La maison lui semblait bien silencieuse maintenant qu'Imani était chez sa mère après deux semaines de vacances passées avec Frida. Pas qu'elle soit particulièrement bruyante - la gamine respirait et tournait les pages de ses livres principalement -  mais cela restait toujours plus d'habitants que Frida, Molkky et l'armée de portraits laissés en mode silencieux. La sorcière s'ennuierait presque entre ses murs si elle n'avait pas tant à faire en semaine. Le retour inespéré de Tom était tombé à point nommé et la carrière de Frida avait repris son envol, pour l'accompagner au mieux. Mais elle avait vieilli - un peu - et les heures passées au magenmagot la laissaient plus fatiguée que dans le temps si bien que les week-end tranquilles étaient les bienvenues. Assise dans son fauteuil préféré devant la cheminée de sa grande bibliothèque aux étagères remplies de grimoires aux noms à rallonge qu'elle n'avait pour la plupart jamais ouverts, elle sirotait une tasse de thé, roman policier de gare à la main. Le style était douteux, les personnages convenus mais l'intrigue avait pris quelques tournants inattendus et Frida se plaisait à imaginer de quelle manière elle aurait incendié le suspect au tribunal. Il en aurait au moins pris pour trente ans. Et encore, elle était sympathique dans son jugement imaginaire. Ce fut le pop caractéristique du transplanage elfique qui lui fit lever les yeux de son livre, regard bleu mécontent d'être troublé. Molkky semblait agité, tortillant son torchon entre ses doigts, comme si il avait vu un fantôme. "Elie est là" finit par annoncer la créature, sans détour. Cela suffit à Frida pour recracher sa gorgée de thé. "Elie Elie ?" Son Elie ?

Elle fut à la porte en un temps record pour quelqu'un qu'on venait d'arracher à une lecture particulièrement prenante, ouvrit cette dernière plus brusquement qu'à l'ordinaire avant de se figer sur le palier. Heureusement (ou malheureusement de l'avis de beaucoup de monde), Frida n'était pas cardiaque. Sinon, elle y serait restée à ce moment précis. Son frère se tenait bien là, devant elle. Elle l'avait reconnu au regard - quoique plus hanté qu'auparavant -, le reste la laissait sans voix. Maigre à faire peur (il avait toujours été le plus moche), jeune surtout. Plus jeune même qu'à son entrée à Azkaban. Comment ? "Ma sœur." Elle lui en foutrait des ma sœur, un séjour à Azkaban ne lui avait pas appris à envoyer des hiboux pour s'annoncer ? "Elie" finit-elle par articuler difficilement. "Tu as vieilli." Identité confirmée, il était toujours aussi désagréable, ce n'était donc pas un imposteur. Le sourire se détendit un peu, se faisant venimeux sur les bords. "Tu n'as pas changé." Si on omettait le ton employé, c'était presque un compliment. "Il s'agirait de murir" renchérit donc Frida, flegme des paroles contredit par son expression figée par la surprise. Elle avait entendu des rumeurs comme quoi les prisonniers adeptes de Voldemort ne seraient plus prisonniers pendant bien longtemps, s'en était même réjouie dans une certaine mesure mais delà à assister au retour de son frère qui avait osé perdre des rides alors qu'elle en avait gagné de son côté ? Sentiments mitigés entre le soulagement de le voir en bon état pour un évadé d'Azkaban et jalousie intense, elle n'y tint plus. "Comment ?" Elle voulait la même chose. Pendant un instant, elle hésita sur la marche à suivre vu que discuter sur le perron n'était pas des plus confortables. Le prendre dans ses bras ? Lui claquer la porte au nez parce qu'il ne l'avait pas prévenu ? S'excuser de lui avoir tout mis sur le dos pour s'éviter la prison ? Elle fit le plus simple, l'invita à entrer avant d'ordonner à Molkky de refaire du thé puis de les laisser tranquilles. Direction le salon sous les yeux estomaqués des portraits, Frida l'était encore un peu. Elle invita son frère à s'asseoir, l'observa longuement, s'attendant à trouver un indice qui prouvait le trucage. "Alors ?"

Le sourire de son frère lui avait peut-être un peu manqué et elle manqua d'étreindre l'homme sous le coup de l'émotion avant de se raviser. Cela avait l'air trop osseux pour ne pas faire mal et elle n'avait aucune envie d'en entendre parler pour les quarante ans à venir surtout qu'il venait de se moquer d'elle. Le gamin. A l'apparence juvénile (ou presque). "Tiens-tu à parler de ça ici ?" Evidemment que non. Elle leva les yeux au ciel avant de s'effacer de l'entrée de la porte pour que son frère puisse entrer dans la demeure. Le miroir de l'entrée lui renvoya leur reflet et sa tête chenue tranchait avec la couleur de la chevelure d'Elie. A tous les coups, il se les était teint juste pour faire genre et peut-être était-il trop maigre pour avoir des rides.

Une fois assise, elle le dévisagea de nouveau. Longuement. Avant de constater qu'il n'avait aucune cicatrice de chirurgie ou autre et n'avait donc pu que rajeunir. Comment ? Elle posa sa question, il la singea. Alors ? Qu'on le renvoie immédiatement en prison sur le champ pour offense à représentant de la Loi. "Je ne te conseille pas Azkaban comme logement longue durée, si c’est ta question." Frida leva de nouveau les yeux au ciel. Il n'avait vraiment pas muri."Ne joue pas à plus idiot que tu ne l'es déjà Elie." Le prénom était bizarre entre ses lèvres, comme rouillé de ne pas avoir été prononcé depuis des années. "Comment va Archibald ?" Claquement de langue réprobateur, comment osait-il prendre des nouvelles d'Archie  avant de s'enquérir de comment elle allait. Quoiqu'elle ne lui avait pas non plus posé la question. "Mon fils va bien. Il s'est marié il y a quelques années maintenant. Il est même père" annonça-t-elle avec fierté malgré son agacement. Et le bébé était dans le top du classement de ses petits-enfants juste parce qu'elle était la fille du chouchou. "Et Cassius ?" Sa voix trahissait une pointe d'inquiétude. Si la libération d'Elie l'enchantait dans le fond, elle préférait que d'autres pourrissent ad vitam au milieu des détraqueurs.

Elle appela Molkky d'un ton sec avant de signifier d'un regard à son frère qu'il était prié de dire ce qu'il voulait boire. De son côté, elle prendrait un cognac pour se remettre de ses émotions et que l'elfe ne traîne pas. Plus vite ils auraient leur boisson, plus vite elle pourrait dire à Molkky d'aller se promener à l'autre bout du pays pour qu'ils puissent discuter à l'abris des oreilles de chauve-souris de la créature. "J'imagine que tu es au courant du retour de Tom ?" interrogea-t-elle, préférant rester sur un sujet plus neutre tant qu'ils n'étaient pas seuls.  

La fierté se peignit sur le visage de son frère, en miroir de la sienne. Un point sur lequel ils étaient d'accord : Archibald était le meilleur élément de leur cheptel de descendants. Son fils. Et le seul qui ne s'était pas acharné à lui causer du soucis, un point qu'elle se gardait toujours de souligner à haute voix. "Mes félicitations à lui et à son épouse" Elle hocha la tête, signifiant que le message serait transmis. "Archibald sera ravi de te revoir" ajouta-t-elle, mince sourire aux lèvres, le autant que moi ne fut pas prononcé, il ne faudrait pas qu'Elie ait les chevilles qui enflent de trop, ce serait déséquilibré par rapport à sa silhouette décharnée. "À toi aussi." Les lippes s'étirèrent en sourire fiérot, elle ne précisa pas qu'Archibald (à l'instar de ses autres enfants) avait choisi seul son épouse en dépit des conseils maternels pour un meilleur parti. Mais Blake était on ne pouvait plus convenable et faisait de beaux enfants si bien que Frida n'avait pas grand chose à y redire même en cherchant bien. Dans d'autres circonstances, elle aurait pu discourir des heures sur son benjamin et ses accomplissements, surtout pour prouver au revenant à quel point il réussissait mieux que tous ses cousins réunis. Mais la réapparition soulevait des interrogations autrement plus urgentes que la frime.

Elle n'avait pas qu'enfoncé Elie pour s'éviter la prison (ils étaient déjà grillés à l'époque de toute façon) et elle était à peu près certaine que les retrouvailles seraient nettement moins chaleureuses avec le père du fils prodigue.   "Toujours dans sa cellule." Elle hocha la tête, se l'imaginant aussi maigre que son frère, recroquevillé contre un mur sale de la prison. Et une image se superposa à celle de son ex mari, un autre visage amaigri par la maladie, peut-être plus encore que celui de Cassius. Pourtant, elle avait tout tenté pour lui faire reprendre du poids mais les efforts employés n'avaient qu'à peine freiné la fuite des kilogrammes au point que l'on avait fini par pouvoir compter les os qui saillaient sous la peau tirant sur le jaunâtre. Frida aurait tout donné pour que ça soit Cassius plutôt que son successeur qui finisse ainsi. "Il n’a pas remarqué mon départ." Elle ne prit même pas la peine de jubiler. "Bien" se contenta-t-elle d'articuler d'un air sombre, chassant de sa tête les visages de ses ex-maris au profit de la vision des joues trop creuses d'Elie. "Il faut vraiment que tu reprennes du poids, tu t'es encore plus enlaidi." Frida ne supportait plus les gens maigres. Et pour commencer à y remédier, elle invoqua son elfe d'un ton sec.

Molkky apparut dans la seconde, contemplant Elie du coin d'un œil où se lisait l'incrédulité. Même à l'elfe il arrivait à faire de l'effet. Mais rien par rapport à la confusion dans lequel il avait plongé Frida. Réapparition et rajeunissement, double effet kisscool que seul un verre l'aiderait à surmonter. Et des gâteaux (trop sucrés, avec trop de beurre) pour gaver son frère. "Du thé" Tsss.  "Sucré." La chochotte. Ou plutôt l'hôpital qui se foutait de la charité, la vieille avait toujours eu la main lourde sur le sucrier. Molkky partit, revint juste après qu'elle ait posé sa première question fatidique. Elle se saisit de son verre d'une main un peu tremblante et en but une première gorgée avant de faire signe à l'elfe de disparaître loin en laissant la bouteille sur la table. Maintenant, ils pouvaient discuter. "Oui. Il m’a dit que tu étais revenue auprès de lui." Ainsi, il était allé voir Tom avant d'aller la voir elle. Regard un rien venimeux au frangin, qui d'autres avaient été mis au courant avant Frida qu'Elie se baladait librement le visage dépourvu de rides ? "C'est lui qui est parti" répondit-elle, tenant à rétablir la réalité et ne craignant pas particulièrement que son frère ne le dénonce au reste de l'élite. Il était, après tout, habitué à sa mauvaise foi légendaire. "J’imagine que notre mère désapprouve toujours sa compagnie." Le sourire qui vint orner ses lèvres était le même que ceux qu'elle esquissait il y avait des années de ça, quand elle était encore rien d 'autre qu'une petite peste et qu'Elie était à peine plus grand. "Je me suis faite un plaisir de lui annoncer la nouvelle" ronronna-t-elle avec satisfaction. Pour l'occasion elle avait levé le sort de silence lancé sur le portrait de la encore-plus-vieille-que-Frida Beckett ainsi que sur celui de son premier mari. Tous deux pro-Grindelwald, tous deux passablement outrés que Jedusor le vaurien se la joue Lazare.

Elle ne raconta pas à son frère les cris d'orfraie qui avaient été poussés par les visages peints, préférant le dévisager de nouveau comme pour s'assurer une fois encore que c'était bien lui. "Assez tourné autour du pot Elie" Elle n'avait jamais eu beaucoup de patience pour les petites cachotteries de son aîné. "Comment es tu sorti d'Azkaban ? Et ton apparence ?" A la rendre folle de jalousie. Elle aurait su qu'Azkaban tenait de la fontaine de Jouvence, elle n'aurait peut-être pas fait des pieds et des mains pour éviter de s'y faire incarcérer.

Impatiente ? Elle ? Pas le moins du monde. Elle piaffait. Elle prit une gorgée de son verre et la brûlure de l'alcool le long de sa gorge ne dissipa aucune illusion. Son frère se tenait là, devant elle, toujours avec ses années de moins. Cela faisait dix fois que Frida faisait ce constat, dix fois qu'elle avait encore du mal à y croire - cela tenait du rêve trop réaliste qui laissait amer au réveil - et dix fois qu'elle maudissait Elie pour ne lui donner aucune réponse convaincante. Elle finit suspendue aux lèvres de son aîné, ne cachant rien de sa perplexité. Une offre ? Qui venait faire des offres aux prisonniers d'Azkaban ? Frida en avait déjà vu, pour des appels de procès notamment, et les hommes tenaient plus que du mort que du vivant si bien que leur inutilité ne pouvait être remise en cause. Aussi exceptionnel ait été le sorcier, son squelette ne servait jamais à grand chose (à part pour des rituels de résurrection, soit). Elle ne s'encombra pas d'assiette pour croquer dans un gâteau un peu dur (Molkky se chargerait de nettoyer le tapis dans  l'heure qui suivrait le départ de l'invité surprise). "Quelqu’un s’est fait des ennemis puissants et a besoin d’un garde du corps capable de les garder à distance." La juge plissa les yeux, se donnant des airs de vieux chats inquisiteurs, elle n'aurait jamais cru qu'Elie figurait encore sur la liste des gardes du corps potentiels (elle avait toujours sous-estimé le talent de son duelliste de frère, il avait toujours été bon, c'était devenu la norme). "Considérant… tout, l’offre est venue avec la condition que je sois en état de servir de garde du corps. En plus de profiter de la légère distraction provoquée par nos camarades." Sourire presque triomphal, il avait fallu le doper (ou plutôt le rajeunir) pour qu'il soit bon à quelque chose, il trichait, elle le dirait à maman ou plutôt à son portrait. "Le nom de Telford Burbridge te dit-il quelque chose, Frida ?"

Petite moue outrée à la question fraternelle. "Evidemment, tu me prends pour qui ?" Comme si Frida ne connaissait pas l'intégralité des sorciers un tant soit peu intéressants. "Comment pourrais-je oublier le nom du mari de Philomène Flamel ?" Elle adorait rappeler qu'elle était amie avec des descendants de familles beaucoup plus illustres que la leur (encore que les Beckett était la crème de la crème du sang-mêlé dixit Frida), elle adorait aussi appeler les hommes les maris de comme elle n'avait jamais aimé être qualifiée de femme de (parce que ça avait toujours été Tom avant tout). "L'alchimie donc..." Elle n'avait jamais envisagé cette branche de la magie pour réduire ses rides alors même qu'elle était directement associée à la pierre philosophale. C'était que Frida était une sorcière relativement médiocre et qui ne s'acharnait pas dans les domaines où elle ne vaudrait jamais grand chose Le pouvoir, elle l'avait trouvé ailleurs et elle n'avait pas besoin de prononcer le moindre sort pour se débarrasser de ses ennemis. "J'espère que tes ennemis ne sont pas trop puissants, tu n'as quand même plus vingt ans Elie" susurra-t-elle en reposant son verre de cognac. "Ce serait dommage que tu nous quittes à peine revenu." Ton ironique qui n'enlevait rien au sous-texte : Frida était beaucoup plus heureuse qu'elle ne le montrait du retour de son frère et n'apprécierait que peu qu'on le lui enlève une nouvelle fois.

Bien sûr qu'elle n'avait pas pensé à l'alchimie, qui accordait encore du crédit à une pratique toute droit sortie du Moyen-Âge à part une poignée de sorciers français (dont certains frôlaient l'immortalité, certes) ? Pas Frida qui était une femme moderne comme elle aimait le souligner avant de rappeler à quel point c'était mieux avant. Mais elle ne dit rien - elle ne reconnaissait jamais ses tords à haute voix - se contentant de plisser le nez, mimique absente de son visage depuis des années (depuis qu'Elie ne l'avait pas embêtée). Pendant un instant, elle le trouva inchangé malgré les kilogrammes en moins et le regard vidé, mieux qu'à vingt ans peut-être mais toujours aussi arrogant, toujours aussi agaçant. Il lui faisait de la concurrence. Frida espérait presque qu'il se prenne une raclée mais le duelliste n'était pas abonné aux défaites (rageant). "Et les ennemis de Burbridge sont d’anciens amis. J’ai su trouver un arrangement." Bien évidemment. "Tu n'as plus qu'à retourner dans ta cellule maintenant que c'est réglé..." fit-elle d'un ton plat. Mais son regard n'en disait pas moins : ne jamais résoudre les problèmes trop vites sous peine de devenir inutile tout aussi rapidement. "Je m’inquiète davantage pour les tiens, d’ennemis." Elle fit tournoyer le liquide dans son verre d'un geste distrait, les traits dépourvus d'inquiétude, presque amusés. Frida avait toujours eu des ennemis et ces derniers avaient tendance à vivre moins longtemps que Frida (pas de chance). Un de ceux-là la contemplait d'ailleurs, accroché au-dessus de la cheminée comme l'on accrocherait un trophée de chasse, le portrait s'écaillait par endroit mais n'enlevait rien de la haine qui brulait dans le regard de son premier mari. "Certains pourraient t’en vouloir de tout ce que tu as fait, entre la disparition de Tom et maintenant." Les lèvres fripées s'étirèrent en grimace. Ces ennemis là donc. "Je n'ai rien fait, je te l'avoue, comme beaucoup d'entre nous. Azkaban ne me tentait pas et je ne pense pas qu'on puisse me le reprocher." Ce n'était pas elle qui avait disparu de la circulation après un un versus un avec un bambin. Et si on commençait à chercher des poux à tous ceux qui s'étaient contentés de jouer les pantins, les rangs des mangemorts allaient s'éclaircir à une vitesse affolante pour ne laisser plus que les rescapés d'Azkaban, aux regards plus ou moins fous et aux pensées plus ou moins claires (Elie avait l'air d'aller, elle en était heureuse). "Maintenant, à la seconde où Tom est revenu, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le servir et je continuerai." Il ne pouvait en être autrement, elle était une fan adepte de la première heure, alors même que Jedusor n'était qu'un simple préfet de Serpentard (mais déjà si charmant, dans ses souvenirs, elle le voyait toujours aussi nettement). "Tu m'en veux toi, Elie ?" Au fond, elle espérait que non.