Tout se passait bien jusque là. Enfin, aussi bien qu’une mission de routine pour l’Ordre peut se passer, avec une transmission d’information à une planque, et une récupération d’objets trafiqués. Pour le coup, ils y étaient allés en moto, elle qui conduisait et Jo en passager. Et puis au retour, en voyant un écriteau publicitaire elle avait eu envie d’une gaufre et elle n’avait pas vraiment demandé son avis à Johannes. Donc ils avaient fait un crochet par le bouiboui sur le chemin, et étaient allés un peu à l’écart pour qu’elle puisse en profiter, surtout que la retenue d’eau voisine avait l’air sacrément jolie et que le vendeur leur avait suggéré de s’y poser pour un moment romantique.

Oui parce que, forcément, un duo de deux personnes, composé d’un homme et d’une femme, sensiblement dans les mêmes âges (big no, encore une fois), était forcément un couple en train de faire un road trip en amoureux. Mira avait attendu d’être dehors pour rire en silence, sa voix n’étant toujours pas revenue avec les mois. Consternée, évidemment.
Les Moldus, des fois...

Enfin bon, au moins, l’intérêt d’être un peu à l’écart alors que la nuit tombait rapidement, c’était qu’elle pouvait faire de la magie sans qu’on ne les repère et elle lui racontait donc, à base de nombreuses langues de fumée plus claire et donc aisément visible pour le nyctalope, que ces gaufres (elle en avait commandées trois, une au sucre, les deux autres à la pâte à tartiner) avaient un petit goût de vacances, d’enfance, d’une période où sa vie était sans doute moins complexe. Elle mordait allègrement dans la première des trois, les grains de sucre se collant autour de sa bouche et jusque sur le bout de son nez, et aurait pu soupirer de contentement si elle avait encore eu la possibilité de souffler. À la place, elle se mit à regarder au loin, de l’autre côté de la retenue d’eau, où il devenait de plus en plus compliqué de distinguer des silhouettes, puis à regarder le ciel qui commençait vraiment à devenir bleuté, puis bleu nuit. Et de commenter, en se pourléchant les babines : C’est vrai que c’est un chouette endroit, j’avoue.
Avalant la dernière bouchée de sa première gaufre, Mira contemplait la possibilité d’entamer la deuxième des gaufres, mais eut un cas de conscience et avait besoin de l’avis de son binôme pour la journée : Tu penses qu’on aura le temps de passer par chez les sans-magie ? J’me dis que Leo serait sans doute contente de-

Sauf que, pas le temps de finir d’écrire sa phrase dans les airs, un éclair rouge la loupe de peu et la projette plus loin, dans les fourrés. La réception, au moins, est moins douloureuse qu’elle n’aurait pu l’être et on serait en droit de demander à voir un ralenti de la scène pour mieux déterminer si Miss Martillo a été sacrément chanceuse, ou si elle a eu un coup de pouce. Les gaufres finissent bien sûr dans l’herbe et les brindilles, côté pâte à tartiner face contre terre, pour ajouter l’insulte à l’outrage. Le temps du roulé-boulé en arrière, Mira se redresse, bulle d’eau toujours autour du cou et des branchies, un peu plus rouge qu’avant (pas que dans la semi-pénombre, ça soit vraiment perceptible par les simples humains).
Une certitude : si elle pouvait, elle hurlerait.

Faute de pouvoir percer les tympans des assaillants d’un cri strident et furieux, elle lance un stupéfix à l’aveugle, loin de pouvoir vraiment distinguer les silhouettes des intrus, dans ce moment entre chien et loup. Ça, plus la stupeur d’être attaquée à un moment où elle se pensait en sécurité (dans le monde moldu en plus, certes dans un secteur un peu reculé de route), disons que tout bascule. Au moins une bonne chose à retenir : à aucun moment elle ne suppose que c’est un entraînement, cette histoire pourrie.

C’était étrange à quel point la vie pouvait parfois être ironique. La cérémonie de ton premier mariage s’était déroulée exactement comme prévu, sans le moindre accroc. Et puis, le reste de cette union avait été bouleversé par un terrible aveu, que seule la mort avait été à même de réparer. Ton second mariage, lui, fut marqué par une noce sanglante, entachée par l’attaque surprise de ces sauvages, qui à l’instar des résistants de l’Ordre n’étaient que des terroristes. Mais le Lord soit loué, ton épouse et toi étiez parvenus à vous en sortir indemnes, ou presque. On ne pouvait pas en dire autant du père Yaxley ou même de ta pécheresse de sœur, qui avait été contrainte de faire sa convalescence à Sainte-Mangouste. Mais tu avais passé l’âge de te nourrir de cet espoir fou qui consistait à croire que Freya et toi seriez heureux jusqu’à la fin de vos jours, pour compenser le drame survenu lors de ce qui aurait dû être le plus beau jour de votre vie. Une fois le calme rétabli au manoir, était venu le temps de reprendre vos esprits et de panser vos blessures. On aurait alors pu croire que tu aurais choisi de profiter de ces premiers instants d’intimité avec ton épouse, mais c’était bien mal te connaître. Lorsque tu avais réalisé que la cicatrice qui marquait la cheville de Freya semblait suinter la magie, tu n’avais pas hésité un seul instant à reporter votre voyage de noces. Tu fis d’abord convoquer l’un des médicomages les plus réputés de Sainte-Mangouste pour examiner la blessure et s’assurer qu’aucune maladie moldue n’ait été transmise à ton épouse par le biais des doigts crasseux qui composaient les pattes de Fenrir Greyback. C’est alors que le verdict tomba : la cicatrice n’était pas qu’une simple entaille mais bien une rune. Tu aurais volontiers fait appel à ta très chère sœur pour débarrasser Freya de cette horreur, mais comme toujours, Myrthild n’était jamais là quand on avait besoin d’elle. C’est ainsi que tu avais fini par jeter ton dévolu sur Silver Marsh. Ton brigadier et ami, n’était pas uniquement bon à jouer les garçons d’honneur patibulaires, il était aussi un runiste expérimenté et très talentueux, quoi qu’en dise Rodolphus. Après plusieurs heures à étudier la rune avec attention, il était arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’un maléfice de localisation, mais que celui-ci avait vraisemblablement été apposé à l’envers. Ce n’était pas Freya que la rune permettait de suivre à la trace mais bien la personne qui l’en avait gratifiée. C’était tout bonnement incroyable ! Oh bien sûr, tu ne remettais pas en cause la stupidité profonde de Fenrir Greyback, mais tu n’excluais pas pour autant qu’il puisse s’agir d’un piège pour t’attirer droit dans la gueule du loup. Loin de toi l’idée de faire de cette histoire une enquête officielle qui imposerait plus ou moins de recenser les pertes survenues durant l’attaque, tu avais décidé de missionner Marsh pour t’accompagner dans ton périple.  “Merci de venir avec moi, Silver. J’ignore quels dangers nous attendent là-bas, mais je saurais me souvenir de ton aide. Ne perdons plus de temps, allons-y ! Et longue vie au Lord !” C’est sur ce cri d’allégeance, que tu avais déjà répété un nombre incalculable de fois au cours de ta carrière de mangemort, que vous quittiez le manoir au crépuscule pour partir à la chasse.

Votre périple vous conduisit dans le coin reculé d’un petit village moldu situé au bord de l’eau. Le cadre aurait presque pu être idyllique si tu avais été accompagné de Freya et non de Silver Marsh. En apparence, tout semblait parfaitement calme. L’endroit était même désert à l’exception d’un couple assis sur un banc… Mais à mesure que votre observation silencieuse se poursuivait, et que vous avanciez le long du quai, tu finis par remarquer que quelque chose clochait avec ces deux moldus. Quelle ne fut alors pas ta surprise, lorsque tes yeux parvinrent à distinguer à travers la pénombre le visage de Kashmira Martillo sous ce qui semblait être un bocal à poissons rouges. Tu ne pus retenir un fier sourire devant la beauté des branchies dont tu l’avais octroyée lorsqu’elle t’avait quitté. Mais bien vite, tu recentras ton attention sur la raison de votre présence ici ce soir. Si tu avais encore du mal à assembler toutes les pièces du puzzle, le fait que la rune vous ait mené à Mira ne pouvait être un hasard. La sang-de-bourbe était forcément mêlée d’une manière ou d’une autre à cette histoire. Sans plus attendre, tu la désignas d’un signe de tête à l’attention de Marsh, avant de brandir ta baguette dans sa direction. Il t’aurait été si aisé de la tuer et d’en finir au plus vite, mais tu exigeais des réponses, et tu ne repartirais pas sans savoir pourquoi on avait voulu s’en prendre à Freya. Un éclair de lumière rouge s’échappa de ta baguette magique et vint fendre l’obscurité de la nuit qui approchait à grands pas. “Bonsoir, Kashmira, c’est bon de te revoir. Si déposer une rune sur ma femme était ta façon de me signifier que tu t’opposais à mon mariage, tu t’es donné bien du mal pour rien. Ce n’est certainement pas pour une sang-de-bourbe dans ton genre que je la quitterai.” Un nouvel éclair surgit de ta baguette mais cette fois-ci, il se dirigea vers celui qui accompagnait Martillo. Pas de jaloux, chacun en prendrait pour son grade ce soir. Tu ne laisserais plus personne toucher à Freya Abbott.

Une simple mission de routine. Échappatoire parfait pour un vampire sur les nerfs et pourtant ça ne se voyait presque pas, mais si ça ne se voyait presque pas, c’était bien parce que le sorcier passait la plupart de son temps en dehors de Sweet River. En effet, depuis le sitting, il passait de Dagobah, à Shell Cottage, à son cocon personnel, qui a la vitesse où évoluaient les choses deviendrait une auberge espagnole. Et s’il ne dormait pas à la Fawkes, il y passait une partie de ses journées depuis que Minerva était venue le voir pour lui proposer de l’assister dans le cadre des stages d’animagie. La colère et le ras-le-bol dégonflé pourtant par une suite d’interventions d’amie intentionné, il était revenu au sentiment initial qui l’avait fait bondir plusieurs mois auparavant. L’envie de faire ses bagages, d’embarquer son frangin, pour aller où ? Une question qu’on ne lui posait pas, mais ce n’étaient pas les propositions qui manquaient, l’ancien auror n’avait pas pris de décision pour autant. L’issue de leur mission de sauvetage changerait peut-être la donne, mais il avait une certitude, il voulait plus être cantonné à Sweet River et il espérait que les derniers événements et préparations aiderait à mettre un terme à cette séparation qui avait fait plus de mal que de bien à l’Ordre. L'unité pouvait fonctionner, peut importe le sang du sorcier.

Case in point. Le vampire était installé sur la moto de la sorcière née-moldu et ils avaient fière allure, alors que Johannes la dominait du haut de son mètre quatre-vingt-seize à l’arrière du bolide qui filait vers leur prochaine destination. Crochet inattendu pour récupérer des gaufres, une idée spontanée de son conducteur, a laquelle il n’émit aucune objection. Initiative innocente, bien que le vampire y céder plus par gourmandise et gentillesse, la gaufre devant lui n’aura aucun effet sur son métabolisme. Par contre, la petite voix dans un coin de sa tête lui rappelait que même s’ils n’étaient pas aussi bon qu’un sang de sorcier ou être de l’eau, les humains était tout de même satisfaisant s’il avait envie d’un encas, bien qu’il n’en avait pas besoin, ayant pris le soin de se nourrir en prévision de sa sortie avec Mira. La remarque du vendeur l’avait ramené à la réalité, la suggestion que lui et la jeune femme le faisant rire, rien, dans leur comportement ou langage corporel ne donnait ce genre de vibe, mais oui, c’était une belle soirée d’été en perspective.

Installé en face de la demoiselle, il tentait d’avoir une conversation avec les moyens du bord, la jolie brune rendu muette par la bulle d’eau autour de sa tête. Il croquait dans sa gaufre, essayant de profiter de ce moment, malgré la tension qui l’habitait, il pouvait faire un effort pour Mira au moins. Mais le vent venait de tourner, et la créature qu’il était, comme son instinct animal le mis en garde quelques instants avant que leur pause bucolique ne soit interrompue. Le vampire sentit la présence des deux, oui, deux sorciers un peu tard, ou justement trop tôt, distrait par la magique qui venait lui chatouiller les sens. Froncement de sourcil contrarié sur son visage qui était détendu quelques secondes plus tôt, il se redressait brusquement, « Mira… » Un éclair rouge surgit de la direction où il venait de se tourner, projetant Mira, le banc, les gaufres, quelques mètres plus loin. Johannes la rejoignait pour s’assurer qu’elle n’avait rien, baguette en main au cas où un seconde sort venait voler dans sa direction. Il fut surpris de reconnaître Marlon Travers qui se détachait de la pénombre, mais ce n’était pas de lui dont émanait la magie qu’il avait senti, mais bien son accompagnateur. Le regard du vampire se posant sur la seconde silhouette. « Marsh ! Évidemment. Ça fait longtemps. » Faisait-il remarquer d’un ton faussement enjoué. Alors qu’il contrait le sort de Marlon, dont les propos valurent un coup d’œil en direction de Mira. Did he want to know? Non. Enfin, oui, mais il n’avait pas vraiment le temps pour cela, apparemment, il avait droit à une petite mise en jambes imprévue ce soir. L’univers et son sens de l’humour.

Un éclair jaillissait de la baguette de l’ancien auror en direction de Marlon (c’est de bonne guerre), puis de Silver (pas de jaloux on a dit), ce dernier s’évaporant dans les airs suivit du Runcorn, les deux sorciers se lançant dans un ballet de sortilèges.

C’est toujours assez frustrant de ne plus pouvoir éructer jurons et insultes sonores à l’encontre de ceux qui viennent soudainement interrompre une soirée tout à fait sympathique. Mira aurait ainsi très probablement pioché dans son vocabulaire fleuri pour arroser Marlon de qualificatifs peu élogieux, faisant référence à sa couardise, au fait qu’il ne lui avait clairement pas manqué, et au caractère plutôt inopportun et peu gracieux de son arrivée en plein dans cette dégustation de gaufres. S’il avait voulu profiter d’un petit encas sucré, il aurait plutôt dû demander poliment et peut-être Kashmira aurait-elle consenti à lui accorder une bouchée de sa gaufre à la pâte à tartiner… Mh, mouais, peu crédible, et nous sommes malheureusement dans la vraie vie, celle où Miss Martillo n’est pas une coloc de Monsieur Travers, mais a plutôt une petite dent contre lui, eût égard aux branchies qui lui sont poussées et, bref, on ne va pas refaire l’historique de leur inimitié.

La voilà donc derrière le banc, à lancer des sorts à l’aveugle, à se rendre compte qu’elle est bien partie pour lutter contre sa vie, et le chef de la Brigade de Police Magique commence à raconter des trucs qu’elle ne comprend pas. Un regard rapide à Johannes, qui a l’air pas franchement ravi de la tournure de leur escapade, et déjà le vampire a disparu dans les airs pour affronter l’acolyte de Travers, un sorcier que Mira n’a jamais vraiment vu, et n’a soudainement pas du tout envie de combattre.

C’est que, il faut bien le reconnaître, elle a déjà suffisamment à faire avec Travers.

Quelle tristesse qu’elle ne puisse pas l’interroger tranquillement sur les reproches que le mangemort lui fait, cela dit ! Après tout, ce qu’elle pourrait simplement beugler, si tant est que ses cordes vocales fonctionnaient normalement, c’est qu’il se trompe complètement et qu’elle n’a rien fait à sa femme. What the fuck?!! articule-t-elle ainsi en silence, aucun souffle ne daignant franchir ses lèvres. Tout ceci ne fait aucun sens, jusqu’à ce que son cerveau se mette en branle et comprenne que le problème, c’est cette histoire de rune et… oh.
Quelle idiote elle a été de faire confiance à ce foutu lycanthrope !
Accroupie derrière un buisson qu’elle a élu comme cachette le temps de reprendre ses esprits, la pénombre l’aidant quelque peu, elle tâte la poche arrière de son jean et comprend, mais un peu tard, qu’il y a eu une couille dans l’offre trop généreuse de Fenrir Greyback.

Fuuuuuuuuuuuuuuuck, articule-t-elle encore sans qu’on ne puisse profiter de cette prise de conscience violente et horrifiée, toujours muette, consternée, alors qu’elle fouille la poche et en sort le carnet, en le scrutant comme s’il allait se mettre à parler et lui expliquer exactement ce qu’il s’était passé, à savoir que la rune de traque que Fenrir Greyback avait proposé d’apposer sur Marlon Travers, pour aider Mira à se venger (et retrouver sa voix, dans la manœuvre), n’était pas du tout protégée et que Travers avait su remonter la piste, prenant Mira à son propre piège. Autrement dit, que si elle avait parlé de cette histoire à des runistes, du style Alvaro ou Hermione, par exemple, elle aurait sans doute pu éviter ce chaos ambiant dans lequel elle se retrouvait désormais plongée.
Elle ne comprenait pas encore ça, à l’instant, mais tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle n’était pas préparée à croiser la baguette avec son ancien propriétaire. Ou plutôt qu’elle pouvait le faire, mais qu’elle n’était absolument pas certaine de l’issue d’un tel duel magique.
L’autre problème, c’est qu’elle ne pouvait pas transplaner, là, parce que ça ne se faisait pas d’abandonner Johannes en plein merdier : la loyauté, c’était important chez les Martillo et elle ne dérogeait pas à la règle.
Dans tous les cas, c’est pas comme si on lui laissait le choix : il allait bien falloir qu’elle se bouge le cul et lutte pour sa survie.

Ne trouvant rien de mieux à faire que de commencer à ramper derrière un autre buisson, elle regardait en l’air de temps en temps, inquiète, tout à fait consciente qu’elle ne pourrait pas se cacher indéfiniment. Si bien que lorsqu’une branche craqua, non loin d’elle, elle n’attendit pas de savoir qui avait marché dessus -ça lui semblait évident : il n’y avait qu’eux dans le secteur de toute façon- et balança un Stupéfix à la volée, en réflexe.
Et de se redresser aussi sec, avec l’énergie du désespoir, se remettre sur pieds d’un bond agile, pour sortir de sa planque désormais dévoilée et revenir de l’autre côté du banc, de trois quarts, pour laisser moins de prise à un sort qu’on lui lancerait, comme elle avait appris avec l’Ordre du Phénix. Le reflet de la lune sur la surface aqueuse lisse attira son regard un bref instant, et elle se surprit à se demander si se planquer dans l’élément auquel Travers l’avait condamnée n’était pas une bonne idée. (et ça l’était plutôt pas mal, mine de rien)
Néanmoins, il valait mieux garder ça en issue de secours, si jamais sa concentration vacillait trop et qu’elle peinait à maintenir sa bulle d’eau autour de ses branchies. Ainsi, voulant quand même en découdre, préférant ne pas trop attendre qu’on la mette en joue, la baguette fermement tenue, Kashmira inspira profondément et visa avec autant de précision que possible (c’est-à-dire : peu) la silhouette de Marlon, pour lancer un puissant Bombarda qui la fit vaguement reculer sur ses appuis, à quelques mètres encore de l’étendue aqueuse.

L’une des premières choses que tu avais faites à ta sortie d’Azkaban avait été d’apprendre à reconnaître le visage de tes pires ennemis. Pour ne jamais les oublier, pour toujours te souvenir de les traquer jusqu’au dernier. Jusqu’à ce que tu tombes sur Kingsley Shacklebolt. On aurait pu croire que le terme d’ennemis s’apparentait aux membres de l’Ordre, puisque, c’est bien connu, les résistants sont tous des terroristes. Mais non. En premier lieu, c’était aux aurors que tu comptais bien faire la peau. A ce ramassis de moins que rien qui t’avait valu de passer plus d’une décennie aux enfers. Aussi, lorsque les premiers sortilèges retentirent et vinrent éclairer la trogne de l’homme qui accompagnait Kashmira, tu le reconnus bien rapidement. Johannes Runcorn. Auror, fugitif, résistant et hybride de surcroît. En voilà un qui collectionnait les tares comme on collectionnerait les cartes de chocogrenouilles. Papa Runcorn avait bien de quoi se retourner dans sa tombe, songes-tu alors que son fiston ose lancer un sortilège dans ta direction. Alors comme ça, on ne prenait même plus le temps d’échanger quelques politesses ? C’était à croire que l’hybridité avait le don de balayer des années d’éducation. Ce n’est pas tout à fait de gaieté de cœur que tu laisses Silver s’occuper de son cas, mais l’heure n’est pas au moldathon. Ce soir, le nombre de victimes à ton compteur importait peu. Ce soir, tu étais avant tout venu venger ton épouse. A la lumière du Doloris que tu lances vers Mira, tu l’aperçois remuer les lèvres à travers l’aquarium dont elle s’est affublée. “Voudrais-tu nous dire quelque chose, Kashmira ? Navré, mais je ne t’ai pas bien entendue. Pourrais-tu répéter un peu plus fort ?” Il fallait bien lui reconnaître une certaine inventivité et une propension à ne pas avoir peur du ridicule. Contrer de la sorte la malédiction dont tu l’avais gratifiée, était un acte tout à fait remarquable. Bien d’autres auraient certainement choisi la mort, s’ils avaient été à sa place. Mais alors que la jeune femme ne trouve rien de mieux à faire pour échapper à ta folie vengeresse que de se dissimuler derrière un buisson, tu laisses échapper un rire presque compatissant. “Allons, Mira, ne fais pas l’enfant. Je ne repartirai pas d’ici avant d’être certain que tu aies bien compris la leçon. S’associer à des bêtes telles que Fenrir Greyback est tout sauf une bonne idée. Et s’en prendre à Freya Abbott revient ni plus ni moins à commettre un crime impardonnable.” Un peu plus et on croirait presque que le sens de la théâtralité et de l’exagération de Rodolphus Lestrange avait fini par déteindre sur toi après toutes ces années à le fréquenter. D’un pas vif, tu te rapproches du buisson derrière lequel venait de surgir un Stupéfix que tu détournes à l’aide d’un Protego. Kashmira semblait être lasse de se terrer comme un rat, et désormais prête à en découdre. Bien, voilà qui rendrait la soirée un peu plus interactive. Quelques secondes plus tard, la fugitive enchaîna avec un bombarda qui te manqua de justesse et vint exploser contre le pavé à quelques mètres seulement de tes pieds. Furibonde, agressive, imprécise, telle était la Martillo que tu connaissais et que tu prenais un malin plaisir à tourmenter. Te rapprochant encore un plus de l’endroit d’où fusaient les sortilèges, tu avançais précautionneusement sous la bulle de ton Protego et réfléchissais déjà à la façon la plus délicieuse dont tu pourrais t’en prendre à Kashmira. Finalement, c’est l’une de tes propres créations que tu envoyas lacérer la jambe de ton ancienne chose. “J’aurais dû m’en prendre plus tôt à tes membres inférieurs. Cela t’aurait peut-être empêché de me quitter.” Tu avais toujours mal supporté les abandons, Marlon.

Le tournant de cette soirée, le Runcorn pourrait vous dire qu’il aurait bien pu s’en passer. Et que si ça ne suffisait pas à se retrouver face à l’élite sorcière, fidèle au Lord, il fallait en plus que ce soient Marlon et Silver. Le chef de la BMP et un Hit Wizard, alchimiste de surcroit. Il y avait un équilibre dans le nombre, deux contre deux, bien que Travers n’aurait certainement pas pu prévenir du nombre de personne avec qui Kashimira se trouverait ce soir-là. Marlon était un mangemort de la première heure, que Johannes avait entendu parlé, brièvement croisé lorsqu’il était encore agent double de l’Ordre, il le connaissait plus de réputation, ou de ce que les membres de sa famille lui avait raconté. Quant à Silver, il n’avait pas gardé un souvenir flatteur du sorcier, bien qu’il ne pouvait pas lui ôter son talent, étant l’un des rares sorciers qu'il avait entendu son frère complimenter en publique (sachant qu’un compliment d’Elias Runcorn est rare en général). Johannes avait gardé un bien meilleur souvenir de son épouse lors de quelques soirées organisées par leur département, une femme brillante avec qui il avait eu le plaisir de discuter.

Johannes avait bien compris que la jeune sorcière était la cible principale de Marlon, le vampire était une nuisance, et Silver se contentait de faire ce pourquoi il était là, distraire et dans l’idéal se débarrasser de l’élément gênant qu’était le vampire. L’ancien auror ferait tout pour être dans les pattes des deux sorciers, et essayer de ne pas mourir dans la foulée, ainsi, il espérait que ce n’était pas ce soir. Et il ne laisserait pas Mira tomber non plus, il devait rester attentif, des deux, il savait qu’il avait le plus d’expérience à affronter des mangemorts, comme en duel. Et il savait aussi, que leurs adversaires n’étaient pas du menu fretin. Et c’était bien là le problème. Johannes ne savait pas dans quelle galère s’était embarqué Mira, et il savait, oh, il savait que Marlon était responsable de sa malédiction et qu’il l’avait retenu prisonnière et torturé, mais vraiment, il fallait être inconsciente pour vouloir provoquer son bourreau et s’en prendre à son épouse.

Protéger Mira. Ne pas mourir. Facile à dire et plus difficile à faire. Le sorcier n’a pas perdu de ses réflexes, il dirait même que s’il n’avait pas été un vampire, peut-être, il n’aurait pas autant de facilité à éviter les sorts chargés de magie de son adversaire. Une magie qui ne laissait pas ses sens indifférents et il était presque tenté par l’idée de planter ses crocs dans le cou de son adversaire. Presque, Johannes savait que sa soif dépendait surtout de sa volonté, et jusqu’à présent il avait tout fait pour éviter d’aller directement à la source. C’était une option de cas de force majeure, mais surtout, il ne voulait pas y prendre goût, comme l’adrénaline qui le parcourait à ce moment précis, réveillant des sensations qu'il n'avait pas ressentit depuis un moment.

« Quel gâchis, Runcorn - Venant de toi Marsh, je prends cela comme un compliment. Répondait le vampire avec un sourire narquois. Son regard décernant les tatouages alchimique sur les bras de son adversaire, similaire à ceux de son frère, ainsi que la marque. Je vois que tu as ajouté un tatouage à ta panoplie, qu’en a pensé ta femme ? » Attaque gratuite, et dans un autre contexte, un autre jour, le sorcier aurait été moins provocateur. Il avait bien trop de colère et frustration, Silver payant un peu pour les absences, quel qu'ils soient. Et Johannes allait certainement le regretter, car la remarque eut la réaction voulue, mais s'il n’avait pas eu l’occasion de jauger la puissance de l'alchimiste par le passé, il allait pouvoir le faire.

Un puissant sortilège s'échappait de la baguette de Silver en réplique, expulsant Johannes droit dans les arbres qui formaient la clairière dans laquelle lui et Mira s’étaient installés un peu plus tôt. Le choc était violent, le vampire dégringolant pour disparaître sous la cime des arbres.

Sonné, le sorcier n’avait pas beaucoup de temps pour se reprendre, ou même voir l’étendue des dégâts, mais le goût du fer dans sa bouche, et les différents points de douleur sur l’ensemble de son corps le fit comprendre que la chute fut aussi douloureuse qu'elle fut longue. Blessé aux côtes, le sorcier se relevait, transplanant loin du point d’impact au cas où son adversaire venait le chercher. Il avait mis le doigt où ça faisait mal, lançant les hostilités, mais il aurait été un peu plus fier s’il avait anticipé la puissance du sorcier, comme sa suceptibilité. Son attention, cependant, n’était plus sur Silver, mais Kashmira qui était un peu plus loin, Marlon venant droit sur elle, et dans un réflexe protecteur, il s’élançait à sa rescousse à découvert.

les dés.:

La soirée n’était définitivement pas comme Kashmira l’espérait : tout ce qu’elle avait demandé, c’était de pouvoir tranquillement manger une gaufre en oubliant ses problèmes. Le hasard en avait fait différemment, et la sinistre silhouette de Marlon qui hantait encore un certain nombre de ses cauchemars s’était matérialisée et s’occupait désormais personnellement de son cas, pour son plus grand déplaisir. Un sortilège informulé lance par Travers fonçait justement sur elle à cet instant et [Dé nº1] elle réussit à l’éviter en se projetant (encore une fois) par terre, dans un roulé-boulé/galipette qui aurait été sans doute validé par Leonor si sa sœur moldue avait assisté à ce combat.

Une très bonne chose, d’ailleurs, que Leonor ne soit pas là.

Se relevant encore une fois sans grande classe, les coudes et les genoux écorchés par des cailloux qui avaient croisé leur route, son pantalon troué et déchiré, Kashmira sentait que ce moment supposé de détente virait au drame à grande vitesse, sans parler du fait que les gaufres à peine entamées n’étaient plus qu’un vague souvenir tombé face tartinée contre terre.
Quand bien même elle était dévorée par la peur, Mira était aussi vraiment horrifiée de se rendre compte que cette tragédie aurait pu survenir à un moment encore plus problématique, de type alors qu’ils étaient de retour dans une planque de l’Ordre. Dans un mouvement intelligent, et alors qu’elle avait à peine quelques secondes de répit, elle jeta le carnet à la flotte (de toute façon, il n’y avait rien d’utile dedans, ni adresse, ni noms, ni numéros de téléphone, plutôt des dessins gribouillés de fleurs et de nature morte, et surtout des mots griffonnés à la va-vite de quelques rares précédents échanges, sachant qu’en général elle arrachait les pages de discussion pour les mettre au feu une fois la conversation achevée.

Et revenant à son ennemi numéro un, elle lança un [Dé nº2] Stupéfix toujours informulé (pas de miracle dans ce pays de merde, hélas) particulièrement puissant toutefois et fulgurant, se dirigeant droit sur Marlon*. Dans tous les cas, ce que Mira avait pu comprendre dans ce genre de situation, c’est qu’il valait mieux attaquer de façon assez bourrine, si elle voulait pouvoir espérer s’en sortir.
(Bon, en décembre 1999, cette stratégie avait merdé salement, mais on pouvait partir du principe qu’elle était plus chanceuse -si on oubliait ses fameuses branchies deux minutes- et que ça se passerait mieux cette fois-ci, hein?)

Tout ce tumulte était susceptible, tôt ou tard, de la déconcentrer. Là, déjà, après avoir visé correctement et avoir lancé le sort rouge vers Travers, elle avait pris deux secondes pour se stabiliser, portant la main libre machinalement à son cou comme pour vérifier que la bulle d’eau était toujours là (remarquez, elle l’aurait certainement senti si l’eau s’était mise à manquer d’un coup). [Dé nº3] Pour le moment, tout allait toujours bien, ce qui était le contraire de ce qu’elle pouvait affirmer pour son ami Johannes. L’ancien Auror pouvait probablement se débrouiller sans elle, mais à l’instant où elle jeta un coup d’œil dans sa direction, elle put constater que son adversaire était coriace. Et puisqu’elle était en forme, et que le colosse lui tournait le dos, elle n’hésita pas longtemps pour balancer un autre type d’éclair rougeoyant dans sa direction, [Dé nº4] un Expelliarmus peut-être moins puissant que son précédent sort (bah oui, on ne faisait pas de miracle avec une baguette qui n’était pas originellement prévue pour elle).

Et ce faisant, alors qu’elle se pensait vaguement tranquillement pendant une poignée de secondes, elle relâchait sa garde en croyant bien faire, se pensant peut-être suffisamment alerte pour éviter une nouvelle fois un sortilège lancé par son ancien propriétaire.

Alors que l’on s’agitait bruyamment du côté de Silver et Runcorn, la conversation était plus silencieuse entre Kashmira et toi. La faute à cette malédiction qui l’empêchait de parler à voix haute. Tu devais bien lui reconnaître une certaine inventivité. Tout le monde n’aurait pas pensé, ni même osé s’affubler d’une sorte d’aquarium afin de pouvoir continuer à vivre. Il semblerait qu’une misérable existence faite de cavale semblait tout à fait lui convenir. Du moins, au point qu’elle s’acharne à survivre coûte que coûte.

Ton sortilège la manque de justesse. Tu avais mal estimé la vitesse à laquelle elle se déplaçait. Tu la pensais plus rapide. Mais qu’importe, il n’y avait pas de mal à faire durer le plaisir, non ? Demeurant sur ses talons, tu ne prêtais guère attention au duel que Marsh livrait avec l’ancien auror. Tu savais parfaitement que tu étais accompagné du brigadier le plus compétent qui soit, et que tu n’avais aucun souci à te faire pour lui. Bien que son adversaire ne soit pas le plus inexpérimenté que l’Ordre ait dans ses rangs.

Une seconde d’inattention suffit à Mira pour te lancer son plus beau Stupéfix. Si le sortilège ne t’avait pas envoyé valser contre le tronc d’arbre le plus proche, tu aurais pu prendre le temps de la féliciter pour sa prouesse. A la place, tu laissas échapper un juron, qui mourrut dans ta gorge alors que le souffle te manquait. Tu ne serais pas étonné si la violence du choc t’avait fêlé une côte. Le visage déformé par une vilaine grimace de douleur, tu te relèves moins prestement que tu ne l’aurais souhaité. Remettant ta cape en place, tu parcours rapidement les environs du regard, à la recherche de ton ancienne chose. Bien vite, tu l’aperçois quelques mètres plus loin, lançant un nouveau sortilège du bout de sa vulgaire baguette. Cette fois-ci, sa cible n’est autre que Silver. Finalement, tu allais peut-être devoir te soucier un peu plus de ton acolyte.

Peu désireux de prendre le risque d’attirer l’attention de Mira en marchant sur quelques branchages, tu vises le haut chêne qui se trouve juste à côté d’elle. Et sans plus attendre, tu le pulvérises d’un Bombarda, chargé de rancœur, en espérant que le tronc vienne s’abattre sur son corps frêle. “C’est ce que l’on vous apprend à l’Ordre ? A combattre à deux contre un ? Remarquez, de la part d’un auror, rien ne devrait plus me surprendre. Ton père doit se retourner dans sa tombe, Johannes.” Tu ne lui ferais pas l’honneur de le gratifier de ce nom de famille, dont il se montrait si indigne. En revanche, tu étais bien d’humeur à lancer un Doloris dans sa direction. Etonnamment, les aurors avaient toujours fait ressortir ce qu’il y avait de pire en toi.