Le nom est dissonant. Vrai ou faux, impossible de le deviner – il sonne faux, ou plutôt il ne sonne pas vrai, mais ça n’a pas d’importance. Tout au plus est-elle satisfaite de pouvoir remplir ce blanc qui s’imposait à son esprit à chaque fois qu’elle posait les yeux sur le visage connu-inconnu. On lui ment déjà à tour de bras, et dans le grand scheme of things celui-là est plutôt minime. Elle choisit d’y croire, Marlowe, de laisser couler la possibilité que ce ne soit pas vrai, qu’un autre mirage pour cacher la réalité. Engel. La tête s’incline légèrement sur le côté, grave dans son esprit le nom, l’associe aux yeux noirs (tout comme les siens), à la jeunesse du visage (elle pourrait sûrement être sa mère), à l’accent qui colore chacun des mots qu’il prononce. « Ce n’est pas à moi de décider de la vérité. » Ça réussit à lui tirer un sourire. Un sourire moqueur, sans joie – un bien sûr railleur qui manque de franchir ses lèvres. Ce qui est bien avec la vérité, c’est qu’elle ne se décide pas. Elle est, tout simplement. La dissimuler n’est pas synonyme de la changer. Mais ça, le gouvernement l’a manifestement oublié. Changé.

« Ça a son importance, oui. » Ça doit être bien différent lorsqu’on se trouve de l’autre côté du miroir. Les faux souvenirs sont… perturbants. Étrangers, douloureux et terrifiants. C’est le but, elle s’en doute bien. Il n’en reste pas moins qu’il y a, derrière ce mensonge, toute une année de sa vie qui a disparu, à laquelle elle n’a pas le moindre accès. Couplée à tout ce qu’il y a d’étrange depuis sa guérison, il y a lieu de s’inquiéter. De creuser. Mais elle s’imagine qu’Engel n’a jamais eu à se préoccuper de telles choses.
Quelle belle ironie, alors, de le voir s’offusquer du peu qu’elle lui offre.

Marlowe hausse légèrement les épaules. « J’ai dit que j’avais besoin d’aide – j’ai dit pourquoi je suis là. » Elle n’ose pas en dire plus, pas maintenant. S’il n’est pas disposé à lui fournir des réponses, pourquoi devrait-elle croire qu’il sera plus enclin à examiner les problèmes autrement plus fâcheux qui les affligent, elle et les autres ? Elle a beau être un peu trop impulsive et agir de façon téméraire, elle n’oserait pas mettre les autres dans le pétrin. Elle ne se pardonnerait pas. « J’ai besoin de réponses. Une inspiration profonde, et son regard vogue dans la pièce avant de revenir sur lui. L’hésitation est brève. Je crois que vous les avez. » C’est bien ce qu’elle lui a dit, au Ministère. Ils ne jouent pas sur un pied d’égalité et, avant tout, Marlowe voudrait réajuster les scores. Elle n’est pas encore tout à fait prête à céder du terrain, pas plus que nécessaire. Le sorcier est loin d’avoir gagné sa confiance (et si seulement elle savait chez qui elle est allée trouver refuge, il n’y parviendrait jamais).

La Hound pèse ses options, finit par claquer de la langue d’un air agacé, laissant glisser le masque lisse et poli pour un court instant. Il n’est pas long à revenir, cependant – la courtoisie comme un réflexe, alors qu’elle s’avance légèrement vers l’avant. « Je ne devrais pas être ici… Il n’y avait qu’à voir le cinéma qu’Engel a joué pour lui donner l’adresse de la propriété. Elle sait qu'elle n’est pas la seule à avoir quelque chose à gagner de cette rencontre. Depuis quand les sorciers font-ils la charité ? Je crois que vous pouvez comprendre la nécessité d’être prudente. » Un sourire mince, alors qu’elle le scrute attentivement. « La seule réponse que j'ai obtenue pour l'instant est un nom. Ça ne me semble pas très équitable. » Elle n'en démord pas, Marlowe, butée comme un foutu mulet; elle joue avec le feu, pariant sur ce que lui a à gagner, et pas sur ce qu'elle a à perdre.

Markus est agacé.

Vixen a toujours été récalcitrante, et ce n’est même pas la première fois qu’il le pense depuis qu’elle est entrée dans l’appartement (les termes précédemment utilisés étant “épine dans son pied”). Toujours prompte à ne pas obéir, à vouloir des réponses, à protester. Même leurs expériences n’ont eu sur elle que des résultats mitigés, comme si même son corps ne voulait pas céder de terrain face à l’envahisseur. Qu’elle se permette de lui demander une aide aussi vague que possible, pour ensuite l’accuser de ne pas donner suffisamment d’information est culotté, et il pourrait tout aussi bien arrêter cette mascarade à l’instant. Un Stupéfix, un Oubliettes hasardeux qui lui fait oublier jusqu’à la semaine précédente, et tout est réglé.
Ça ne colle toutefois pas avec le besoin de l’Allemand de jouer pour gagner. Gagner tout. De dépasser tout ce qu’on lui interdit, de faire ce qu’il veut, de se contrefoutre des règlements.

Alors Markus garde le silence, réfléchit, pèse ses options, ne quitte pas les yeux noirs de la vampire, semble chercher dans ses prunelles la solution qui saura satisfaire toutes ses envies. Évidemment, tout ne peut pas se passer comme lui le veut : ce seul entretien n’a absolument rien de prévu et échappe à toute possibilité de planification. Ainsi, soupir au bord des lèvres, il lâche : « Je suis potionniste. Je travaille pour le Ministère de la Magie et pour des particuliers. Un mensonge encore une fois teinté de suffisamment de vérité pour ne pas sonner tout à fait faux. Il est vrai qu’il met ses talents à disposition du Ministère et d’autres personnes aux moyens intéressants, mais le cœur de son travail est bien plus vaste que cette description. Je ne peux pas te dire ce que je fais exactement, ni mon lien avec toi et les autres. Peut-elle deviner que ce n’est pas tant par choix que par imposition magique ? Ma tâche était de prendre soin de vous. »

Étrangement, sa langue picote à l’usage de ces mots précis ― il s’approche un peu trop de sa réelle description de tâche au goût de ses serments de confidentialité. Il lui faut quelques secondes pour que les engourdissements se dissipent et qu’il puisse conclure, sobrement : « Et mes ordres sont de ne plus interagir avec aucun d’entre vous. Il reprend son verre d’eau. Tu ne devrais pas être ici. »

La phrase précédemment prononcée par la vampire est reprise, renvoyée, et sa répétition souligne, marque, le danger de la situation. Pour elle bien plus que pour lui, bien sûr, mais il n’empêche que le risque est présent. Ils ne sont pas sur un pied d’égalité, mais les informations de Markus permettent d’illusoirement le ramener un peu plus près de la position occupée par Vixen. À quelque part dans cet angle mort qu’ils occupent sans s’y faire voir.

La gorgée d’eau lui permet de garder contenance, de garder une route claire dans son esprit. Mettre Vixen en confiance n’est pas une mince affaire, surtout si celle-ci… sait ? Sait-elle qui il est, réellement ? Se joue-t-elle de lui ? Le doute persiste et autant il ne l’apprécie pas… autant il est excitant, d’une certaine façon. « Tes questions doivent être plus claires et je ne sais pas si je pourrai y répondre. » Très mauvais arrangement, mais c’est le qu’il peut lui proposer. Qu’elle le refuse et elle sera tout simplement remerciée : Markus Von Bäume n’a pas le droit de retourner travailler, mais il est toujours très occupé.

Marlowe ne sait pas exactement ce qu’elle cherche. On ne dirait pas, comme ça, à la voir aller – elle fonce tête baissée, se permet d’exiger des réponses. Mais la vérité est qu’elle avance dans le noir, cherchant à tâtons (avec une vigueur certaine) quelque chose qu’elle ne voit pas, espérant peut-être entendre un ouch révélateur. Tâtonner jusqu’à mettre le doigt dans les yeux d’une réponse, ou quelque chose comme ça. C’est sacrément culotté, et sacrément dangereux – mais elle ne sait pas quoi faire d’autre. Il n’y a personne à qui faire confiance, pas au Ministère. La rumeur parle d’employés infiltrés, de rebelles qui travaillent contre le gouvernement de l’intérieur. Ils y sont certainement bien cachés : jamais elle n’a reçu la moindre parcelle de compassion de la part d’un de ses fonctionnaires.

Ce n’est pas ce qu’elle cherche, de la part d’Engel.
Tout au plus cherche-t-elle un semblant de bonne volonté.
Une illusion de coopération, quelque chose qui lui donne une bonne excuse pour baisser les armes et lui concéder une prétention de confiance.

Elle ne peut pas se fier à sa mémoire. Rien ne lui semble vrai, rien ne lui semble faux – il peut bien lui raconter n’importe quoi, et Marlowe n’est pas naïve au point de penser le contraire. C’est peut-être pour sa conscience, et rien d’autre. Un effort minimum à satisfaire pour se donner l’impression de ne pas balancer tous ses secrets sans rien obtenir en retour. Elle risque trop, risque tout pour cette mince assurance, qui au final ne vaut pas grand-chose. La précarité de sa situation est… effrayante. Un sentiment vertigineux qu’elle essaie d’ignorer au possible, tout comme le foutu métronome qui continue d’égrener les secondes, si bruyant à ses oreilles sensibles.
Mais le risque paie, en quelque sorte, et Marlowe prête une oreille attentive, avide, à ce que son interlocuteur veut bien lui avouer. Il est potionniste. Il s’est occupé d’eux (elle le savait déjà). Ce n’est pas beaucoup, mais c’est du progrès : ça devra bien répondre à ses exigences, pour le moment. « Et mes ordres sont de ne plus interagir avec aucun d’entre vous. Tu ne devrais pas être ici. » Elle dévisage Engel et son air sérieux, l’expression gardée.

Le moment s’étire et s’achève sans qu’il n’ait fait mine de la chasser.

Sa demande réitérée – des questions claires – lui tire un soupir résigné, soufflé par le nez, alors que son regard noir quitte un instant le visage de son hôte pour se poser sur la coupe vide qui trône toujours sur la table basse. « Pourquoi autant d’effort pour un groupe de Hounds si faciles à remplacer ? Les sourcils se froncent, et Marlowe se penche vers l’avant, les coudes posés sur les genoux, mains jointes. Elle ne s’attend pas à une réponse – pas pour cette question. C’est pourtant la question la plus importante. Un an de matériel, de temps… J’étais dans l’impression que la chair à canon ne manquait pas. » Le mince sourire qui étire sa bouche, peint d'une pointe de dérision, est totalement dépourvu d'une quelconque trace de liesse.

« J’ai trop faim. L’aveu vient à voix basse, en même temps qu’un doute soudain la prend : le savait-il déjà ? Était-ce un hasard, qu’il ait une potion de sang sur lui ? La réalisation lui tord l’estomac, lui laisse un goût amer dans la bouche. Pourquoi ? » Il lui a demandé d’être précise, mais elle ne sait pas comment. Elle a faim, constamment faim, et Cecil est différent, mais pas de la même manière. « Ce n’est pas une malédiction, n’est-ce pas ? » L’excuse fournie par Jonas ne tient pas la route, mais c’est déjà plus que ce que Louis a consenti à lui dire.

Il y aurait de quoi être fier de l’Allemand, qui a gardé un calme exemplaire dans toute cette affaire. Un exploit quand on connaît l’imprévisible caractère de l’homme, prompt à se manifester dans sa pire mesure. Ou sinon, et il ne le réalise pas, un effet insidieux de ces pouvoirs transmis à la sorcière, à la vampire. De cette disposition favorable qu’elle entraîne chez les hommes et donc, chez lui, avec suffisamment de subtilité pour que lui-même ne s’y attarde pas. Ne comprenne pas pourquoi malgré tout son agacement, il ne se permet pas tout simplement de la virer de chez lui sans ne lui offrant que des menaces à la clé. « Pourquoi autant d’effort pour un groupe de Hounds si faciles à remplacer ? Ce serait infiniment plus pratique si Vixen était idiote. Malheureusement, elle ne l’est pas, et bien malheureusement pour Markus, il n’est même pas capable d’en être tout à fait déplu Un an de matériel, de temps… J’étais dans l’impression que la chair à canon ne manquait pas. Je ne sais pas grand-chose du fonctionnement de la Values Brigade, mais entre les… démissions et les morts, il faut croire qu’il y a un souci de garder quelques Limiers utiles. En gros : entre les morts, les fuyards et les sacrifiés (donc, encore les morts), ça commence à manquer de vampires et de lycanthropes. Qui, on va se le dire, ne sont pas infinis, et on ne va tout de même pas gaspiller des sorciers en excellent état en les faisant mordre, voyons… qui ferait ça ? (Mrs Bagshot, oui, on sait, mais faut croire que ça manque de lumière à tous les étages dans cette famille) Félicitations », lâche-t-il, moqueur.

De quoi ne pas aider son absence complète de liesse, ni la rassurer. L’épée de Damoclès ne cesse pas moins de se balancer au-dessus de sa jolie tête, prête à tomber n’importe quand.

L’homme se penche, les avant-bras appuyés sur ses genoux, afin de bien entendre les mots dits trop bas par la vampire : « J’ai trop faim. Bref regard vers la coupe vide, là où le sang artificiel se tenait, riche en tout ce dont elle manque. Puis, vers le métronome qui n’a pas cessé son tic-tac régulier. Pourquoi ? » Évidemment, il ne peut pas lui dire ce qu’ils ont fait. L’étendue des expériences lentes, patientes, définitivement moins barbares que celles menées sur les précédents spécimens par des chercheurs moins minutieux que lui, ou dotés d’autres ordres. Ce qui a été mis sous ses crocs, implantés dans son esprit, injectés dans ses veines, chacun de ses organes, dans l’espoir de réussir à atteindre des résultats, même minimes. « Ce n’est pas une malédiction, n’est-ce pas ? À t’entendre, ça en est une », réplique-t-il, toujours aussi peu surpris de l’aveu. Un rictus froid s’étire sur ses lèvres alors qu’il arrête le métronome, du bout d’un doigt ― trop risqué. Elle touche trop de choses de trop près pour qu’il risque une incursion dans sa mémoire pour autre chose que tout effacer de son passage.

Il reprend la parole, l’attention rivée sur l’objet désormais silencieux. « On n’ira pas s’inquiéter pour la faim d’une vampire, ironise Markus. À moins que ce ne soit pas la seule chose qui t’inquiète. Perche tendue à ce qu’elle lui en révèle davantage sur ce qui la tracasse, ce qui l’a menée jusqu’ici, à demander de l’aide à un pur inconnu. À un souvenir flou dans sa mémoire mal nettoyée. Le métronome, reparti d’une pichenette légère. À moins que tu craignes que Mr Yaxley le sache (le nom est prononcé avec un dédain palpable, presque du dégoût) et qu’il décide que tu ne devrais plus être là. Son menton s’appuie dans sa main et l’expression se fait faussement mutine, sur ce visage juvénile qui porte pourtant bien mal l’innocence. Depuis que son père a été tué par un vampire, il ne doit pas vraiment vous apprécier. »

Plus que jamais l’impression d’être au mauvais endroit au bon moment, ou au bon endroit au mauvais moment – il en sait beaucoup plus qu’il ne veut l’avouer, c’est sûr, mais aucun moyen de le faire parler sans s’aventurer en terrain encore plus glissant. Peut-être bien aucun moyen, point, au vu de ses réponses. Il ne semble pas particulièrement inquiété par ce qu’elle admet, par le gouffre impossible à rassasier qui lui creuse l’estomac. Et pourtant, c’est lui qui est à risque plus qu’elle, en ce moment. Quand est-ce que la malédiction prendra le dessus sur la raison ? Saura-t-elle, alors, s’empêcher de plonger les dents dans le premier venu ? Ce serait vachement dommage que sa première victime soit un potionniste boucleté.

« On peut voir ça comme ça. Super, la petite blagounette, mais ça n’arrange toujours pas son cas. Et puis il sait très bien ce qu’elle veut dire. Mais pas vraiment le point. » Avec les rations du ministère, bien entendu qu’elle en souffre ! Les pauvres portions distribuées par leur cher gouvernement ne sont pas suffisantes pour la maintenir dans un état convenable (ni les autres, d’ailleurs), surtout lorsqu’elle travaille. « Ce n’est pas la seule chose, mais ce serait suffisant. Imitant la position de son interlocuteur, elle se met à énumérer sur ses doigts : Ça a un impact sur mes facultés et donc, mon efficacité au travail, c’est dangereux pour mon partenaire et pour d’autres sorciers… Et après quoi, je pète un câble, ils me tuent, d’accord. Mais j’aurai eu le temps de faire des dommages… Et ça leur fait un petit soldat de moins. » Marlowe hausse les épaules, entremêle ses doigts entre ses genoux. Elle espère qu’Engel apprécie les miettes qu’elle a laissées s’échapper, presque nonchalamment; l’ampleur de la faim qui la taraude, qui lui fait voir le verre vide plus que toute autre chose dans la pièce. « Comme tu dis, il n’y a pas de source infinie de Limiers. Au diable les politesses, elle a assez traîné. Peut-être que je devrais m’inquiéter de Mr. Yaxley… mais je pense que j’ai des problèmes plus pressants. » Comme ceux qui l’ont poussée à oublier toute prudence et l’aborder en plein milieu du hall du ministère, par exemple.

Peut-être est-ce le moment de changer d'approche. L'audace du désespoir, dira-t-on. « Tu n’as pas l’air de l’apprécier plus que ça. J’espère que de me garder à l’emploi sera plus bénéfique pour moi que pour lui. » Le pari risqué de se fier à son dédain de Yaxley en espérant qu’il penche un peu plus de son côté à elle. Si seulement elle savait ce qui se trame dans le cerveau tourmenté du scientifique, elle ne serait pas si pressée de tenter de s’associer à lui. « Je suis sûre qu’on peut s’entraider. Marlowe se cale dans les coussins, croise une jambe par-dessus l’autre. Tu m’as demandé de venir ici. Il y a bien quelque chose que tu veux, non ? » Des informations, un job fait discrètement qu’on ne pourra pas tracer jusqu’à lui, des ingrédients rares pour une potion, quelque chose ! « J’ai besoin d’aide, et je crois que tu tiens les réponses. Je suis prête à payer pour. » Un saut dans le vide, les griffes acérées de la crainte dans le cœur, le vide au creux de l’estomac, et c’est bien ce qui l’emporte alors qu’elle désigne la coupe d’un geste de la main : « Il y en a d’autre ? J’ai faim. » Les dents dévoilées en un sourire, en une menace, en une promesse. Pas question d’arrêter là.