« Je n'ai rien fait, je te l'avoue, comme beaucoup d'entre nous. Azkaban ne me tentait pas et je ne pense pas qu'on puisse me le reprocher. Maintenant, à la seconde où Tom est revenu, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le servir et je continuerai. » La main esquisse un petit geste qui peut vouloir dire touché : il est entré ici en lui déconseillant la prison sorcière comme prochain lieu de vacances et la blague ne peut même pas englober l’horreur vécue. Ne peut même pas décrire l’ampleur de la torture lenteur, inexorable, inévitable, endurée pendant un laps de temps qui lui a fait souhaiter la mort un nombre inavouable de fois. Qui lui a fait regretter la longévité des sorciers et considérer le pire, ou dans son cas, le meilleur. Elie aura beau prétendre ne jamais avoir douté de son Maître, et c’est la vérité, mais le trépas a été espéré plus souvent qu’autrement.
À chaque voix d’un des leurs qui s’éteignait, le Mangemort ne savait pas s’il en était envieux, furieux, dédaigneux, triste, soulagé, étrangement content pour le·a défunt·e. Il ne le sait toujours pas et ça n’a plus aucune importance.

« Tu m'en veux toi, Elie ? » Le silence est long, soudain. Il boit une gorgée de thé. Il hausse ses épaules osseuses. Le ton reste plat : « Peut-être. Les yeux bleus sont scrutateurs. Plus encore, fatigués. Pendant quelques secondes, la vieillesse semble traverser le temps, le visage rajeuni, lui donne son véritable âge, avant que l’illusion ne se résorbe. Je ne suis pas naïf au point de penser que j’aurais été épargné même sans ton apport essentiel. Le mot sonne avec ironie. Tom et moi étions trop proches. » Comme s’il aurait nié quoi que ce soit, aussi.

Elle aurait tout de même pu uniquement accuser Cassius. Le laisser hors de cela.
Il n’a rien nié, parce qu’il n’a de toute façon pas eu de procès, parce qu’on l’a mis sous les barreaux vivant et il devrait déjà en être content ― Evan n’a pas eu ce luxe, parce que c’était ce qu’il devait faire pour protéger sa soeur.

« Tu sais qu’on te reprochera toujours d’avoir fait la morte. À toi comme aux autres. Toi aussi, ne sois pas naïve. » Elle fait bien partie de cette Élite constituée par Tom, tout autant que lui, mais ils savent tous ce qu’il en est. Où la ligne est tracée entre les véritables fidèles du Lord, entre les opportunistes qui rejoignent petit à petit leurs rangs, et ceux qui ont choisi l’ombre et de tout renier. « Est-ce que le jeu en valait la chandelle, Frida ? » A-t-elle été heureuse, Frida ? L’est-elle, dans ce manoir où elle est seule, croit-il, avec Molkky, sans traces d’enfants, petits-enfants, parents… ami·e·s ?

Sa cadette n’hésite même pas : « Oui. Largement. » La vitesse de la réponse sn souligne soit l’honnêteté, soit le mensonge patent, mais Elie connaît suffisamment Frida (ou il la connaissait suffisamment, jadis) pour savoir qu’à cet instant, elle ne ment pas. Qu’elle ne regrette pas sa mince trahison de Cassius, de son frère aîné, d’avoir mis les idéaux de Tom en veilleuse, d’avoir tourné le dos aux Mangemorts pendant toutes ces années. Les tableaux autour d’eux semblent les regarder et le poids des regards de ces désormais inconnus, pour ceux qu’il a bien connus, pèsent sur sa nuque et sur ses épaules. « J'ai vu grandir mon fils et mes petits-enfants. Tu as toujours été la plus tendre de nous deux », commente le duelliste avec un brin d’ironie. Ça aussi, ce n’est pas tout à fait un mensonge.

Frida a sans doute été une mère… à l’égale de ce qu’on peut attendre d’elle, est probablement une grand-mère sévère et potentiellement une arrière-grand-mère encore pire, mais elle aura toujours été meilleure qu’Elie, au jeu de la parentalité.
On ne lui a jamais demandé d’être un bon père non plus : juste d’en être un.

« Tout n'a pas été tout rose, j'ai perdu mon mari - celui après Cassius, tu ne l'aurais pas aimé -, reprendre le travail a été compliqué après la guerre mais j'ai vécu. » L’homme suppose qu’il est content. Qu’il devrait l’être. Faire autre chose qu’accueillir sa confirmation de petits signes de tête vides de toute émotion, de toute sensation. L’engourdissement net de ses sentiments bloque la réelle rancoeur autant que la joie. À défaut d’être content, Elie peut être satisfait d’avoir réussi à la protéger.

La tasse garde ses mains chaudes, il n’ose pas la déposer. Les manières s’entachent un peu alors que les doigts se serrent autour de la porcelaine quelques secondes supplémentaires, avant que soucoupe et tasses retournent sur la table. « Cela en a valu la chandelle pour toi ? Si tu avais eu le choix, tu y serais allé en laissant tout derrière toi ? » Sa main droite se pose sur son avant-bras gauche. Là où, sous ses vêtements qui s’accrochent à son corps, ses os, comme à un cintre, pulse la Marque des Ténèbres. Elle n’a jamais disparu, n’a jamais cessé d’être là. Elle ne pulsait pas comme aujourd’hui, n’était pas si noire, ni visible, mais elle a toujours été là. Il a toujours su, et qu’on le dise fou, s’il le faut. « Tom n’était pas mort. »
Ça devrait lui suffire, comme réponse. Comme confirmation qu’il est bel et bien un crétin, mais s’il en faut un, un crétin loyal envers un ancien ami, envers quelqu’un dont il connaissait quelques sombres secrets, envers quelqu’un dont il n’a jamais douté.
Ça a payé.

Il n’a plus faim, mais se force à une bouchée de plus sur son petit gâteau, par pure politesse. Le gras lui roule en bouche, rend la déglutition difficile. Son teint un peu plus pâle, soudain, alors qu’il prend une longue inspiration, le temps que la nausée soudaine se calme. « Nous aurons l’occasion de nous revoir. » Pas qu’il en ait envie, ou qu’ils aient été proches dans le passé, mais… peut-être que lui aussi doit recommencer à vivre, même si c’est encore dans l’ombre jusqu’à nouvel ordre.