Shh, you're going to be okay Georgie, you're going to be okay. » La voix de son père, familière. Sa main qui trifouille doucement dans sa tignasse en un geste réconfortant.
Il se force à fermer les yeux, George, alors qu’un nouveau sanglot enfle dans sa gorge.
You’re going to be okay.Il ne voit pas comment.
«
I've got enough, dad.. » Il s'étrangle sur les mots, peine à les formuler entre deux sanglots. Il essaie de s'inciter au calme, de se focaliser sur sa respiration.
Breathe, beathe.Il n'y arrive pas.
Il secoue la tête, au comble de la fatigue et de la frustration.
«
I need this to stop.. Please, I... » Il en viens à supplier franchement. Plus une once de fierté dans sa voix. Il s'en fou, il s'en fou tellement.
«
You'll survive this. » Et George sait que son père ne fait pas seulement allusion à ses blessures et à son corps immobilisé pour assurer sa pleine convalescence. Il parle de Fred. De la raison du pourquoi il a été retrouvé dans cette rue, à demi-mort, après une altercation dans laquelle il n'aurait jamais dut s'engager seul. «
It may seems to you like you won't right now, but you will, I swear. »
Il a envie de rétorquer que non. Que, franchement, il n'en a même pas envie. Qu'il veut juste que ça s'arrête, mais à quoi bon ? Alors il s'étrangle à nouveau sur unn sanglot et quand la main de son père saisit la sienne, il s'accroche à ça.
Il glane du courage là où il y en a.
02/1999
On l'appelle, mais il ne répond pas.
Il file entre les tentes qui parsèment le terrain. Quelques voix s'élèvent sur son passage. Il les reconnaît toutes, mais ne fait pas mine de s'immobiliser pour autant. Il perçoit celle de sa mère dans le lot, sa mère qui cherche à le rattraper avant qu'il ne file et il presse le pas pour toute réponse. Il n'est pas sans éprouver de la culpabilité, mais il n'a pas envie de parler de ce qu'il s'est passé. Il a déjà eut sa dose de conflits, merci bien.
Il s'est embrouillé avec Ron, a même faillit en venir aux mains. Il ne l'a pas fait, mais uniquement car on l'en a empêché. Il a ensuite réussi tant bien que mal à emmurer la colère enflant dans sa gorge quand Hermione a à son tour élevé la voix pour ré-instaurer un semblant de calme. Et maintenant...
Maintenant il veut juste laisser tout et tout le monde derrière lui. Il aura tout le temps de faire sermonner davantage plus tard, quand il se fera moins l'effet d'une bombe à deux doigts d'exploser.
Mieux vaut pour tout le monde qu'il se retire d'ailleurs. C'est la meilleure façon, compte tenu de l'état actuel de George, de limiter de très évitables dégâts.
Ses pieds le portent à vive allure et déjà sa main file vers la poche de son pantalon et vers la baguette qui se trouve dedans.
Transplaner.
Où ça? Il n'en sait trop rien. Il n'a plus vraiment de chez lui, rien qui s'en approche même vaguement. Il ne se sent plus chez lui nulle part, même entouré de ses proches. Il y a toujours comme un vide en lui, un vide ironiquement si vaste et compacte, qu'il n'en finit plus de maintenir tout le monde à distance.
C'est ce à quoi il est abonné à présent. A ce sentiment de solitude persistant, même lorsqu'il se trouve dans un endroit noyé de monde.
Il sursaute presque quand une silhouette surgit avec brusquerie devant lui. Il s'immobilise enfin, le temps d'un instant, alors que Sinead fait son apparition devant lui. Leurs regards se téléscopent et s'accrochent. Il a envie de soupirer.
Non contre elle spécifiquement, mais contre tout le monde, lui-même compris dans le lot.
Surtout lui en fait. Car il est infâme. Infâme et injuste.
Il n'aurait pas dut n'en faire qu'à sa tête lors de la mission, au risque de non seulement se mettre en danger lui-même mais aussi les autres. Qu'aurait-il fait si son acte avait blessé quelqu'un, ou pire ?
Il n'aurait pas dut davantage répondre à Ron dont les remontrances étaient plus que légitimes.
A l'instant, il n'aurait pas dut fuir sa mère dont il sait les intentions bonnes et le coeur empli d'inquiétude.
Il ne devrait pas être tel qu'il est à présent, mais il ne peut pas s'en empêcher. Il n'a que ça, que cette colère tapie dans ses veines.
Et il est tellement fatigué.
Sinead a le bon goût de ne pas lui demander s'il va bien. Ce serait parler dans le vide, enfoncer de bon coeur et à ses risques et périls une porte d'ores et déjà bien ouverte.
A la place elle paraît réfléchir, sélectionnant ses mots avec adresse avant de desserrer les lèvres. «
Wanna come and not talk with me ? » Rien de moins que ça. Être accompagné. Pour ne pas parler.
Ça n'a l'air de rien. Dans les faits, c'est même à la portée de tout le monde, sauf que ça n'est pas le cas.
Sa famille, ses amis, toutes les personnes qui l'ont connu ou même seulement croisé dans le passé... Ils paraissent tous vouloir lui parler. Lui dire des mots sensés apaiser la force bestiale qui tempête dans son coeur. Lui dire des choses, ou, pire encore, le faire parler, alors même qu'il n'aspire qu'à se taire.
Ne pas parler, ne pas être seul.
Ça n'a l'air de rien et pourtant c'est tout.
«
Thank you. »
2000
Lee qui continue à parler, à l’interroger. Et la colère de George qui grossit alors que sa patience s’amenuise. Ses doigts tapotent la table qui le sépare de son ami. Est-ce qu’ils peuvent seulement se qualifier encore ainsi d’ailleurs ?
Amis ?
Il a mal quand il regarde Lee, George.
Il a mal car ça sonne creux. Il manque Fred auprès d’eux. Il manque toujours Fred. Et il y a quelque chose dans les yeux de Lee. Quelque chose qui prend George à la gorge.
Peut-être que c’est dans sa tête. Certainement même.
Il réfléchit trop, interprète trop. Plus de légèreté en lui. Sa propension à l’allégresse a été enterrée avec Fred, il y a de ça déjà trop longtemps.
Et sa tête bourdonne.
Il porte une main à sa tempe. Il a envie que Lee s’en aille. C’est trop. C’est juste trop. Il ferme un peu les yeux, histoire de subtiliser son regard à celui de son ami.
Cela aurait dût être lui.
Il le pense, souvent.
Quasi tout le temps.
Qu’il aurait dut mourir à la place de Fred. Que son frère aurait été meilleur que lui pour gérer tout ça. Gérer le manque, gérer l’absence. Fred aurait fait preuve de plus de force, de plus de patience. Fred aurait été un soutien pour Lee. Fred aurait été un soutien pour tout le monde, alors que George…
George se délite, s’effrite.
Il se perd, se détruit.
Il est l’artisan de sa propre chute, piégé dans un déluge d’émotions trop sombre qui le mène sur des routes qu’il devrait avoir l’intelligence d’éviter.
«
Come on. I could help, I… »
Il doit garder les lèvres scellées.
Il doit maintenir en son sein la colère qui empiète sur tout le reste, qui bourdonne en lui. Il n’est pas en colère contre Lee. Lee n’est pas la problème. Lee est la victime en fait, franchement. Il mérite mieux que George, ou tout du moins mieux que ce qu’il reste de lui.
Un ami plus clément, plus patient.
Durant un temps, cet ami digne de ce nom, George l’a été. Il a été quelqu’un de bien, quelqu’un de bon. Sauf qu’il ne l’est plus. Il n’est plus grand chose. A peine un homme. Plus une masse de ténèbres grouillantes. Une bombe à retardement.
Attention.
Explosion.
Il desserre les lèvres et tout est foutu. Ne restera que des cendres.
«
No you CAN’T! »
Sa voix qui tranche brutalement l’air. Il la reconnaît à peine. Pas de chaleur dans son intonation. Que de la colère. De l’impatience aussi, et puis de la fatigue. Ça ne fait pas bon ménage.
Face à lui Lee se fige et son expression se durcit.
Il a rouvert les yeux en criant, George, et il doit résister à l’envie de les refermer.
Il n’aime pas regarder Lee, en cet instant plus encore que d’habitude. Trop de déception. Un soupçon de pitié aussi. Comment faire autrement ? George est effectivement pitoyable. Il n’en pense pas moins que les autres à ce sujet. Y a plus rien à tirer de lui. La meilleure part de lui est partie avec Fred et elle se trouve désormais tellement loin de lui…
Il est aussitôt assaillit par la culpabilité. Car il n’est pas mauvais. Il ne blâme Lee pour rien quand bien même son insistance le met affreusement à crans. Il secoue la tête, place brièvement une main sur ses yeux avant de la laisser retomber sur la table.
«
I’m… »
Awful. Broken. Sorry.Les mots qui s’entassent à la commissure de ses lèvres et il secoue encore la tête, n’en prononce aucun. Les mots… Franchement, est-ce qu’ils ont seulement une once de pouvoir dans ce genre de situations ? Il a le sentiment qu’il pourrait bien prononcer toutes les excuses du monde que ça ne suffirait pas. Non pas que ça devrait le retenir d’essayer... «
I can't tell you anything. So stop asking. »
Stop asking. Stop trying. Stop holding on.
Fucking stop.02/2007
Il émerge lentement de sa nuit. Et il se sent bien. Cela lui arrive parfois au lever. Une période de quelques secondes pas plus. Toujours trop court. A peine le temps de se saisir de cet instant, à peine le temps de le savourer.
A peine le temps de mettre le doigt dessus, vraiment, de s’en délecter.
Un instant quasi parfait durant lequel, encore à demi prisonnier des brumes d’un sommeil agité, il oublie brièvement tout.
Durant ces quelques secondes idylliques, dépouillées d’ombres et de tristesse, il parviens presque à faire abstraction du poids qui l’accable depuis la mort de Fred.
Durant ce moment, il va bien.
Et puis la brume s’évapore. Les contours se dessinent, les angles s’affutent. La réalité reprend ses droits.
Retour à la normale et elle n’a rien de franchement jouissif.
Ce matin il est accueilli par les grognements du Tempest où il s’est endormi la veille. L’esprit qui habite le bateau se plaint joyeusement. C’est sans doute ce qui l’a éveillé, non qu’il s’en soucie ou s’en agace particulièrement. S’il n’a pas fait une nuit entière, il a toutefois réussi à s’assoupir durant plusieurs heures ce qui est toujours plus que ce à quoi il est accoutumé.
Allongé sur le lit dans la cabine de Sinéad, il ne bouge pas d’un pouce.
L’obscurité de la pièce n’est pas entière. Un peu de lumière filtre, laissant comprendre que la journée a commencé.
Il devrait se lever, George. Il ne le fait pas. Il s’octroie quelques instants sur ce lit, encore.
Il a perdu le compte de tout ce qu’il devrait faire, de toute façon.
Il a cessé d’énumérer ses erreurs, les fautes qu’il accumule depuis bientôt dix ans.
Trop de choses à se faire pardonner et sans doute que ça ne viendra pas. Il sera toujours endetté. Toujours en dessous des attentes des autres. Cela, il peut faire avec (il n’a pas le choix, de toute façon). Franchement, il a bien pire à gérer.
Sous les draps, il remue un peu ses orteils et il laisse son regard bleuté dériver en direction du plafond de la cabine. A côté de lui, Sinéad dort encore. Faut dire qu’elle est plus habituée que lui aux joyeuses plaintes du Tempest. Peut-être bien qu’elle ne les entend même plus ou qu’ils lui font désormais l’effet d’une berceuse aléatoire.
Le bateau brûle de ficher le camp. De partir à l’assaut des flots. D’aller au loin.
Il ne la comprend que trop bien, George, cette carcasse bougonne.
Il aimerait bien partir au loin lui aussi, non pas que ce soit franchement une option. Il ne lâchera pas les armes et quand bien même il prendrait ce chemin-là, il n’y a pas d’autres endroits pour lui, pas vraiment.
Où qu’il aille, ses ténèbres le suivront. Pas d’après, pas d’horizon. Sa vie est déjà foutue alors autant en user pour essayer d’épargner ceux qui ont encore quelque chose à sauver.
Il se tourne vers Sinéad, vers ce qu'il a réussi à bâtir parmi toute cette désolation. Un soutien nouveau. Une distraction aussi car telle est la raison de leurs parties de jambes en l'air désormais aussi fréquentes que soudaines. Ils s'aident l'un l'autre et dans le fond, c'est tout ce qui importe.
Y a pas de mal à se faire du bien, d'autant plus quand tout va mal.
07/2007
Non. C’est ce qu’il se répète. Ça boucle dans sa tête. Non, non, non. Il devait arriver. Il était sensé les rejoindre. Il n’était pas sensé mourir.
Ça a recommencé. La mort a de nouveau surgit, mauvaise, vicieuse et elle a emporté un autre morceau de George.
Lee.
Lee est mort.
Il ne l’a pas encore dit à voix haute. Peut-être bien qu’il ne le fera pas du tout. A quoi bon ? L’impuissance des mots là encore. Le poids des actes et la brulure de tout ce qui n’a pas été fait, de tout ce qui n’a pas été dit.
Qu’est-ce qu’il lui a dit en dernier ? C’est tout récent et pourtant déjà trouble. Ça n’a pas de valeur, ça n’en a tout du moins plus.
Lee est mort.
Mort comme Fred.
Rayé de la carte, disparu.
Là, puis plus là.
Il connaît ça George, la brutalité de la chose. Peut-être que ça devrait faire moins mal. Peut-être qu’il devrait s’être accoutumé à tout ça. Mais ce n’est pas le cas, on ne se fait pas à certaines choses et la mort en fait partie.
Il enroule ses bras autour de son ventre. Il se décompose. Il se fait l’effet d’un jouet brisé et laborieusement ré-assemblé. Un être incomplet, mal emboité, mal ficelé. Trop de fissures, de brèches. Trop d’ombres, trop peu de lumière.
Il avait hurlé quand Fred est mort. Maintenant… Il se sent vide, creux.
Quelque part c’est pire encore qu’avant.
Pire car il n’a pas eut l’opportunité de réparer son amitié avec Lee. Non, c’est faux. C’est que des conneries, des mensonges qui ne prennent pas, qui glissent sur lui tout au plus.
Ce ne sont pas les opportunités qui ont manqué, les chances de réparer. Il a pris Lee pour acquis. Il a cru avoir du temps. Abruti. Foutu abruti. Il s’est accordé le luxe de perdre quelqu’un d’autre.
Peut-être bien qu’il a ce qu’il mérite. Que c’est sa punition. Sauf que ça reste injuste. C’est parfaitement, complètement injuste.
Autour de lui, la masse de gens s’effiloche, se disperse. Certains ont retrouvé des êtres aimés. D’autres, comme George, ne ressortent de tout cela qu’avec de nouvelles pertes à dénombrer. Drôle de mélange de joie et de tristesse. L’amertume reste. De l’amertume partout, dans tous les coins. Et ce parfum de cendres plein la bouche.
Il est à deux doigts de partir, George, de fuir encore. A croire que ça lui réussi bien. A croire qu’il n’apprend, n’entend pas, ne comprend pas.
Ses bras tremblent, sa tête est lourde et à défaut de pleurer, son regard est hanté, effleurant les choses et les visages sans vraiment les voir.
Jusqu’à Elena.
Elena qui apparaît tout à coup dans son champ de vision.
Elena qui a l’air encore plus mal en point que lui.
Elena qui s’effondre littéralement, ses jambes la lâchant purement et simplement. Brusquement George s’anime, s’arrachant à sa torpeur accablante, se précipitant pour retenir son amie.
Une autre amie dont il s’est éloigné. Un morceau du passé.
Une amie qu’est encore là toutefois, bien en vie, bien que détruite, comme lui.
Il arrive à l’atteindre avant qu’elle ne tombe. Ses mains volètent vers ses épaules avant que ses bras n’entrent dans la danse, l’enserrant, lui accordant un point d’encrage alors que lui même est loin d’en tenir large.
Il l’attire à lui et la serre. Fort. Et il sent qu’elle le serre aussi, qu’elle s’accroche à lui. Ses ongles s’enfoncent même un peu dans son dos, mais il ne bronche pas. C’est une douleur inoffensive, presque illusoire en comparaison à l’ignoble peine qui les lacère bien volontiers.
Et ils restent là, longtemps, alors que le monde continue de poursuivre sa course autour d’eux. Il s’autorise même à pleurer de concert avec elle. Il n’y a rien d’autre à faire.
coming soon
Il l’ignore encore George, mais il a commis une erreur. Une erreur qui menace de le précipiter en des terres aussi angoissantes qu’inconnues. Une erreur qui va le forcer à envisager un avenir, précisément ce à quoi il évite farouchement de penser. Car il a mis enceinte Sinead.