Sûr de son mensonge, tu en avais presque oublié de le faire avouer, mais Noris se hâte de réparer sa bavure. "Ok, j'avoue, mais tu l'dis pas, hein ? - J’serai muet comme un strangulot, promets-tu, mimant de te fermer le clapet du bout des doigts, pour jeter une clef imaginaire par-dessus ton épaule (que tu rattrapes de ton autre main passée derrière ton dos, oups). "J'ai jamais rien fait avec une fille, continue-t-il avec une sincérité désarmante. Tu hausses les épaules, l’air de rien, histoire de le rassurer: "Bah, t’inquiètes, t’as encore le temps… - Mais j'ai presque eu un rencard une fois ! - Ouah! Chapeau! continue comme ça et dans quelques mois, tu lui passes la bague au doigt!" que tu l’encourages, avec une nonchalance qui laisse sensiblement à penser que tu te fous un peu de sa gueule. Tu étais à ça de lui fournir des conseils pour repêcher ce cas désespéré.

"Et toi ? Tu crois que c'est parce qu'on est trop intelligents qu'on trouve personne ?" Tu avais reposé la boule et étais en train d’essuyer la bave magique contre le pan de ta chemise, lorsque tu interromps ton geste. Alors, par où commencer… Tu lèves une main pour en parer un peu la clarté. Tu l’observes un temps, le coin des lèvres retroussées, les sourcils soucieux, mais ça pourrait aussi bien être dû au soleil qui te tape sur la figure. "T’sais quoi? J’pense que t’as raison; elles ont pas encore remarqué ton— potentiel, c’était trop pour toi, tu ne pouvais pas non plus parler d’intelligence, mais laisse-les se prendre quelques râteaux de fuck boys, et t’inquiète qu’elles vont finir par se ramener comme des petits pains…" Ta stratégie est tout ce qu’il y a de plus réducteur et stupide, mais il faut dire que tu es un peu amer, du fait de ne pas avoir encore eu le courage de te prendre toi-même quelques râteaux qui t’auraient remis à ta place. T’avais même pas dix-huit ans que tu t’exprimais comme un vieil aigri… et ça n’irait pas en s’améliorant par la suite.

Le sujet est momentanément écarté, alors que Noris t’encourage à te dessaper à ton tour, mais très peu pour toi. En guise de bonne foi, tu défais simplement le bouton du haut, desserrant aussi un peu le nœud de ta cravate, tandis que Noris se lance dans des explications toujours moins claires de son satané jeu. "Le but, c'est de gagner. No shit, Merlock. Mais aussi, et surtout, de s'amuser. C'est pour ça la bave et tout, c'est parce que ça ajoute de la difficulté et du fun. Tu vas voir, on va bien s'marrer !" Il te prend par surprise d’un coup dans les côtes, qui te fait pousser un cri mettant bien à mal la timide mue de ta voix. "C’est pas de la vraie bave, au moins? gémis-tu, inquiet de la tache sur ta chemise. - Vas-y ! Choisis ta couleur !" Noris te fout sa mallette sous le nez, et le visage contrit d’une grimace, tu pioches une paire de boules roses aux reflets de pétrole. Cette fois-ci, la bave est moins liquide mais du coup plus collante. "Bon, maint'nant, je vais te montrer comment on lance une bavboule comme un pro." Tu le regardes faire sans grand intérêt, si ce n’est pour cet air concentré qu’il arbore, et qui témoigne, contre toutes attentes, du potentiel qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de révéler à la gente féminine. Le petit geste sec de sa baguette finit de t’impressionner, le temps de quelques étouffantes secondes.

"Vas-y, essaie de la dégommer maint'nant ! C'est drôle, hein ?" Tu te places à côté de lui et, d’un geste moins professionnel et assaisonné d’un geignement dégoûté, tu lances ta première boule qui s’écrase mollement un peu moins loin, une traînée de bave transparente postillonnant sur celle de Noris. "Ouah, tu m’avais pas dit que ce serait un jeu sexy et violent… ironises-tu d’un sourire mutin. Après ça, va pas me faire croire que tu t’es jamais entraîné à rouler un patin avec tes balles baveuses là! Tu agites ta seconde boule sous son nez, mimant des bruits de baisers insistants. Si on plisse les yeux, on pourrait presque croire que c’est Patil!"

"P'tain mec, t'es dégoutant !" La remarque ne te décourage pas, et tu continues d’agiter la boule sous son nez. Sans grande difficulté (i mean, vous avez vu un peu cette ridicule différence de taille??), il te repousse en allongeant simplement le bras. "Vas-y, j'veux pas lécher mes boules ! Puis t'sais même pas où ça a trainé !" Pendant quelques secondes, tu arrêtes de bouger, jetant un regard mi-circonspect, mi-dégoûté à la boule que tu tiens encore. Tu vas pour la lâcher mais retiens ton geste. "Ah ouais?? J’pensais qu’un champion comme toi, ça prenait soin de son matos!" Tu arbores un air faussement désappointé, allant même jusqu’à porter le revers de ton bras à ton front pour mimer une pose dramatique.

"Es-tu en train de me dire que tu ne les lustres pas tous les jours?? que tu ne les frottes pas assidûment avec un chiffon en soie?? que tu les hydrates pas pour qu’elles produisent une bave de qualité?? Tu portes une main à ta bouche s’arrondissant autour d’un O choqué: Es-tu seulement digne de ce club, Sanders??!" Et d’éclater de rire (le genre un peu crissant, comme si tu avais un harmonica coincé en travers de la gorge). Ton comparse a tôt fait de te remettre à ta place: "En plus, t'as lancé n'importe comment, tu m'as regardé au moins ? A croire que t'en as rien à foutre !" Il retourne la situation, à croire qu’il sait que tu ne résistes pas à son regard de molosse battu.

Tu ne te sens pas très fier. "Roh c’est bon ça va! J’suis en train d’apprendre, j’te signale!" Puis, de rester silencieux un temps, tandis qu’il continue malgré tout la partie. Au bout d’un moment, tu te décides à ouvrir de nouveau le bec, comme pour justifier pourquoi tu n’avais pas profité de vos chamailleries pour te casser. "Moi non plus j’ai rien fait… Tu reviens sur la question qu’il avait posé plus tôt, et que tu avais esquivé momentanément à grands renforts de pirouettes et de moqueries à son égard. Ton index tapote la surface poisseuse de ta balle. Enfin, pas grand-chose, quoi… Juste des trucs avec un mec de Serdaigle dans les chiottes…" Tu hausses les épaules. Tu ne sais même plus quel était son nom de famille; tu saurais le reconnaître dans une foule, puisque c’était en cours de métamorphose que tu l’avais repéré (enfin plutôt qu’il t’avait repéré parce que t’étais pas très doué pour ça) et que vous aviez un peu discuté. Il avait de jolies mains et une coiffure à la mode. Par contre, il était vraiment tout petit, genre plus petit que toi. "C’était cool, mais bon, c’était dans les chiottes, quoi…" Vous n’aviez pas reparlé ensuite; en même temps, après une fois, tu l’avais trouvé assez chiant.

En bref, rien de folichon à l’horizon; et Merlin seul sait que, pourtant, on te prêtait autrement plus de frasques, du fait de ta grande gueule. Bah, au moins, tu regrettais moins de te concentrer sur le moment présent, et ce, même si ledit moment revenait à jouer aux bavboules avec l’un de tes innombrables unrequited crushes. "Noris, j’ai faim; on irait pas bouffer??"