Ces derniers jours ont été assaillis de pensées parasites, difficilement éliminables, obligeant Ezekiel à continuellement réorganiser son palais mental pour allouer toute l’étendue de sa concentration à ses responsabilités professionnelles. Un sentiment épouvantable, que de sentir le personnel empiéter ainsi sur son travail et sa disponibilité ; il s’est retrouvé confronté à un équilibre qu’il s’est efforcé de fuir pendant des années, aujourd’hui rattrapé par les conséquences d’un pied mis dans une porte autrefois fermée à double tour. Il a réussi à trouver une forme d’apaisement, en se rappelant qu’aussi insupportable peut être la situation, elle n’est que temporaire. Demain, Esmée sera repartie pour sa pittoresque cabane perchée dans la montagne santoméenne, pour s’y enterrer aussi longtemps qu’elle y a disparu - et Ezekiel pourra reprendre paisiblement une existence dont il maîtrise tous les tenants et les aboutissants, éloignée de la présence de l’intrus qui loge depuis quelques jours dans la chambre adjointe au bureau du rez-de-chaussée.

Sa tante aurait pu se contenter de venir à la date qui lui a été indiquée, lorsqu’elle a accepté de se rendre à Londres pour lui apporter en aide. "It’s not as easy as showing up five minutes before the ceremony, sobinho. I need time. And peace. Mainly peace. Don’t pretend it’s all new to you", lui a-t-elle sèchement lancé au visage en se présentant sur le pas de sa porte, un maigre sourire pendu à ses lèvres, avant de s’introduire à l’intérieur sans lui laisser le loisir de répondre, et de poser ses bagages où bon lui semblait, ignorant l’invitation de son neveu à séjourner dans l’aile supplémentaire bâtie spécialement pour ce genre d’occasions.
L’omniprésence de la sorcière a su faire remonter jusqu’à ses papilles le goût d’une vie enterrée pour une bonne raison, une saveur âpre difficile à ignorer - à laquelle s’est mêlée progressivement celle de l’appréhension.

Tourner sa crainte en une frustration envers la réapparition d’Esmée dans sa vie n’est qu’une facilité, Ezekiel, à contre-coeur, a dû en convenir ; un moyen détourné pour ne pas affronter l’objet du crépitement constant à l’arrière de son crâne, devenu bourdonnement au fil des jours. Chaque heure qui défile le rapproche un peu plus de son engagement envers Celyn - et c’est ce qui l’a maintenu éveillé ces derniers jours, plus que les prières qu’il a été forcé de chanter aux côtés de sa tante, une nouvelle intrusion dans sa pratique habituellement solitaire. A l'appréhension ne se mêle cependant aucun regret. La meilleure décision a été prise, ce soir-là, dans son salon, puis quelques jours plus tard dans celui d’Esmée, et il ne lui viendrait pas à l’esprit de revenir dessus. Tous les événements s’alignent avec une perfection qui satisfait son esprit ordonné, et c’est avec assurance qu’il a pris les devants de ce qui lui a toujours été destiné - depuis la mort de Jasper, depuis qu’il l’a abandonné sans vergogne pour se dérober au fardeau qui lui revenait.

"Esmée." La sorcière lève un oeil faussement distrait vers lui, une tasse fumante entre ses mains ridées. "Esmée, do I have your word?" Ezekiel a fait appel à sa tante parce qu’il n’avait pas le choix, parce qu’elle représentait son unique et logique solution pour venir en aide à Celyn - et pour le lier à nouveau avec son destin -, en aucun cas parce qu’il lui fait confiance. Pas sur sa capacité à garder pour elle ce qu’elle est tenue de taire à leur invité, du moins. Cette dernière le regarde longuement, de trop longues secondes qui vont grandir l’irritation d’Ezekiel, avant de retourner ses yeux vers son thé. "Secrets are only bringing you closer to the end," débute-t-elle d’une voix opposée, insupportable aux oreilles de son neveu qui se redresse sur son siège. "You should put such feelings aside during the ceremony, you know nothing good can come from anxiety when meeting with someone like him. But you can rest assured, your stupid choices are safe with me. − Good." Il a appris, et redécouvre avec naturel, à ignorer les sermons en demi-teinte d’Esmée pour se concentrer sur ce qu’il souhaite obtenir d’elle. Et sa parole, énoncée pour la quinzième fois en trois jours, est tout ce dont il avait besoin pour calmer le battement intempestif de son coeur contre sa poitrine.

Breathe. Il n’attend pas plus pour donner l’ordre de d’ouvrir le portail de sa propriété pour en donner l’accès à Celyn, se levant avant de défroisser quelques plis imaginaires sur son pantalon, sa chemise, revenant sur son pantalon encore quelques instants, pour finalement sortir de cette loop rassurante et adresser un rapide regard à Esmée. "You stay here." La réponse se perd dans le son de sa propre respiration et de ses pas sur le parquet du petit salon, qu’Ezekiel quitte avec empressement, un frisson nerveux le long de sa colonne vertébrale lorsqu’il se tient droit devant la porte d’entrée. Les trois coups de heurtoir donnent une nouvelle impulsion dans sa cage thoracique, où s’emballe aussitôt son coeur, comme un rappel d’une situation devant laquelle il se trouve réellement désormais.

There’s no turning back.

"Good evening, Celyn. Please, come on in." Le visage du Rosier, apparu derrière la porte qu’il a ouvert d’un geste mesuré, diffuse dans ses pensées une tiédeur grisante, le ramène à la raison pour laquelle traverser les épreuves de ces derniers jours, celles à venir, est une évidence. Le bourdonnement se fait nettement moins véhéments contre les parois de sa boîte crânienne, pour reprendre sa place de discret grésillement parasite. Ezekiel ne retient qu’à peine un regard détaillé pour son costume, comme toujours, finement paré de coutures aux reflets sombres, un travail d’orfèvre qui a toujours valu les compliments de Zeke, qu’il garde cette fois pour lui - son émerveillement ravalé aussitôt par les circonstances de la venue de Celyn. Il ne retient pas non plus un sourire à son intention, lorsqu’il ouvre la main et le corps pour le laisser entrer, la porte doucement refermée sur son passage. "I’m delighted to have you back." La phrase file naturellement entre ses lèvres, une sincérité sensible teintant sa voix - quand biene même Ezekiel aurait préféré que ces retrouvailles au coeur de son intimité se déroulent autrement, sans la présence d’Esmée qu’il peut ressentir partout autour d’eux.

"There is someone I’d like to introduce to you.” Jamais il n’aurait cru, ni voulu, voir un jour un membre de sa famille dans la même pièce que Celyn ; et apercevoir le visage d’Esmée, face à celui du Rosier tandis qu’elle se lève de son fauteuil lorsqu’ils pénètrent dans le petit salon insuffle un malaise certain dans ses entrailles. Ezekiel observe cette fatalité se dérouler sous ses yeux impuissants, ravalant sa nervosité en guidant Celyn jusqu’à sa tante. "Celyn, please meet- − Esmée Zabini, a pleasure to finally meet you, Celyn. My nephew has told me a lot about you." Le sourire du sorcier se fait plus grand et crispé, ne cherchant pas à dissimuler l’agacement qui s’est emparé de ses traits en se faisant couper ainsi la parole, sans même un regard en sa direction - sans même parler de l'exagération honteuse d’Esmée quant aux informations qu’il a pu révéler sur Celyn. ”There is something about him. I can see why he caught your attention." Ezekiel sent son sang se glacer, la mâchoire désormais serrée - une chance que son invité ne comprenne pas le Forro, et puisse comprendre la nature inappropriée des propos de sa tante. Hors de question qu’il laisse à cette dernière de le loisir de poursuivre, aussi il referme légèrement ses doigts sur son bras en lui adressant un nouveau sourire. "Perfect then, shall we- − We have time for a cup of tea, there is no rush, sobrinho. You like tea, don't you, Celyn?"

Celyn avait regardé l'heure tourner avec une appréhension entière, qu’il pouvait sentir s’engouffrer dans le trou béant creusé à même son torse ; il avait craint que ces inquiétudes n'exacerbent les voix, qui trottaient dans son crâne régulièrement depuis son entrevue avec Ezekiel. Devant ces occurrences virulentes et indésirables, il s'était anesthésié autant que possible, par le biais des habituelles potions somnifères, prétendu que ce n'était qu'un méchant mal de crâne auprès de Ben, de sa tante, et des médicomages qui s'étaient présentés à son chevet. Tout allait bien, soufflait-il en offrant un semblant de sourire, désireux de faire partir ses visiteurs le plus vite possible ; et les échos reprenaient avec violence sitôt qu’on le laissait tranquille. Désormais néanmoins, Celyn avait la certitude de ne pas être seul, et elle faisait, dans la tempête, toute la différence - il pouvait se figurer encore la sensation de la main d’Ezekiel sur la sienne, une ancre chaude et sèche le retenant juste à temps, au bord du précipice.

Il y aurait une solution - coûteuse, douloureuse, difficile. Ezekiel avait insisté quant au chemin complexe qu’il s’apprêtait à emprunter, avec lui et sa tante - une présence-clé, lui avait-il dit, nécessaire pour mener à bien les rituels.

Celyn connaissait ces magies anciennes pour les avoir étudiées longuement auprès de sa mère, contenues dans les courbes lâches et les traits raides de la calligraphie sorcière ; pour avoir reçu l’interdiction formelle d’en faire l’usage, hors du cadre serré de leur apprentissage ; pour en être l’hôte, désormais.
Il y aurait une solution, et celle-ci approchait à grand-pas. Le jour-même, Celyn s’interdisit les potions abrutissantes, et se rendit, le teint cireux de fatigue, mais sobre, jusqu’à chez Ezekiel avec l’aide d’Iris - Ben avait été retenu au bureau, et Celyn avait dû lui assurer longuement que tout irait bien, qu’il était convié à prendre le thé chez Ezekiel, qu’il lui raconterait, en revenant.

“Thank you very much, Iris.” “Are you going to be alright, Master?” Celyn baissa la tête pour rencontrer les yeux larmoyants de l’elfe. “Yes, why. You go back to Ben’s now.” “Alright Master.” Iris épousseta, comme à regrets, le bas de son pantalon de costume - une pièce simple, comme le lui avait demandé Ezekiel, dénuée des matières soyeuses dont il se parait d’ordinaire. Nothing too fancy. L’évocation d’un dress code n’était pas sans réveiller l’inquiétude légère, quant à la nature de ce rituel - si Zeke n’avait pas voulu s’étendre sur les détails (il lui faisait confiance, après tout, n’est-ce pas ?), Celyn le connaissait assez (et avait lu quelques ouvrages, au sujet des rituels vaudoun) pour deviner l’implication de son propre corps au sein de ces derniers. Et cela l’angoissait autant que le reste ; il était connu que Celyn Rosier n’était, de fait, pas le plus à l’aise avec la matérialité spongieuse de son propre corps - le contact physique avait cruellement fait défaut dans l’éducation ambivalente d’Aloysius et Jae-Hwa Rosier.

La porte s’ouvrit quelques secondes après qu’il eût porté les trois coups ; ce fut Ezekiel en personne qui l’accueillit, lui offrant un sourire chaleureux qui happa un instant le regard de Celyn. "Good evening, Celyn. Please, come on in." “Good evening, Ezekiel. Thank you.”, fit-il en suivant l’impulsion de son hôte, pénétrant dans le hall en détachant ses yeux de lui ce faisait. Liar. He’s lying to you. Liar. Don’t trust. Don’t.  "I’m delighted to have you back." La gorge de Celyn se serra légèrement, devant le contraste des voix lui glaçant le crâne, et la soie coulant sur les politesses d’Ezekiel - il put lire cette lueur sincère au fond de son regard, et ne put empêcher, en miroir du sien, l’esquisse d’un sourire nerveux au coin de ses lèvres. He isn’t. “Thank you for having me.” And you’re lying, too. Can’t you see? La brûlure des mots de sa soeur fut balayée d’un battement de cils ; Celyn se trouva soulagé de constater qu’il n’avait pas à craindre qu’Ezekiel ne lui demande ce qui pouvait ainsi le troubler, pour en connaître déjà les causes. "There is someone I’d like to introduce to you.” Bien sûr ; Ezekiel l’avait prévenu que cette présence-clé pouvait être, parfois, particulière - mais qu’il n’avait pas à en tenir rigueur, ni à s’en inquiéter.

Il le suivit jusqu’au petit salon, s’appuyant sur sa canne avec autant d’habileté que le lui permettait ses muscles endoloris ; immédiatement, ses yeux tombèrent sur la silhouette de la sorcière, qui se leva à leur arrivée. Imposante, d’un regard - elle possédait les mêmes orbes sombres qu’Ezekiel, et la définition nette de son visage. "Celyn, please meet- − Esmée Zabini, a pleasure to finally meet you, Celyn. My nephew has told me a lot about you." Celyn avait vu peu de monde interrompre Ezekiel sans avoir à subir, immédiatement, un retour piquant, - aussi fût-il passablement surprise de constater qu’en dépit de son sourire crispé du sorcier, aucune remarque ne franchit les lèvres de ce dernier. Tant mieux ; Celyn peinait lui-même à naviguer, entre cet embarras léger d’être mis à nu par les récits d’Ezekiel, et le regard perçant de la sorcière, et ses propres démons soufflant dans son crâne. “The pleasure is mine, Mrs. Zabini.” Il inclina légèrement la tête devant elle, mû par un instinct incitant au respect - et il releva vers elle des yeux confus lorsqu’elle laissa couler une phrase qui lui échappa dans une langue inconnue. De nouveau, Celyn coula un regard à Ezekiel, mais ce dernier enchaîna aussitôt : "Perfect then, shall we- − We have time for a cup of tea, there is no rush, sobrinho. You like tea, don't you, Celyn?" Le regard de Celyn s’accrocha à son hôte, au devant de cet échange rapide où se tissait un rapport de force sensible (il avait vécu dans une fratrie nombreuse, et connaissait les dynamiques qui s’y faisait inexorablement), avant de se tourner, en l’absence d’interdiction notable, vers Esmée elle-même. "Yes, I do."

Avec un signe d'assentiment, elle s’assit de nouveau sur le fauteuil qu’elle occupait jusqu’alors, décrivant un demi-cercle d’un geste rapide de la main ; un service à thé apparut sur la table du petit salon, et Celyn comprit qu’elle ne lui dirait rien, et qu’il se devait de s’asseoir par lui-même ; il s’exécuta, trouvant sa place sur la banquette opposée. ”You have been plagued by stronger forces than ourselves. We are both nothing and all, to the Invisible.” Celyn déposa lentement sa canne contre le rebord de la banquette, et réprima, sous ces mots et sa voix grave, un frisson qui lui parcourut la surface de la peau, reportant sur Esmée son regard. ”This won’t be easy. But you will do, if you follow us like you should.” Le silence retomba à ces mots qui n’appelaient ainsi à aucune suite ; Celyn réalisa qu’elle attendait sa réponse. “I will try to do my best.”  “Your best isn’t what we need today, Celyn.” Celyn se raidit légèrement à l’emploi de son prénom, une fois de plus, gêné par cette familiarité presque condescendante - remuant en lui d’anciens souvenirs, et le souffle des voix dans son crâne. “Have some tea, before I walk you through.” Et elle l’enjoignit à le boire, avant d’ajouter : “My nephew hasn’t told you how yet, has he?” “Not all of it, I’m afraid.” Et Celyn tourna le regard vers Ezekiel, après avoir pris sa tasse en porcelaine, et porta cette dernière à ses lèvres en revenant à Esmée.

Aussi agréable la vue de Celyn au coeur de son intimité puisse-t-elle être, l’appréhension continue de battre dans les tempes d’Ezekiel, couvrant la scène qui se déroule sous ses yeux d’un regard distant. De fait, elle est parfaitement surréaliste, en plus d’être annonciatrice des événements qui ne tarderont pas à se dérouler sous propre toit. Malgré le sourire poli de Celyn, le ton aussi chaleureux qu’autoritaire d’Esmée, et sa propre posture, comme toujours, vaguement décontractée, l’air est chargé d’une tension sensible - une électricité qui en serait presque palpable, et qui fait indéniablement croître la douce nervosité fourmillant sous la peau du Zabini. La sensation de n’avoir aucune prise, et de perdre le contrôle de la situation, est difficilement supportable ; cela fait pourtant intégralement partie de ce dans quoi il s’est engagé, en présentant une telle proposition à Celyn, puis en se rendant sur son île natale pour requérir l’aide d’Esmée. Elle est un élément essentiel, si ce n’est la clé, de cette prise de risque qui a tenu éveillé l’homme d’affaires toute la semaine - toute son enfance.

Lorsque Celyn se détourne pour prendre place dans la banquette où il se tenait vendredi dernier, Ezekiel reste un instant immobile, ses yeux passant de sa tante à son invité, détaillant soigneusement la scène pour l’imprimer dans son esprit. Il finit néanmoins par croiser les bras, prenant la décision de rester ainsi debout près du fauteuil où s’est rassise Esmée, et de saisir la mince illusion d’avoir alors un semblant de maîtrise et de hauteur sur la situation. Il n’en est pourtant rien ; alors il enfonce ses doigts dans le tissu soyeux de sa chemise en levant les yeux vers la sorcière lorsqu’elle prend la parole. "You have been plagued by stronger forces than ourselves. We are both nothing and all, to the Invisible." Aussitôt, les pupilles d’Ezekiel voyagent jusqu’à Celyn à l’entrée en matière bien trop directe à son goût d’Esmée. Il n’a donné au Rosier qu’un vague avertissement quant aux manières de sa tante, et en cet instant, il se dit qu’il aurait peut-être dû être plus explicite. Si, lui, a fait l’effort lorsqu’il a abordé le sujet du rituel, de vulgariser ses explications pour ne pas brusquer Celyn - omettant au passage une foule astronomique de détails sous son appréhension certaine à toucher à un tel sujet -, Zeke connaît assez sa tante pour savoir que prendre des pincettes et dilluer ses discours ne font pas partie de ses qualités.

"This won’t be easy. But you will do, if you follow us like you should." Ezekiel ne quitte pas Celyn du regard, gardant une certaine distance face à cet échange désagréable, qu’il sait pourtant nécessaire. Après tout, les deux protagonistes s’apprêtent à partager un moment sortant du cadre de l’habituel, il est tout naturel qu’ils prennent le temps de poser cette brève introduction. "I will try to do my best. − Your best isn’t what we need today, Celyn." Enfin, les deux pupilles ambrées du santoméen se détachent du Rosier, accrochant promptement le visage fermé d’Esmée ; il n’a même pas besoin de couvrir pleinement Celyn du regard pour le sentir se tendre sur son assise à la familiarité et l’impolitesse de la sorcière. Si Ezekiel n’a jamais fait dans la douceur pure et dure, il a néanmoins appris l’art de la subtilité et de la mise en forme, un atout dont sa tante pourrait se servir en cet instant où elle renvoie la voix polie de son invité avec rigidité.

Aussi, il ouvre la bouche pour s’introduire dans la conversation, tenter de glisser une parole plus confortante, mais déjà Esmée reprend. "Have some tea, before I walk you through. My nephew hasn’t told you how yet, has he? − Not all of it, I’m afraid.” Zeke peut sentir jusque sur sa peau les deux regards sombres se poser sur lui ; ses lèvres s’étirent légèrement en accrochant celui de Celyn, un sourire presque encourageant, ou plutôt une vaine tentative de lui tendre une main dans le tumulte qu’il ne peut deviner que deviner dans ses yeux. S’il avait pu lui éviter ces préliminaires gênants, il l’aurait fait sans une seconde d’hésitation, et avoir l’impression de le jeter ainsi dans l'arène est juste insupportable. "You should have prepared him better than you did, Ezekiel.” Il laisse échapper une expiration amusée en serrant un peu plus ses doigts sur sa chemise, secouant la tête de droite à gauche - autant excédé par la situation, que par ses paroles. "And steal your favourite part away? I would never dare." Tout comme elle ne le fera jamais parler Forro devant Celyn. "Please. I’ll be right here if you leave anything out. Or to make things clear if needed." Ezekiel adresse cette dernière phrase à Celyn dans un nouveau sourire et un ton plus chaleureux, une invitation éloquente à ne pas se laisser noyer sous le flot des explications parfois trop éparses et illuminées de sa tante.

Cette dernière fait claquer sa langue contre son palais avant de revenir à leur invité, les mains croisées au dessus de sa poitrine alors qu’elle s’éclaircit la gorge pour reprendre sur le même ton. "As inhabitants of the Visible, travels to the Invisible must be conducted with caution. Respect. Conscience. We, after all, don’t belong there, and are only guests. The way one is received only depends on the way one behaves. And on what one asks.” La voix d’Esmée s’éteint une seconde, le temps qu’il lui faut pour se redresser sur son siège, ses yeux désormais fermement plantés dans ceux de Celyn, qu’Ezekiel fixe à son tour pour en sonder les réactions. "With Ezekiel’s assistance, I’ll ask for permission to send both of you to the Invisible. I’ll act as a bridge between both parts of Life, and make sure the breach remains as long as you’ll be travelling.” A nouveau, elle marque une pause pour effectuer un bref mouvement de la main et attirer à elle l’une des tasses, qui vole docilement jusqu’à elle pour qu’elle s’en empare, la portant à ses lèvres en se laissant de nouveau aller contre le dossier. "In other words, you’ll have to get rid of your physical anchor. It only makes sense, you won’t be able to step into the Invisible if you don’t let go of your Visible envelope. If you hold on to it, you’ll stay down here with us.” Ezekiel change la position de ses bras, un mouvement nerveux et instinctif déclenché par les paroles d’Esmée, le plongeant progressivement dans cette réalité qu’il se trouve à nouveau à affronter - pour Celyn, se répète-t-il en couvrant le sorcier du regard. Pour lui-même également. Pour Jasper, en partie. "And I’ll leave the rest of it to my nephew. He’ll be your guide and will bring you to the One you’ll have to meet. You’re safe, Celyn, Ezekiel happens to know the way like the back of his hand.” Il se retient bien d’ajouter quoi que ce soit à cela, offrant plutôt un sourire crispé et entendu à sa tante, qui ne lui adresse même pas un regard, trop absorbée par ce discours qu’Ezekiel a entendu trop de fois. "The One goes by many names, but our people call him Sakpata, spirit of curses and diseases. And once your request will be in his hands, all you’ll have to do is follow Ezekiel back to the Visible.”

Enfin, après de trop longues minutes, la voix grave d’Esmée retombe, laissant place à un silence sensible dont Ezekiel s’empare aussitôt pour ne pas le laisser devenir pesant. "As Esmée said, you’ll be safe all the way, and you certainly won’t be alone. Besides, I will take care of your request. Really, all you’ll have to do is… be here." Un détail qui n’en est pas un ; Esmée le sait parfaitement, et il peut sentir ses yeux sombre sur lui lorsqu’il le glisse dans un sourire assuré. Il devra déposer la demande de Celyn entre les mains de Sakpata, pour s’assurer qu’il en prendra la contrepartie. A cette pensée, une vague le traverse, sans l’emporter pour autant - il reste fermement ancré, le dos droit et les bras croisés, alors qu’il ajoute d’un ton bas, presque complice : "I’m aware it can be a lot to digest. Should you have any questions, I’d be happy to answer."

Une nouvelle phrase en Forro fila d'entre les lèvres d'Esmée, à laquelle Celyn ne jeta qu'un bref coup d'oeil poli, avant de revenir à Ezekiel. "And steal your favourite part away? I would never dare." Son sarcasme travaillé était une constante rassurante dans cette rencontre exceptionnelle, un souffle familier qui lui donnait de quoi respirer, dans l'atmosphère étouffante qui se tissait autour d'eux. "Please. I’ll be right here if you leave anything out. Or to make things clear if needed." Les yeux de Celyn s'adoucirent sous un début de sourire crispé, néanmoins reconnaissant à la prévenance d'Ezekiel ; puis Esmée l'arracha à ce regard en entamant les explications techniques, et spirituelles, de ce qui l'attendait aujourd'hui

Un voyage, un pont, une brèche – Celyn écouta en silence les explications d'Esmée, tout en réprimant l'appréhension grandissante qui grimpait en lui, la noyant dans son écoute polie et les quelques gorgées de thé qu'il se permit de prendre. Il pouvait sentir leurs deux regards sur lui : la brûlure vive des yeux d'Esmée, et la compassion respectueuse de ceux d'Ezekiel."In other words, you’ll have to get rid of your physical anchor. It only makes sense, you won’t be able to step into the Invisible if you don’t let go of your Visible envelope. If you hold on to it, you’ll stay down here with us.” Le lâcher prise n'était pas exactement le point fort de Celyn – il eut un léger frisson à l'idée de rester bêtement coincé à son propre corps, sous les yeux impatients d'Esmée. "And I’ll leave the rest of it to my nephew. He’ll be your guide and will bring you to the One you’ll have to meet. You’re safe, Celyn, Ezekiel happens to know the way like the back of his hand.” Cette fois, Celyn adressa un regard à Ezekiel, teinté d'une interrogation légère qu'il ne se permit, pas même dans ses yeux, de lui poser entièrement ; l'on touchait à un pan inconnu de la vie du Zabini, secrète, appartenant à un passé enfoui qu'il n'était ni l'endroit, ni le moment de chercher à déterrer. La peur avait insidieusement gagné Celyn, dont le regard revint prestement sur Esmée, cillant légèrement afin d'accueillir, en dépit de ses craintes, la suite de ce récit qui lui semblait déjà par trop familier.

Sakpata. Le nom s'inscrivit dans son esprit telle une donnée précieuse, quand bien même elle ne créait en lui pas de résonance particulière – ce n'était pas les esprits dont lui avait parlé sa mère, avec un léger mépris de femme moderne. Il se rendit compte que depuis qu'il était entré dans le petit salon, les voix s'étaient faites plus ténues ; Celyn n'avait que trop conscience du regard d'Esmée sur lui, où semblait vivre une magie puissante, une force sourde qui tenait les échos à l'écart. "As Esmée said, you’ll be safe all the way, and you certainly won’t be alone. Besides, I will take care of your request. Really, all you’ll have to do is… be here." La voix rassurante d'Ezekiel vint l'enrober avec douceur – il ne serait pas seul, pas comme la dernière fois, Zeke serait avec lui. Il ne serait pas seul, et il ne s'y trouverait que pour un temps limité, se répéta-t-il en tentant de calmer les battements anxieux de son cœur, se raccrochant à l'assurance du CEO de la BCBC qui le couvait du regard. "I’m aware it can be a lot to digest. Should you have any questions, I’d be happy to answer." Celyn esquissa un léger sourire, l'esprit enflé d'inquiétude, trop pour pouvoir pleinement se baigner dans le ton complice d'Ezekiel. Would we be going back to the house? What if something went wrong? Tout paraissait désespérément simple, une balade de santé de l'autre côté du voile dont on lui épargnait les détails – Celyn se rappelait son douloureux retour à son corps, au réveil, la brutalité de ce voyage qui l'avait laissé vidé, épuisé, un creux énorme dans son torse qui lui semblait, deux mois plus tard, encore impossible à combler. Will we be seeing, or hearing anything... Anyone?

Il repoussa les questions inquiètes, peu réfléchies, dans un coin de son crâne, et revint un instant à Esmée, sa tasse et sa coupelle entre ses mains immobiles, figé dans un inconfort habituel – son corps était encore raide et faible, n'arrangeant en rien sa posture guindée. "Thank you for your kind explanations", commença-t-il avec une politesse à laquelle Esmée se contenta de répondre par son regard noir rivé sur lui. Celyn en détourna les yeux, mal à l'aise devant l'intensité de la sorcière, pour revenir sonder un instant le regard autrement plus familier, autrement plus doux, désormais, d'Ezekiel. "Apart from the One, will we be alone?" demanda-t-il d'une voix aussi posée que possible, son trouble masqué par l'habitude que l'on avait, dans la famille Rosier, de ne pas laisser filtrer ses émotions, avant d'ajouter, encore plongé dans les yeux d'Ezekiel, "I am sorry if I'm being blunt." Et il ravala ses nombreuses interrogations, qui formulées lui paraissaient futiles : quelque chose lui disait que les réponses lui viendraient bien assez tôt, de l'autre côté de l'Invisible. "I will do as you say." En le suivant avec une confiance qui, si elle n'était pas aveugle, lui permettait de se reposer sur la guidance d'Ezekiel – il avait déjà signé leur contrat, et il avait déjà, par une fois, plongé dans cet autre pan du monde où on l'attendait.

Ezekiel accueille le sourire de Celyn d’un rictus similaire, un mimétisme réflexe, et pourtant autrement plus naturel et sincère que ce qu’il peut offrir à quiconque - à Celyn, lui-même, qui jusqu’à il y a peu avait également le droit au masque solide de l’infaillible businessman solaire. Le porter, désormais, serait non seulement inapproprié et désuet, mais surtout pesant et étouffant - Zeke ne peut décemment pas se le permettre, pas après ce qu’ils ont vécu et s’apprêtent à vivre. Sans compter que la présence d’Esmée rendrait l’exercice particulièrement délicat ; malgré les dix années qu’il a pu mettre entre eux, la sorcière, parmi la longue liste de ses défauts, possède celui de la connaître intimement, lisant en lui dans dans un livre ouvert - comme elle est capable de sonder n’importe qui, à vrai dire. Tout comme elle sonde Celyn, en cet instant - Ezekiel n’a même pas besoin de reporter ses yeux sur elle pour le savoir ou le sentir. Lui aussi, la connaît, et il n’est pas sans ignorer que sa tante a déjà dressé dans son esprit un portait sensiblement précis de leur invité - un portrait dont elle avait certainement déjà les contours avant même de le rencontrer, qu’elle remplit au fur et à mesure des réactions du Rosier, dont Zeke est incapable de se détourner.

Ainsi, ses yeux restent ancrés à la posture rigide de Celyn, crispé sur sa tasse de thé comme il l’a vu être sur sa canne par le passé. "Thank you for your kind explanations", adresse poliment ce dernier à Esmée, avant de rapidement revenir au regard de Zeke, qui finit par décroiser les bras pour plutôt nouer ses doigts le long de son corps, se montrant d’emblée réceptif à la foule de questions qu’il peut deviner dans le regard du sorcier. Ce dernier fait pourtant preuve d’une maîtrise et d’une réserve bienvenues et de convenance ; si Ezekiel n’en attendait pas moins du Rosier, il est néanmoins rassurant de le voir ingérer le récit d’Esmée sans ciller ou être en proie à une panique qui serait, honnêtement, compréhensible. "Apart from the One, will we be alone?" Faiblement, en restant plongé dans les pupilles sombres de Celyn, Zeke hoche de la tête, plus pour prendre sa question en compte que pour y répondre. Et aussitôt les mots s’alignent dans son esprit, triés sur le volet pour aligner l’explication la plus claire possible. Cependant, le Rosier poursuit, s’adressant à lui plutôt qu’à la sorcière, qui, murée dans son silence, les observe tour à tour en portant sa tasse à ses lèvres. "I am sorry if I'm being blunt." Les lèvres d’Ezekiel s’étirent discrètement aux excuses de Celyn, son indélogeable politesse, même dans ces circonstances à se faire assaillir d’informations brumeuses, force, comme toujours, le respect du Santoméen.

À cette simple phrase, il est ramené au Celyn qu’il a toujours connu, qui a attiré trop rapidement son regard, le voyant pourtant sous un jour nouveau, capable de percevoir plus précisément les nuances dans ses expressions lisses et dans les profondeurs de ses yeux noirs. "I will do as you say." Et c’est probablement cela, l’éclaircie aveuglante perçant les ténèbres installés par la présence de la sorcière vodun, par son récit, par la perspective des événements à venir - cette confiance que lui porte Celyn. Malgré l’air chargé autour d’eux, Ezekiel n’aperçoit que cette lueur logée au fond de ses pupilles, supplantant le reste pour faire briller cette complicité et cette foi qu’il place en lui, qu’il exprime en le regardant droit dans les yeux.

Esmée serait probablement la plus apte à répondre à cette question ; elle a, après tout, constamment un pied entre les deux mondes, et quand bien même Ezekiel a pu plonger plus d’une fois dans l’Invisible, elle sait mieux que quiconque ce qui l’en peuple. Pourtant, c’est à lui que Celyn s’adresse, et Zeke, aveuglé par ce couloir dressé entre eux par le biais de ce simple regard, voilant tout ce qui n’est pas le visage du Rosier, dénoue ses mains pour faire quelques pas dans sa direction. "You’re not being bunt, this is a fairly valid question", débute-t-il dans un sourire, le couvant toujours de ses pupilles en s’approchant lentement de lui, chaque phrase rythmée d’un nouveau pas, une démarche aussi posée que nerveuse, comme pour chasser les pensées parasites pour porter uniquement son attention sur Celyn. "Let’s say the Invisible is as crowded as our world, if not more, unquestionably we won’t be alone." We never are, ajoute-t-il silencieusement, les leçons d’Esmée surgissant en un automatisme à la surface de son esprit. "Besides..." Ezekiel marque une pause, s’arrêtant devant la banquette avant de s’y asseoir dans une expiration proche du soupir, sondant un instant ses pensées pour déterrer la manière la plus appropriée d’exprimer cette information qui, certainement, ne sera pas agréable à digérer. "Whoever is with you at this very minute, will follow you to the other side." Ces voix, ces they, ces we, cette raison pour laquelle ils s’apprêtent à plonger de l’autre côté de l’existence.

Alors qu’il ouvre la bouche pour poursuivre, son regard est attiré par la silhouette d’Esmée se levant de sa chaise, renvoyant d’un mouvement de la main sa tasse flotter jusqu’à la table basse. Elle les observe un moment, qui apparaît bien trop long à Ezekiel - le temps passe toujours lentement, sous les yeux à la fois étrangement chaleureux et sévère de la sorcière. "You’re ready Celyn. And everything will go according to plan if you follow our lead. I’ll see you two in a minute." Puis, avant de se détourner, elle glisse d’une voix grave et lourde de sens à son neveu : "Don’t be too long, sobrinho." Il ne lui adresse qu’un regard en coin, avant de plonger à nouveau dans les orbes sombres de Celyn lorsqu’elle quitte la pièce, pourtant infiniment reconnaissant de la voir disparaître, quand bien même cela signifie l’approche certaine de ce qu’il redoute depuis des jours déjà. Un sourire léger se glisse sur ses lèvres - un sourire nouveau, qu’il redécouvre au contact de Celyn, empreint de cette chaleur complice qui l’envahit désormais. "Apologies for my aunt’s manners. There’s a reason she lives a secluded life." À laquelle elle retournera une fois qu’ils n’auront plus besoin d’elle, loin de l’existence d’Ezekiel.

A cette distance, Zeke est tout à fait capable de lire l’appréhension sur les traits de Celyn, un simple reflet de la sienne, tout juste dissimulée derrière son sourire réservé. Une seconde seulement, il s’autorise à le regarder sans pudeur, ses yeux coulant sur son visage pour en détailler chaque recoin, pour finalement revenir à ses yeux. Et, galvanisé par cette confiance qu’il peut toujours y lire, cette indéniable et saisissante connexion, ses doigts glissent sur l’avant-bras de Celyn, s’y refermant à peine, une ancre incertaine et pourtant rassurante faisant résonner les battements de son coeur jusque dans ses tempes au contact de sa peau avec le tissu luxueux de la veste du Rosier. "I’m here, Celyn. And I’ll be by your side the whole time", répète-t-il avec assurance, exerçant une pression discrète sur son bras pour lui transmettre cette confiance. "Are you feeling ready?"

"You’re not being blunt, this is a fairly valid question." La tranquillité apparente d'Ezekiel peinait à le rassurer quant à l'idiotie de ses questionnements – il soupçonnait que le sorcier n'aurait pas été aussi indulgent envers quelqu'un d'autre, et Celyn soudainement se sentit à la fois doté d'un privilège réservé à peu d'hommes, sur cette Terre, et pardonné trop facilement par les égards que Zeke pouvait avoir envers lui (de plus en plus apparents, depuis le premier jour marquant leurs retrouvailles). "Let’s say the Invisible is as crowded as our world, if not more, unquestionably we won’t be alone." Tout juste ce dont il avait besoin ; et en recherchant la présence rassurante d'Écaille, il ne trouva que son corps froid dans sa poche intérieure, un poids mort contre son torse, immobile au-devant même de sa propre inquisition.  "Besides..." Les yeux de Celyn accompagnèrent silencieusement Zeke jusqu'à la banquette où il se trouvait, reléguant ces sensations morbides pour se raccrocher à la voix stable et calme de son hôte. "Whoever is with you at this very minute, will follow you to the other side." Un frisson d'inconfort parcourut la peau froide de Celyn, une terreur sourde qui se cristallisa au centre même de son crâne – whoever, Celyn ne savait que trop bien qui englobait ce simple mot, et la perspective de les revoir, de replonger avec eux (d'être confronté à cette réalité cruelle, solitaire, effrayante), le tétanisait simplement.

Esmée s'empara de son immobilité pour y insuffler, en se levant, d'un nouveau mouvement – Celyn put sentir tourner vers elle sa propre tête, coincée sur le pivot de sa nuque jusqu'alors, pour se confronter au regard de la sorcière, où luisait cette vérité éclatante que Celyn ne pouvait supporter.
Avait-il été puni car il ne voulait pas les voir ? Enterrer ses morts était un rituel charnière, une étape cruciale qu'il avait manquée, de par son trop long sommeil, de par sa vue limitée, s'arrêtant à l'orée de sa propre convalescence.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Esmée entailla le léger silence qui venait de s'installer, seulement déranger par le bruit de l'horloge antique : "You’re ready Celyn. And everything will go according to plan if you follow our lead. I’ll see you two in a minute." Ready. Le souffle s'engouffra à l'intérieur de ses synapses, ceignant l'écho étouffé des voix ; Celyn reposa sa tasse sur la table basse, détournant un instant les yeux de ses vis-à-vis.
Lorsqu'il les releva, Esmée avait disparu. "Apologies for my aunt’s manners. There’s a reason she lives a secluded life." Celyn esquissa un faible sourire, un pincement des lèvres rendant peu honneur au sourire sincère que lui offrait Ezekiel. "Please, I should be grateful she is here at all." Il soutint son regard, avant que ce dernier ne dérive sur ses propres traits, un examen silencieux qui fit naître une légère pointe d'inconfort au creux de son torse craintif, l'impression d'être avalé par la clarté des yeux sombres du sorcier – il se rappela ses larmes, ses traits gonflés et rougis de tristesse, puis tirés par la colère, son regard égaré lorsque ses forces avaient commencé à le quitter au restaurant, autant d'états dont Ezekiel pouvait si aisément faire l'inventaire sur son visage, et dont il ne fit pourtant rien.

Il le regardait, simplement ; et sa main sur son avant-bras acheva de lui en fournir l'assurance.
"I’m here, Celyn. And I’ll be by your side the whole time. Are you feeling ready?" "I am", mentit-il, un sursaut de fierté l'empêchant de se laisser aller pleinement à cette vérité déroutante où il se trouvait être aussi apeuré, et aveugle, qu'un enfant en bas âge bercé par les douces attentions d'Ezekiel, avant de rectifier, après avoir cillé brièvement : "I will be." Come to us. We've been waiting for you to listen, and see – finally. Celyn baissa un instant les yeux, troublé par ce nouveau murmure, avant de revenir à ceux d'Ezekiel, enfin. "Let's not delay this any further."

”I am.” La réponse, aussi promptement file-t-elle entre les lèvres de Celyn, ne peut être tout à fait véridique - la question elle-même était, de fait, relativement grossière. Qui peut se targuer d’être prêt à à plonger dans un tel inconnu, de l’autre côté du voile, après y avoir logé pendant des mois, propablement sans même le réaliser ? Ezekiel lui-même, pourtant habitué dans sa jeunesse à mettre régulièrement un pied dans l’Invisible aux côtés de son frère, sent poindre l’ombre d’une fébrilité naissance à l’idée de se diriger vers la salle du rituel et escorter Celyn jusqu’aux bras hypnotisants et terrifiants à la fois de Sakpata. Il ne peut qu’imaginer ce que cela peut représenter pour son invité - il accueille tout de même sa réponse d’un sourire pincé, relâchant la pression sur son bras, sans néanmoins en retirer ses doigts pour l’instant. ”I will be.” Ezekiel aime à penser que l’on a toujours le choix - ici, Celyn ne l’a pas vraiment (plus vraiment), et lui encore moins. Leur décision a été prise, puis scellée sous le regard perçant d’Esmée.

Zeke aurait certainement pu rester ainsi, à endiguer l’insupportable tintement des secondes défilant à l’arrière de son esprit, pour profiter de la présence de Celyn au creux de sa paume, de la chaleur glaciale de ses yeux dans les siens - peut-être, également, pour repousser le moment fatidique où ils devront débuter le rituel. Contrôler le temps manque cependant cruellement à la longue liste de ses talents, et il se voit contraint de se détacher de Celyn en réprimant la pointe de déception, d'appréhension également, dans sa poitrine, lorsque ce dernier énonce en coulant un regard dans sa direction : ”Let's not delay this any further.” Un sourire en coin naît sur les lèvres d’Ezekiel, tandis qu’il reprend sa main pour chasser quelques plis imaginaires sur son pantalon. ”You’re probably right”, dit-il à son tour dans une profonde inspiration, avant de se lever et d’adresser un signe de la main à Celyn pour l’inviter à le suivre.

Plutôt que de transplaner, les deux hommes traversent à nouveau le hall d’entrée après avoir quitté le petit salon, passant devant un elfe qu’Ezekiel ne remarque même pas ; ses yeux et son esprit sont tournés vers la partie du palace où ils se dirigent. Il en perd même son naturel bavard, peinant à dénouer sa langue lors de ce trajet de deux minutes à peine, semblant une éternité enfermée dans ce silence aux côtés de Celyn - qui semble pourtant terriblement approprié compte tenu de la situation. Ainsi, sans un mot, ils franchissent les derniers mètres les séparant de la modeste pièce dont Ezekiel ouvre la porte, avant de se tourner vers Celyn, un sourire presque gêné sur les lèvres. ”Now, this is the embarrassing part. We can’t touch ancient magic without facing at least one disgraceful situation, can we?” Il observe une seconde l’air confus sur le visage du Rosier, un vent d’inconfort le traversant à la suite de sa phrase - Ezekiel a pourtant parfaitement conscience qu’il ne s’agira, à vrai dire, pas de la partie la plus éprouvante de ce qui les attend. Aussi il se débarrasse rapidement de cette première étape en ouvrant la main vers la pièce, le regard planté dans celui de Celyn. ”I will need to have access to your skin during the ceremony, more precisely to your... chest, as it’s one of the human body's most powerful magical sources.” Une chaleur discrète atteint ses joues, alors qu’il détaille les traits de Celyn, mis devant ce fait dont il n’avait fait état plus tôt. ”I’m sorry, I know it’s not quite appropriate but this is necessary. I’ve had linen trousers brought for your comfort, in case you wouldn’t want to spend the ceremony in that amazing attire of yours”, ajoute-t-il dans un nouveau sourire engageant, ne dissimulant pourtant pas la gêne légère à ce qu’il est formellement en train de demander à Celyn. ”I’ll leave you some privacy now. You can join me - well, us - in that room over there once you’ll be ready.” Il ne sert à rien de s’attarder plus longtemps, de rendre la situation plus embarrassante qu’elle ne l’est déjà, de continuer à lire la même gêne que la sienne sur le visage de Celyn ; quant aux questions restantes que ce dernier pourrait avoir, elles seront répondues bien assez tôt. Aussi Ezekiel incline légèrement la tête en frottant ses mains l’une contre l’autre, avant de se détourner en lui adressant un dernier regard, empreint d’une certaine chaleur.

”Where is he? − Getting changed”, marmonne Ezekiel en défaisant les boutons de sa chemise, concentré sur la tâche qui aurait pu être effectuée d’un mouvement magique de la main. Mais il est presque vital pour lui, en cet instant, de s’occuper les doigts, alors qu’il se tient dans la salle sombre, uniquement éclairée par les immenses bougies flottant dans chaque coin. Ses yeux peinent à ne pas s’attarder sur la jeune poule entre les bras de sa tante, s’y lovant un calme dérageant ; on dit souvent que les animaux sont capables de sentir leur propre mort arriver, et Ezekiel a pu constater dans sa jeunesse qu’Esmée a le don de leur ôter ce sixième sens. Le sorcier retire nerveusement sa chemise, qu’il plie une première fois religieusement - son visage se contractant devant l’ouvrage, qu’il reprend une seconde, puis troisième fois, jusqu’à satisfaire son inconfort. ”Oh, so you’re still doing this? − Don’t.” Il lui adresse un regard mauvais, envoyant le vêtement planner jusqu’à l’une des banquettes sobres repoussées contre les murs pour l’occasion. Les bras croisés, Ezekiel balaye du regard le cercle dessiné au centre de la pièce, sur lequel sont déposés quelques récipients où fume une sauge blanche odorante, un frisson sensible cavalant le long de son échine à cette vision lui imposant bien trop de souvenirs.

Le toquement à la porte le sauve de sa contemplation nerveuse ; il se dirige aussitôt vers la porte coulissante en inspirant, baissant les yeux avant d’invoquer le courage de l’ouvrir et de se retrouver face au regard de Celyn. ”Please, come on in.” Et sur le visage de Zeke, pas un sourire ne fait son apparition - ses rictus avalés, semble-t-il, pas l’appréhension et l’air déjà chargé de la salle tamisée dans laquelle pénètre à son tour le Rosier.

Celyn fut infiniment reconnaissant à Ezekiel de répondre prestement par la positive : il pouvait sentir gronder en lui les relents d'une angoisse sourde, que l'attente ne faisait qu'empirer désormais. Il se leva à sa suite, avec une lenteur mesurée, et suivit son hôte dans un silence apparent – il pouvait entendre le souffle reprendre, et contenir le tumulte qui se levait de nouveau dans son crâne lui déroba l'acuité de ses autres sens, ne retenant de cette aile inconnue de chez Zabini qu'un intérieur parfaitement droit, rangé, irréprochable. Un bon goût calculé, dont les lignes symétriques permirent à Celyn de ne pas dériver dans le désordre de son esprit.

Ezekiel s'arrêta devant une porte, Celyn posté derrière lui ; lorsque le sorcier l'ouvrit sans y pénétrer, se tournant vers son invité, ce dernier baissa les yeux vers lui, et remarqua immédiatement la gêne derrière son sourire engageant. ”Now, this is the embarrassing part. We can’t touch ancient magic without facing at least one disgraceful situation, can we?” ”It seems so, indeed”, reprit prudemment Celyn, en sondant poliment, sans insistance, les pupilles brillantes d'Ezekiel dans l'attente de la suite – il semblait y avoir tant d'autres détails qu'il ne lui avait pas communiqués, avant de lui faire signer leur accord. Des technicités, en soi, qui maintenant qu'il se trouvait au cœur des choses, ajoutait à ses craintes indicibles, tues dans le secret de son ventre. ”I will need to have access to your skin during the ceremony, more precisely to your... chest, as it’s one of the human body's most powerful magical sources.” Skin... Chest. ”Oh”, lâcha Celyn lorsqu'il saisit pleinement la nature de la demande d'Ezekiel, un sentiment d'inconfort se lovant tout aussi rapidement au sein de ladite poitrine.

Il détourna les yeux un instant de ceux de Zeke, un battement léger des cils, imperceptible, en direction de la main tendue vers la pièce ; il n'avait pas exactement prévu de se dévoiler, devant le CEO, au détour d'un simple détail technique. Access to your skin. ”I’m sorry, I know it’s not quite appropriate but this is necessary. I’ve had linen trousers brought for your comfort, in case you wouldn’t want to spend the ceremony in that amazing attire of yours.” ”Thank you so much.” Celyn s'éclaircit légèrement la gorge, et revint aux yeux d'Ezekiel. ”Linen sounds delightful.” Un faible sourire manqua de s'accrocher à sa bouche, y filant en une mimique pincée ; si la matérialité de son propre corps avait toujours été un embarras, élégamment camouflé par les tissus précieux de ses chemises et de ses pantalons, sa faiblesse récente, ses incapacités physiques, et magiques, l'avaient rendu d'autant plus encombré de cette chair qui était la sienne. ”I’ll leave you some privacy now. You can join me - well, us - in that room over there once you’ll be ready.” Ils échangèrent un dernier regard, tandis que Celyn inclinait la tête en guise de remerciements, et il se réfugia dans la pièce mise à sa disposition – une chambre cossue où il trouva, sur le lit, le pantalon en lin parfaitement plié.

L'inconfort chercha à éclater en un somptueux malaise, le renvoyant à ses années à Poudlard, dans ce dortoir où ses camarades se déshabillaient sans s'embarrasser des regards – une attitude d'Impurs qui lui faisait immanquablement détourner le sien, et s'enfermer dans l'intimité de leur salle de bain pour se changer à son tour.
Celyn le ravala d'une inspiration mesurée ; il était un adulte, il n'avait plus le temps pour ces souvenirs embarrassants, qui lui collaient à la peau à un moment crucial de son existence – de plus, Ezekiel et sa tante n'étaient ni Simon, ni Sohan, encore moins le dernier imbécile de leur chambre, prône à s'exhiber intégralement.

Il s'assit sur la chaise attenante, et délaça ses chaussures, puis il se défit de ses vêtements avec méthode, avant de les disposer sur les cintres à sa disposition, suspendus dans les airs ; le pantalon en lin fut passé, retombant souplement sur ses chevilles, et Celyn, se sentant parfaitement, entièrement nu en dépit du tissu sur lui, glissa sa main dans la poche intérieure de sa veste de costume pour en sortir Écaille, qui se déroula lentement sur son bras, ankylosé par le poids invisible sur les épaules de son sorcier-lié. ”This is our way out”, fit-il à l'animal, autant qu'à lui. This is his way in. Celyn cilla légèrement devant le reflet du miroir, redécouvrant la pâleur de son torse, ses côtes apparentes, la présence du serpent pesante entre ses doigts frêles ; il s'en détourna rapidement, et passa la porte pour traverser le couloir, et toquer au battant que lui avait indiqué Ezekiel.

Il releva les yeux, lorsque la porte coulissa pour s'ouvrir sur Ezekiel – sans sourire, sans masque, et tout aussi dénudé que lui. ”Please, come on in.” Le regard de Celyn quitta les prunelles sombres du sorcier pour tomber sur Esmée, puis l'animal, dans ses bras, l'atmosphère chargée d'effluves lourdes le saisissant à la gorge tandis qu'il pénétrait dans la pièce ; il en découvrit l'origine au sol, sur le cercle qu'on y avait tracé, et prestement, ses yeux remontèrent à la sorcière qui l'observait en silence – observait Écaille, plus exactement, gauchement accroché à son avant-bras. ”You came to my nephew right on time, it seems.” Celyn eut la désagréable impression de comprendre, en rencontrant le regard d'Esmée, relevé vers le sien : le lien, l'union, la connexion au-delà du tangible, cassé à son voyage dans l'Invisible. You have already travelled There, haven't you? Il déglutit difficilement, sentant tracer sur sa peau une sueur moite, étouffante, sous le regard trop clair, la voix trop vive d'Esmée en lui.

tw:blood, animal death

Il y a plus inconfortable encore que de devoir s’y reprendre à trois fois pour atteindre le pliage parfait de sa chemise, que de demander à Celyn de se dévêtir ainsi et de s’exposer à son regard (à celui d’Esmée, également) ; il y a voir ce dernier progresser dans la salle du rituel, le voir se positionner au coeur d’un tableau où Ezekiel n’aurait jamais cru devoir le placer. S’il s’était préparé à cette éventualité, au cours de ce dernier mois à régler les détails de leur accord, la voir se dérouler sous ses yeux sombres est sensiblement différent que n’importe quelle projection mentale. Il aurait nettement préféré trouver un moyen d’aider Celyn n’impliquant pas une sorcière vodun, une nudité forcée, un sacrifice animal, un rituel ancestral et un voyage dans l’autre part de l’existence - mais en y trouvant son compte dans cette proposition soudant les erreurs d’un passé le rattrapant, Ezekiel a également trouvé celui du deputy-CEO de Rosier Events.

Il ne peut empêcher ses yeux d’effleurer la présence discrète, trop discrète, sur la peau nue du Rosier, d’Ecaille - les apparitions de l’animal-lié de Celyn sont devenues si rares, qu’Ezekiel en est presque surpris, sans vraiment l’être, à la vision du reptile enroulé autour du bras de Celyn. ”You came to my nephew right on time, it seems.” Ezekiel fronce les sourcils, alors qu’il referme doucement la porte coulissante, à cette nouvelle phrase emplie de mystère d’Esmée, ne cherchant, pour une fois, même pas à en comprendre le sens. Plutôt, il s’avance pour se positionner aux côtés de Celyn, les bras croisés et le coeur battant jusque dans ses tempes - un rythme inhabituel et désagréable, qu’il chasserait s’il en avait le pouvoir. Le regard de la sorcière se détache de leur invité pour accrocher le sien, ses yeux s’ouvrant dans une expression insistante et pressée : ”What are you waiting for? Let’s get to it.” Une bourrasque vient agiter la poitrine d’Ezekiel - il est temps.

Il vient chercher le regard de Celyn, laissant son visage revêtir un sourire en coin - peu engageant ou chaleureux, simplement présent et presque automatique. ”Let’s get to it”, répète-t-il, à la fois pour Celyn, à la fois pour lui-même, digérant ce premier pas vers ce qu’il a redouté pendant des années. ”Please, follow me.” Il l’escorte sans vraiment parvenir à le quitter des yeux, jusqu’au centre de la pièce, sentant très nettement le fourmillement magique familier le traverser lorsqu’ils pénètrent à l’intérieur du glyphe au sol, un écran de fine fumée les séparant désormais d’Esmée, et plus largement, de leur attache primaire au monde physique. Il lui faut prendre une profonde inspiration, avant de tendre la main à Celyn dans un geste peu assuré, celle de ce dernier venant se loger après un instant de flottement dans la sienne, pour qu’ils se mettent à genoux face à face. Le contact avec la peau glaciale du sorcier, couplé à la vision inappropriée de sa quasi-nudité, lui tire un nouveau frisson désagréable, étouffant. Pourtant, Zeke serre légèrement les doigts dans les siens, la nervosité de Celyn passant de sa peau à la sienne, dans l’espoir de pouvoir la transformer en une forme de confiance vacillante, proche de la sienne. ”Never leave my eyes, don’t pay attention to what will be happening around us. Just stay into my eyes and I’ll be right by your side, alright?”, dit-il d’une voix basse, presque un chuchotement, en laissant leurs mains jointes retomber sur la cuisse de Celyn, serrant une dernière fois ses doigts avant de les relâcher en une presque caresse sur sa peau moite.

Let’s get to it, let’s get to it, répète Ezekiel dans le secret de son esprit, reconnaissant de parvenir à garder cette répétition intérieure uniquement - conscient, cependant, que le rituel a déjà commencé, en voyant la fumée s’épaissir autour d’eux pour les entourer parfaitement et les couper définitivement de la sorcière vodun, qu’il peut entendre marmonner quelques prières de l’autre côté de ce mur brumeux. ”I’m here, Celyn, just keep looking at me.” Lui, ne quitte pas ses yeux, même quand l’animal tenu un peu plus tôt dans les bras d’Esmée les rejoint dans le cercle, comme hypnotisé, grimpant sagement sur les genoux d’Ezekiel et attendant tranquillement de jouer son rôle. Le visage de Zeke se contracte légèrement - let’s get to it ; les pupilles plongées dans les siennes lui insufflent pourtant la force nécessaire pour congédier pour de bons les doutes et la gêne - ils n’ont plus leur place ici, tandis que l’air autour d’eux se raréfie, que les fourmillements dans sa chair se sont plus insistants, traversent sa peau pour l’en défaire petit à petit.

Let’s get to it. ”Don’t look, just keep looking at me”, répète-t-il sur ce même ton chuchotant, alors qu’il referme ses doigts sur la tête de la poule qui, toujours, ne bronche pas, et se laisse trancher la gorge sans un bruit par le toucher magique de l’autre main d’Ezekiel, après avoir murmuré une formule inaudible. Il peut sentir la progression du sang frais sur le tissu de son pantalon réchauffer son corps frissonnant, une expression égale sur le visage. Sans quitter Celyn des yeux, il dépose calmement le corps sans vie de l’animal à leur côté, avant de plonger ses paumes dans la flaque pourpre qui s’est formée entre leurs genoux proches. Ses inspirations se font plus rares, sa respiration désormais calée sur le rythme de l’atmosphère magique, lourde, dans laquelle ils baignent. Alors, Ezekiel glisse une main jusqu’au cou de Celyn alors qu’il s’en approche, de quelques centimètres seulement, leur jambe se rencontrant en ce faisant - bien au-delà des considérations physiques, désormais, ne se formalisant pas de ce contact, ni celui de sa main trempée de sang dans sa nuque. Sans même avoir à y penser, une incantation marmonnée file entre ses lèvres, lorsque les doigts de sa main libre viennent se poser sur le torse de Celyn, traçant au niveau de son coeur le sceau qui assurera sa protection dans l’Invisible, puis un second sur son ventre, qu’il sent se creuser au passage de ses doigts.

”Let’s get to it.” Just keep looking at me. Les mots se mélangent dans l’esprit d’Ezekiel, alors qu’il décroche progressivement, les frissons devenus un confortable et étouffant cocon sous sa peau. Il ressert l’étau délicat sur la nuque de Celyn, se perdant dans ses yeux où il lui semble voir son propre reflet, son autre main retombant pour venir chercher la sienne, au-dessus de laquelle la tête d’Ecaille repose, ses doigts se nouant instinctivement aux siens - une ancre incertaine, alors qu’il se laisse emporter par les chants d’Esmée de l’autre côté du voile fumant.

Celyn cilla, libéré du regard d'Esmée qui vira sur Ezekiel, à ses côtés. ”What are you waiting for? Let’s get to it.” Celyn tourna lentement la tête vers le sorcier, et son regard s'arrima naturellement au sien ; il avait l'impression que Zeke pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert, ses craintes, son appréhension, l'anxiété vibrante qui remontait le long de sa gorge et l'empêchait de déglutir correctement. ”Let’s get to it.” ”Yes”, répondit-il à mi-voix, son assurance étouffée par l'atmosphère chargée de la pièce, les volutes d'encens s'enroulant autour de lui comme pour le dépouiller de ce qui n'avait plus lieu d'être. No need to pretend – et Celyn le ressentait avec d'autant plus de force, les mots d'Ezekiel infiltrés jusque dans sa moelle, transperçant sa peau et sa chair avec une tendresse paradoxale, qu'il trouvait, comme tout sentiment se glissant en lui sans son autorisation, sensiblement intrusive. ”Please, follow me.”

Celyn sentit nettement la barrière lorsqu'il franchit le rideau magique, à la suite d'Ezekiel. Ses yeux balayèrent le glyphe, puis Esmée, de l'autre côté du cercle – de l'autre côté du voile, révélé à lui par la fumée de l'encens qui s'accrochait à ce dernier, dans les airs.
Ils venaient de s'isoler du monde extérieur : la première étape dans leur voyage vers l'Invisible, et devant ce sentiment désormais familier de se sentir perdre prise, Celyn s'accrocha à la main tendue d'Ezekiel, refermant ses doigts autour des siens en un geste fébrile, son souffle court tandis qu'il revenait à son regard sombre.

Il n'était pas seul, cette fois, se répéta-t-il en s'agenouillant en face de lui ; Celyn papillonna imperceptiblement des cils et ses yeux glissèrent du torse dénudé du sorcier à Écaille, enroulé, immobile, autour de son bras, un poids mort et étranger arrimé à sa peau. A la légère pression sur ses doigts, Celyn revint à Zeke. ”Never leave my eyes, don’t pay attention to what will be happening around us. Just stay into my eyes and I’ll be right by your side, alright?” ”Yes,” répéta-t-il de façon presque mécanique, sa voix un murmure aussi bas que la voix calme d'Ezekiel, forçant ses yeux à rester rivés dans les siens en dépit de ce décor inquiétant, où il pouvait déjà sentir les ombres se glisser dans son dos, investir le cercle, le saisir pour l'entraîner de nouveau dans le gouffre.

L'air s'épaissit, une lourdeur nouvelle dans l'atmosphère étouffante du cercle. Celyn sentit Écaille devenir infiniment pesant sur sa chair, écrasant sa peau sous la pression ambiante – il cilla de plus belle, pour se retenir aux yeux sombres d'Ezekiel. ”I’m here, Celyn, just keep looking at me.” Il allait replonger dans l'Invisible, il allait retrouver la maison et son interminable couloir, cette infinité de portes labyrinthiques, gardant en elle un secret, une fracture, un morceau de sa mémoire et de son cœur, des vérités universelles qu'il n'avait pas été à même de comprendre – la crainte s'engouffra en lui comme un souffle de tempête, secouant sa respiration courte, qui devint erratique devant le manque soudain d'oxygène. ”Don’t look, just keep looking at me.”

La voix d'Ezekiel était criblée d'avertissements urgents ; celle de Celyn avait été aspirée en même temps que l'air, asphyxiée par la chaleur soudaine mordant sa peau froide. Il y eut une éclaboussure sur sa peau tremblante, et Celyn tressaillit, refermant ses doigts sur les écailles ternes du serpent ; il pouvait sentir la vie battre encore faiblement en lui, un roulement familier, encore trop lointain, au-delà d'une cassure (celle qui fendait en deux le buste ouvert de Celyn).

Tant d'étrangetés, d'inconvenances, de frontières violées en si peu de temps – le torse de Celyn se soulevait rapidement, ses poumons à la recherche d'un oxygène devenu rare ; il avait chaud et froid en même temps, et craignait de lâcher parfaitement, complètement prise, se raccrochant comme il le pouvait à la masse immobile d'Écaille, et aux yeux d'Ezekiel l'invitant à avancer plus avant vers lui.

Le pantalon de lin s'imbiba d'un liquide épais, collant, et l'odorat d'Écaille l'alerta du sang avant qu'il ne touche sa peau ; le cœur de Celyn s'étrangla sous la main pressée contre sa nuque, imprimant à même sa chair une chaleur poisseuse, le contact charnel, entier, le faisant s'engouffrer pleinement dans les pupilles béantes d'Ezekiel.

Quand bien même Zeke l'avait prévenu de l'importance du contact, au cœur du rituel, Celyn ne put empêcher ses nerfs de se tendre sous le toucher humide des doigts et de la paume d'Ezekiel, l'odeur ferreuse du sang remontant jusqu'à ses narines, sentant bientôt la magie fourmiller dans son torse, dans son ventre, jusqu'à son visage chaud sous le tracé à même sa chair, s'enfonçant parfaitement en lui.

Il l'entendit à peine, lorsque Zeke scella ses yeux aux siens, une incantation de plus entre ses lèvres. ”Let’s get to it.” Un écho, une voix, un souffle l'emportant jusque dans l'onde des yeux noirs d'Ezekiel, et Celyn plongea contre ce dernier dans une dernière inspiration, la fumée, le sang, l'odeur de la peau d'Ezekiel achevant de l'entraîner de l'autre côté.