"Marlon, le deuxième né. Son destin sera d'asseoir la réputation de notre lignée. De par ses actes, il fera régner la peur et le respect sur le nom des Travers." Torquil avait parlé et ainsi scellé ta destinée, quelques secondes à peine après que tu aies poussé ton premier cri. Le puissant patriarche ne considérait pas ses enfants comme des êtres de chair et de sang, mais bien comme des gardiens avant tout. Chacun des trois s'était vu décerner un rôle bien précis dans un seul et même but : faire perdurer la lignée Travers au fil des âges.

La magie s'était exprimée en toi relativement tôt. Quelques jours après le premier anniversaire de ta soeur Myrthild, las de l'entendre refuser son repas en geignant, tu avais si intensément fixé du regard son biberon magique, que celui-ci avait lévité à travers la pièce avant de finir sa course effrénée en explosant contre un mur. A compter de ce moment, les incidents de ce genre se multiplièrent fréquemment. Ils semblaient intrinsèquement liés aux fluctuations cycliques de ton humeur.

Tu ne fus jamais le préféré de Torquil, ni même celui de ta mère Adèle. Et pourtant, tu étais bien celui qui avait hérité de la majorité des traits paternels. Tu te révélas être un enfant taciturne, rancunier et dénué d'humour. On ne te voyait jamais rire, ton visage était morne et sévère. Tes humeurs sans cesse changeantes donnèrent bien du fil à retordre à ta mère. En toi, elle eut toujours l'impression de voir son époux, inflexible et menaçant. Bien vite, elle délégua l'intégralité de ton éducation à Torquil, trop anxieuse qu'elle était de devoir à nouveau faire face à l'une de tes colères inexpliquées. Personne ne se soucia alors plus de ton comportement, on ne prit jamais la peine de te faire examiner par le moindre médicomage. Et c'est ainsi que l'on te priva de toute opportunité d'atténuer les effets de ta bipolarité.

Tu fus élevé sous le joug de ce père terrifiant, qui ne manquait aucune occasion de faire respecter son autorité du bout de sa baguette magique. De ta mère, tu ne reçus que des regards apeurés ou des remontrances pour des bêtises que tu n'avais pas commises. Tout ce que tu savais des relations humaines, tu l'avais appris de ton père. Tu avais haï les sangs-de-bourbe et les moldus, avant même d'en apercevoir l'ombre d'un.


"Marlon, pourquoi est-ce que ta soeur est encore en pleurs ?" Inutile d'être le titulaire en date de l'ordre de Merlin pour se rendre compte que les larmes qui coulaient sur le visage perfide de Myrthild, dissimulé derrière les jambes de votre mère, n'étaient qu'un artifice issu de sa métamorphomagie. "Je l'ignore, Adèle." Cette manie que tu avais de nommer ta génitrice par son prénom suffisait généralement à mettre un terme à son insistance. Comme toujours, elle finissait par te tourner le dos pour aller consoler sa précieuse petite princesse, dont l'innocence continuait d'être feinte comme au premier jour.

"Death before dishonor". Les contours de la devise familiale ornaient désormais la chair encore rougeoyante de ton poignet, alors que tu franchis les portes de Poudlard pour la toute première fois. Cinq ans auparavant, Louis avait écopé du même tatouage tracé par la baguette du patriarche, afin de vous rappeler que même loin du manoir familial, l'héritage culturel des Travers reposait sur vos épaules. Et gare à celui qui aurait l'impudence de déshonorer la lignée.

Le parler élégant, le ton condescendant, tu ne pouvais qu'être un Travers. Et ça, le Choixpeau l'avait immédiatement remarqué. Mais si ton frère avait été envoyé à Serdaigle en raison de son irrémédiable soif de connaissances, qui faisait de lui le préfet hautain qu'il était devenu, chez toi c'est ton avidité de pouvoir qui fit pencher la balance en faveur de Serpentard. Parce que Torquil t'avait à maintes reprises expliqué que sans pouvoir on n'était rien, tu avais vite été dévoré par l'envie de gravir les échelons de la société sorcière dès ton plus jeune âge.

Même si le château offrait moins de luxe et de frivolités que le manoir familial, il constituait pour toi une sorte d'échappatoire. A Poudlard, tu avais eu l'espace d'un instant la douce mais amère illusion que tu pourrais peut-être choisir ta propre voie, que pour une fois tu serais libre de faire tes propres choix.


"Félicitations, Marlon. Tout comme votre frère il y a quelques années, vous devenez préfet à votre tour. Vos parents doivent être fiers de vous." Tu restas un instant muet, alors que la Directrice de Serpentard venait épingler ton insigne étincelant sur le devant de ta cape. Ses paroles résonnaient en écho dans ton esprit, tandis que ton regard se perdait dans le vide. On aurait presque pu croire que tu n'avais pas entendu ce qu'elle venait de dire, si seulement tu n'étais pas sorti de ta réflexion silencieuse."Ils n'auront de quoi être fiers que le jour où je surpasserai mon aîné." Ce n'est qu'en cet instant, qu'il devint alors parfaitement limpide que les liens qui t'unissaient à ta famille étaient depuis déjà bien longtemps dénués de toute bienveillance. L'amour et l'affection n'avaient jamais occupé la moindre place chez les Travers. Le peu que tu aies pu apprendre des mots "fraternité" et "amitié" te venait de ces moments de camaraderies partagés avec les frères Lestrange.


Au fil des ans, tu développas de solides aptitudes durant les cours de duel et sortilèges et te forgeas une certaine culture avec les leçons d'Histoire de la Magie. Tu te voyais déjà occuper les rangs du Département de la Justice Magique et appliquer tes propres règles d'une main de fer. Mais le sort qui t'attendait à la fin de ta scolarité était aussi inéluctable que le Ragnarök lui-même. Après avoir brillamment décroché tes ASPICS, ta scolarité prit fin et Torquil reprit brutalement le contrôle sur ton existence.

Si Louis avait eu l'honneur de rejoindre Travers Households dès sa sortie de Poudlard, afin d'être au plus près de votre père, Torquil préféra jouer de ses relations pour que tu intègres la formation de Langue-de-Plomb. Il était persuadé que cela te permettrait de placer tes pions au sein du Département des Mystères et qu'à terme, tu aurais certainement l'occasion d'oeuvrer pour assurer la suprématie du sang-pur.

Quelques mois plus tard, le patriarche Travers organisa une rencontre très confidentielle avec l'un de ses anciens camarades de classe : Tom Jedusor. C'est ainsi que tu fus présenté à celui qui deviendrait Lord Voldemort, et qui était déjà à la recherche de fidèles partisans. L'heure était enfin venue d'endosser le rôle que Torquil avait passé des années à façonner pour toi. Rongé par l'obsession maladive  de faire, au moins une fois au cours de ton existence, la fierté de ton père, tu fis le serment de sacrifier ta vie pour la cause des Ténèbres. Tu appris à vivre selon les préceptes du Lord et une admiration certaine pour le mage noir grandit en toi. Très vite, tu te désintéressas de ton stage au Ministère, qui favorisait la théorie au détriment de la pratique. Tu éprouvais un besoin grandissant d'être sur le terrain, d'accomplir de grandes choses aux côtés du Lord, et surtout, d'en apprendre plus sur l'essence même de la magie noire. Galvanisé par ce puissant sentiment d'appartenance, que tu n'avais jamais ressenti pour ta propre famille et que tu partageais aujourd'hui avec tes rares amis de Poudlard, c'est à l'aube de tes dix-neuf ans que tu commis ton premier meurtre pour le compte de Voldemort. Aujourd'hui, tu ne te souviens ni du visage ni même du nom de cette première victime, faute à toutes celles qui lui ont succédé. Tu étais âgé de vingt-ans, le jour où, le Seigneur des Ténèbres fit disparaître la devise familiale ancrée dans ta peau, pour venir la remplacer par la Marque au serpent. C'est à la suite de ce sacrement divin que tu démissionnas du Ministère pour te consacrer à la vocation que Torquil avait choisi pour toi. "Continue ainsi, et rappelle-toi de ne jamais décevoir la famille." Alors que tu avais eu le fol espoir d'espérer un brin de reconnaissance de sa part, les mots du père finirent d'enterrer les lambeaux de ton attachement à votre lignée.

Après trois ans de bons et loyaux services, on t'envoya en Europe du Nord en 1978 afin de recruter des partisans en dehors des frontières du Royaume-Uni, parce qu'on espérait que le terreau semé par Grindelwald serait encore fertile. C'est en Norvège que tu fis la connaissance d'une partie de la famille Nielsen, des bourgeois particulièrement fortunés. On t'accueillit à bras ouverts et après plusieurs mois de pourparlers, on finit même par te proposer un marché. Si tu acceptais de prendre la fille cadette pour épouse, alors tu obtiendrais des combattants pour le compte des Death Eaters. Ignorant tout du secret bien gardé des Nielsen quant à la véritable nature de leur sang, tu acceptas de remplir ta part du contrat. Vivien Nielsen était d'une beauté somptueuse, tu t'imaginais déjà l'avoir à ton bras et te pavaner durant les réceptions de la haute-société magique. Ton épouse, tu ne l'avais pas véritablement choisie, tu ne l'avais pas non plus aimée, mais surtout, tu avais refusé de voir que de par son apparence elle entretenait ce complexe d'Oedipe que tu avais encore à l'égard de ta mère.

Si les premières années de votre union se déroulèrent sans accrocs majeurs, l'ascension de Lord Voldemort finit par avoir une réelle influence sur votre relation maritale. Tu t'absentais de plus en plus souvent et lorsque tu rentrais au manoir, tu passais plus de temps à effacer les nombreuses traces de sang qui souillaient tes mains, plutôt qu'avec ta propre épouse. N'ayant que de très vagues notions de ce qui faisait d'un mariage un mariage réussi, tu commenças à enchaîner les aventures au gré de tes nombreuses missions. En 1979, ton épouse t'offrit deux enfants mais ton mariage finit inévitablement par prendre l'eau. Symbole d'un naufrage tout à fait prévisible.

Lord Voldemort fut finalement vaincu par un vulgaire nourrisson et ton existence sembla perdre tout son sens du jour au lendemain. Ton maître bien aimé n'était plus et il s'en suivit alors une longue traversée du désert. Les têtes commencèrent à tomber, on arrêta les mangemorts les uns après les autres. Même les Lestrange furent condamnés à ce qui allait s'avérer être la pire des sentences. Dépourvu de tout repère, tu assistas, impuissant, à la dégradation de ton état mental déjà mis à mal par les actes de violences morbides qui avaient constitué ton quotidien ces dernières années. Vivien dut subir tes crises de violence, qui s'intensifièrent au fil du temps. Elle ne supportait plus de vivre sous ton joug, tu la terrorisais chaque jour un peu plus, toi qui ne connaissais rien à l'amour. Quelques jours avant ton trente-deuxième anniversaire, en novembre 1983, Vivien décida alors de te révéler la vérité sur sa famille et son sang-mêlé...

Pendant près d'un an, tu fis vivre à Vivien un calvaire et puis un jour tout s'arrêta. Lorsque tu rentras au manoir, tu découvris que les enfants n'étaient plus là. Le regard empli de défiance, Vivien expliqua qu'elle avait envoyé votre progéniture dans sa famille en Norvège afin de les protéger de ton courroux. Hors de toi, tu entrepris de lui infliger ces sortilèges que le lord noir t'avait jadis appris et qui te procuraient plus de plaisir qu'un banal Doloris.
Alertée par les éclairs de lumière qui scintillaient à l'horizon, la propriétaire du manoir voisin fit irruption. Pris par surprise, tu détournas un instant ton attention et Vivien en profita pour s'emparer de ta baguette magique. Mais elle est taciturne cette baguette, elle ne fait que ce qui lui plait. Alors le sortilège de mort prononcé par Vivien ne parvint pas à t'atteindre et finit par se retourner contre elle. C'est avec un bruit sourd et sinistre que son corps s'effondra sur le sol. Le témoin de la scène, qui n'était nul autre que Dolorès Ombrage, n'attendit pas que tu puisses reprendre possession de ton arme, il l'immobilisa immédiatement et appela la brigade magique. N'ayant jamais supporté le mépris des Travers quant à ses origines de sang-mêlé, Ombrage mentit aux aurors et prétendit t'avoir vu assassiner ton épouse. Ta baguette étant bel et bien l'arme qui avait causé la mort de Vivien, la brigade en conclut un meurtre. Lorsque l'on s'aperçut ensuite que la Marque des Ténèbres trônait sur ton bras, ton procès fut rapidement soldé. "Marlon Travers, en raison de vos crimes infâmes, le Magenmagot a décidé de vous condamner à la perpétuité. Vous purgerez votre peine à Azkaban, jusqu'à votre mort."

Et la mort, tu l’avais supplié de venir te cueillir dans ta cellule, de t’arracher aux horreurs qu’Azkaban te réservait. Tu passas les plus sombres années de ta vie entre ces quatre murs. Tu appris à craindre les ombres de ces capes flottantes qui constituaient la silhouette des détraqueurs. Leur râle lancinant commença vite à te poursuivre jusque dans tes songes entrecoupés de réveils en sursaut et de crises d'angoisses. Il ne fallut que quelques mois pour que tu te retrouves dans l'incapacité de pouvoir compter les jours. Les cris déchirants de Fitzroy de l'autre côté du mur qui vous séparait faisaient écho aux tiens, que tu ne parvenais plus à réprimer. Les détraqueurs avaient beau se nourrir inlassablement des souvenirs de ton passé, leur avidité semblait ne jamais pouvoir être comblée. Ils t'avaient arraché le peu que tu avais, pour faire de toi le prisonnier des traumatismes infligés par l'éducation de Torquil Travers. Même lorsqu'ils n'étaient pas là, ils te terrorisaient. Tu craignais leur absence peut-être plus encore que leur présence, car tu savais qu'après la pluie venait toujours la tempête. Les pleurs, les hurlements, les hallucinations se succédaient sans que tu ne sois plus en mesure de distinguer le réel de l'irréel.

Aussi, lorsque le serpent blanchi par l'absence de son maître s'articula à nouveau sur ton avant-bras, douze années après ton arrivée à Azkaban, tu n'eus d'autre réaction que de te morfondre encore un peu plus dans un coin de ta cellule. Tu avais perdu toute notion d'espoir, tu ne croyais plus en rien, et surtout pas en la résurrection. Ce n'est que lorsque l'ouragan d'ébène gronda et vint se fracasser contre les hauts murs de la prison, que ton esprit sortit finalement de sa torpeur. "Il est de retour... Il est revenu... pour nous sauver."


Les retrouvailles avec ta famille furent à la hauteur de ce que vos relations avaient toujours été. Louis t'informa  du décès de Torquil, survenu cinq ans auparavant, et qui lui avait valu de prendre les rennes de l'entreprise familiale. L'annonce de la mort du patriarche ne sut réveiller aucune émotion en toi. Mort ou vivant, l'ombre de sa cruauté planerait toujours au-dessus de ta tête. Myrthild, quant à elle, te fit rapidement comprendre que ton retour dans sa vie au moment où elle s'apprêtait à devenir Juge du Magenmagot, tombait particulièrement mal. Mais venant de snitch, tu ne t'étais pas attendu à grand chose d'autre. La seule qui te regardait différemment, la seule dont le regard était teinté d'effroi lorsque ses yeux se posaient sur toi, c'était Adèle, ta propre mère.

Alors que tu passes les premières semaines suivant ta libération terré dans l'une des résidences secondaires de la famille, en attendant que le Lord tire profit de ses pions infiltrés au Ministère, tu réapprends lentement à vivre. La journée, les rideaux du manoir sont fermés, et le soir tu veilles à ne laisser aucune bougie allumée, tant tu redoutes de voir la moindre ombre se dessiner.

Les mois passent et se ressemblent. Bien que tu doutes des compétences de Pius Thicknesse, tu convoites tout de même une carrière au Ministère. Celle-la même dont tu rêvais à l'époque. Un an plus tard, en 1997, Voldemort s'empare officiellement du pouvoir et met en place ses premiers décrets. Ayant eu vent de son désir de créer une institution scolaire réservée aux nés-moldus, tu lui proposes gracieusement de financer son projet. En contre-partie, tu te vois offrir le poste de maître-chercheur pour la salle de la mort du Département des Mystères, ainsi qu'une place au sein de l'Elite.


"Avada Kedavra !" L'éclat émeraude jaillit du bout de ta baguette et le corps de l'hybride s'effondre instantanément aux pieds de Freya Abbott, maître-chercheur de la salle de l'espace. Les employés du laboratoire d'expérimentation, duquel la créature s'était échappée pour venir s'en prendre à ta collègue, te devraient de sérieuses explications. Mais pour l’heure, une sorte d’attraction surnaturelle te pousse à rester auprès de Freya. Si vos chemins s’étaient déjà rencontrés dans les couloirs du niveau neuf, jamais tu ne t’étais retrouvé physiquement aussi proche d’elle. Jamais tu n’avais plongé ton regard dans le sien comme c’était le cas en ce soir de novembre 2002. Dans ses pupilles d’azur, la peur et l’adrénaline se mêlaient à quelque chose de bien plus complexe, que tu ne parvenais pas encore à déchiffrer. Mais qui allait finir par te faire chavirer pour celle qui serait la seule et l’unique.


En décembre 2002, Voldemort te nomme Chef de la Brigade de Police magique et te confie une tâche à la hauteur de ta réputation : faire régner l'ordre et la terreur. En tant que descendant d'une famille d'esclavagistes, ce poste te sied à la perfection. Tu arrêtes, tu interroges, tu tortures et puis tu abrèges les souffrances quand l'ennui commence à te gagner. Le monstre façonné par Torquil Travers est désormais libéré de ses chaînes, et plus rien ne semble pouvoir l'arrêter.

Mais alors qu'en avril 2006, la communauté sorcière est chamboulée par le retour d'Harry Potter sur le devant de la scène, toi c'est un autre drame qui te préoccupe et t'empêche de dormir la nuit. Parmi la chair fraiche que les équipes de la Values Brigade s'apprêtent à livrer au laboratoire du sous-sol figurent deux jeunes gens dont les noms te sont familiers. Et pour cause, il s'agit là de tes deux rejetons. Toi tu as travaillé plusieurs années au Département des Mystères, et tu sais pertinemment ce qu'il advient des cobayes...