Franchement, ça aurait pu être pire.

Ça aurait pu être dans un État bien pire que le Montana, dans des températures bien moins clémentes, dans un columbarium moldu (par exemple). Ça aurait aussi pu être dans un temple en bord de mer dans les Caraïbes, mais bon, il faut parfois savoir se satisfaire des situations où on ne souffre pas le martyre. En l’état, ce voyage ne devrait en théorie s’étirer que sur quelques jours, après quoi elle sera libre de quitter pour des contrées plus agréables. Il ne s’agit que de récupérer quelques objets oubliés de (presque) tous.

Elle se faufile dans le cimetière à la brunante. Idéalement, s’introduire dans les sépultures se fait à l’insu de tous – et puisque les braves gens n’ont pas pour habitude de se balader entre les tombes après la tombée du jour… disons simplement que ça diminue fortement les risques d’être dérangée. Mais en voyant l’état des pierres tombales, alors qu’elle fait son chemin vers la localisation supposée du mausolée qu’on lui a longuement décrit, elle se passe la réflexion que ce n’était pas particulièrement nécessaire. Ou peut-être bien que si – là où les limites du cimetière sont de moins en moins bien définies, un chemin semble avoir été taillé entre les arbres, sans suivre la progression naturelle de la forêt.

Le mausolée est bel et bien à l’emplacement indiqué – ce qui n’est pas indiqué dans les termes de son contrat, c’est qu’elle n’y serait pas seule. Et bien que le chemin tailladé dans le bois vert lui ait grandement facilité la tâche, elle se doute bien que ce ne sera pas le cas encore très longtemps.

La sorcière s’aventure à l’intérieur d’un pas prudent, impressionnée mais pas surprise par l’intérieur qui s’étend sur une superficie bien plus grande que celle couverte par le simple monument de pierre. Une faible lumière provient de la pièce centrale, et, les doigts refermés avec précaution sur sa baguette, elle s’en approche à pas de chat. Ceci étant, si elle n’avait pas mis le pied sur les ossements de ce qui s’apparente à un mulot (sûrement les restes de l’encas d’une ghoule en résidence). Le craquement des os sous son poids résonne de façon tout à fait disproportionnée dans le mausolée, et malheureusement pour la briseuse de sorts, atteint les délicates oreilles de l’intrus. « Qui va là ? » Figée sur place, elle n’ose pas même risquer un coup d’œil dans la pièce. Que faire ? Elle ne peut décemment pas rebrousser chemin, elle a besoin de l’argent promis au terme de ce contrat. Et puis, en plus du fric, il y a sa réputation, qui est en jeu. Elle a la chance de baigner dans la douce lumière d’Ambros O’Neill (s’il le savait, elle n’en entendrait jamais la fin) et ne souhaite pas particulièrement perdre les quelques opportunités suscitées par leur simple association. Contrairement à plusieurs de ses collègues, elle n’exerce ce métier que depuis trois ans – elle en est encore à faire ses preuves, et les maigres contrats qu’on veut bien lui confier pour l’instant lui permettent tout juste de vivre confortablement, sans crainte de se retrouver à la rue avec sa fille. « Qui ose pénétrer en ces lieux sacrés ? »

Il est sérieux, là ?

Un clignement hébété des yeux, alors qu’Odalis parcourt rapidement du regard la pierre défraîchie, couverte de mousse, à peine visible dans l’ombre. Qu’elle se rappelle l’histoire de la famille déchiffrée dans de vieux registres poussiéreux, vierge de tout événement notable. Sacrés… faudrait pas pousser le bouchon trop loin, quand même. Mais bon, elle aussi, elle peut jouer à ce jeu-là.

Le bout de la baguette posée délicatement contre sa gorge, elle s’avance tout juste assez pour que sa voix porte à l’intérieur. « Qui ?! Le grondement s’élève, distordu, se réverbère sur les murs de la pièce, de nulle part et partout à la fois. Et qui es-tu, pauvre mortel, pour nous interroger en notre demeure ? » Aurait-elle dû dire « en mon éternelle demeure », pour faire plus dramatique ? Enfin, c’est trop tard, maintenant. « De quel droit troubles-tu notre dernier repos ? »