"Boris, tu sais pas quoi ?" "Nan j'sais pas nan..." Ta voix morne et encore en train de muer s'élève de derrière un confortable fauteuil dans lequel tu étais avachi depuis presque une heure. Tu ne lèves pas ton nez des pages du magazine people que tu épluchais attentivement, tandis que la silhouette gigantesque (quelle idée d'avoir une poussée de croissance en plein été?? Tu attendais encore la tienne, non sans impatience) de Noris s'encadre en arrière-plan. "C'est terrible." Cette fois-ci, tu ne prends même pas la peine de réagir, espérant par la même occasion décourager ton compère. Ceci dit, tu ne nourrissais plus vraiment l'espoir d'avoir la paix; ça allait maintenant faire cinq ans que vous vous trainiez dans les pattes l'un de l'autre (depuis ce triste jour où Noris, émerveillé, a cru que vous vous appeliez pareil et de fait, que vous deviez plus jamais vous séparer), et tu étais le mieux placé pour savoir que, quand Sanders avait un truc à dire, aucun épouvantard, aucun détraqueur ne pouvait l'empêcher d'aller au bout de sa pensée.

"Mais ils vont fermer le club de bavboules ! Tu t'rends compte mec !" Noris t'agrippe le col de chemise, t'arrachant ainsi un regard ennuyé, souligné d'un épais trait d'eyeliner noir. Oui, on est post été 1995, ça fait désormais trois mois que Cedric Diggory est mort, et depuis ce jour, tu t'es engouffré dans une phase emo-gothique dont tu ne sembles plus vouloir sortir. Tes cheveux plaqués vers l'arrière ont été maladroitement teint en noir, et tu sembles vider les cendres de la cheminée de la salle commune autour de tes paupières chaque matin. Quant à tes humeurs, tu prends un soin particulier à les maintenir aussi basses que tes attentes vis-à-vis de la soi-disant terrible nouvelle de Noris.

Il continue ses explications, tandis que tu lui as attrapé le poignet pour lui faire lâcher ta chemise (depuis quand il a des poignets aussi épais???) (c'est quand même pas dû aux compèt endiablées de bavboules???). "Hé oh, on touche pas la marchandise..." gémis-tu en lissant pensivement ton vêtement froissé. Entre temps, tu croises de nouveau le regard de Noris qui s'est illuminé d'un seul coup; sa cervelle de piaf allait toujours un peu trop vite pour toi. Tu fronces les sourcils quand tu réalises que son regard est aussi vissé au tien. "Dis Boris, t'es dans un club toi ?"

Tu bats des paupières, les yeux écarquillés. Tu es toujours avachi dans le fond du siège, et n'oses pas faire de mouvements brusques, comme si tu espérais disparaître entre deux coussins. Tes doigts se resserrent autour des pages de ton journal. "Heeeee... oui, bah oui, j'suis dans un club, ouais..." Pris de court, ton mensonge a du mal à se frayer un chemin, sous les yeux plein d'espoir du pauvre Noris. Tu finis par te redresser, penché vers lui, le défiant du regard. "Le club des anti-clubs, que ça s'appelle; on milite contre tous les clubs inutiles du campus..." Un sourire insupportable scie ton charmant visage. Tu cocottes la potion anti-acné et le gel pour cheveux. "Tu crois vraiment j'ai la gueule à jouer aux bavboules?" Tu strike la pose un peu, les jambes croisées, exhibant tes bracelets et collier à piques, dernière acquisition faite sur l'Allée des Embrumes, hé!

Tu rouvres ton journal à la page où tu t'étais arrêté, te vautrant de nouveau au fond du fauteuil. Cependant, après un court silence, tu sens une once de culpabilité commencer à ronger tes entrailles, tandis que tu essayes d'éviter le regard déçu de ton petit camarade. "J'sais même pas ça consiste en quoi, ton truc, là..." marmonnes-tu, histoire de pas trop montrer que tu pourrais te laisser tenter.

La remarque de Noris sur ton physique vampirique, bien que sincèrement préoccupée, t'arrache un regard vers le plafond. Ton lourd maquillage manque même de finir en poussière dans tes yeux. Il peut pas comprendre, le désarroi dans lequel tu te trouves; le deuil que tu couves depuis trois mois, comme s'il s'agissait d'une compétition, à l'élève de Poudlard qui pleurera Cedric Diggory le plus longtemps. Noris peut pas le comprendre, ça, sachant qu'il ne fait clairement pas partie des élèves populaires... Bon, toi non plus, d'ailleurs; de base, tu faisais pas l'unanimité dans les cotes de popularité, mais ça s'était aggravé avec ton nouveau look.

"C'parce que t'es tombé dans la facilité en t'intéressant au quidditch !" Tu renâcles, pouffes un peu de rire. "M'intéresser au quidditch, c'est vite dit, hein..." ironises-tu, en sous-entendant par là que tu assistais religieusement aux matchs simplement pour la plastique robuste des adolescents agrippés à leurs balais. C'est à peine si tu avais pris le temps de lire les règles, ou pire encore, de soutenir une équipe.

"Mais t'inquiètes, j'peux t'apprendre. T'vas voir, c'est troooop bien et très technique. Tout est dans l'mouv'ment du poignet, un peu dans la posture aussi et dans la réflexion." Tu te pinces les lèvres en ricanant. "Comme quand tu te mastu—" "T'sais, nous, on est bien plus intelligents que les quidditchiens ! Et c'est parce que c'est pas à la portée d'n'importe qui qu'les bavboules c'est moins populaire !" Bon, tu n'étais pas certain de la vivacité des adeptes de bavboules ; en revanche, Noris marquait un point en avançant que les joueurs (et les fans) de Quidditch n'étaient pas des lumières... Un reproche que tu nourrissais, dû au fait qu'à chaque match (que tu suivais scrupuleusement, donc), tu te faisais malmener et bousculer dans les gradins par des supporters en folie.

Tu laisses tomber ton magazine sur ta poitrine, croisant les mains sur la couverture. Ton soupir est si accentué qu'il soulève quelques mèches de cheveux de Noris (presque de quoi sécher sa peau grasse d'ado) (u know best, tu as la même). "Ok, ok, ça va, j'ai compris, montre-moi ton truc, là..." Tu le pousses un peu de ton chemin, histoire de t'extirper de ton fauteuil. Tu laisses ton magazine en plan (au vu de la couverture, personne ne s'aventurera à le voler), et lisses consciencieusement ta mèche. "Vous jouez où? Y'a un terrain, au moins? Des vestiaires?" demandes-tu en grimaçant, déjà découragé à l'idée d'aller te les cailler dans la fraîcheur de cette fin d'été écossais. Tu espérais secrètement que Noris te révèle, soit que le terrain était en intérieur, soit que l'équipe officielle de bavboules jouissait effectivement d'un vestiaire et qu'il t'y emmènerait fissa, histoire que tu puisses zyeuter les retardataires sous la douche... tout ça en comptant sur le fait que les adeptes de bavboules étaient aussi bien fichus que leurs homologues quidditchiens.

L’entrain de Noris fait un peu peine à voir, bien que son sourire débile soit communicatif après tout. C’est que, lui au moins, il avait une passion dans la vie -une passion stupide et saugrenue but still, une passion. De ton côté, tu étais davantage du genre oisif et superficiel, à ne rien aimer, à ne t’intéresser à rien d’autres que des ragots qui ne te concernaient pas. Tu jouais à la commère, ruinant çà et là quelques amitiés, t’attirant plus de foudres qu’autre chose ; à ce stade, ça relevait d’une discipline sportive. Dommage que tu sois tout seul pour jouer à ce petit jeu-là...
"Ce qui est bien, c'est qu'on est adaptables, on peut jouer où on veut !" "Hein? ça veut dire quoi, ça?" Tu ne connaissais pas exactement les règles du jeu, mais rien qu’au nom -bavboules, tu doutais fort que le concierge (le vrai) laisse le petit club en déclin de Noris balancer des boules qui bavent (or whatever they’re doing) partout dans les couloirs de l’école... A l’instar des fumées qu’elles dégageaient quand un joueur perdait, ça sentait pas bon, cette histoire.

"Et pas besoin de vestiaires, y a que ses mauviettes de quidditchiens qui puent après avoir fait du sport !" Tu grimaces, allant de déceptions en regrets. Tu as un coup d’oeil furtif pour l’escalier des dortoirs, comme si ça aurait pu te permettre d’y transplaner instantanément. A la place, Noris a posé sa longue patte sur ton épaule, te poussant vers la sortie (l’autre. La sortie vers les bavboules et leur terrain inexistant). A vous voir tous les deux, flanqués l’un à l’autre, on a un peu l’impression que Noris est sur le point de racketter ton goûter (c’est que tu n’avais pas encore été baptisé de ta poussée de croissance...) (tout vient à point à qui sait jouer aux bavboules...).

"Mais t'es sûûûr ? t'as jamais jamais jamais joué aux bavboules ?" Tu soupires, hausses une épaule plus que l’autre (celle lestée de la main de Noris). "Heee, comment dire, c’est pas vraiment le genre de la maison..." Tu serres les dents dans un sourire crispé. "Ma sœur, elle jure que par le quidditch et euh, mon père, bah... il a ses propres jeux, on va dire... Genre quand j’étais tout petit," Tu insistes sur le tout, "il m’emmenait baguenauder n’importe où pour des coups foireux, genre je devais piquer des trucs dans les poches des gens..." Tu n’étais pas particulièrement doué, d’ailleurs, ce qui le peinait terriblement, et ne te faisait que regretter ces moments fugaces avec lui. "Mais là, j’sais pas où il est, j’crois il est en voyage d’affaires, donc bon... jouer aux bavboules tout seul, j’pense tu sais, c’est pas hyper marrant..."

Vous déboulez dans le hall d’entrée de l’école. Tu te dégages un peu de sa main (au cas où on vous voit; déjà que ta cote de popularité est au plus bas, alors si en plus, on vient penser que tu te fais racketter par Sanders, c’en est fini de toi), enfonces les tiennes dans tes poches. "Bon du coup on joue où? T’as déjà essayé les cachots? c’est déjà suffisamment dégueu là-bas, pour qu’on dérange personne, nan? Et puis, ça met un peu plus de challenge de devoir échapper aux fantômes ou à Snape, tu crois pas?" Tu te prends un peu davantage au jeu, le défiant d’un charmant sourire un peu insolent.

Tu dois admettre que ça t’a un peu touché, quand Noris t’a subtilement invité à passer les prochaines vacances d’été avec lui, même si ça voulait dire voyager jusqu’aux Etats-Unis. Tu passais quelques vacances avec ta cousine, Olympe, quand la solitude couplée à l’omniprésence de ta mère devenait trop insupportable, te lovant dans une copie de sa vie à elle, histoire d’oublier la tienne ne serait-ce qu’un temps. Mais tu te voyais définitivement trop bien suivre Noris dans son american dream, juste pour la satisfaction de le voir (enfin) évoluer dans un milieu qui lui était familier. C’est que l’american boy jurait un peu avec le décor, et tu pensais ça, alors que tu jouais toi-même au gothique mal léché, ces derniers temps. Noris était lesté d’une grossièreté et d’une naïveté que tu assimilais aux Etats-Unis, sûrement par association, et surtout parce qu’étant toi-même le rejeton d’une lignée ayant foulé de long en large les terres britanniques, tu ne te gênais pas pour le regarder de haut.

Et pourtant, s’il le remarquait, ça lui en remuait une sans bousculer l’autre, et il ne se lassait pas de revenir vers toi, comme un boomerang encombrant (wait, wrong country). Et, il faut croire qu’à force, ton bras avait pris l’habitude de le lancer de moins en moins loin...
Tu pouffes un peu à l’appréciation de ses idées, marchant à côté de lui les épaules un peu rentrées, comme si ça te permettait de passer inaperçu. Mais, à voir comment il beugle, tu aurais aussi bien pu porter une cape d’invisibilité, que ça ne t’aurait pas empêché de te taper l’affiche.

D’où l’initiative saugrenue de vous enterrer dans les cachots. Si Noris n’y trouve rien à redire dans un premier temps, son courage s’estompe aussi vite que ton liner lorsque tu te frottes les yeux d’embarras. "Pourquoi pas, faut juste qu'on face attention pour l'éclairage. Et les fantômes ça pose pas de prob' parce qu'ils sont pas tangibles. - Ils sont pas quoi??" Tu n’as vraisemblablement jamais entendu ce mot à la télé, parce que tu ne regardais pas la télé. "Mais faut pas viser à travers parce qu'ils sont déformants. - Mais t’es un ouf toi de viser les fantômes! t’as jamais entendu parler du baron sanglant??" que tu t’exclames, excédé.

Mais il faut croire que ce sont les êtres plus tangibles qui causent du soucis à Noris: "Et Rogue... Tu veux vraiment du challenge ? Parce que j't'avoue qu'il me fait un petit peu peur et j'ai entendu dire qu'il a déjà mangé un première année parce que les elfes s'étaient mis en grève donc y avait pas de repas de midi une fois... Du coup la grève a pas duré donc y a pas eu famine mais quand même..." Cette fois-ci, tu te plantes au milieu du hall, plantant ton regard presque transparent dans le sien. "Mais quoi?? T’as peur de Rogue?! Bon, il s’agirait pas d’attirer trop l’attention, au cas où le concerné soit dans les parages. Le mec c’est juste un puceau mal léché, là, ça va, il va manger personne!" Tu ouvres les bras de consternation, avant de faire demi-tour, prenant la direction du parc (après avoir aperçu un rayon de soleil qui te fait de l’œil depuis tout à l’heure) (comme quoi tu n’étais pas encore totalement devenu un vampire) (wait for it).

Tu glisses un petit sourire mutin à ton camarade, en lui donnant doucement des coups de coude. "T’sais quoi? J’crois même que c’est ça, son problème; il a jamais graillé personne, alors il a la dalle et ça le fout de mauvais poil ahaha!" Parce qu’il n’y a rien de plus évident pour un adolescent que de tout ramener à des soucis graveleux, tu t’esclaffes à ta propre théorie.
Vous sortez du château, et tu plisses les yeux un moment en constatant le temps étrangement resplendissant. "D’ailleurs, dis-moi, Sanders... tu dévales les marches et te diriges d’un pas drôlement décidé vers un coin un peu reculé du parc. Tu serais pas en passe de devenir un vieux garçon comme Rogue, quand même? Tu te tournes vers lui, le regard lourd de sens. Le champion de l’école de bavboules, quand même, ça doit attirer les filles, nan? T’as pas eu l’occas’ de jouer avec les bavboules, tu agites les doigts avec force mauvais goût, des nanas, dis?"

Il n’y a pas pire affront pour un ado de quinze ans que de se faire traiter de puceau par l’un de ses pairs. La réaction choquée de Noris ne te surprend pas, pour ne pas dire qu’elle était prévisible. C’est la suite qui t’intéresse, à vrai dire. "Bah ouais, bien sûr ! Pas toi ?" Tu plisses les yeux; deux détails t’interpellent. Tu étais à peu près certain qu’il mentait, mais le truc avec Noris, c’est qu’il était généralement très mauvais menteur; il avait pourtant répondu avec un naturel et une nonchalance que tu ne lui connaissais pas, sans s’interrompre dans le déballage de son matériel de bavboules. Dans un second temps, tu ne comprends pas trop pourquoi il te retourne la question, puisque tu n’étais pas vraiment très discret vis à vis de ton attirance pour les garçons; il n’était pas rare qu’on te repêche caché dans un casier des vestiaires, et certains joueurs de Quidditch avaient même pris l’habitude de checker avant de se changer.

Une précaution qui n’a pas l’air d’effleurer l’esprit naïf de Noris qui se défait de sa chemise, pour ton plus grand plaisir. Un petit coup de chaleur comme on les aime te souffle à la figure, écrasant des nuances de rouges sur tes joues pâles. Tu détournes le regard, feignant être absorbé par un petit groupe d’élèves révisant près du lac. "Oh moi tu sais, les bavboules des meufs, c’est pas trop mon truc..." maugrées-tu, l’air de rien.
"Rien que la semaine passée, j'ai fait des trucs avec Patil ! - Patil? Laquelle?" Tu plantes ton regard confus dans son insupportable clin d’œil. Tes yeux trop clairs roulent dans leurs orbites, à mesure que Noris creuse la tombe de son propre mensonge. "Tu peux lui d'mander s'tu veux. Mais elle te dira qu'non, parce que tu vois, elle a un copain en septième année alors elle veut pas que ça se sache mais elle m'a dit qu'j'embrassais vingt fois mieux que lui ! - Mais bien sûr..."

Tu sens que ta respiration se calme, maintenant que tu es persuadé qu’il t’avait raconté de la merde. Ta propre vie sentimentale était aussi rocambolesque que la surface du lac par un jour de soleil, alors ça te rassurait un peu que l’un de tes seuls copains partagent ton désarroi. Si on pouvait mettre ton célibat interminable sur ton petit caractère de merde, en revanche, tu trouvais ça un peu triste que Noris ne trouve pas chaussure à son pied (ou bave à sa boule, si on peut se permettre); certes, c’était pas le plus vif du panier, mais il était foncièrement sympa et pas suffisamment sûr de lui pour être un fuck boy... Si ça ne tenait qu’à toi, tu lui aurais réglé son problème en moins de deux, en te proposant honorablement comme moitié... Mais pour le moment, si tu pouvais combler un vide, c’était bien celui de partenaire de bavboules; on pouvait pas faire moins romantique.
"Bon, c'est pas tout ça mais faut jouer maintenant ! On va sauver le club de bavboules !" Ton regard remonte lentement jusqu’à sa main levée en l’air et, tout aussi lentement, tu tapes mollement la tienne dans la sienne. La différence de taille est ridicule, si bien que tu dois te hisser sur la pointe des pieds pour y parvenir; le creux de sa main est légèrement moite et, même si vous êtes seuls, t’as l’impression que l’intégralité de l’école vous a vus.

"J’espère que c’est pas dans les règles de faire tomber la chemise..." hasardes-tu en piochant une boule. Tu lâches un gémissement dégoûté en sentant un liquide poisseux te tapisser le bout des doigts. "Et vraiment, va falloir m’expliquer c’est quoi l’intérêt d’avoir des boules qui bavent... C’est quoi, ça adhère mieux au sol? C’est quoi le but d’ailleurs?"