”Tu es bien humble avec toi-même.” Certes – mais l’important est que le message passe, et que Darragh ne se sente pas menacé par sa question, et qu’il lui vienne l’idée grotesque de lui cacher quoi que ce soit. Otto n’a pas tout à fait menti : il est, par définition, un simple chercheur (l’un des meilleurs de sa génération, mais là n’est pas le propos), un scientifique passionné, et c’est à ce titre qu’il se présente aujourd’hui, pas en tant que représentant du gouvernement. ”Toujours là où on ne t’y attend pas, mh. – C’est un point de vue”, répond sobrement, avant d’esquisser l’ombre d’un sourire lorsque Darragh lui fait signe de le suivre, et il lui emboîte le pas avec un brin de curiosité éveillé ; il savait que toquer à la porte de Lynches Magical Beasts le mènerait sur des pistes intéressantes, et il ne regrette en aucun cas d’avoir pris la peine de faire partir cette missive, encore moins de s’être déplacé.

Otto avance au niveau de Darragh, observant attentivement le chemin qu’ils empruntent, quand ce dernier reprend. ”Une de nos femelles Sombral a pris la clé des champs un peu trop longtemps, il y a deux ans.” Le regard de l’alchimiste revient lentement vers son ami d’autrefois, son visage neutre exprimant bien mal son intérêt soudainement piqué par ce début de révélation. Difficile à dire si Darragh sait le domaine dans lequel il s’est spécialisé, au fil des ans, et surtout que les Sombrals rentrent ainsi parfaitement dans ce domaine d’expertise. ”Elle est revenue enceinte et rien ne semblait inhabituel, alors je ne me suis pas inquiété.” La curiosité d’Otto est de plus en plus vive, mais il n’en dit rien sur l’instant, continuant d’avancer tranquillement dans la forêt aux côtés de Darragh – il ne sert à rien de poser hâtivement des questions, alors qu’il découvrira ce vers quoi le propriétaire du lieu les mène dans quelques instants.

Et, en effet, il ne tarde pas à le découvrir ; à mesure qu’ils s’approchent, Otto appréhende la silhouette d’un Sombral, bien plus imposante qu’à l’accoutumée. Et c’est en arrivant seulement près de l'enclos qu’il constate les deux iris dorés rivés sur eux, brillants sous les rayons du soleil de juillet, sublimant les reflets de sa robe pourpre – une créature magnifique, de laquelle émane une aura puissante et presque pesante, que le Mangemort peut ressentir sans mal lorsqu’ils s’arrêtent face à elle. Et c’est presque malgré lui que son coeur de pierre accélère tout juste face à cette découverte incroyable. ”Probablement un croisement avec une espèce d’Europe de l’Est, possiblement un démon.” C’est à peine si Otto regarde Darragh lancer son repas à la créature, trop pris par sa contemplation, et cette énergie dangereuse qui semble presque palpable maintenant qu’ils sont face au cheval ailé. ”Hephaestus tolère les autres Sombrals, mais très peu les humains. Ou seulement pour tenter de nous faire flamber.” Cette fois, l’alchimiste hausse un sourcil au mot flamber, et baisse le regard vers la brûlure que lui présente l’ancien Serdaigle. Otto n’est pas un expert en créatures magiques, mais il a étudié les Sombrals de suffisamment près pour savoir qu’ils ne crachent habituellement pas du feu, et que ce spécimen est d’une rareté telle que le laisser moisir dans cet enclos serait du gâchis. ”Fascinant…”, dit-il presque à voix basse en relevant le regard vers les deux yeux brillants et sombres à la fois ne l’ayant pas relâché un instant depuis qu’ils sont arrivés. ”Un seul de mes lads a réussi à vraiment s’en approcher. – Il faut reconnaître qu’il n’a pas l’air particulièrement commode, en effet.” Et c’est sur ces mots qu’il fait un pas en avant, juste un pas, en direction de l’enclos, ne serait-ce que pour l’observer de plus près, mais également pour mieux ressentir cette aura grondante.

Un pas qui a un effet immédiat sur le soi disant Hephaestus, qui l'imite aussitôt en écartant les naseaux, d’où s’échappe une épaisse fumée ; encore une fois, pas besoin d’être un expert en créature magique pour comprendre la bête est tendue. Et à peine Otto a-t-il le temps d’ouvrir la bouche que les deux ailes se tendent brusquement sur le dos du Sombral, qui charge à toute allure vers la barrière derrière laquelle ils se trouvent, une orbe lumineuse, enflammée luisant au fond de sa gueule entrouverte. Sous-estimer la vitesse d’un Sombral (ou d’un demi-Sombral, en l’occurrence) serait une grossière erreur – tout comme il le serait de sous-estimer les réflexes gravés dans la chair d’Otto, qui brandit instinctivement sa baguette vers la créature. ”Doloris.” Le sort est articulé du bout des lèvres, tranchant avec le danger de la situation, et jaillit du bout de l’artefact pour frapper de plein fouet Hephaestus, qui s’interrompt pour pousser un hennissement déchirant l’air. Ce n’est qu’alors qu’Otto réalise son souffle à peine plus court, alors que son regard est rivé sur la bête s’étant affessée sur ses pattes avant pour accuser la douleur du sortilège, observée avec hauteur par l’alchimiste, qui la détaille comme s’il s’agissait là des résultats d’une première expérience ; c’est aussi à ce moment là qu’il réalise qu’il n’était peut-être pas nécessaire de lancer le sort pour se protéger, alors qu’ils se trouvent en sécurité derrière les barrières magiques. ”Excuse-moi, un simple réflexe”, adresse-t-il à Darragh dans ce qui ressemble à un sourire poli (et forcé).

Otto range sa baguette après un dernier coup d'œil pour la créature, avant de revenir à son hôte du jour, ses deux mains de nouveau enfoncées dans son manteau droit. ”Très intéressant, définitivement un spécimen que j’étudierai.” Il ne laisse pas la place pour le moindre doute : Hephaestus mérite d’être étudié en profondeur. ”Même s’il ne semble pas particulièrement m’apprécier, pour le moment.” A en juger par sa réactivité immédiate quand il a fait un simple pas dans sa direction, un comportement qu’il n’a pas semblé avoir avec Darragh – peu importe, le Sombral n’aura vraiment d’autres choix que de finir par l’apprécier.

”Et après ce petit tour de magie, ça n’ira pas mieux.” Et c’est sur cette remarque que le regard d’Otto se fait légèrement plus froid, en se tournant vers celui de Darragh, qu’il inspecte un instant sans dire mot. L’alchimiste est parfaitement conscient que ses méthodes, et de manière générale, celles utilisées dans le monde de la recherche sous la bénédiction du Lord n’est pas au goût de tout le monde – et il n’y a qu’à eu voir la réaction virulente de l’éleveur lorsque le sortilège de torture a quitté la baguette du Mangemort pour comprendre où se trouvent ses valeurs. Cependant, rares sont ceux qui osent le lui dire au visage. Suffisamment pour que cette phrase-ci de son ami d’antan le fasse tiquer, et manquerait presque de lui faire hausser un sourcil ; ce n’est pas le cas néanmoins, et Otto reste impassible et muet, lui livrant ce qu’il pense de son opinion uniquement de ce regard légèrement sec. Il n’est pas venu pour attirer des problèmes à Darragh, ou le questionner – simplement pour affaires, en réalité, malgré les tentatives de Beth de les faire renouer et reprendre leur amitié vieille d’une bonne vingtaine d’années. Il y a certaines choses qu’il ne vaut mieux pas forcer.

”C’est ce que j’avais de plus excitant à te présenter, et tu comprends pourquoi je ne le montre pas à n’importe qui.” Otto hoche discrètement de la tête. Il n’est certainement pas déçu, loin de là – il repartira avec bien plus que ce qu’il espérait : une découverte fascinante, et un spécimen unique qui occupera probablement un certain temps une partie de son équipe. ”Compréhensible, en effet”, admet-il en observant la créature se relevant difficilement pour s’éloigner d’une démarche presque gauche, empressée. Intéressant – Hephaestus semble doté d’une intelligence certaine, et d’un instinct de survie sensible, à le voir comprendre son impuissance et l’inutilité de lutter davantage pour préférer s’enfuir. Décidément, une créature fascinante.

”As-tu le temps pour un thé, afin de régler cette affaire ?” Ah – Otto avait presque oublié cette histoire de visiter le reste de la maison, et de prendre un thé pour rattraper le temps perdu. A vrai dire, il s’apprêtait à se faire raccompagner poliment jusqu’à l’entrée de la propriété pour pouvoir transplaner et retourner tranquillement au travail. Mais soit ; il a promis à Beth de faire un effort, après tout, et il peut bien consacrer encore un peu de temps à Darragh, surtout s’il s’agit de régler les derniers détails pour cette transaction. ”Bien évidemment, avec plaisir”, ment-il légèrement, sans vraiment s’efforcer à sourire, emboîtant simplement le pas au maître des lieux après un dernier regard pour Hephaestus. ”Merci pour ton hospitalité, et pour ta confiance. Je peux te promettre que Hephaestus sera entre de bonnes mains.” Il n’est pas certain que Darragh et lui partagent la même définition de bonnes mains, mais peu importe : il ne ment pas, cette fois, et il lui tarde de mettre la main sur son nouveau sujet d’étude.