NEW WORLD ORDER

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nom prénom(s)  » Caliban Rosemond. C'est Papa qui m'a donné ce nom, c'est le seul truc qu'il m'a donné. J'aime bien les roses, c'est joli. Morton, c'est le nom de ma mère.

surnom(s)  » Tout le monde m'appelle Cal. À l'école, j'étais même Cal Rose.

date de naissance » J'ai vingt-deux ans. Je suis né le 1er juillet 1985.

origines & nationalité  » Je suis anglais. Maman est anglaise. Papa est haïtien. C'est un autre truc qu'il m'a donné, ça, mes origines à même la peau. Mais c'est à peu près tout.

pureté du sang  » Mêlé. Papy était moldu du côté de Maman. D'après le sortilège, ça remontait à plus loin du côté de Papa. J'ai eu du mal à trouver du travail à cause de ça.

métier/études  » Je suis allé à Hogwarts, à Hufflepuff. C'était bien, même si j'ai failli être viré à cause de mon sang, sur la fin. Après l'école, c'était la galère. J'avais pas eu des bonnes notes, et personne ne voulait d'un sang-mêlé comme moi. J'ai commencé à travailler au Midnight Thestral, un bar huppé sorcier de Londres par défaut. C'est mon manager qui m'a présenté à Blaise Zabini et j'ai travaillé pour lui lors de ses Satine Nights pendant quelques mois avant qu'il m'engage sur son île, à Gracefield. Je m'occupe de nourrir les prisonniers, de surveiller ce qu'ils font depuis quelques semaines.

orientation & état civil  » Je n'ai pas compris la question.

camp  » Je suis cercle deux de l'Ordre. C'est eux qui m'ont approché quand j'ai commencé à travailler pour Blaise. J'étais fier de leur parler de l'île, mais ils en connaissaient déjà l'existence. Ils m'ont dit d'attendre le bon moment. C'est maintenant, le bon moment.

baguette  » Rien de spécial. Crin de licorne, trente-deux centimètres, bois de chêne. Lisse et rigide.

patronus  » Un fléreur. C'est mon animal préféré. Je pense à mon fléreur de compagnie pour l'invoquer. Mais je n'y arrive pas tout le temps.

épouvantard  » Un énorme loup. Je n'aime pas les loups. Ils sont trop grands, et ils font peur.

particularité(s)  » Aucune.

— YOU SAY THINGS AND YOU DON'T MEAN THEM. AND YOU CAN'T JUST DO THAT. Les gens disent constamment des choses qu'ils ne pensent pas. Ils mentent. Moi, je comprends pas pourquoi. J'ai du mal à lire le visage des autres et à les regarder dans les yeux, alors comprendre quand ils mentent...

— CATS ARE BETTER THAN PEOPLE, MENDO DON'T YOU THINK THAT'S RIGHT? C'est Bashir qui m'a refilé Mendo parce qu'il ne pouvait plus s'en occuper et depuis, il ne me quitte plus. Si je pouvais, je le prendrais avec moi au travail mais avoir un énorme fléreur dans les bras constamment, c'est pas très professionel il paraît... Ce serait utile, pourtant, parce que Mendo me dit toujours quand les gens mentent.

— THEY THINK I SEE MYSELF AS BETTER, I SEE MY SONGS AS SIMPLY THERAPY. Le seul moment où c'est pas grave de mentir, c'est quand on chante. On peut dire ce qu'on veut quand on chante. J'ai jamais réussi à écrire des jolies histoires sur le papier, c'est plus facile avec des notes de musique. Je crois pas que je suis très bon, mais au moins Stevie a arrêté de grimacer à chaque fois que j'attrape la basse...

— CLOTHES IN A PLASTIC BAG, FROM SHELTER TO SHELTER, SIX KIDS WITH NO DAD. C'est le test de pureté qui m'a appris le nom de Papa. Avant ça, Maman refusait de me le dire. De toutes façons, c'était même pas un vrai père, elle disait, il est jamais resté. Elle a jamais été forte pour faire rester les papas, Maman. C'était toujours de leur faute, mais moi je les comprends maintenant. Moi non plus je suis pas resté auprès de Maman.

— I EVEN HAD THE PINK POLO I THOUGHT I WAS KANYE. Jesse, il m'apporte toujours des belles fringues, comme si j'avais pas porté les siennes toute ma vie. J'aime pas ses cadeaux. J'aime bien les tissus soyeux. Mais pas la laine. Ni le velours. Ni le plastique. Ni les jeans. Ni les trucs qui font scratch scratch. Jesse, il sait pas. Je lui dis pas. Je lui dis juste merci.

— NOW AND THEN YOU MISS IT, SOUNDS MAKE YOU CRY. J'aime le silence. Pas le vrai silence magique où on n'entend rien. Non, j'aime le silence de la ville. Les passants dans la rue, les voitures qui klaxonnent, Stevie dans la chambre d'à côté qui joue de la musique, Bashir qui cuisine, Mendo qui ronronne dans mes bras. Le silence de la vie et du quotidien. Quand il y a trop de bruit, ça me donne envie de crier.

— IT'S MY LIFE, IT'S NOW OR NEVER, I AIN'T GONNA LIVE FOREVER. Il y a des choses bien, et des choses mal. Mentir, c'est mal. Faire souffrir, c'est mal. Tuer, c'est mal. Je sais plus trop comment Bashir m'a introduit à Elena et au reste de l'Ordre, c'est arrivé de manière presque naturelle. Je sais que c'est égoïste. Mais j'aimerais... j'aimerais changer le monde. Le ralentir, le rendre meilleur, et moins cruel. Je ne l'ai dit à personne, certainement pas à Jesse ou à Maman... ils me tueraient, si ils savaient. Mais ils ne savent rien, et c'est mieux comme ça.

— BARELY BREATHING UP UNTIL IF YOU'RE LEAVING, BUT HOME IS WHERE THE HATE IS. Le monde est cruel, il paraît. Moi, je pense qu'il est juste indifférent, et un peu compliqué. Il y a des gens comme ça, alors ça semble logique qu'il y ait aussi des mondes comme ça. Je n'arrive pas à comprendre le monde, et Maman n'arrivait pas à me comprendre - parce que pour elle, le monde faisait du sens. Il fait du sens pour la plupart des gens. Moi, j'ai l'impression d'être une copie mal décalquée d'un garçon normal. Mais parfois, la vie est tellement simple. Quand il y a un peu de musique, ou que Mendo est avec moi, ou que Bashir s'assied sur le lit avec moi pour me raconter sa journée. J'ai souvent l'impression qu'il n'y a pas d'entre-deux.

"I DON'T WANT TO WEAR SHOES! - Cal, please, please, please stop, I'm just trying-- - I don't want to wear shoes! I don't want to wear shoes! I DON'T WANT TO WEAR SHOES! - Fuck, shit, Cal, come here. Cal. CALIBAN." Maman utilise sa grosse voix. J'essaye quand même de lui échapper quand elle se penche pour m'attraper. Elle est plus rapide et sa main se referme sur mon poignet. Fort. Ça fait mal. "STOP! HURTS! - I know, baby, but we need to get you in these shoes-- - I DON'T WANT TO WEAR SHOES, I DON'T WANT TO WEAR-- - Shit, Cal, CALIBAN! Silencio!"

À chaque fois qu'elle lance ce sort ça me fait mal à la gorge comme si j'étais malade. "You calm down, okay? You need to work with me, Cal." Mais les lacets me font mal aux pieds. "We're a team, okay?" Mais elles sont trop grandes, ces chaussures, elles sont à Jesse en plus. "We're a team so you need to fuc- you need to calm down, alright? It's okay, it's just some damn shoes... stop fidgeting..." Mais j'ai pas envie, j'ai pas envie, j'ai pas envie.

Je hurle de toutes mes forces mais rien n'y fait.

"So when is Dad coming? - What?" Maman se tourne vers moi d'un air hébété. Je fronce les sourcils à son adresse. "When is Dad coming?" je répète lentement en articulant bien pour qu'elle me comprenne. "Dad? Whose dad? - Dad. My dad. My fa-ther. He's coming, right? Next week? - Caliban, what..." Maman soupire. Je la regarde s'approcher sans comprendre pourquoi elle a l'air triste. "Are you sad? Why? Because Jesse is gone? -No, I... I mean... yeah. - It's fine. He's always gone."

Maman me regarde lentement. "What are you doing? - I'm drawing. - Can I see?" Je réfléchis. "Okay." Elle s'avance et s'assied à côté de moi. Je lui montre ce que j'étais en train de dessiner. Une maison, avec un coin de soleil, et Papa, et Maman, et Jesse, et Abigail, et Austin, et Bryan, et Lilly, et un chien, et deux chats, et un perroquet parce que c'est joli, et une chambre rien qu'à moi. "It's very nice." Elle n'a pas regardé. "What was that about your da- about your father? - Well, he's coming next week, right? - Why... what? - For my birthday?" Maman n'a plus l'air triste. Elle n'a pas l'air heureuse non plus. "Why?" Je soupire. Des fois, elle comprend vraiment rien, Maman. "Jesse's dad came to pick him up for his birthday," je lui explique lentement. "So Dad too, right? He's coming to pick me up?"

J'ai vraiment hâte. Je suis sûr que Papa il est grand et beau et gentil et même qu'il a des gros muscles et que personne n'est aussi fort que lui. Ensemble on ira aux États-Unis, comme Jesse et son père, et même que moi j'aurais pas besoin de me cacher dans le placard. On ira au McDonald's ensemble en plus, si ça se trouve. Jesse a dit que c'était trop bon là-bas.

"Caliban, I... - We can have a party with him. Look, that's him here." Je lui montre le visage de Papa sur le dessin. Elle le regarde enfin. "It looks like him? - It does, yes... - I'm good at drawing." Je souris en caressant le visage dessiné de Papa. "I can't wait to see him." Je lui souris. "He's coming, right? You gave him the new adress? And the key? - ...yes, yeah, I did, sure."

tw: ableism, bullying, violence

"M. Rosemond, would you be so kind as to stop your... fidgeting?" Je cligne des yeux en regardant le professeur. Je baisse les yeux vers ma main qui était en train de jouer machinalement avec l'un de mes élastiques. J'ai pris l'habitude de les nouer autour de mes doigts et de parfois jouer avec le plastique tendu comme la corde d'une harpe ou d'une guitare. J'aime le bruit que ça fait, et la légère douleur qui remonte parfois le long de mes doigts, et le mouvement répétitif, et le fait d'être en train de bouger. Ça m'aide à me concentrer. Ça m'aide aussi à ne pas les perdre complètement quand mes pensées s'évadent. "I, uh, I need it to- to think." J'entends un de mes voisins s'esclaffer. Un autre fait une remarque que je n'entends pas. Un groupe rit. "I mean, it helps me concentrate," je me reprends en rougissant.

Le sourire du professeur n'est pas rassurant alors qu'il se rapproche. "A bit of advice for you, M. Rosemond. Open your eyes wide, listen intently, and you'll find that the delicate art of Potion-making is much easier to understand." Il s'empare d'un mouvement vif de mon élastique et m'érafle les doigts au passage. "No fidgeting in my class." Je hoche la tête, livide. Il reprend son cours.

J'ai des fourmis partout sous la peau. Elles grouillent à l'unisson. Je pense au fait que les fourmis peuvent porter tellement plus que leurs poids. Deux fois plus, trois fois plus, cent fois plus j'ai même lu une fois. Ce n'est pas la même chose pour nous. C'est vrai qu'on ne se rend généralement pas compte de tout le poids qu'on peut supporter jusqu'à l'avoir sur les épaules. Les humains sont bien plus adaptables que les fourmis. Des fois, on oublie qu'il existait un jour où on n'avait pas ce poids sur les épaules, et on oublie qu'on n'est pas sensés le porter en entier tout seul.

La main du professeur s'abat sur mon pupitre face à moi. Je relève des yeux écarquillés vers lui. "M. Rosemond," dit-il d'une voix froide et doucereuse à la fois. "Would you please be so kind as to tell the class what I just said?" Je rougis légèrement. "I- I don't know." J'entends quelques rires. Mes joues sont en feu. "Would you please be so kind as to tell the class what advice I gave you not but three minutes and a half ago? - Uh, you said... you said my eyes and my ears--" La main, cette fois, s'abat à l'arrière de mon crâne, dans une claque qui résonne et qui n'est que trop commune ces temps-ci, à Hogwarts.

"That will be twenty points taken from Hufflepuff." Je serre les dents. Je ne dis rien. "You're not going to go very far in life if you're unable to focus for five minutes, M. Rosemond. - But you took my- my- you took my hair tie!" Il rit, puis sort sa baguette. Je me crispe en m'attendant à un Crucio. À la place je sens mes cheveux être brutalement et douloureusement tirés en arrière, ce qui me force à me redresser sur ma chaise. La salle de classe est silencieuse, de peur de s'attirer l'ire du professeur. "It would do well for a filthy half-blood such as yourself to pay attention in my class. If your hair is the problem, perhaps we should cut it off?" Je ne réponds pas. Je le regarde. "I see that I have your attention now. Keep it this way."

"Your cat is... strange. - That's because it's not a cat, Cal, that's a kneazle! Lookie!" Avec un grand sourire, Bashir me montre le chat qui rouspète un peu, mais se laisse faire quand il le lève au niveau de sa tête. Je fronce les sourcils et ne bouge pas quand il s'approche et le pose sur mes genoux. Je me fige, et le chat me regarde d'un air méfiant. "Kneazles don't look like that."  Le chat ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. "Damn right they do. - Did you put him under a Silencio? - Yeah, otherwise he does the thing. - The... thing?" Bashir a l'air particulièrement fier de lui alors qu'il se laisse choir sur le canapé à côté de moi, attrapant du tabac à rouler et ses feuilles. "Yeah, so, what you're used to, those European kneazles? That's not the real deal. That's the real deal."

Je regarde le chat, enfin, le fléreur, et tend la main pour le caresser. Il se laisse faire, se presse contre ma paume. Son poil est ras et sa peau est chaude. Il commence à se lécher la patte. "I like the tail. - Yeah! Isn't it so cool? Just so you know, this kneazle is super expensive. It's a purebreed, coming straight from Ramallah. Samira really wanted one for her birthday. Turns out she's allergic." Ça ne m'étonne pas de sa soeur, qui est presque aussi éparpillée que lui. Je gratte le crâne du fléreur d'un air pensif. "What's 'the thing' that it does?" Bashir finit de rouler sa cigarette avant de me sourire. Il fait un mouvement magique de la main et lève le sortilège. Le fléreur le regarde posément puis retourne à sa toilette. "So? - Say something. - Say something? Like what? - Say something... tell a lie." Je deviens très immobile et j'ai l'impression que mon sang se fige dans mes veines. "Why would I do that? - Just do it. - I don't want to lie. - Trust me, just do it."

Quand il voit mes yeux arrondis de panique, Bashir pose une main sur mon épaule et m'adresse un sourire rassurant. "Trust me. Just one. Say your shirt is a different colour than it is." Je fronce les sourcils. Je n'aime pas mentir, ça me donne l'impression d'être sale. "My shirt is blue. - LYING." Je tourne les yeux vers le fléreur. "Uh. - Cool right? - What just... what was that? - That was the kneazle. - It can talk? - No. But it can tell you when someone is lying. Neat, right?"

Je regarde le fléreur, qui n'a fait qu'ouvrir sa gueule pour parler à sa façon, comme dans un miaulement humain. Il me regarde en retour, ses grands yeux jaunes plongeant dans mon âme avant de s'en détourner. Il s'allonge sur mes jambes et se met à ronronner. "It's... concerning. - It's cool. - It's quite cool."

"That damn fucking cat..." Maman lève les yeux au ciel en soupirant, puis s'assied face à moi à la table de la cuisine. Mendo ronronne sur mes genoux et je passe lentement ma main le long de son échine dans un geste familier. Depuis que Bashir me l'a offert, nous sommes inséparables. Je me demande si il m'aime autant que je l'aime. J'espère. "Did you find a job? - I'm still searching... - You know this restaurant on Diagon Alley... you know the one-- - You talked about it last time... - --you know, that serves the snails? They're hiring. - I know. - You should go talk to them. - I have. They don't want to hire me." Je hausse une épaule.

Maman soupire et lève les yeux au ciel, encore, en tapotant sa cigarette sur le rebord de son cendrier. "That's the problem with you, Caliban. You never want- you never want to insist. You know? You never insist. See, Jesse," je me crispe un peu et Mendo lève ses grands yeux jaunes vers moi, comme pour me demander si tout va bien, "your brother, he's a go-getter that one. He wants something, he goes for it, he has it. Well, most of the time. When he's not here, he's out there, making coin. You know? ...are you listening to me?"

Je regarde Mendo et je le caresse et il ronronne d'autant plus fort. Il est beau, avec son poil gris qui tire sur le vert, et sa longue queue qui ressemble à un lion. C'est un animal rare et précieux et j'en prends grand soin. C'est un peu mon meilleur ami, même si ça vexerait Bashir d'entendre ça. Il m'a expliqué que les fléreurs du Moyen-Orient étaient presque tous comme ça, que c'était l'une des raisons pour lesquelles ils étaient vénérés en Égypte antique sorcière. Je ne sais pas trop quoi en penser. Je sais juste que Mendo est beau, et qu'il dit quand les gens mentent, et que les gens me mentent souvent, donc c'est pratique.

"Caliban? Cal? Cal?" Sa main s'abat sur la table avec violence et me fait sursauter. "Hm? - Are you listening to me? - You were talking about... uh, about Jesse... - Right. You should be more like him."

Mes lèvres me font mal à force d'être pincées et je me reconcentre sur Mendo, qui s'est levé sur mes jambes pour faire un tour sur lui-même avant de se rallonger. "You've said that before. - Well, yeah. Because it's true." Maman écrase son mégot au fond du cendrier plein à craquer d'un mouvement rageur. "You prefer Jesse. - Of course not, I don't prefer Jesse, I-- - LYING."

Je continue de caresser Mendo avec douceur, le gratte entre les oreilles, alors que le silence s'épaissit. "...this fucking cat."

tw: ableism, ableist slur

Maman est en train de jeter mes affaires partout dans la chambre que je partage avec Austin. Elle sait que je n'aime pas quand on touche à mes affaires, mais elle le fait quand même. J'essaye de l'ignorer, mon visage enfoncé dans mes mains, je me balance d'avant en arrière en comptant les battements de mon coeur. Il bat vite, un peu trop. Même Mendo à mes pieds ne parvient pas me calmer.

Je veux partir, je veux juste partir, je veux partir, aller loin, je ne veux pus être là, je vais partir, enfin partir, je veux juste partir, j'aimerais partir, je veux partir, je veux juste partir, loin d'ici, loin de ce lit, de cet appartement, de cette chambre, de ce corps, je veux juste--

"Fuck, Cal, don't do this. Stop doing this." Elle s'approche, je l'entends, elle a finit de défaire ma valise. Elle pose sa main sur mon épaule et j'ai envie de hurler, j'enfonce mes paumes dans mes paupières et je me fais mal et enfonçant mes ongles dans mon front mais ça ne fonctionne pas, j'ai juste envie de partir, d'être seul, d'être loin - loin d'elle. "Leave me alone, just leave me alone, please leave me alone... - Look at me, baby, come on, we're a team, remember? Yeah? We're a team, you and I, you can't pack your stuff and decide to go like that. I need you, Abbie needs you, shit, Jesse needs you too, we all need you... - Leave me alone, leave me alone, leave me alone... - Cal? Come on Cal, for fuck's sake. Don't go full retard on me, you know it I hate when you-- - We don't use that word around here, Tess. We talked about this." Je me mords les lèvres pour me taire et regarde, entre mes doigts, la silhouette de Jesse dans l'encadrement de la porte.

Je veux juste partir, loin d'elle, et loin de lui, et loin de tout, et il va me retenir, comme Maman, et il va me toucher, comme Maman, et il est à contre-jour, je ne peux pas voir son regard ou son visage, et c'est plus simple de le regarder ainsi, une silhouette sans visage, une présence lointaine, une forme abstraite.

"Oh, Jesse, you know I didn't mean that... - I think we need to talk, Tess." La voix de Jesse est douce et je la déteste, j'ai envie de m'arracher les oreilles, je le déteste, je veux juste partir - pourquoi ne me laissent-ils pas partir? J'aimerais être un fléreur et savoir quand les gens me veulent du mal ou quand ils me mentent, j'aimerais être tout petit et pouvoir me faufiler dans un trou de souris, courir sous le plancher et dans les combles et dans le sous-sol, aller dans la rue, m'y perdre.

J'aimerais être partout, sauf là.

Je n'entends rien d'autre que le bourdonnement incessant entre mes deux oreilles, et je parviens seulement à respirer correctement quand Maman se relève pour aller parler avec Jesse, comme des grands, dans la cuisine, après avoir fermé la porte. J'ignore combien de temps je reste là, à me balancer, à compter, à attendre.

Finalement, je regarde Mendo à mes pieds. "I'm never going to go, Mendo," je murmure en sentant des larmes me monter aux yeux. "I'm never going to go, he won't let me, Jesse hates me-- - LYING." Je le gratte entre les oreilles et le ramène sur mes jambes. "You think so?" Il ne répond pas, mais il presse son nez contre ma main quand je le caresse. "I just want to go..."

Bashir a l'air gêné quand il ouvre la porte, et je le vois s'agiter un peu en s'efforçant de prendre un air enjoué. "So see, you get this wee desk there, it's quite cool isn't it? Stevie said she got it from ths guy in Camden Market, the guy said it belonged to Harriet Pillingham, you know, the author? Man, she used to write these books about this group of friends in Hogwarts, it was mental (...)" J'arrête de l'écouter pour mieux observer la chambre, et je sais qu'il ne m'en voudra pas parce que Bashir parle beaucoup, et il parle vite, et il sait que c'est parfois dur pour moi de me concentrer.

Il y a un lit simple, basique, sans draps, et l'armature est en métal. Je préfère le métal au bois, Bashir m'a dit qu'il avait échangé son lit avec le sien pour ne pas que ce soit du bois. Des fois j'oublie combien il me connait bien. Il y a des plantes mortes sur le rebord de la fenêtre, et une vieille armoire qui grince quand j'en ouvre une porte. Le miroir accroché à un niveau étrange sur le mur en face du burea est poussiéreux et craqué en bas à droite. Sans rien dire, et sans plus écouter les bavardages de Bashir qui parle de la série de livres pour enfants, je me penche et je retire mes chaussures puis mes chaussettes pour éprouver la moquette des orteils.

Elle est douce. Ce n'est pas comme le lino collant de la cuisine à la maison, ou le plancher qui craque dans le couloir, ou la moquette trop rugueuse de la chambre que j'ai partagé avec Austin pendant des années (la moquette de la chambre de Jesse, elle, était mieux).

Non, c'est doux. C'est doux, comme un nuage, comme le pelage de Mendo, comme une promesse d'un monde meilleur.

Je rouvre les yeux quand je me rends compte que Bashir a arrêté de me parler. Il me regarde d'un air curieux mais pas comme si j'étais bizarre. C'est pour ça que j'aime Bashir: il ne m'a jamais jugé. "I'm sorry, it's not much," commence-t-il à dire en grimaçant. Je fronce les sourcils sans comprendre. "What do you mean? - I mean, this room, I know it's not great, uh, the window doesn't fully open, the desk is uneven, and it's the smallest of the three and--" Je me mets à rire. Bashir cligne des yeux sans comprendre, mais je ne crois pas qu'il soit offensé, juste incompréhensif. Je secoue la tête en essayant d'arrêter de rire mais j'ai du mal.

Quand Jesse a commencé à faire des allers-retours entre son père et Maman, elle m'a dit qu'il fallait que son lit soit prêt et propre, autant que possible, et qu'il était l'aîné, et qu'on voulait que Jesse se sente bien à la maison quand il y était. Alors j'ai dormi dans la même chambre qu'Austin malgré nos huit ans de différence pendant des années. Parfois dans le même lit quand le mien était réquisitionné ailleurs. Surtout après la naissance de Lilly.

C'est la première fois depuis le retour de Jesse que je vais avoir ma propre chambre.

Je m'approche et je prends Bashir dans mes bras. "It's perfect. Thank you."

Assis devant le four, je regarde ma pizza en train de cuire.  C'est toujours trop long, je trouve. J'imagine que je pourrais utiliser la magie. Mais je n'aime pas utiliser la magie pour cuisiner. Je n'aime pas utiliser la magie tout court à vrai dire. Je ne suis pas très bon. J'ai essayé, à l'école, mais à chaque fois, on m'a dit que ce n'était pas assez bien. Alors au final, j'ai arrêté d'essayer. Maman dirait que j'ai tendance à faire ça.

Je ne pense pas à Maman. Ici, dans cet appartement, dans mon appartement, je ne pense pas à Maman. Je ne pense pas à Papa non plus, puisque je n'ai pas de père. Ou à Jesse. Ou aux autres. Je suis Caliban, juste Caliban, et c'est bien assez. Parfois, même, c'est trop.

La planète tourne très vite. Environ quatre cent-soixante mètres par seconde. Mais grace à la gravité, on garde les pieds sur terre, et on ne tombe pas. On ne s'en rend même pas compte, à vrai dire.

Moi, j'ai souvent l'impression que le monde va trop vite. Que les gens parlent sans dire ce qu'ils pensent pour aller plus vite. Ou que ce qu'ils font et ce qu'ils disent ne s'alignent pas parce que... parce que je ne sais pas. Le monde va vite, et moi je vais à mon rythmne, et tout le monde me dit que je suis en retard, et c'est pas si grave que ça, mais parfois ça l'est.

Alors j'aime bien m'asseoir face au four, et regarder ma pizza cuire.

"What is it with you and crappy cheese pizzas?" Je tourne lentement la tête vers Bashir. Ses yeux clairs sont cernés et ses cheveux décolorés partent dans tous les sens. Il a dû m'entendre rentrer. Il est quatre heures dix-sept du matin, je viens de rentrer de Diagon Alley où j'étais à l'une des soirées huppées organisées par Blaise Zabini. Avant, je travaillais dans un bar tout ce qu'il y a de plus normal. Depuis que j'ai commencé à travailler pour lui, je suis obligé de mettre des chemises qui grattent. C'est pas grave, c'est mieux payé.

Et quand c'est mieux payé, c'est mieux. Peu importe ce qu'on doit faire. C'est ce que dirait Maman, et je sais que quelque part, elle a raison. J'ai l'impression de passer ma vie à courir après l'argent. Comme Jesse. Comme Maman. En retard, toujours en retard, comme dans le livre.

Je reporte mon regard sur la pizza. Bashir a beaucoup d'argent, lui. Il commande les pizzas avec sa boule cristal ou son chéquier. Des bonnes pizzas qui pourraient venir tout droit de Rome si les frontières étaient ouvertes. Avec la sauce tomate un peu sucrée et le morceau d'épinard frais au milieu, les cercles de mozzarrella bien répartis, la croûte fine qui craque sous les dents. Moi, j'aime bien les pizzas moldues. Celles qui ressemblent à rien et coûtent quelques pièces.

Je réfléchis et Bashir ne s'impatient pas. À la place, il s'approche et s'assied avec moi sur le carrelage, et regarde le four. "It's what Mum used to get us when she had a good week," je dis après un court silence. "As a treat." Le McDo c'était trop cher. Le reste c'était hors de portée. Et c'est vrai que c'était bien meilleur que les fois où on devait se partager un paquet de chips à quatre ou cinq.

Bashir me jette un regard en biais et je le regarde. Je n'arrive pas à lire son regard. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose mais il est interrompu par ma montre électronique qui sonne, et je me dépêche d'ouvrir le four pour que ce soit bien douze minutes et vingt-sept secondes précisément de cuisson - c'est tout un art.

Je me lève et me dépêche de la mettre dans une assiette, et je la coupe en huit. J'hésite puis me tourne vers Bashir, qui a l'air un peu incertain. C'est une petite pizza, pour un petit four, pour un petit estomac, pour un petit garçon né dans un grand monde qui va trop vite.

"Do you want to share?" je demande par automatisme à Bashir qui sourit. Il refuse, normalement, mais cette fois il abat une main sur mon épaule. "Sure, let's try this comfort cheese pizza of yours..."

Le soleil est en train de se lever quand je rentre du travail, et je m'arrête dans la cage d'escalier pour le regarder à travers la fenêtre. Je suis fatigué et j'ai mal partout. Je ne suis pas comme les chasseurs qui courent après les prisonniers, ou ces derniers qui vivent dans un état constant de peur et d'angoisse. Mais les soirs de Battues sont longs. Les autres jours le sont aussi, évidemment. Surveiller quelques boules cristal, aller leur donner à manger, leur apporter des vêtements en mauvais état pour remplacer les guenilles habitulles, tout le reste... Travailler à Gracefield n'est pas de tout repos.

Surtout quand, en chemin, je me retrouve à retrouver Elena pour lui donner des informations. Apparemment, ils connaissaient déjà l'existence de l'île. Mais j'ai réussi à lui dire deux-trois trucs utiles, il paraît, tant mieux. C'est un peu arrivé par hasard. C'est Bashir qui m'a mis en contact avec eux. L'Ordre. Les méchants, il paraît. Moi je sais que c'est pas les méchants. Parce que eux, ils ne mentent pas. Le gouvernement, si.

Et mentir, c'est mal.

J'ouvre la porte de l'appartement après avoir profité du soleil. Stevie et Bashir devraient être au lit à cette heure, Max et Serena aussi, mais non, ils sont tous là, entassés sur le canapé, l'air sérieux.

Maman est assise sur le fauteuil.

Je reste dans l'encadrement de la porte. Mon estomac se serre. Are you scared of her? m'a demandé Bashir un jour, et je lui ai dit que non. C'est la seule fois où Mendo a commenté un LYING. à mon adresse. J'ai honte rien que d'y repenser...

"Oh, Cal, here you are." Bashir a l'air impatient de me retrouver et saute sur ses pieds en s'approchant. Ses yeux clairs fouillent mon visage livide. Maman se lève elle aussi, plus lentement, sans me quitter des yeux. Elle a les yeux nerveux et les mains osseuses des mauvaises périodes. Je devrais lui demander comment vont Jesse, Abigail, Austin, Bryan et Lilly mais ma bouche est sèche. Elle n'est pas là pour me donner des nouvelles. Elle n'est jamais là que pour une seule chose.

"Hi, Cal, sweetie, sorry, I tried to ring you but..." Elle ne finit pas sa phrase et je ne la finis par pour elle. Bashir ne me touche pas, pour une fois, mais je sens sa présence à mes côtés. Ça me rassure. "How much do you need?" Quand elle a besoin de beaucoup, elle vient me voir pour me demander plutôt qu'à Jesse. I don't want to bother him with this...

La planète tourne à toute vitesse, et tout le monde est coincé dessus. En plus de tout, tout le monde est coincé dans des cercles concentriques qui n'en finissent jamais. Maman fait toujours la même chose - elle demande de l'argent, le gaspille, e demande, le gaspille. Jesse fait toujours la même chose - il part, il revient comme si de rien n'était, il repart. Et moi je fais toujours la même chose - je regarde ma pizza cuire et je profite du soleil et je suis en retard.

Toujours, terriblement en retard.

Pas cette fois. Je crois même que je suis en avance et que je lui ai coupé l'herbe sous les pieds, vu comment Maman me regarde avec de grands yeux surpris. Son expression s'assombrit et je sens Bashir se tendre à côté de moi. "You don't have to be like that, Cal." Elle m'a souvent dit ça. Je serre les poings. "Are you not happy to see your mum?" Non. Non, non, non. La voir chez moi me donner envie de hurler. De taper du pied, de frapper le mur, de détruire toutes les fenêtres. Je n'aime pas quand je suis comme ça, mais je n'ai pas le choix.

Maman s'approche et pose une main sur son épaule. Je la repousse avec violence et elle tombe. J'entends un os qui craque, et un cri de douleur. Stevie, Max et Serena se lèvent d'un bon, alertés. Bashir se jette en avant pour aider Maman. J'ai du mal à respirer. J'ai envie de m'arracher la peau. J'ai encore envie de hurler. Pourquoi est-ce qu'elle m'a touché?

Ils tournent tous leurs regards vers moi, et ils n'ont jamais été aussi pesants.

Je tourne les talons et rouvre la porte d'entrée. Je me jette dans la cage d'escaliers et cette fois je ne m'arrête pas pour profiter du soleil, préférant descendre à toute vitesse en ignorant mon prénom qui est crié par Bashir et Maman derrière moi. Je manque de tomber plusieurs fois mais je ne m'arrête pas. Je respire seulement quand je suis sorti de l'immeuble. Puis je me remets à courir.

Peut-être que si je cours assez vite, je cesserai d'être en retard.