« Je m’en occupe. », a-t-elle dit alors que le tour de table répartissait les quelques interrogatoires de routine à réaliser après le décès de Roy Flint. Certains responsables l’ont regardée un peu de travers sur le coup, pas vraiment sûrs qu’ils avaient bien entendu, à moitié suspicieux (à se demander si c’était une sorte de test et s’il fallait se jeter sur le dossier dont elle s’était emparée). « Ça me fera du bien de retourner un peu sur le terrain. », doit-elle donc préciser, comme pour rassurer tous ceux qui la fixent avec un peu trop d’incertitude dans leurs yeux. La réunion est levée sur ces mots alors qu’elle leur fait signe de dégager de son bureau, et elle se retrouve seule avec la pochette de couleur rosâtre.
Elle n’est pas encore bien sure de pourquoi elle s’est arrogée cette responsabilité.

On serait en droit de supposer qu’elle a effectivement besoin de se dégourdir un peu les jambes et de sortir de l’entresol entre les niveaux 2 et 3 du MInistère de la Magie. Il y a un vieux climat vaguement anxiogène depuis que Flint a passé l’arme à gauche et que Travers est monté en grade, suivi de près par Marsh. L’idée des interrogatoires de routine est surtout là pour rassurer tous les nouveaux chefs de service que toutes les pistes sont couvertes, que les éventuelles menaces sont connues, identifiées, et que rien n’arrivera de nouveau à ceux qui viennent de gagner des galons.

C’est un interrogatoire de routine, et elle aurait pu laisser les autres s’en charger, après tout, et continuer à jouer à la conne dans la salle de pause de la Justice Magique. Ou attendre que les rapports pleuvent dans son bureau, et les lire au fur et à mesure de leur arrivée.
Mais non.
En même temps, elle a considéré que c’était peut-être un signe de l’univers (ou des Mages) pour lui dire qu’il était temps de recommencer à causer avec son ex, Jim Haggen, dont le nom était en capitales sur la première page du dossier relatif aux Rowdy Ravens.

Elle a envoyé un hibou à Jim, le premier depuis plus de vingt ans, et ils avaient convenu qu’elle vienne le trouver à la fin d’un entraînement de l’équipe. Soucieuse d’être à l’heure, elle était arrivée en avance, et avait commencé à papoter un peu distraitement avec la manager de l’équipe, Meredith. Un instant, un seul, elle avait oublié qui elle venait voir, mais lorsque le regard de Meredith s’était tourné vers derrière elle et que la jeune femme avait annoncé que les joueurs avaient l’air d’avoir fini, l’évidence lui était revenue en pleine face, comme une gifle. Se retournant pour suivre la sortie progressive des joueurs (dont les noms et les photos étaient soigneusement indiqués dans le dossier qu’elle avait laissé sur son bureau à la MISC), elle avait hoché la tête en silence à l’adresse de ceux qui la scrutaient brièvement, et avait attendu avec un peu d’anticipation l’arrivée de celui qu’elle n’avait vu que de loin (voire qu’en couverture de magazine) depuis si longtemps.
Il fallait bien reconnaître qu’il ne ressemblait plus vraiment au jeune homme dont elle était tombée amoureuse, et dont elle s’était séparée depuis longtemps, pour cause de différences de plus en plus grandes entre leurs intérêts et leurs emplois du temps. « Jim, bonjour ! Elle esquisse un sourire un peu timide, un peu enjoué, alors qu’elle hésite sur comment le saluer vraiment. Je ne savais pas si tu voulais aller quelque part après, alors je t’ai apporté un café —promis, je n’ai rien ajouté comme sucre. » Elle ne sait plus quels sont ses goûts. Elle a peut-être volontairement voulu bannir ce genre de détails de sa mémoire, lorsqu’ils se sont séparés. Lui tendant un gobelet dans une matière proche du carton moldu (mais qui était un très bon isolant sans avoir besoin de doubler les couches), elle ajoute, un peu gauche : Merci d’avoir bien voulu qu’on se revoie, d’ailleurs ! »
Le malaise, somme toute léger, n’était néanmoins pas feint. Il y avait quelque chose qui, sur le coup, l’empêchait de feindre un détachement total quant à ces retrouvailles un peu forcées. «  L’entraînement s’est bien passé, j’espère ? » Une chance qu’elle ait toujours été très douée en small talk en tout genre, ça vient assez naturellement, quand même…

Le hibou d’Olivia a été une surprise.
Agréable, ou non, Jim ne saurait pas dire.
Dans le doute, il a tout de même accepté sa demande.

Du haut des airs, solidement assis sur son propre balai d’entraînement (vous voyez, avec tous les balais qu’il collectionne, il en a un pour chaque occasion), il n’a pas manqué son arrivée sur le terrain des Rowdy Ravens, en compagnie de Meredith. Son moment d’inattention n’est pas non plus passé inaperçu auprès de ses joueurs et joueuses et c’est seulement sous la menace de pompes qu’il a réussi à chasser leurs petits sourires de malin de sur leur visage. Ça l’a toujours peut-être, et on dit bien peut-être convaincu d’écourter l’entraînement (de dix minutes, bon, presque rien).

Il est le dernier à redescendre, le dernier à défiler derrière tous ses joueurs (qui ne manquent pas de regarder la Rashford, puis de le regarder lui, puis de se regarder entre eux, et merci à tous les Fondateurs qu’il ait déjà les joues rouges grâce au vent et au froid automnal, hein), et donc le dernier à arriver devant Olivia. Son balai toujours en main et soudain, il ne sait plus quoi en faire. « Jim, bonjour ! Le sourire qu’il rend à son ex est au moins aussi timide ― elle non plus ne ressemble plus vraiment à la jeune adulte de jadis, mais Merlin… quelle femme elle est devenue. Je ne savais pas si tu voulais aller quelque part après, alors je t’ai apporté un café —promis, je n’ai rien ajouté comme sucre. Noir, c’est très bien, merci », assure celui qui prend son café définitivement bien sucré, quoique pas autant qu’Olivia, mais qui n’en dira rien. Il préfère le thé, même, mais ça aussi, ce ne sera pas dit. « Merci d’avoir bien voulu qu’on se revoit, d’ailleurs ! Ça me fait plaisir, Liv. » Ni mensonge, ni vérité : le sourire reste toutefois un peu retenu et ne monte pas tout à fait jusqu’à ses yeux, alors qu’il prend le gobelet de café dans sa main droite perpétuellement gantée. «  L’entraînement s’est bien passé, j’espère ? Oui, réponse évasive au mieux, assortie d’une légère taquinerie : Tu n’es pas venue faire de l’espionnage industriel pour une autre équipe, j’espère », et il a un petit rire, sans se douter d’à quel point le mot espionnage peut être sensible pour la femme devant lui.

Scout a cessé son tour des joueurs afin d’obtenir d’eux les dernières caresses du jour et vient se poster à ses pieds, et il se penche un peu pour maladroitement la gratouiller entre les oreilles, de la main qui tient son café. « Va retrouver Meredith », raconte-t-il en gallois à la chienne en faisant un petit signe de la main vers la manager des Rowdy Ravens, déjà au courant de son travail de gardienne canine le temps de cette discussion. Une casquette de plus pour Meredith, qui vient d’elle-même chercher le balai (merci) et Scout (double merci), saluant Olivia avant de quitter le terrain, la corgi sur les talons.

Maintenant, ils ne sont vraiment que tous les deux, et le malaise diffus de ces retrouvailles se fait plus appuyé. « Il y a un beau sentier, dans la forêt. Ses yeux pers se posent sur la porte qui mène le plus directement à l’extérieur du stade, directement dans le coin de Gwydyr où ils sont installés, avant de revenir à Olivia. On y sera mieux. » Ils seront surtout loin des oreilles de ses joueurs et de sa manager (et même de celles encore un peu trop grandes de Scout). Il n’a aucune idée de pourquoi la Rashford désire le voir, mais dans le doute, il préfère suggérer un endroit plus discret. Plus champêtre, aussi, que les gradins vides du stade des Ravens, et qui lui permettra de rester calme.
Il ne peut pas s’empêcher de se demander encore si la surprise de sa présence est agréable, ou non, et si la femme devant lui est là comme brigadière de la BPM, ou comme… comme un visage du passé, tout simplement.
La réponse est probablement un peu de tout cela.

Ça va être moins bizarre d’ici quelques minutes. C’est ce dont elle essaie de se convaincre alors qu’elle se retrouve face à Jim et qu’elle a quelques papillons qui se réveillent dans son ventre, vestiges d’années où ils étaient jeunes et un peu plus proches que maintenant. Ça va devenir naturel, elle essaie d’y croire, et la voilà qui s’esclaffe doucement alors qu’il confirme que l’entraînement s’est bien passé et l’accuse en riant aussi : « Tu n’es pas venue faire de l’espionnage industriel pour une autre équipe, j’espère »
Oh ben tiens, comme si elle travaillait pour le compte d’une autre équipe de Quidditch, oui oui oui.

« Oh tout de suite ! », proteste-t-elle donc sans trop de véhémence, et sans devoir se forcer pour sourire de toutes ses dents, à la manière d’une Saracita Kazan, tiens, maintenant qu’on y réfléchit. « Me soupçonner d’une pareille trahison ! » S’offusque-t-elle faussement par la suite alors qu’un corgi s’approche d’eux et que Jim se détourne d’elle quelques instants pour flatter le chien avant de lui glisser des termes que Liv serait bien en peine de comprendre. Tout ce qu’elle reconnaît, c’est le nom de la manager des Rowdy Ravens, mais peut-être est-ce parce que la silhouette de la jeune sorcière s’approche d’eux qu’elle parvient à distinguer son prénom.
Peut-être.

Olivia suit distraitement des yeux la silhouette de la sorcière qui reprend du champ, avant de revenir à Jim lorsqu’il reprend la parole à son égard, dans un anglais commun : « Il y a un beau sentier, dans la forêt. Un sourire en coin se dessine sur les lèvres de l’ancienne préfète, alors qu’elle le scrute avec malice, jusqu’à ce qu’il ramène ses propres yeux pers sur elle. On y sera mieux. », complète-t-il, sans qu’elle n’ait rien prononcé. Pour un peu, on pourrait croire qu’ils sont remontés dans le passé, du temps de leurs rendez-vous amoureux dans le Parc de Poudlard.
Une telle pensée la rend un peu nostalgique, sur l’instant, mais rien sur le visage de la maître-espion ne pourrait le laisser croire, alors qu’elle hoche la tête avec un sourire qui ne dévoile plus ses dents. Tendant la main vers la porte de sortie, elle ajoute : « Je te suis, où tu veux. », sorte de promesse qui pourrait être moins paisible s’il savait quelle unité secrète elle dirige d’une main de fer.

Il va falloir à un moment lui faire comprendre pourquoi elle est là, sans pour autant le braquer. C’est bien pour cela qu’elle a choisi de s’occuper personnellement de cette affaire. Elle aurait pu laisser le champ libre à ses subalternes, qui auraient sans doute usé de polynectar pour l’interrogatoire… Mais elle veut croire qu’une discussion paisible peut parfois faire des miracles. Prenant une gorgée de son sucre au café, elle hésite un instant à prendre le bras de Jim, mais se retient -ils ne sont plus aussi intimes que cela, et ça serait peut-être trop forcer les choses pour le coup. Autant éviter. À la place, maintenant qu’ils ont passé l’enceinte du stade et qu’ils avancent vers la forêt, elle se permet un compliment : « Ça te va bien, ce poste d’entraîneur. » Elle ne va pas remuer le couteau dans la plaie, lui dire qu’il a bien meilleure mine maintenant que dans les années plus difficiles de sa vie. Si elle n’a pas osé le contacter dans ces moments-là, il vaut mieux qu’elle n’y fasse tout bonnement pas allusion. « Ils ont l’air de te faire confiance, c’est plutôt une bonne chose, non ? », hasarde-t-elle, consciente de ce que ça fait, d’avoir une équipe sous ses ordres, mais tout à fait consciente également que la brigadière en apparence stupide qu’elle doit être pour la galerie n’y connaît rien. « C’est vrai, ce que disent les journaux ? Le côté « famille nombreuse et heureuse » des Ravens ? On a des paris là-dessus, à la Brigade, et ça m’arrangerait que tu me dises sur quoi je dois mettre mon argent… » Le small talk continue, messieurs-dames, mené de main de maître par Liv Rashford, experte ès tactiques d’enfumage et apaisement des âmes.
Elle pourrait aussi sonder son esprit, sans faire dans la dentelle.
Mais ça serait un peu… agressif comme technique, et elle a envie d’y aller en douceur, là.
C’est Jim, quand même.
Rien que pour ça, il peut bien avoir droit à quelques égards.

« Je te suis, où tu veux. » Oh, Merlin… Il y a longtemps qu’il a entendu une femme, ou un homme, lui dire quelque chose dans ce genre. Encore plus Olivia, qui remue tout un ensemble de souvenirs ― certains heureux, certains moins ― par sa seule présence. Par ce seul sourire, tantôt toutes dents dévoilées, tantôt plus discret, qu’il aimait tant, lorsqu’ils étaient jeunes. Bien jeunes.

De la façon qu’elle évite de lui prendre le bras, lui évite de lui tendre. Leurs pensées au même diapason : ils ne sont plus si intimes. De plus, dans son cas, le mystère de sa visite n’est toujours pas résolu, et il y a de saintes limites à tendre le bras vers ce qui pourrait potentiellement se retourner contre lui. Même si… Liv prendrait-elle la peine de lui amener un café, avant de lui asséner le coup de grâce ? Un coup d’oeil de biais, alors qu’il prend une gorgée dudit café. « Ça te va bien, ce poste d’entraîneur. Tu trouves ? », devise-t-il avec un petit sourire ravi, sans oser demander ce qu’elle en pense vraiment (dit-elle la vérité ? ça lui va bien ? bien comment ?). Sans tout à fait lui demander de valider la chose, alors que Jim se sent à la bonne place. Il a passé des années à se tenir si loin de tout ce qui touchait au Quidditch, incapable de faire le deuil de sa carrière et de lui-même, et maintenant qu’il est avec les Rowdy Ravens… c’est comme s’il n’était jamais parti. Pire : c’est comme s’il était un peu destiné à cela. Disons qu’il aurait préféré avoir cette illumination autrement, mais il sait aussi très bien que peut-être que ça ne serait jamais arrivé sans tout… tout cela. « Ils ont l’air de te faire confiance, c’est plutôt une bonne chose, non ? Après bientôt deux ans, c’est tout ce que j’espère. Ce n’est pas un secret que les Rowdy Ravens ont enchaîné les entraîneurs, depuis le décès de Morgan : qu’il soit encore là presque deux ans plus tard, c’est carrément un exploit, dans la situation. Ça va mieux, disons, et ça se passe aussi très bien avec Meredith. Sans elle, je ne sais pas ce que je ferais. » Une seconde gorgée de café accompagne le compliment sincère destiné à sa collègue, véritable sauveuse parfois (souvent) lorsqu’il en vient aux humeurs de ses joueurs. Vraiment, sans elle, cette équipe marcherait sur la tête. Ou il n’y en aurait plus depuis longtemps.

« C’est vrai, ce que disent les journaux ? Le côté “famille nombreuse et heureuse” des Ravens ? On a des paris là-dessus, à la Brigade, et ça m’arrangerait que tu me dises sur quoi je dois mettre mon argent… Tiens tiens, commente-t-il en haussant comiquement les sourcils, comme s’il venait de mettre le doigt sur une information capitale. Je ne pensais pas que madame la brigadière entretenait des paris au nez et à la barbe du gouvernement », et le sourire est définitivement moins vrai, moins vivant, malgré la boutade humoristique servie. Parler, même en blague, du gouvernement n’est pas sa tasse de thé. Le plus loin il est de tout cela, de ses agents (y compris la Rashford)… le mieux il se porte en règle générale. « Je ne révélerai rien qui pourrait se retourner contre mes joueurs, dit l’homme, avant de se pencher un peu vers Liv (il n’a jamais été bien plus grand qu’elle), l’air de lui glisser une confidence : Mais si tu cherches des potins juteux sur lesquels mettre ton argent… y’a de belles rumeurs du côté des Kings. »

Comment très poliment lui dire d’aller regarder ailleurs s’il y est, et justement, parlant de gouvernement, pourquoi pas vers les chouchous de celui-ci : un cours selon Jim Haggen.

L’âme de Godric Gryffondor lui fait prendre les devants d’une discussion dont il n’a plus envie de repousser les véritables tenants, dont il ignore tout : « Je me doute que t’es pas là pour faire concurrence à l’OPAQUE. Quoique, ça pourrait ramener un peu de vie à l’organe de paris de plus en plus moribond, d’ajouter les petites histoires intimes des joueurs aux possibilités sur lesquelles mettre ses Gallions. Comment ça va, à la brigade ? » Il prend les devants, mais tourne quand même encore un peu autour du pot, oui bon. Disons que directement lui demander s’il y a un problème… lui aussi peut tenter d’être un peu délicat.

Le regard de Liv reste fixé sur le visage de Jim, alors qu’il mentionne la manageuse de l’équipe. Elle hoche la tête, en reprenant une gorgée de sucre liquide, ravie. Elle reconnaît bien là le Haggen qu’elle a connu à Poudlard : pas du style à considérer qu’il était le seul responsable d’une victoire, toujours à penser collectif.
Il y a des choses qui ne changent pas.

Et elle a un rôle à tenir, alors elle enchaîne, profite de l’angle sur les Rowdy pour poser des questions sur l’ambiance interne, quite à raconter des bêtises sur la Brigade de Police Magique (même si, en vrai il y a bien des paris en cours, mais plutôt en lien avec la saison en cours), et elle ne retient pas un sourire complice alors qu’il rebondit sur sa question. « Je ne pensais pas que madame la brigadière entretenait des paris au nez et à la barbe du gouvernement - Vu la paie de misère aussi… », grogne-t-elle sans même forcer le trait, haussant les épaules et se gardant bien d’ajouter trop de détails (qui pourraient finir par sembler grotesques). Elle ne veut pas trop parler, parce qu’elle aimerait bien que lui parle, sans qu’elle ait trop besoin d’y aller avec des gros sabots. Sauf que Jim n’est pas du tout dans le bon état d’esprit et que Jim n’a pas du tout envie de lui faciliter la vie, on dirait. « Je ne révélerai rien qui pourrait se retourner contre mes joueurs Liv continue de sourire à pleines dents, mais intérieurement, elle s’agace. Franchement, il pourrait quand même coopérer et se la jouer charmant ! Se doute-t-il qu’elle n’est pas seulement là pour échanger des plaisanteries ? Sans doute : il n’a jamais été un imbécile, quand bien même certains ont dû en être persuadés. Olivia voudrait insister, d’une façon plus subtile cela va sans dire, mais voilà que l’entraîneur détourne la discussion, lance un autre appât : Mais si tu cherches des potins juteux sur lesquels mettre ton argent… y’a de belles rumeurs du côté des Kings. » Et, rien que pour qu’il ne se doute pas de ce qu’elle est devenue, elle ne se défait pas de son rictus, arque un sourcil, le regard de côté, comme pour l’inviter à en dire plus… En vain, alors elle glisse un petit : « Me voilà intriguée, je tâcherai de me renseigner… »
Ben tiens.
Il n’empêche que ça pourrait être pas mal d’éplucher le dossier des Kings, une fois de retour au bureau, ne serait-ce que pour voir à quoi Jim pouvait faire allusion.

Elle reprend une gorgée de café, la laisse descendre lentement dans sa gorge, se concentre quelques instants sur la sensation de chaleur interne. D’un regard un peu plus lointain, elle a Jim dans son champ de vision sans pour autant se focaliser sur lui pendant ces quelques secondes. Elle a toujours aimé laisser le silence faire son œuvre pendant un interrogatoire qui n’en avait pas l’air : on peut toujours mieux observer son interlocuteur, déterminé s’il est stressé, s’il est agacé, et ainsi de suite… Alors c’est encore une fois le Gallois qui reprend la parole avant elle, et lance le coup d’envoi d’une rencontre qui risque de ne pas le laisser indemne. « Je me doute que t’es pas là pour faire concurrence à l’OPAQUE. - On ne peut rien te cacher., concède-t-elle avec une moue un peu gênée, bien campée dans son personnage un peu sot, un peu gauche, un peu partagée entre la joie de retrouver un homme qui avait compté pour elle, et la charge imposée par sa hiérarchie. Comment ça va, à la brigade ?, l’interroge-t-il encore et c’est un soupir qui s’échappe d’abord des narines de la sorcière.  Ça va, ça va. » Une autre gorgée, elle déglutit, et puis elle pose ses billes sombres sur Jim et avoue : Bon, je t’apprends rien, c’est le chaos au Ministère là, avec la mort de Flint. No shit, Merlock., pourrait-on lui souffler. Elle feint en tout cas bien la réticence à poser les questions pour lesquelles elle est censée être là. Du grand Liv Rashford. Et hop, une question qui n’a pas l’air d’en être une sérieuse, mais qui est là pour -semble-t-il gagner du temps : Et, euh… Meredith me disait que le corgi était un cadeau de l’équipe ? » Mais oui, bien sûr, on dévie la discussion, on retarde l’inévitable, tout à fait, ah ah, comme c’est gênant.
Comme si elle était redevenue une adolescente.
Quelque part, elle s’en veut un peu de faire son grand numéro à Jim Haggen.
Mais c’est le boulot, là. Et elle tient à garder la tête sur les épaules… Alors s’il faut, pour ça, user de tous les moyens pour qu’il baisse sa garde et qu’il ne se méfie pas (pas trop, du moins), elle peut bien le faire. Tant pis pour les scrupules qu’elle étouffe.

Dévier l’attention sur les KK fait-il son effet ? L’ancien Gryffondor n’en sait trop rien : il peut seulement espérer que oui et que les petites ambitions parieuses de la BPM se porteront sur d’autres personnes que ses poulains. Ceux-ci en ont assez vu, les dernières années, et il n’est pas sans savoir que le changement perpétuel d’entraîneur devait bien être une source de revenus pour quelques médisants. C’est peut-être petit, peut-être un peu mesquin, de se cacher derrière les autres, mais… que voulez-vous, le courage du lion n’est pas nécessairement entièrement revenu.
Et peut-être aussi qu’il trouve que ce serait bien fait pour l’entraîneuse des Kings, qu’il ne peut pas supporter (et n’a jamais pu, d’ailleurs). Si ça peut lui casser un peu les pieds à son tour…

Son ancienne petite amie semble bien embêtée qu’il soit si direct et de ses questions sans détour. Une petite joie se trace, d’ailleurs, lorsqu’elle répond avec ce qui lui apparaît être de la franchise : « Bon, je t’apprends rien, c’est le chaos au Ministère là, avec la mort de Flint. » La mort de Flint, évidemment. Jim grimace, Jim hoche un peu la tête, Jim hausse les épaules, Jim ne sait pas quoi dire exactement, parce que la mort de Roy Flint, ça a définitivement été un événement, euh, comme qui dirait, souligné par les Rowdy Ravens. « Ah, oui, la mort de Roy », et il utilise le prénom du défunt comme s’il le connaissait, comme s’il avait le moindre droit de l’appeler ainsi, comme si ce n’était pas par calque de la façon de parler de son fils. Si le Ministère de la Magie est sans dessus-dessous depuis la mort de son directeur de la Justice magique, lui ne pleurera rien de toute cette affaire. Ni les soucis ministériels, ni la souffrance endurée par le Mangemort dans les derniers mois.

La joie est néanmoins de courte durée alors que le sujet change une nouvelle fois et ne court toujours pas sur les raisons qui amènent la brigadière jusqu’au terrain de Quidditch : « Et, euh… Meredith me disait que le corgi était un cadeau de l’équipe ? Une idée de Jules, qu’il se permet de préciser, les sourcils froncés dans son visage encore bronzé par l’été et les longues heures sous le soleil pendant matchs et entraînements. Gorgée de café qui ne détricote pas le pli de son front. Je crois qu’ils se sont dit qu’elle allait me tenir compagnie, la petite Scout », et ils ont bien eu raison. Il est tombé en amour avec la chienne dès le premier regard et son énergie le force à encore plus bouger, ce qui est non négligeable ― en témoigne le vieux pantalon dans lequel il s’est surpris à rentrer de nouveau.

Les yeux pers font une nouvelle fois le chemin jusqu’au visage de Liv, pris dans une expression embêtée qui commence à inquiéter l’ancien joueur de Quidditch. Elle ne viendrait quand même pas lui demander son aide, non ? Après toutes ces années, à lui de toutes les personnes dans ce pays ? Comme si Jim avait une quelconque influence dans le monde sorcier, hors des limites des RR. « Es-tu certaine que ça va ?, demande-t-il avec plus de douceur, comme s’il pouvait ainsi sortir une nouvelle fois une réponse plus franche de la femme. Ce n’est pas que je m’inquiète un peu, mais peut-être ? »

Ça fait des années -non, des décennies- qu’elle trompe son monde à tout bout de champ, que tous la prennent pour une écervelée bonne à seulement faire du café. Mais Jim la connaît, l’a connue en tout cas, à une époque où elle était moins outrancièrement sotte. Et Jim ramène le sujet sur le tapis, après sa grossière tentative de détourner la conversation.
Au moins, il aura lui-même décidé d’aborder un sujet qui semble tracasser Olivia. Doit-elle y voir un relent de sympathie de la part de son ex ? Sans doute pas. Elle n’a pas non plus cherché à être d’une subtilité incroyable et joue assez bien l’employée lambda un peu emmerdée par ce qu’elle a pu entendre pendant la pause café. « Es-tu certaine que ça va ? », reprend-il donc, avec cette douceur qui le caractérise encore -ça la rendrait presque nostalgique, d’entendre son timbre aussi prévoyant. « Ce n’est pas que je m’inquiète un peu, mais peut-être ? » Liv Rashford esquisse un sourire gêné, une moue qui prend des accents désolés. Intérieurement, c’est la raison froide qui dirige la moindre de ses actions, ne nous leurrons pas là-dessus, ce serait se méprendre.

Avec un naturel frappant, elle pose une main sur l’avant-bras de Jim le plus proche (le droit), dans un élan de familiarité ancienne, qu’elle semble refréner l’instant d’après, en retirant sa main et en soupirant enfin : « T’as raison, c’est pas seulement pour renouer que je viens te voir… Même si ça me fait vraiment plaisir d’avoir pu assister à cet entraînement et passer un peu de temps avec toi… » Elle l’observe du coin de l’œil, scrutant la moindre réaction sur le visage de l’entraîneur, et poursuit, en adaptant son récit aux infimes signes qui transparaissent. Reprenant une gorgée de son sucre au café, elle lui fait le grand numéro, qui pour des personnes n’ayant pas l’habitude, est criant de sincérité : « Ils sont tous complètement tarés en ce moment, à la Brigade. » Se distancier des collègues, de leurs pensées, de leurs réactions. Donner l’impression qu’elle, au moins, elle a encore un peu de jugeote. « De ce que j’ai compris, ils n’ont toujours aucune piste plausible et rien de clair. » Difficile de savoir, en la regardant, si elle considère que c’est une bonne ou une mauvaise chose. « Il y en a même qui commencent à émettre l’hypothèse que ce soit un coup du fils de Flint… » Elle hausse les épaules, secoue la tête, comme si c’était vraiment n’importe quoi, à force. Et tout en faisant ça, elle guette. « Enfin bon, c’est pas très passionnant tout ça, et c’est sans doute une énième fausse piste, mais j’ai préféré profiter de la situation pour venir… te prévenir… » Elle le regarde un peu plus franchement, un sourire un peu forcé sur les lèvres, et ajoute : « Au cas où le patron décide d’envoyer des vrais agents de la Police Magique. », clarifie-t-elle en insistant sur le côté « vrai », comme si elle savait elle-même qu’elle ne servait pas à grand chose dans la Brigade.

Et tout en racontant tout ça, la voilà qui s’est engouffrée sans l’once d’une hésitation dans les pensées de son ancien petit ami, sans en avoir l’air, et qui scrute psychiquement les éventuelles pensées ou réactions que ce brave Jim Haggen pourrait avoir sans vouloir lui en parler.

Le réflexe est plus fort que lui et lorsqu’Olivia pose sa main sur son bras droit, Jim le retire en même temps qu’elle reprend sa main. À travers le tissu de sa manche, le contact  « T’as raison, c’est pas seulement pour renouer que je viens te voir… Même si ça me fait vraiment plaisir d’avoir pu assister à cet entraînement et passer un peu de temps avec toi… » L’homme hoche la tête, incapable de prononcer ce qui pourrait bien trop être un mensonge.
Il ne sait plus s’il est si content de revoir son ex.

Le sujet revient à celui précédemment abordé : la mort de Roy Flint. Il écoute tout avec attention, hoche la tête lorsqu’il le faut, a un petit « Ça doit être difficile » pour compatir à l’agitation un peu folle de la Justice magique à savoir qui a envoyé le sang pur manger des fleurs par la racine. « Il y en a même qui commencent à émettre l’hypothèse que ce soit un coup du fils de Flint… ses épaules se raidissent aussitôt. Le fils de F… Marcus ? » Si elle vient lui en parler, c’est que ce n’est pas Isaac Flint qui est en cause, mais bien le grand gamin sous sa carge ― le capitaine de son équipe. Marcus. Ses yeux pers se sont écarquillés et il suit les explications d’Olivia avec un soupçon d’horreur et surtout, une bonne dose d’angoisse, à imaginer que des agents du Ministère pour venir au stade des RR. La dernière fois que des agents de la Brigade sont venus, Morgan est mort et… Dans sa gorge, sa pomme d’Adam tremble et il fixe ses chaussures, le petit sentier entre les arbres, soudain à court de mots.

L’ancien sportif n’a aucune base en magie de l’esprit, à peine assez pour être capable de chasser les cauchemars et les angoisses. Ce n’est pas la même chose que de savoir protéger son esprit des intrusions mentales, monter une muraille contre la curiosité mal placée d’une personne en laquelle il a encore un peu confiance ― une erreur, comme on peut le voir. Ainsi, et puisque Liv est une professionnelle, il ne se doute absolument pas de son incursion dans ses pensées, si ce n’est le léger mal de tête qui commence à poindre derrière ses sourcils. Il se frotte le front du bout des doigts, le creux entre ses sourcils, l’arête du nez. Il secoue négativement la tête et dit, ferme : « Marcus est un bon garçon. Un bon garçon au caractère revêche, une vraie machine une fois lancé sur son balai, un capitaine qui fait du mieux qu’il peut pour ses collègues, un adversaire redoutable. Un bon garçon néanmoins, à travers la carapace duquel Jim réussit tout juste à passer. Il n’est pas triste du décès de son père et je ne peux pas le lui reprocher. » Jim ne peut pas prétendre au titre de père de l’année, il a été ai absent, si longtemps, mais il n’y a même pas lieu de le comparer à Roy Flint. Marcus n’en a que rarement parlé, mais ça n’a jamais été en bien.

« Ce n’est pas un tueur, Liv. Il n’aimait pas Roy, et je crois que tu peux très bien imaginer pourquoi, mais le tuer ? » Dans sa mémoire, les souvenirs d’équipes rivales qui lui ont dit qu’un jour, Flint tuerait quelqu’un sur le terrain, à jouer si dangereusement ― lui-même, peut-être. Jim inspire et ramène ses yeux sur la sorcière : « Il était ici, ce printemps. Lorsque Roy a été attaqué. Si y’a d’autres agents de la Brigade que ça intéresse. » Pas de “vrais” et de “faux” agents de la BPM pour le Haggen : tous flics.