Le ciel s’était à peine découvert que tout le Londres sorcier semblait avoir fichu un pied dehors. Et tu ne faisais pas exception à la règle. Depuis que vous aviez été détrônés de votre niche sang-pur, ta mère insistait pour que vous conserviez un train de vie ostentatoire. Tu ne te faisais pas prier deux fois pour suivre ce genre de consigne. De fait, tu n’as jamais été aussi pimpant que depuis que tu avais les crocs qui avaient poussé. Un chapeau au bord aussi large que celui d’une veuve qui enterre son cinquième mari sur ta tête blonde, les verres fumées chaussées sur tes yeux transparents, tu prends une place monstre (sans mauvais jeu de mot) dans la rue étroite et bondée.
Depuis ta transformation, tu mets un point d’honneur à te couvrir de noir de haut du crâne à la pointe de tes chaussures vernies. Et c’est tout autant de fringues noires dont regorgent les sacs de shopping derrière toi, lévitant à basse allure.

« Nan mais j’en peux plus, quoi ! Ça fait une semaine que je suis rentré et genre, ça va pas être possible ! La salle de repos, c’est genre un chenil. Les mecs, on les a appelés les limiers, alors ça a rameuté tous les lycans bouseux du coin, quoi ! » La boule de cristal qui lévite au-dessus de ton épaule droite, la baguette brandie entre deux doigts comme on tiendrait un porte-cigarette, tu racontes avec force sidération ton retour dans la vie active. A l’autre bout des ondes cristal, une petite bourge sang-mêlé dont le père faisait fortune dans les paris sportifs au Quidditch, et qui n’a pas encore osé couper tout contact avec toi ; et Merlin seul sait pourtant que ses parents l’y pressent. C’est qu’elle avait eu un peu le béguin, ces dernières années. « T’es sûr que tu devrais parler des… des « tiens » comme ça ? » Pour ne pas dire des monstres comme toi. « Nan mais alors je t’arrête toute de suite, ma chérie ; vampire ou pas, je serai jamais. comme. eux. » Et, comme en écho à cette pauvre promesse, un sorcier te boule, jugeant avec mépris tes deux canines trop bien limées. Ça ne fait qu’un mois à peine, mais tu n’as toujours pas l’air de réaliser que tu ne serais plus jamais comme eux.

« Je te jure, les mecs, ils se sentiraient le cul pour se dire bonjour, ça m’étonnerait même p- » Ton interlocutrice mettra un certain temps avant de capter que tu avais subitement couper la communication.
« Toi ! » Les sacs tombent au sol tandis que tu te frayes un chemin dans la foule, sans vergogne. Si tu t’es élancé comme une furie, c’est parce que tu as remarqué quelques mètres plus loin un dos large, des cheveux noirs et gras, soit à peu près tout ce dont tu te souviens de celui qui a accepté la maudite idée de ta mère de te transformer en vampire. Un Flint ; ta mère avait fait appel à un Flint pour te vampiriser. Genre, elle aurait pu prendre l’annuaire des vampires, et simplement choisir le premier nom. Mais non, il avait fallu que ce soit un Flint. Que ce soit le fruit d’un fâcheux hasard, venant de Bagshot mère, on pouvait en douter. Vu qu’elle avait mis le doigt sur tes petits… « égarements » adolescents, elle avait dû se frotter les mains en tombant sur un mordu qui ressemblait aux affreux sur lesquels tu te retournais dans les couloirs de Hogwarts en pouffant comme une pucelle.
Tu avais beau être à moitié tombé dans les vapes, histoire de pas trop lui compliquer la tâche, tu n’oublieras jamais la tronche fermée qui s’était penché sur toi. Personne s’était jamais penché sur toi, pas même ta mère pour te border dans ton plumard. Alors c’est dire que ça marquait.

Tu es furibond mais as tout de même le bon sens de ne pas tendre ta baguette vers lui, faisant plutôt claquer tes doigts nerveusement, pour attirer son attention. « Toi là-bas ! J’espère que t’es content, hein ?? » Tu te plantes en face de lui, ridiculement épais comme un haricot, bien que tu puisses à présent le regarder dans les yeux, perché comme t’étais. « J’espère que ma mère t’a payé grassement, hein ? Tu profites bien ? Nan parce que moi on dirait pas mais c’est la misère, maintenant ! » Et il fallait vraiment que tu ressembles à une vilaine belle-mère passant un savon à son gendre pour que personne n’essaye de s’interposer…

Marcus regrette sa décision au moment où il met un pied à Diagon Alley. Le beau temps aurait dû le mettre de bonne humeur, mais ça veut surtout dire que les ruelles du quartier sorcier sont bondées et Marcus déteste la foule. Il a l’avantage d’être grand, alors ça lui permet de naviguer un peu plus facilement entre les différents passants, mais ça veut aussi dire qu’il est impossible pour lui de passer inaperçu et qu’on le reconnaît bien trop aisément. Il maudit sa mémoire qui lui a fait défaut et son manque de prévention, parce que s’il avait commandé ce dont il avait besoin et fait venir par hibou, il n’en serait pas là aujourd’hui. Il a beau avoir farfouillé dans tout l’appartement, Marcus a dû se rendre à l’évidence : ils n’ont plus rien dans les placards pour nourrir Spark et Wanker.
Si cette saloperie de chat peut bien se passer d’un ou deux repas vu le poids qu’il fait, il sait que Spark va faire de sa vie un véritable enfer s’il ne se dépêche pas de ramener de quoi le nourrir, alors Marcus se retrouve à la boutique d’animaux de Diagon Alley à sourire maladroitement à une bande de jeunes qui l’ont reconnu et veulent absolument un autographe. Il ne sait pas combien de temps il perd à essayer de se débarrasser d’eux, mais il se sent épuisé lorsqu’il met enfin un pied hors de la boutique avec son butin.

“Toi là-bas ! J’espère que t’es content, hein??” Au début, Marcus ne fait pas attention, entre la foule et les pensées qui occupent son esprit, il ne réalise absolument pas qu’on s’adresse à lui. Et puis un type sapé comme le chanteur des Weird Sisters se plante devant lui avec un air furieux et Marcus se fige, un peu hébété.

“J’espère que ma mère t’a payé grassement, hein ? Tu profites bien ? Nan parce que moi on dirait pas mais c’est la misère, maintenant !” qu’il l’engueule, l’espèce de crevette gothique.

“Ta… mère?”

Marcus est largué. Il n’a pas bité un mot de ce que l’autre vient de lui cracher au visage et faut bien avouer que Flint n’aime pas tellement se faire engueuler en pleine rue pour un truc qu’il ne comprend pas. En parlant de rue, il ne tarde pas à remarquer qu’on s’est arrêté autour d’eux et qu’on les regarde, curieux.

Les murmures commencent, parce que bien évidemment, on le reconnaît et on se demande pourquoi l’autre grand machin tout maigre accuse Marcus Flint d’avoir été payé par sa mère ou whatever. Alors il fronce les sourcils et l’embarras clairement visible sur son visage, agrippe l’autre par le bras et l’entraîne dans un coin un peu moins fréquenté. Il empire probablement la situation, mais Marcus n’est plus du genre à régler ses problèmes en public, il paraît qu’il a une image à maintenir, désormais.

“C’est quoi ton problème ?” qu’il gronde avant de repousser l’autre homme contre le mur le plus proche. Ca l’énerve qu’il soit légèrement plus grand que lui, alors Marcus n’hésite pas à lui montrer qu’il est plus large, ça a tendance à fonctionner, d’habitude.

“J’ai aucune idée de ce dont tu m’accuses, alors tu vas t’calmer tout de suite, Myron Wagtail.”

L’autre ouvre la bouche et c’est à ce moment-là que Marcus les voit, les canines plus pointues que la normale qui dépassent légèrement. Ca fait tilt alors, pourquoi il a l’air d’un croque-mort et Marcus a un léger mouvement de recul.

Un vampire.

Et s’il se trimballe en pleine rue, c’est forcément qu’il fait partie de la VB. Comme Isaac.

“Ah,” qu’il fait avant de soupirer. “Tu m’confondrais pas avec mon frangin, par hasard ?”

Ca ne fait pas beaucoup plus de sens, parce qu’il ne voit vraiment pas ce que ce type a à reprocher à Isaac, mais ce serait pas la première fois que ça arrive et c’est la seule conclusion qu’il peut faire.  

Tu aurais dû te douter qu’il n’était pas assez couvert pour un vampire. Tu aurais dû te douter que, malgré sa carrure, il se mêle dans la foule sans qu’on ne s’écarte de son chemin, autrement que pour dézoomer sur les photos de fan. Pour le temps que tu avais passé à le reluquer depuis les bancs du stade de Quidditch, tu aurais dû te douter qu’il ne s’agissait pas du bon Flint.

Tu ne le comprends que trop tard, te décomposant, tandis qu’il s’emporte d’incompréhension, ce qui, au vu du tempérament du gaillard, te paraît la suite logique des événements.
Un coeur vampire bat normalement au ralenti, alors quand ça s’emballe, ça reprend une cadence de sorcier commun. Et ainsi, la grosse patte froissant ta manche, la précipitation, la foule, la chaleur et l’ancien crush te redonneraient presque une teinte de peau ordinaire.
Le bougre te balance dans un coin moins bondé, et pendant quelques dixièmes de secondes, tu te rappelles ta folle jeunesse à Hogwarts où tu te faisais piétiner quotidiennement.

Ainsi, un vieux réflexe de victime veut que tu aies tendance à te ratatiner très souvent sur toi-même. Flanqué contre le mur, vautré contre l’enduit comme s’il s’était agi des jupons de  ta mère, tes yeux trop ronds font des aller-retours entre le regard furieux de ton interlocuteur et son énorme poitrail. Ça faisait certes de l’effet, mais clairement pas celui escompté, si bien que tu ne bites pas tout de suite qu’il ne sait absolument pas qui tu es.

Encore légèrement obnubilé par sa carrure, tu vas pour bafouiller quelques explications, avortées par le mouvement de recul qu’il a, les yeux rivés sur tes canines. Tu as l’impression de perdre le peu de sang qu’il te reste, remplacé par des sueurs froides. Tu n’avais jamais vraiment songé à ce que ça pourrait te faire si quelqu’un que tu… disons que tu ne méprisais pas autant que les autres puisse mal prendre ta nouvelle nature. Tu n’avais pas eu à te poser ce genre de questions, puisque pour Poppy, ça n’avait fait aucune différence, par exemple. Tandis que Marcus semble mettre au point le comportement à avoir ou pas face à un vampire, tu restes immobile, sidéré, comme un elfe de maison pris dans les phares de la moto de Hagrid.

Puis, sous le coup de l’émotion et, comme pour confirmer sa découverte, tu cèdes et sors de la poche intérieure de ton manteau une petite flasque argenté. Tu t’enfiles quelques rasades d’hémoglobine qui trempent ta bouche d’un rouge de fille, afin de te calmer et de remettre de l’ordre dans tes pensées.
Oh non ne me regarde pas comme ça. Je peux te donner toutes les autres raisons du monde de me dédaigner, mais cette malédiction n’en fait pas partie.

Ta gueule d’ange à jeûn baille aux corneilles, devant son soudain éclair de génie. Expliquer exactement ce que tu lui voulais, à son double, te paraissait un tant soit peu périlleux… D’autant plus que toi-même, tu ne savais pas trop ce que tu lui voulais, hormis déverser ton sel et ta détresse face à ta nouvelle condition. Après tout, c’était lui qui t’avait transformé, ton instinct de vampire nouveau-né te hurlait donc de le retrouver, quand bien même tu lui en voulais.

Tu reprends quelques centimètres, perds quelques teintes de couleurs avec la contenance de nouveau rassemblée. C’est que tu serais presque vexé qu’il ne remette pas un nom, voire un surnom peu valorisant, sur ta caboche bien peignée.
« Tu ne sembles pas me reconnaître… Nan après tout, il n’y a aucune raison que tu te souviennes de moi... » Les aléas d’un émoi à sens unique.
Estimant l’artère dans laquelle vous vous étiez réfugiés pour régler vos comptes plus ombrageuse, tu ôtes ton large chapeau et déchausses momentanément tes lunettes fumées.
Avec force manière, tu brandis une main tendue dans sa direction, lourde de chevalières, et si précieux, que ton auriculaire se lève comme si tu allais le prendre du bout des doigts, ou pire encore, que tu t’attendais à un baise-main.
« Boris Bagshot ; j’étais à Hogwarts, je sais pas, quatre années après toi ? … Tu… » tu fais la moue, pesant le pour et le contre de ce que tu vas lui révéler. « Tu te souviens peut-être du type que vous aviez retrouvé cloîtré dans les casiers des vestiaires de Quidditch pour vous espionner ? Bah, c’était moi… » Un haussement d’épaule condescendant, comme si tu avais été alors dans ton bon droit, mais que personne ne l’avait reconnu. « Vous m’aviez bien rossé ce jour-là… »

« Marcus, je présume ? » tu ne présumes rien du tout, à ce stade ; c’est pas comme si les murs de ta chambre étaient tapissés de poster à l’effigie de sa gueule un peu tordu.
« J’ai effectivement quelques affaires en cours avec ton frère… » Tout à fait remis de tes émotions -du moins, pour le moment- tu as repris les quelques centimètres qui vous séparent, décollant ton dos encapé du mur douteux. Tu prends ton temps pour répondre, mettant la patience de n’importe qui à rude épreuve ; une manie que tu développais lorsque tu voulais capter l’attention. « Pour ne pas dire qu’il m’a pris… qu’il me doit quelque chose… »

Marcus se crispe un peu en voyant l’autre type plonger une main dans la poche de son manteau, mais ce dernier n’en sort qu’une flasque et l’ancien Slytherin se détend aussitôt. Il suppose que pour beaucoup, voir quelqu’un s’enfiler plusieurs gorgées de sang comme si c’était de l’hydromel est plutôt horrifiant, mais avec Isaac, Marcus y est presque… habitué. Il a dû nourrir son frère avec son propre sang quand il l’a trouvé à moitié crevé dans son appartement un an plus tôt, alors regarder l’autre boire à sa flasque est tout de même nettement moins dégueulasse et perturbant que le véritable carnage qu’ont été les premiers repas de Isaac. Alors Marcus le regarde faire, ses sourcils toujours froncés et dans l’attente d’une réponse. L’autre semble s’être calmé aussitôt, mais Flint n’aime pas trop l’idée qu’on en veuille ainsi à son jumeau et surtout qu’on l’accuse d’avoir été… payé pour faire quelque chose ? Ca ne fait aucun sens. Isaac n’a pas besoin d’argent, même si leur père l’a complètement déshérité, Marcus s’assure que son frère ne manque de rien et il n’est pas assez stupide pour se mettre dans la merde pour de l’argent.
“Tu ne sembles pas me reconnaître… Nan après tout, il n’y a aucune raison que tu te souviennes de moi... “ Alors pourquoi est-ce que ça semble autant le déranger, que Marcus ne le reconnaisse pas ? Flint fronce un peu plus les sourcils et l’observe minutieusement. Il n’est pas bon pour se souvenir des gens, de toute manière, mais tout de même, il essaye.
L’autre se décide à retirer ses lunettes et son chapeau et Marcus le regarde avec plus d’insistance encore. Après de longues observations, tout ce qu’il peut dire c’est que l’autre semble avoir quelques centimètres sur lui et Marcus n’a pas l’habitude qu’on le dépasse - même de pas grand-chose - et ça s’avère plutôt agaçant.


Le type lui tend la main et plus par réflexe qu'autre chose, Marcus l'empoigne pour la serrer. “Boris Bagshot ; j’étais à Hogwarts, je sais pas, quatre années après toi ?” Bagshot ? Le nom lui dit quelque chose. Le type qui se tient devant lui, pas tellement. “ … Tu…Tu te souviens peut-être du type que vous aviez retrouvé cloîtré dans les casiers des vestiaires de Quidditch pour vous espionner ? Bah, c’était moi…” Les yeux de Marcus s’arrondissent, parce que ça, il s’en souvient. Wait, ce grand machin qui se tient devant lui, c’est Boris Bagshot ? “Vous m’aviez bien rossé ce jour-là…” La honte colore aussitôt ses joues et Flint détourne le regard, mortifié. Oui, il s’en souvient très clairement, du nabot qu’ils ont retrouvé en train de les reluquer plus que de les espionner. Il se souvient de la rage qui a immédiatement parcouru ses veines à retrouver ce type qui n’a semblé éprouvé aucune honte à être pris la main dans le sac en train de mater d’autres mecs comme si-- comme si c’était normal.
Aujourd’hui, il se sent juste honteux. Parce que Bagshot n’avait rien à foutre dans leur vestiaire et ce qu’il a fait méritait probablement un coup de pied au cul, mais pas de se faire mettre en pièces comme ils l’ont fait. Parce que ce qu’il avait en tête de punir autre chose à l’époque et aujourd’hui, Marcus a la gorge qui se noue en pensant à toutes les horreurs qui ont pu lui traverser l’esprit et sortir de sa bouche.

“Désolé, pour-- pour ça,” qu’il marmonne faiblement.

“Marcus, je présume ?” Il hoche la tête. “J’ai effectivement quelques affaires en cours avec ton frère…” Son attention se reporte immédiatement sur les traits pâles de Bagshot. “Pour ne pas dire qu’il m’a pris… qu’il me doit quelque chose…” Ses sourcils se froncent à nouveau. Il n’aime pas qu’on lui parle en énigmes, c’est une perte de temps et il préfère encore qu’on ne lui dise rien du tout si c’est pour agir ainsi, mais sa curiosité est attisée et Marcus pince les lèvres.

Depuis que Isaac a été attaqué, transformé, Marcus ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour lui, chaque jour. Son frère était celui qui n’avait pas besoin d’aide, celui qui se débrouillait tout seul comme un grand, celui qui s’en sortait toujours quoi qu’il arrive. Mais depuis qu’il a été transformé, les rôles se sont comme inversés et Marcus ne peut s’empêcher de vouloir le protéger. Il ne sait pas ce que Bagshot lui veut, mais il n’aime pas son ton ni ce qu’il sous-entend.

“Quoi ? Il t’a piqué ton goûter ?” fait Marcus en arquant un sourcil. C’était lui, le bully à Hogwarts - en tout cas les dernières années - pas Isaac, jamais Isaac. Alors ça lui paraît improbable, mais il ne voit pas trop comment obtenir plus d’informations autrement qu’en provoquant un peu Bagshot. “Qu’est-ce qu’il te doit ?” demande-t-il enfin avec un soupir, en croisant les bras. Si c’est vraiment une histoire de pognon, Isaac va l’entendre, mais Marcus suppose qu’il peut régler cette affaire rapidement pour lui et ensuite aller botter le cul d’Isaac.  

Marcus te serre la main, et tu as l’impression qu’il va t’arracher le bras. On dirait presque que tu t’attendais à ce qu’il te fasse un baise-main en bonne et due forme. Tu es si peu habitué aux contacts physiques autres que les caresses de Poppy ou Orlov qui te trifouille dans la tignasse, que tu ne sais pas trop quoi faire et le laisse faire le reste du boulot. Généralement, les femmes étaient plus enclines à te toucher, comme si les hommes craignaient que tu ne leur transmettes quelques manières par le toucher.  

Tu vois la honte grignoter sa figure spéciale, le sang qui bouffe ses joues, quand il se rappelle votre petite altercation. C’est presque aussi délicieux de ce que tu te rappelles être son visage furieux. Hé, comme quoi, être bullied, ça pouvait avoir des avantages… Ça n’était pas arrivé qu’une fois, donc tu ne sais pas concrètement quelle fois il se rappelle. Mais, vampirique, tu te nourris de cet embarras comme si c’était du sang de vélane. Tu caches mal ton enthousiasme qui te met momentanément en position de force, et décides de remuer encore un peu la plaie autour du couteau.
« Oh ne t’en fais pas ; mes passions adolescentes auraient été considérées comme illégales aujourd’hui… Il faut croire que tu étais juste un peu en avance sur ton temps. » Pour ne pas dire qu’on continuait à te faire la misère aujourd’hui, pour ça et pour plein d’autres choses. A ce rythme-là, tu bradais les bâtons pour te faire battre. Et c’est terrible, de se dire que tu étais de nouveau rentré dans ton placard, sans demander ton reste. Alors qu’à Poudlard, s’il y avait bien un détail qui prouvait que tu possédais une once de courage, c’était ta nonchalance à clamer une attirance pour ton propre genre. Mais ça, c’était sans compter Bagshot mère et les fiançailles qu’elle avait planifiées.

La détermination avec laquelle Marcus te demande les infos te désarçonne un peu. C’est qu’on dirait presque qu’il veut en finir ici et maintenant. Tu hausses un sourcil. On dirait les videurs à l’entrée des clubs fréquentés pour petits nantis plus ou moins sangs-purs, quand tu avais encore le droit d’y mettre un pied sans que ce soit en tant que bête de foire.
« Mon goûter ? » Tu clignes des yeux, sidéré par son culot. Tu te marres un peu dans le vide, n’en revenant pas. Il ne t’en fallait pas plus pour te lancer dans un numéro de dramaqueen. Tu te redresses de toute ta hauteur, appuyant bien sur chaque centimètre qui vous sépare, aussi peu soient-ils. Tu as remis ton chapeau, qui te fait encore gagner quelques centimètres sur lui. Un pas dans sa direction, les bras enroulés autour du corps comme des serpents. Vos deux regards plus lourds l’un que l’autre s’écharpent, et tu articules exagérément : « Un baiser. Il me doit un baiser. » Tu te forces à ne pas sourire, pour un temps, beaucoup trop long et plombant, à l’observer s’impatienter et chercher à savoir de quoi tu parlais, le regard lourd et l’oeil suggestif le dévisageant par en-dessous.

Tu devines ses mâchoires qui se crispent et pulsent contre sa joue. Tu devines le sang, brûlant, qui irrigue sa cervelle de butor et sa mécanique d’athlète.
Et, quand tu sens que si tu continues dans cette voie, Marcus va finir par encastrer tes nouvelles dents dans le mur, tu alignes un sourire impeccable, juste pour le faire disparaître aussitôt, sous l’amertume de tes explications. « Le genre de baiser qui change les sorciers en vampires… » C’est soudain moins glamour, quand bien même les moldus s’étaient emparés du phénomène pour en extraire quelques actes de romance.
Tes dents claquent, une fois, juste sous son nez. Tu détestes ces deux crocs indécemment longs, ils te donnent l’air encore plus vorace que tu ne l’es déjà, et effraieraient plus d’un amant. « Tu veux toujours payer à sa place ? » que tu ronronnes, insupportable, les mains cintrées sur tes hanches étroites.

“Oh ne t’en fais pas ; mes passions adolescentes auraient été considérées comme illégales aujourd’hui… Il faut croire que tu étais juste un peu en avance sur ton temps.” Marcus pâlit un peu et pince les lèvres. Il se sent terriblement hypocrite, mais ce n’est pas comme s’il avait l’intention de se confier sur sa vie privée à Bagshot, alors il se contente de se taire et de vite chasser la remarque de ses pensées. Se foutre de lui en lui demandant si Isaac lui a piqué son goûter n’était peut-être pas une bonne idée, parce que ça a l’air de le pas mal l’énerver. “Mon goûter ?” Ouais, clairement pas son meilleur moment, mais faut dire que Marcus n’est pas un grand fan des mystères et des gens qui ne sont pas fichus de s’exprimer clairement et d’aller droit au but.  Il regarde Bagshot faire ses simagrées d’un air ennuyé, retient à peine un soupir alors que l’autre prend bien son temps avant de répondre : “ Un baiser. Il me doit un baiser.” Hein ? Pendant une seconde, Marcus se demande s’il n’a pas mal entendu, puis il hésite rapidement entre le rire et la colère. Il ne peut s’empêcher de regarder autour d’eux, pour s’assurer que personne ne les entend, avant de faire un autre pas en avant en direction de Bagshot, l’air menaçant. Il ne tient peut-être pas à la vie, mais Marc ne compte pas le laisser balancer des conneries sur son frère en public.
“Le genre de baiser qui change les sorciers en vampires…” Marcus se fige, le souffle coupé, les yeux écarquillés. Non. Non, c’est impossible. Isaac ne s’en est jamais pris à qui que ce soit, il lui aurait dit si c’était le cas. Pas vrai ? Bordel, son frère peut être sacrément con et borné quand il s’y met, mais il n’aurait pas gardé un truc pareil pour lui, si ? Marcus repense au soir où il l’a trouvé, à moitié mort dans son appartement, des jours après n’avoir eu aucune nouvelle de lui et serre les poings. Il repense à ses traits pâles, son corps rigide et la faim dans son regard lorsque Marcus s’est approché de lui, parce que cet imbécile avait décidé de se laisser crever dans son appartement plutôt que de demander de l’aide.

Bien sûr qu’il ne lui aurait rien dit.

Mais ça n’explique pas tout. Pour sûr, si ça se savait, Isaac aurait été exécuté pour avoir osé transformer quelqu’un. Et il doute que Bagshot soit du genre à se taire quand on lui a fait du tort. Non, il a l’air du genre à gueuler et à réclamer justice. Alors quoi ? “Tu veux toujours payer à sa place ?” Marcus serre les dents et résiste à l’envie de lui enfoncer son poing dans le visage, pour effacer son infâme sourire.

“Pas ici,” réplique-t-il dans un grognement avant de saisir le bras de Bagshot et sans lui laisser le temps de réagir, il transplane.

Comme d’habitude, c’est brouillon, mouvementé, et s’ils arrivent en un seul morceau au beau milieu du salon de son appartement, il est certain à la tronche qu’il fait que Bagshot n’a pas vraiment apprécié le voyage. Marcus s’excuserait bien, mais là tout de suite, il a autre chose en tête. Il s’accorde un court moment pour se dire que peut-être, ramener un vampire qu’il a martyrisé lorsqu’ils étaient tous les deux à Hogwarts dans l’appartement qu’il partage avec Oliver n’était probablement pas une bonne idée. Surtout que Bagshot n’a plus rien à voir avec la crevette qu’il a connue à Hogwarts, et s’il reste pas bien épais, Marcus sait qu’il ne doit pas le sous-estimer, étant donné sa nouvelle nature. Il libère son bras et fait un pas en arrière.

“Explique,” qu’il assène sans le lâcher du regard. Puis il ajoute, histoire de faire bonne figure : “S’il te plaît.”

Parce qu’il y a quelque chose de très louche dans cette histoire, et Marcus aimerait bien savoir si Isaac est le seul qu’il doit étriper, ou si c’est plus compliqué que ça.

Tu te serais attendu à ce qu’il ne se prête pas à ton jeu d’adolescente enamourée, refusant ton marché à la noix de toutes les façons les plus vulgaires et les plus bourrues possibles. C’est que tu lui rendais pas la patience facile, au pauvre bougre. Ceci dit, il semblait davantage rongé d’un semblant de remords que tu ne voulais bien le croire. Ainsi, sa réponse te prend de court et son transplanage encore plus, si bien que c’est dans un glapissement que tu disparais, pendu au bout de son bras, ne laissant derrière toi pour preuve de ton passage, que tes innombrables sacs de fringues.

Tu n’as jamais rencontré quelqu’un qui transplane aussi peu confortablement. Vous déboulez dans un séjour, et tu t’agrippes au premier dos de chaise qui te tombe sous la griffe, histoire de ne pas finir les quatre fers en l’air. Heureusement pour le tapis de la pièce que tu n’avais dans ton estomac qu’une rasade d’hémoglobine, auquel cas tu l’aurais retapissé… Généralement, t’aimes pas qu’on te brusque, parce que ça risque toujours d’attenter à ta superbe ; alors autant dire que tu n’étais pas des plus enchantés à l’idée que Flint ait pu porter préjudice à ton brushing à cause de son transplanage de débutant…
Enfin ça, c’était avant que tu ne lèves le nez du bout de tes chaussures (un point de repère stable, afin de ne pas tourner de l’estomac) et que tu te rends compte qu’il t’avait ramené chez lui.
Le. Rêve.

Tu es si intrigué par ce qui t’entoure que tu ne captes vraiment qu’il te coinçait le bras que lorsqu’il relâche sa poigne. Tu portes ton avant-bras contre ta poitrine aussi affolée que puisse l’être celle d’un vampire. En soi, l’appartement est on ne peut plus banal, mais tout l’intérêt réside dans le fait qu’il appartient à Marcus Flint. Tu ressembles dès lors à un marmot dans un magasin de bonbecs, sauf que les friandises, c’est les chaussettes sales de l’athlète et voir ce qu’il bouffe en ce moment.

C’est que t’as limite oublié pourquoi tu étais ici, à force de renifler dans tous les coins. tu n’oses pas trop t’éloigner, mais ça se voit que tu trépignes dans tes chaussures pointues.
« Qu’est-ce que tu veux savoir de plus ? » que tu demandes, sans même le regarder. Et il fallait vraiment que t’aies la tête ailleurs pour ne pas dévisager Marcus Flint quand il t’en donnait l’occasion.
Tu commences à faire quelques pas, tournant en rond, laissant traîner tes doigts sur le dos des chaises, sur le rebord d’une table. Tu fais mine de réfléchir, alors que t’es clairement en train de fouiller des yeux, en attendant d’y mettre les pattes. Tu t’étais nourri peu de temps auparavant, si bien que si tu palpites un peu du pif, tu peux sentir à peu près tout ce qui se trame dans cette piaule. « Oui, c’est vrai, ça pique un peu au début… » tu te marres tout seul à ta blague au goût aussi douteux que la décoration, avant de chasser la remarque d’un mouvement de main. « Je divague » et t’avais de quoi, à ne plus savoir quoi faire de tes cinq sens en ébullition.

Tu finis par poser ton séant pointu sur le bord de l’assise du canapé, par crainte, très certainement, d’écraser une chips ou un shaker de protéines magiques. Tu tapotes la place à côté de toi, pour l’inviter à s’asseoir aussi. Les jambes croisées et les mains jointes sur les genoux, on dirait que tu attends qu’on te serve le thé. « A vrai dire, je n’en sais pas tant que ça. Ma mère aime bien garder ses petits secrets… du genre, d’où elle sort cette idée de génie de changer son unique héritier mâle en créature stérile~ » tu ricanes, même si ça disparait dans un souffle un peu triste, ne t’attardant pas trop sur l’absurde de la situation. « J’ignore comment elle a mis le grappin sur ton frère, mais toujours est-il qu’un soir, je rentrais, genre normal, et ils étaient là à m’attendre... je sais même pas pourquoi j’ai pas résisté ou quoi… elle a dû m’assommer avec un imperium… » Tu hausses les épaules, ne te rendant certainement pas compte que c’était pas très éthique pour une mère d’abuser d’un impardonnable sur son gamin. « Quant à ton frère, je sais pas pourquoi il a accepté, mais en y réfléchissant bien, je me dis que proposer à un vampire un repas gratos sans qu’il y ait de poursuite ou quoi… ça peut en tenter plus d’un ! » Oh, loin de toi l’idée de céder à une si vile tentation ! Tu te croyais encore un peu au-dessus de ça, à toujours siroter le plus humainement possible tes poches de sang. « Enfin bref, rien de plus que ce qu’il aurait pu te dire… » un sourire en coin, malin, parce que tu sais toujours où pincer pour que ça fasse mal. « … à condition qu’il t’ait dit quoi que ce soit. »

“Qu’est-ce que tu veux savoir de plus ?” demande Bagshot sans même le regarder et Marcus fronce les sourcils. Pas grand-chose, simplement pourquoi son frère a transformé quelqu’un en vampire et ne lui a rien dit ? Est-ce qu’il a pensé que Marc le dénoncerait ? Qu’il lui en voudrait ? Il n’a aucune idée de ce que c’est que de lutter contre la soif de sang, mais il a vu son frère à moitié mort de faim, trop faible pour vraiment l’attaquer et pourtant à deux doigts de se jeter sur lui pour le vider de son sang. Il a vu le désespoir dans son regard, la faim qui le rongeait et l’empêchait d’avoir toute pensée cohérente. Est-ce qu’il ne s’est pas rendu compte de ce qu’il avait fait ? Marcus en doute. Bagshot est très probablement devenu un larbin de la WVDB, comme Isaac, il n’y a aucune chance qu’il ne soit pas parfaitement au courant que Boris est devenu un vampire à cause de lui.
“Oui, c’est vrai, ça pique un peu au début…” dit-il avant de rire et Marcus serre les dents en le regardant faire le tour de la pièce d’un air curieux, comme si la déco était beaucoup plus intéressante que la discussion qu’ils sont en train d’avoir et le jeune homme doit faire un effort pour ne pas empoigner Bagshot et le secouer pour obtenir des réponses. Heureusement, il finit par poser son cul sur le canapé et Marcus lui lance un regard méfiant quand il lui fait signe de s’asseoir à côté de lui. Il secoue la tête, parce qu’il est peut-être assez con pour ramener un vampire dans son appartement, mais s’asseoir à côté de lui lui paraît être une encore plus mauvaise idée.

“A vrai dire, je n’en sais pas tant que ça. Ma mère aime bien garder ses petits secrets… du genre, d’où elle sort cette idée de génie de changer son unique héritier mâle en créature stérile~” Marcus cligne des yeux, un peu hébété. Il a dû mal entendre. Ou mal comprendre, en tout cas. Il ne suggère quand même pas que… “J’ignore comment elle a mis le grappin sur ton frère, mais toujours est-il qu’un soir, je rentrais, genre normal, et ils étaient là à m’attendre... je sais même pas pourquoi j’ai pas résisté ou quoi… elle a dû m’assommer avec un imperium…” Sa gorge se noue et ses yeux s’écarquillent alors qu’il fixe Bagshot avec horreur.
“Quant à ton frère, je sais pas pourquoi il a accepté, mais en y réfléchissant bien, je me dis que proposer à un vampire un repas gratos sans qu’il y ait de poursuite ou quoi… ça peut en tenter plus d’un !” Encore une fois, Marcus secoue la tête. Isaac n’est pas stupide. Il ne prendrait pas le risque de se faire attraper pour avoir transformé quelqu’un en vampire pour un repas gratos. Il sait que la VB les nourrit et si ce n’est pas suffisant, s’ils les maintiennent probablement sur cette mince frontière entre faim et satiété, Isaac sait qu’il peut toujours venir le voir si l’envie se fait trop… pressante. Ca ne fait aucun sens.

“Enfin bref, rien de plus que ce qu’il aurait pu te dire… à condition qu’il t’ait dit quoi que ce soit.” Marcus serre les poings et le regard qu’il lance à Bagshot est une réponse suffisamment claire. Non, il ne lui a rien dit. Mais pourquoi ? Parce qu’il a honte de s’être fait avoir par la mère de Bagshot ? Ou parce qu’il a honte de s’être fait manipuler pour un repas gratos ? Cette fois, Marcus a besoin de s’asseoir et il le fait, sur la petite table du salon, juste en face de Bagshot. Là, il se passe une main sur le visage, visiblement décontenancé, avant de lever le regard vers le vampire.
“J'suis désolé,” murmure-t-il alors, même si ses excuses ne valent pas grand-chose, surtout qu’il n’est pas responsable des idées tordues de la mère Bagshot, ni des agissements de son frère. “Ta mère, comment--” Comment a-t-elle pu faire une chose pareille? mais il ne finit pas sa question, referme vite la bouche, parce qu’il suppose que Boris n’a pas particulièrement envie de parler de ce que sa propre mère lui a infligé.

“Tu l’as pas dénoncé,” dit-il d’une voix rauque. “Isaac, tu-- tu l’as pas dénoncé.” Parce qu’il doute que son frère s’en sortirait aussi “bien” aujourd’hui, si Boris s’était pointé au Ministère pour dire qui l’avait transformé. “Pourquoi ?” demande-t-il alors et l’angoisse lui noue les entrailles lorsqu’il se dit que peut-être, Bagshot n’a rien dit parce qu’il a l’intention de faire justice lui-même. C’est pour ça qu’il est venu vers lui à Diagon Alley, pas vrai ? “Ecoute, je sais pas pourquoi Isaac a fait ça, je sais pas si-- ta mère aurait pu le mettre sous Imperium aussi, peut-être qu’il-- Isaac n’irait pas mordre quelqu’un pour le plaisir de créer d’autres vampires, il connaît les risques, il sait ce que Yaxley lui ferait si ça venait à se savoir,” bafouille-t-il en s’emmêlant dans ses propres justifications. “N’en parle à personne, s’il te plaît,” dit-il dans un souffle, ses grands yeux paniqués braqués sur Bagshot. “Je sais que tu lui en veux, mais tu peux pas--” Il s’interrompt, grimace à la formulation, lui donner des ordres n’est probablement pas la meilleure des idées.

“S’il te plaît,” insiste-t-il encore, suppliant, et ça lui arrache la bouche, mais l’idée qu’il puisse arriver quoi que ce soit à son frère est bien plus douloureuse que mettre sa fierté de côté pour convaincre Bagshot de garder le silence.

Tu l’observes s’asseoir sur la table, les narines et la poitrine palpitantes, le corps crispé. Tu te demandes comment la table tient bon sous son poids. Est-ce qu’il sait alléger son corps ramassé sur lui-même, suffisamment pour ne pas peser trop sur les pieds fragiles du meuble ? Est-ce qu’il n’est pas réellement assis sur la table, ou du moins, pas de tout son poids, comme s’il fait la chaise en contractant les abdos ? Tu pourrais continuer longtemps comme ça, à te poser ce genre de questions stupides, afin de ne pas te retrouver en face des vraies questions. Du genre de celles qui brûlent la langue de Marcus, à propos de son frère et de ta mère. Tu les chasses aussitôt d’un mouvement de la main. « Disons que ma mère a des choses à régler » et que chez vous, les choses à régler, on les laisse prendre la poussière avec la vaisselle de grand-maman. A ce stade de ta transformation, ça te semble invraisemblable qu’une mère fasse ça à son fils sans une raison valable.

De même qu’il ne t’ait jamais venu à l’esprit de dénoncer Isaac. Pourquoi ? Tu hausses les épaules. Peut-être parce qu’il m’a fait penser à toi. Peut-être parce qu’il avait vraiment pas l’air de vouloir faire ça. Parce qu’il m’a fait penser à moi. Parce que pour une raison invraisemblable, tu n’arrivais pas vraiment à lui en vouloir.
Peut-être parce que, désormais, c’est ton Sire et que, plus que me venger de lui, c’est de lui dont tu avais besoin.
Ça fait qu’une semaine que tu es à la Values Brigade en tant que hound. Sienna n’est qu’un nom sussurré par certains, et tu n’es même pas sûr que ses infants existent. Tu n’as pas compris qui de Sid ou de Ford était le hound de l’autre. Pour avoir été de l’autre côté de la barrière, tu n’as qu’une vague idée un peu censurée de ce que Yaxley ferait à Isaac s’il l’apprenait. Mais pour le reste, tu es seul.

Tu aurais bien envie de faire languir Marcus encore un peu plus. A l’entendre te supplier de ne pas dénoncer son frère, tu te demandes jusqu’où il serait prêt à aller pour que tu épargnes son frangin. Tu pourrais lui proposer un marché, vicié et vicieux, quitte à ce qu’il s’énerve et décide de te faire taire par la force. Tu pourrais le pousser à bout, voir jusqu’où son sens de la fraternité pourrait le mener, jusqu’à ce que sa patience aussi courte que son nez est long pouvait tenir. Après tout, tu ne dois rien à Marcus Flint, et Isaac Flint te doit tout.
Tu l’observes, donc, se confondre en excuses, presque se rouler sur cette table basse, ses épaules gigantesques ramassées, secouées de soubresauts nerveux. Tu l’observes, appréciant son désarroi d’un sourire en coin, mutin, comme si tu faisais monter les enchères, dans ta petite tête de piaf.

Pourtant, tu ne souffles mot. Tes idées louches s’évaporent comme elles étaient venues, dévorées par le lien intestin qui te liait à présent à son frère. T’avais pas envie de leur attirer des ennuis, et c’était bien la première fois que ça t’arrivait. Aussi, pour ne pas perdre la face pour autant, tu hausses un sourcil, prétendant être excédé par son acharnement. « Oh, ça va, arrête ça ! » Tu n’étais pas habitué à voir Marcus dans un tel état de détresse. Tu ne connaissais pas grand-chose de lui, aussi, tu ne supportais pas qu’une telle situation porte atteinte à l’image, faussée et fantasmée, que tu avais pu avoir de lui, dans ta tendre jeunesse de sorcier. « J’suis pas un monstre, non plus ; j’vais rien lui faire, à ton frère chéri ! » Pour sûr que c’est pas dans ta famille qu’on s’inquiéterait pour ta couenne, comme ça.

Elle crépite, la jalousie, à la surface de tes yeux transparents. Tu fulmines, doucement, douloureusement, parce que même si tu pataugeais désormais dans la même mouise qu’Isaac, lui au moins, il pouvait compter sur son frangin pour assurer ses arrières. Ton derrière à toi, il était exposé en plein milieu de la voie publique, à portée de tirs des bottes de tous les passants. « Si un jour je le croise, rappelle-moi d’lui dire qu’il a bien de la chance de t’avoir sur le dos ; la famille, c’est une institution fragile face au statut d’hybride… » que tu siffles, amer.
Finalement, ton regard jaloux s’agrippe de nouveau à Marcus, sans gêne. « Ça lui est arrivé comment, à Isaac ? » Encore faut-il qu’il soit au courant, mais si c’est le cas, il devrait comprendre que tu as le droit de savoir.

“Oh, ça va, arrête ça !” Marcus ferme aussitôt la bouche. “J’suis pas un monstre, non plus ; j’vais rien lui faire, à ton frère chéri !” Oh. Il laisse échapper un souffle tremblant, soulagé. Il n’avait pas l’intention d’insinuer que Bagshot était un monstre, c’est juste que… Marcus se dit qu’à sa place, il aurait peut-être cherché à se venger.

“Si un jour je le croise, rappelle-moi d’lui dire qu’il a bien de la chance de t’avoir sur le dos ; la famille, c’est une institution fragile face au statut d’hybride… “ Marcus baisse les yeux. Il ne sait pas si Isaac a vraiment de la chance de l’avoir sur le dos, mais il sait à quel point Bagshot a raison. Leur père s’est empressé de déshériter Isaac et depuis, se plaît à prétendre qu’il n’a jamais existé. Il n’est pas le seul, le reste de la famille fait de même, à l’exception de leur mère et Perséphone. Et encore, leur soeur se garde bien de trop montrer qu’elle garde toujours contact avec Isaac. Pendant des années, c’est Marcus qu’on a préféré ignorer, faire comme s’il n’existait pas. On le confondait avec Isaac, pas seulement parce qu’ils sont aussi semblables que des clones, mais parce que les gens préféraient oublier que Marcus Flint existait. Mais on ne l’a jamais fait disparaître comme c’est le cas aujourd’hui avec Isaac. Il ne peut même plus parler de lui publiquement sans risquer de s’attirer les foudres de son père.

“Ça lui est arrivé comment, à Isaac ?” Marcus grimace. Il suppose que Bagshot a le droit d’être curieux. Isaac est son… comment on dit, déjà ? Son Sire ? “Je sais pas grand-chose,” dit-il en haussant les épaules. “Isaac… Isaac aime pas parler de ce qui s’est passé.” Et Marc ne l’a jamais poussé à lui raconter. Peut-être qu’il aurait dû, qu’il devrait le faire, il n’en sait trop rien. Mais y a plein de choses dont Marcus ne veut pas parler à Isaac, de choses qu’il ne lui a jamais dites, alors si son frère veut garder des choses pour lui… Marcus ne peut pas tellement lui en vouloir.
A part pour Bagshot. Ca, il aurait dû lui dire. “C’est arrivé un soir, alors qu’il rentrait du Ministère. C’est tout ce que je sais.” Il détourne le regard. “J’l’ai retrouvé une semaine plus tard, dans son appartement, il--” était en train de se laisser crever de faim. Marcus se tait, pince les lèvres. Non, cette partie là, il la garde pour lui.

Il est même pas sûr qu’Isaac s’en souvienne. Il se serait probablement jeté sur Marcus pour le vider de son sang s’il n’avait pas été aussi faible et il lui a fallu plusieurs jours avant de se remettre. Des jours durant lesquels il a passé la majeure partie du temps à délirer et à demander à Marcus de l’achever.
Il ne veut vraiment pas penser à ça maintenant. “Il m’a pas fait part des détails,” conclut-il. “Désolé.” Il ne sait pas trop pourquoi il s’excuse. Mais Bagshot avait l’air de vouloir savoir, ça semblait important pour lui, alors… ouais, il est désolé de ne pas être d’une grande aide. Surtout qu’il doute que Isaac lui dira quoi que ce soit, si Bagshot venait à lui demander. Connaissant son frère, il doit probablement éviter Bagshot comme la peste.

Sauf que… les vampires sont censés avoir besoin de leur Sire, pas vrai ? Au début, en tout cas, et Isaac ne semble pas s’être attardé. “Est-ce que tu…” Il fronce les sourcils, pas certain de comment il devrait formuler ça. “Isaac est loin d’être un expert en euh,” il fait un geste pour désigner Bagshot. “Tout ça. Mais si t’as besoin, je sais pas, d’aide ? De lui ?” Il s’emmêle encore. “J’te promets rien, mais j’peux lui parler ?” Après tout, si Isaac est le… daron Vampire de Bagshot, faut bien qu’il prenne ses responsabilités, non ?