tw: crude language

Elle n'y avait pas cru, quand Noam avait froncé les sourcils, une ride d'inquiétude inhabituelle barrant son front, quand ils avaient fait l'addition des jours, et des semaines, quand il l'avait repoussée doucement pour mieux bondir hors du lit, enfiler précipitamment des vêtements en dépit de ses "what the fuck? I'll go buy one later, chill out" – elle n'y avait pas cru quand il était réapparu une dizaine de minutes plus tard dans leur appartement, tirant un soupir et un roulement d'yeux à Sav. "Fine", avait-elle décrété en se levant, encore nue (comme toujours lorsqu'ils se trouvaient chez eux, dans l'intimité de leur tanière), lui prenant d'un geste vif le sac qu'il tenait. "What about the shit you smell and then it's done?" Out of stock ; avec un soupir, Sav emprunta le chemin des toilettes avec une bonne volonté frôlant le zéro pointé.
Seule la perspective de lui montrer que tout allait bien, et celle, à peine plus lointaine, de lui retirer ensuite les fringues dont il avait si inutilement couvert sa peau, la motivait assez pour faire l'effort.

Vraiment, il balisait pour rien, pensa-t-elle en n'y croyant toujours pas, se concentrant pour invoquer une envie pressante de se soulager jusqu'à sa vessie à moitié pleine, ou en l'occurrence à moitié vide – son regard suivit le parcours de Noam qu'elle connaissait par cœur, juché sur son Nimbus 2014 et offrant son sourire éclatant à la foule en délire, sur l'affiche en face d'elle. Cocky bastard – rien à voir avec le chouineur qui se tenait dans la chambre et la sortait du lit quand elle aurait seulement voulu s'y prélasser plus longtemps avec lui.

"Fuck, how do you even aim at the damn thing", marmonna-t-elle en écartant les jambes, se recroquevillant légèrement pour voir ce qui se tramait  dans la cuvette ; au prix d'un effort de concentration remarquable, Sav parvint à viser juste – à ce stade, elle n'y croyait toujours pas.
Lorsqu'elle récupéra la petite baguette en bois, elle l'observa quelques secondes, les sourcils froncés – elle eut une vague de doute, un « et si ? » mollasson qui disparut bien rapidement devant ses discours internes de sceptique qui avait vu nettement pire, durant son existence de sorcière terroriste. "Fucking knew it", soupira-t-elle et en se levant ; et, alors qu'elle allait détourner les yeux de l'objet, elle vit des lettres se dessiner en des arabesques à l'élégance trompeuse.

Lorsqu'elles se figèrent, Sav papillonna, et comme si cela allait faire changer les lettres qu'elle pouvait nettement y lire, amena le test à ses yeux.

Oh fuck. Oh fuck. Oh fuck fuck fuck. "Noam", fit-elle sans en détacher des yeux, d'une voix basse qu'il n'aurait pu entendre que s'il s'était trouvé devant la porte, qu'elle n'avait pas complètement fermée. Sa bouche soudainement sèche sous la panique, Diana repoussa le battant, le regard rivé sur l'objet, où se dessinaient désormais des fleurs d'ornement, d'une grâce tout aussi ironique, qui lui donnait envie de vomir. "Noam", répéta-t-elle, hagarde, sa voix chutant dans les graves devant ce retournement de situation terrible. "Did you get another one?" Ses oreilles bourdonnaient, sur le silence assourdissant de leur appartement. "I think this one's not working or something", acheva-t-elle en déglutissant difficilement, lui montrant ledit test, les sourcils froncés, où se dessinait un magnifique You're pregnant, congratulations!

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"Sir.” Les yeux clairs sont rivés sur l’affiche où se prélasse une famille parfaite, un enfant serré entre deux parents beaucoup trop heureux de sourire à quiconque voudrait bien les regarder. En boucle, Noam lit le slogan publicitaire sous le couple dégoulinant d’un bonheur étouffant, ses doigts tapotant nerveusement sur le comptoir. All you need is your family. Mais quelle bande de connards. “Yeah, well fuck you. − Excuse-me?” Son regard se déporte précipitamment vers l’apothicaire qui le dévisage furieusement. “Uh, sorry, I wasn’t- Hm, yes ? − Here’s your change, sir.” Dans un mouvement brusque, l’ancien résistant ouvre la paume pour recevoir les quelques gallions qu’y dépose la vendeuse, avant de se précipiter vers la sortie. ”SIR, you forgot your bag. − Oh fuck me!”
Il avait bien remarqué que les seins de Diana avaient anormalement pris du volume, depuis quelques semaines, mais cela ne lui a rien évoqué de particulier sur le coup ; au contraire, il s’est contenté de lui faire remarquer avec un sourire pour mieux y plonger. Sûrement la pleine lune approchant, s’est-il même dit - elle a bien une influence impériale sur leurs humeurs, rythmant immanquablement leur quotidien, alors pourquoi ne participerait-elle pas à ce type de fluctuations ? Noam a uniquement été frappé par l’impensable - l’inimaginable, l’impossible - quand Sav a relevé l’absence bienvenue de ses règles, lui provoquant un insupportable vertige sur l’instant. Et il ne lui a pas suffit bien plus qu’un insoutenable et insurmontable calcul pour tenter vainement de se remémorer qui aurait pu oublier de prendre sa potion de contraception, et quand, pour le faire se redresser et enfiler maladroitement des vêtements attrapés à la volée dans la pile de linge sale, avant de transplaner hors de leur tanière.

"Fuck, how do you even aim at the damn thing? − I don’t know babe, just try to, i don’t know, fucking follow your piss with the stick or something.” Les mains posées sur la porte des toilettes, impuissant, Noam finit par faire quelques pas en arrière en se grattant la nuque. Il ne peut pas être père, et surtout, il ne veut pas être père. Pour lui - pour eux -, ça a toujours été une évidence. Et malgré leur nature distraite, ils ont toujours réussi à éviter de se mettre dans une telle situation, par peur de devoir affronter une réalité qui ne leur conviendrait certainement pas. De toute façon, ils n’ont pas merdé à ce point-là, si ?
"Fucking knew it.” Noam se laisse aller contre le mur, un soupir de soulagement franchissant aussitôt ses lèvres avant de fermer les yeux, un léger sourire fendant son visage. Peut-être a-t-il paniqué pour rien, et peut-être Sav se fera-t-elle un malin plaisir à lui rappeler d’un air moqueur, mais, au moins, l’horrifiante possibilité est derrière eux.

"Noam. − Yeah, I heard you.” Il se redresse légèrement en dirigeant ses doigts vers la porte entrouverte, l’esprit déjà tourné vers les mille et une façons qu’il pourrait mettre en oeuvre pour se faire pardonner de leur avoir causé une telle angoisse. Et quand le battant s’ouvre sur le visage ombrageux de Diana, le coeur de Noam remonte aussitôt dans sa gorge, bientôt gagné par un étourdissement plus intense encore. "Noam. − What?!” Sa voix nerveuse et un peu trop élevée, contraste avec le ton étranglé de Sav, sur le visage de laquelle il vient déposer une main fébrile. ”Sav, what’s going on?” répète-t-il impatiemment en cherchant à attraper son regard avec anxiété. Sept ans que dure leur relation, au travers desquelles ils ont pu voir tous les visages de l’autre, sans réserve et sans honte. Pourtant, il lui semble qu’il n’a jamais pu observer une panique semblable à celle qu’il peut déceler sur les traits de Diana. "Did you get another one? I think this one's not working or something.”

You're pregnant, congratulations! Provocatrices, les lettres dansent joyeusement sur la tige que lui met Sav sous les yeux, arrachant un souffle brusque à Noam qui s’en empare en fronçant les sourcils dessus. Non. Non. Non. Pas de panique. Ethan lui a déjà dit que le sort des tests de grossesse n’était pas fiable à 100%, qu’ils ont eu plusieurs fausses joies avant que Kamala ne tombe réellement enceinte de Marigold. Tout va bien. Tout va bien. ”Fuck.” Tout va bien. Il lève des yeux écarquillés vers Diana, reprenant difficilement contrôle de sa respiration sous le bourdonnement qui lui vrille les tympans. ”Y-yeah. I got like five of them.” Il sort de sa torpeur pour se précipiter dans l’entrée, jetant sur la commode le test usagé pour s’emparer du sac de l’apothicaire, qu’il se retrouve à tendre à Sav lorsqu’il arrive de nouveau devant les toilettes. Cette fois, il laisse une main sur la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte - il ne supporte déjà que peu d’être éloigné de la Halfer qui partage sa vie, et, en cet instant, il n’arrive à tolérer l’idée qu’elle disparaisse à nouveau derrière le battant. En l’observant s’asseoir à nouveau sur la cuvette, sans pouvoir s’en empêcher, Noam déverse tout ce qui tourne en boucle dans son esprit pour le rassurer, et dans l’espoir qu’il puisse, en ce faisant, apaiser Sav. ”Anyway, you’re not pregnant. And, I mean, if you are, we can get rid of it. It’s easy now, quick appointment with a medic and no more fucker. I’m sure I can get an appointment by the end of the day, I’ll just give my manager a call and- anyway, I won’t have to, cause you’re not… like… pregnant. Right ? Sav ?”

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Son bras tremblait légèrement, tenant le test comme si elle détenait entre ses doigts une bombe prêtre à exploser au moindre mouvement – elle regardait Noam d'un air presque buté, sourcils froncés, refusant devant la panique de se décrocher de ses yeux clairs, son ultime bouée de sauvetag, de regarder une nouvelle fois ces putain de lettres qui lui avaient brûlé les yeux.

Elle ne pouvait pas être enceinte, c'était impossible. Ils avaient pris un soin tout particulier à éviter qu'un tel accident ne se produise, prenant chacun leurs potions de contraception en une protection double, un excès de précaution représentative de leur réticence à se retrouver parents. Qu'un oublie de la prendre était, au vu de leurs caractères chaotiques, était envisageable ; qu'ils oublient tous les deux était impossible, improbable, et Sav se refusait tout bonnement à considérer cette option terrifiante. ”Fuck.” ”It's a fucking mistake, must be”, répondit-elle sur un débit rapide au devant des yeux écarquillés de son compagnon, écrasant leurs inquiétudes de certitudes imposées et choisies par ses soins, comme ils avaient choisi de s'installer ensemble à la fin de la guerre, de ne pas se marier en dépit des protestations d'Ethan, et de ne jamais, jamais laisser leur meute de deux s'agrandir.

”Y-yeah. I got like five of them.” Elle déglutit de nouveau, peinant à faire passer l'appréhension qui lui collait au fond de la gorge, et décrivit un rond devant les toilettes, ses mains passant sur son visage et dans ses cheveux comme pour se sortir des prémices de cette panique qui menaçait leur vie tranquille. Tout allait bien, tout irait bien ; elle allait fait un second test, écoper un You are not pregnant... :' ( jubilatoire, rouler de nouveau au lit avec Noam, oublier cette déconvenue et fêter sa non-grossesse en lui faisant l'amour – cet incident rejoindrait le rang des (nombreuses) anecdotes qui ponctuaient déjà leur couple depuis sept ans, tout irait bien.

Elle prit le sac, en sortit un autre test avant d'aller s'asseoir sur la cuvette, décortiquant rapidement l'emballage comme pour gommer la fébrilité de ses gestes par l'empressement qui la caractérisait – tout irait bien, se répéta-t-elle en sentant son cœur tambouriner violemment contre sa poitrine. ”Anyway, you’re not pregnant. And, I mean, if you are, we can get rid of it. It’s easy now, quick appointment with a medic and..." Sav lui jeta un coup d'oeil, avant de revenir en grognant à ses affaires, la panique apparente de Noam n'arrangeant rien à la sienne ; il était, déjà, particulièrement complexe de faire pipi dans ses conditions, aussi déconnecta-t-elle du flot de paroles pour se concentrer sur ce foutu test, qu'elle retira d'entre ses jambes aussitôt qu'elle eût visé juste. ”Right? Sav?” Les lettres apparurent de nouveau, et s'agencèrent en un You're pregnant, congratulations! sous ses yeux horrifiés.

Non. Non non non non. Son cœur dérapa violemment dans son torse, et elle eut une expiration incrédule, désespérée. ”Fucking hell, what the fuck...” fit-elle d'une voix faible qui lui ressemblait peu, sentant ses mains trembler sous la violence du choc, ses yeux rivés sur la confirmation que leur existence venait tout simplement de se casser la gueule. ”Fucking bullocks, what the fucking fuck?” Cette fois Sav se redressa, sourcils froncés sous les premiers signes d'une frustration explosive, sa voix éclatant lourdement dans l'espace restreint de leurs toilettes en contrant la constriction indésirable de sa gorge – son regard vint vivement chercher celui de Noam, à la fois furieux et témoin d'un brusque vent de panique. ”Call fucking Priya, right now”, gronda-t-elle en cillant brièvement ; elle ne laisserait pas cette putain de gangrène lui pourrir le ventre. ”I don't fucking want this.”

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Le temps semble incroyablement long, en observant Diana courbée au-dessus de la cuvette à froncer les sourcils en essayant de pisser correctement sur la tige. Le coeur de Noam se serre, un peu trop violemment, étourdi par sa propre angoisse, où se mêle l’arôme que revêt l’odeur de sa compagne quand elle a peur. Une note qu’il n’a eu que peu l’occasion de sentir, du moins rarement avec une telle intensité, et qui éveille toujours chez lui une panique incontrôlable, impuissante, frustrante. L’instinct protecteur de la bête lui intime de se ruer sur ce qui provoque l’odeur étouffante, buttant contre les synapses humaines qui, elles, savent pertinemment qu’il n’y a rien sur lequel il peut refermer ses crocs, si ce n’est une situation cauchemardesque. Putain de bordel de merde.

Ses doigts se referment sur l’encadrement de la porte quand il y passe sa tête et le haut de son corps, penché en avant pour tenter d’attraper du regard ce qui apparaît sur la tige entre les mains de Sav. "Fucking hell, what the fuck..." Il n’a pas besoin d’attendre la voix soufflée, tremblante, pour apercevoir les mêmes fleurs d’ornement se dessiner sur le test de grossesse. C’est impossible. C’est impossible. C’est impossible. Quand Diana se redresse, Noam, dans un même mouvement, recule de quelques pas en portant sa paume à son front, son visage empreint de la même panique qui fait chuter son coeur dans son estomac. Impossible. "Fucking bullocks, what the fucking fuck?" Pendant quelques secondes, la voix de Diana lui apparaît lointaine, dissimulée par le battement furieux dans ses tempes. C’est impossible. Trouver un équilibre à la fin de la guerre n’a pas été chose aisée ; il leur a fallu déconstruire leurs habitudes, la peur constante de se voir attaqués, grappiller bout par bout un semblant de normalité pour bâtir ce quotidien aux airs harmonieux dans leur tanière. Ils manipulent ce qu’ils ont avec une certaine attention, et jamais n’ont-ils souhaité plus que ce qu’ils sont parvenus à créer. Et un enfant est certainement le dernier des événements qu’ils voudraient voir survenir dans leur vie. C’est impossible.

Noam attrape le regard furieux de Sav de ses yeux grands ouverts, la respiration significativement plus rapide maintenant que l’information a pleinement fait son chemin jusqu’à son esprit. Sav est enceinte, et Noam est incapable d’articuler le moindre mot. "Call fucking Priya, right now. I don't fucking want this." Il est absolument pétrifié, aucun son ne parvenant à franchir ses lèvres, son corps restant figé dans cette posture abasourdie. Fuck. Fuck fuck fuck fuck. Il a vécu une guerre pendant près de dix ans, et pourtant, à côté du vent de panique qui le traverse de bout en bout en cet instant, son passé de résistant lui paraît ridiculement petit. "Hoooly shit… You’re fucking pregnant." Sav n’a certainement pas besoin de l’entendre, mais Noam, lui, a besoin de sortir l’information de son système, dans une voix soufflée, presque estomaquée. Il secoue la tête en détachant la main sur son front pour la poser brièvement sur la nuque de Diana, ramassant quelque peu ses pensées éparpillées dans ce torrent angoissé. Fuck. "I- I… It won’t happen, I promise. I- I got this, ok? I fucking got this." Dur à dire s’il parle à Sav ou à lui-même ; il poursuit tout de même en rapprochant légèrement son visage du sien, comme pour lui offrir un peu plus son regard terrorisé. "You just go back to bed, I’ll be here in a minute. I got you babe." Se détacher d’elle est un nouvel assaut dans sa poitrine, et l’abandonner, avec ses yeux agités et son odeur apeurée, est plus douloureux encore. Noam parvient tout de même à récupérer sa main avant d’avoir serré sa nuque une dernière fois, avant de disparaître dans le salon.

"Yeah Priya, it’s Noam. I kinda… I kinda have a situation over here. I need a fucking appointment with a medic, like, today. Like right now. Well, uh- a women medic. No, not a female medic for fuck’s sake, like a gynecowizard or something. What? Why the fuck do you need to know that? Urgh. It’s for a-" Noam enfouit son visage dans ses mains en inspirant profondément, avant de se tourner à nouveau vers la boule cristal. "A fucking abortion. OF COURSE it’s for Sav, what the fuck Priya? Look, you got this or not? Ok, just keep me posted, ok? Yeah, ok, bye." Après avoir tapoté la boule de sa baguette, il se laisse aller contre le dossier du canapé en soupirant, le regard dans le vide. Sa manager doit sincèrement ne plus en pouvoir de gérer ses affaires personnelles - mais, après tout, ça fait partie de son job, quelque part, peut-être, non ?
Noam finit par se lever en passant ses doigts sur ses paupières, se dirigeant d’un pas fébrile vers leur chambre - leur tanière, à eux deux. En croisant les yeux de Sav, assise au bord, il peut sentir la panique retomber dans son estomac, en une boule nerveuse et rigide qui le vide de toutes ses forces. Il s’approche pour se mettre à genoux devant elle, sa tête venant se poser sur ses cuisses à la recherche de sa peau, de son odeur, de son contact tout simplement. "Priya’s calling back as soon as the appointment’s set", dit-il d’une voix faible, en frottant son visage contre ses jambes nues. "We got this babe." Il n’y a pourtant rien d’assuré dans son ton, dans cette phrase en boucle sur ses lèvres à laquelle il se raccroche, quand il glisse ses mains sur sa taille pour être un peu plus près d’elle. Fuck.

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"Hoooly shit… You’re fucking pregnant." Sav cilla en soutenant le regard de Noam éberlué d'un air peu amène ; elle aurait aisément déplacé une ou deux montagnes et enterré quelques cadavres dans une forêt écossaise pour les beaux yeux de Noam – mais en cet instant, elle avait envie de le tuer lui. Mâchoires serrées, la tension dans ses muscles était telle qu'elle avait l'impression qu'elle allait rompre d'une minute à l'autre. Elle était enceinte. "Fuck", cracha-t-elle vivement, relâchant le test qui lui ankylosait sa main crispée par les stress. Elle le dégagea de son pied lorsqu'il tomba au sol, et manqua de faire de même avec Noam au contact de sa paume sur sa nuque, avant de se rappeler que ce n'était (qu'à moitié) sa faute. "I- I… It won’t happen, I promise. I- I got this, ok? I fucking got this." Elle releva les yeux vers lui, captant son regard paniqué qui criait tout le contraire de ce qu'il avançait ; ravalant la réplique acerbe qui lui montait dans la gorge, elle grogna, détourna de nouveau le regard, passa une main sur son visage blême, aussi glacé que ses mains pouvaient être brûlantes. "You just go back to bed, I’ll be here in a minute. I got you babe." Abrutie par le choc, elle resta encore quelques secondes sur la cuvette, le regard dans le vide, avant que ses yeux ne retombent sur le test à ses pieds. Au vertigineux sentiment qui s'écrasa sur son ventre, elle se leva, retenant un haut-le-coeur dans sa poitrine douloureuse, et se rendit dans leur chambre, le cœur de leur antre, au radar.

La voix de Noam lui parvenait indistinctement du salon. Elle tourna un instant devant leur lit, les bras croisés et l'air soucieux, à tenter vainement de se rassurer – de les rassurer, puisqu'en dépit des paroles braves du sorcier, elle savait pertinemment que Noam était tout autant, si ce n'était plus, effrayé qu'elle. Chaque argument rationnel se voyait balayé par un impérieux sentiment de panique, des angoisses qui lui tordaient le ventre sitôt qu'elle les effleurait ; Diana se laissa tomber au bord du lit, souffla des "fuck" et des "shit", une jambe folle exprimant bien peu la terreur qui s'était emparée d'elle. Enceinte. Elle releva les yeux vers Noam lorsqu'il la rejoignit, et desserra ses doigts crispés sur le bord du matelas, le souffle court, au contact rassurant de son visage sur ses cuisses. "Priya’s calling back as soon as the appointment’s set." Tout était censé aller bien, désormais – Sav n'avait jamais été une grande optimiste (Noam s'en chargeait habituellement pour deux), et ses vieux réflexes d'envisager le pire ressurgissaient au détour de ce choc brutal et inattendu. "We got this babe." We don't. Pinçant les lèvres sous la réplique qui lui brûlait la langue, elle referma ses bras autour de Noam, une main dans son cou, et se recroquevilla sur lui, calant son front contre son épaule, son visage tout proche du sien. "This is fucking bullshit", répéta-t-elle dans ce cocon de fortune, pour les rassurer tous les deux, en dépit de ce vilain pressentiment qui la prenait aux tripes.

Le rendez-vous fut pris dans l'après-midi ; le cœur battant, en proie à un malaise grandissant, Sav avait serré la main de Noam dans la salle d'attente, son regard balayant les titres des magazines people et des schémas médicaux aux murs sans les voir, puis elle l'avait serrée plus fort dans le bureau du médicomage, lorsqu'il s'était assis avec un sourire poli, et pris une légère inspiration avant de commencer.

En entendant la nouvelle, Diana eut l'impression que sa vie venait tout simplement de s'écrouler. Elle ne sentit plus que le faible battement du cœur de Noam dans sa paume, un cognement trop lointain contre sa peau – ses sens avaient brusquement vrillé, la lâchant petit à petit au fil des mots du spécialiste, qui lui apparurent de plus en plus incompréhensibles, eux aussi. Pregnancy denial. Four months in. Too late. Sav s'entendit parler, poser des questions d'une voix étrangement assurée (un système d'urgence qui s'enclenchait lorsque l'esprit la lâchait) – elle retint, sonnée, qu'elle était foutue.

Ils étaient foutus. Elle avait relâché la main de Noam, sur le chemin du retour. L'épais brouillard où elle avait évolué depuis le rendez-vous se dissipa lorsque la porte de leur tanière fut refermée sur eux ; ce fut comme si ses sens lui étaient tous brusquement revenus, la chamboulant de l'intérieur pour éclater dans ses organes sensoriels. Sav cligna des yeux, sentit une soif terrible la prendre (elle n'aurait pas dit non à un verre de Firewhisky – mais il n'y avait plus une trace d'alcool chez eux depuis que Noam avait arrêté de boire), alla prendre un verre qu'elle remplit d'eau fraîche, l'avala d'une traite pour dégager le nœud qui s'était fait dans sa gorge.

Elle était enceinte (de quatre putain de mois), et elle allait devenir mère.

"Fucking hell." Elle donna un furieux coup de pied contre le placard de cuisine – impuissante jusque dans le dégommage de leur mobilier qui n'en souffrit pas le moins du monde, avant de se retenir au comptoir. "We've been through fucking war, we've made it through all the fucking terrible things that happened to us, we've taken years to recover, and now we're fucking pregnant?" Elle vivement la tête vers Noam, comme pour le prendre à témoin de cette terrible injustice qui leur. "This is so fucking wrong!" Ils s'étaient jurés de ne pas avoir d'enfant, un pacte doublement scellé à la naissance du premier de Simon, Kamala et Ethan. Sav n'avait jamais aimé les enfants, et Noam trouvait parfaitement son bonheur avec ceux de son meilleur ami – il était un oncle formidable, mais Diana se refusait à les imaginer à leur tour parents tous les deux.

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Priya les rappelle bien vite, et c’est difficilement que Noam s’extirpe de l’étreinte bienvenue - s’il l’avait pu, il serait resté une vie ou deux ainsi, sa tête sur ses jambes, le corps de Sav le recouvrant, son odeur tout près de son coeur ; un baume bien plus efficace que les anciennes habitudes prises pendant la guerre, le suivant jusque récemment. S’il le pouvait, même, il ne quitterait jamais leur tanière, et la chaleur de sa peau encore moins. Voler à longueur de journée, disputer des matchs contre les meilleurs joueurs de la planète, être reconnu pour son talent, autant de rêves d’enfant qu’il a vu se réaliser au sortir de la guerre ; et pourtant, tout cela lui semble bien fade à côté de ce qu’il n’avait jamais anticipé : passer tout son temps contre la bitch de sa vie.

Noam ne lâche pas la main de Sav quand ils se rendent à la clinique, pressant régulièrement ses lèvres contre sa joue et son cou, lui soufflant que tout ira bien, tout ira mieux quand ils se seront débarrassés de cette mauvais surprise. Il n’y connait pas grand chose, mais il a entendu quelques fois dire que les potions d’avortement ne sont pas ce qu’il y a de plus agréable, et l’idée même de sa compagne se tordant de douleur sous l’effet du puissant philtre fait courir un frisson sur sa nuque. Pourtant, égoïstement (et il se garde bien d’en dire quoi que ce soit), il préfère nettement soutenir Sav dans ce moment inconfortable que de voir débarquer dans leur vie un petit être leur ressemblant - cette pensée là, est nettement plus insupportable. We got this.

Les mots du médicomage ne font aucun sens, ne trouvent pas leur chemin jusqu’aux connexions de Noam, qui élève sa voix dans le cabinet où il les reçoit. Clairement, cet enfoiré n’a pas envie de les aider - Noam le soupçonne même d’être un supporter de Manchester, et de lui faire payer sa brillante victoire de la semaine dernière contre l’équipe anglaise. C’est la seule explication qui tient la route. Il n’en a rien à foutre que Sav soit enceinte de quatre mois - quatre mois ?! - et que la potion d’avortement se révèle trop dangereuse pour la mère - la mère ?! - au delà des trois mois. Et quand ses nerfs se trouvent être trop engourdis pour maintenir son emportement, il se laisse retomber contre le dossier de la chaise grinçante, la voix de Sav lui paraissant bien trop lointaine pour qu’il entende quoi que ce soit de son échange avec le médicomage. Il n’y a dans ses tympans que le bourdonnement furieux d’une réalité dont il n’arrive à prendre conscience ; et dans sa paume, l’absence de celle de Sav.

"Fucking hell." Noam sursaute comme un animal effrayé, sorti précipitamment de son arrêt cérébral temporaire, quand le pied de Diana butte contre le placard de la cuisine. Il réalise d’un rapide coup d’oeil qu’ils sont rentrés chez eux - est-ce elle qui a transplané ? est-ce lui ? -, et en se réveillant ainsi, il se retrouve soudainement frappé sur ce qui leur tombe dessus ; un vilain coup dans le ventre, dans la nuque, à la gorge, Noam se sent tabassé par la réalité, à tel point qu’il doit se rattraper lui aussi au comptoir pour ne pas vaciller.

Ils vont avoir un enfant.
Un enfant, à eux, qui sera tout le temps là, qu’ils devront éduquer et protéger. Eux. Rien à voir avec le baby-sitting régulier de ses neveux et nièces, qu’il se fait une joie d’accueillir chez lui, pour la simple et bonne raison qu’il n’a que le meilleurs d’eux - les rires, les jeux, les conneries, les vols sur balais, l’affection et l’admiration démesurées. Mais adorer les enfants d’Ethan, Simon et Kamala ne revient pas à vouloir être père.

Père.
Le mot fait douloureusement vriller ses sens, son coeur s’écrasant furieusement contre sa poitrine. Non, non, non, non. Il ne peut pas être père. Pas quand, une fois par mois, il pourrait représenter un danger de mort pour son enfant ; pas quand la pensée de son propre père le plonge dans un malaise indescriptible, même des années après sa mort. Non. Noam a une vague pensée pour le Firewhisky ; s’il a réussi à découvrir la vie sans le prisme de l’alcool, et surtout, s’il a réussi à affronter seize pleines lunes sobre, en cet instant, il tuerait pour tremper ses lèvres, juste pour une gorgée, dans un verre de scotch sorcier. Mais en imaginant le badge des AA qui affiche fièrement ses 514 jours de sobriété se teinter de noir à la moindre goutte d’alcool, pour indiquer à nouveau ce zéro qu’il a eu du mal à franchir, il chasse son envie pour se jeter sur son paquet de cigarettes.

"We've been through fucking war, we've made it through all the fucking terrible things that happened to us, we've taken years to recover, and now we're fucking pregnant? This is so fucking wrong!" It is. Emplissant ses poumons de fumée en tremblant presque, Noam tourne la tête vers Diana sans parvenir à lui répondre. Les mots restent coincées dans sa gorge serrée, et quand il croise son regard, tout ce qu’il parvient à produire, est un hoquet paniqué, qu’il vient étouffer contre son cou en la prenant dans ses bras. "Oh, we fucked up so bad, Diana." La peau lisse de sa compagne absorbe les quelques larmes qui perlent à ses yeux, surgissant brusquement en se faisant submerger par son odeur, où se mêle celle de la cigarette fumant encore entre ses doigts. "We can’t give it to Ethan, Simon and Kamala, can we?", avant d’ajouter tout bas, comme pour lui-même "No, they’d kill us… Fuck." Noam plonge un peu plus son visage contre elle, frottant sa tête dans ses cheveux en inspirant faiblement. "I’m not sure we can do this. I mean, the baby thing. I just don’t see it happening. I don’t- it can’t work. I’m- we- were are not parents, Sav." Il finit par reculer son visage de quelques centimètres pour attraper son regard, la maintenant contre lui d’une main en bas de son dos. "But, like, we have to, don’t we?"

tw: crude language

Il y eut un bref silence, et leurs regards s'accrochèrent, avec le désespoir que leur confusion mutuelle contenait ; si Diana pouvait lire en Noam comme dans un livre ouvert, elle récolta sans peine les émotions tumultueuses qui traversaient son compagnon – un miroir des siennes dont le reflet la prit à la gorge, juste avant que les bras de Noam ne se referment, dans un nuage de tabac explosant contre ses narines, autour d'elle. "Oh we fucked up so bad, Diana." Sa colère bouillonnante engloutit le I know venu s'échouer jusqu'à la base de sa langue – le goût de leur imbécillité était bien amer, et, bien des années plus tard, ces bulles de hargne pure, des éclats de rage empruntés à un passé qu'ils croyaient révolu (et qui se manifestait néanmoins dans les situations extrêmes, comme de vieux fantômes accrochés à leurs pas) étaient des compagnes rassurantes et familières qui l'empêchaient de perdre complètement, parfaitement pied dans ce monde censé être devenu stable.

Quatre mois, et cinq autres à venir ; Sav sentit son cœur se comprimer sous l'apparition de cette montagne insurmontable, dont le sommet était invisible ainsi débarquée à son pied – neuf mois, pour combien d'années ensuite ? Ce n'était pas l'affaire de quelques années, se rendit-elle compte en essayant vainement de faire l'addition de leurs âges et de celui auquel ils pourraient se défaire de l'être qui allait arriver : le reste de leur vie s'en retrouverait chamboulée. Un simple coup d'oeil à ce qui les attendait, après la naissance, suffit à l'étourdir ; seuls les bras de Noam autour d'elle la retinrent au-dessus du vide où elle se sentait sombrer. "We can't give it to Ethan, Simon and Kamala, can we?" "Don't be stupid", souffla-t-elle avec difficulté, oppressée par la spirale qui lui vrillait le crâne, les yeux mouillés de Noam dans son cou nu serrant sa gorge. Elle avait passé, par réflexe, un bras autour de lui, l'enserrant mollement, assommée par la violence de ce choc, par la frustration brutale qui menaçait de sortir à tout moment. "No, they'd kill us... Fuck." L'esprit de Diana dériva quelques secondes, bloqué sur cet après opaque, sur la prise de conscience que quelque chose se trouvait dans son ventre, et que ce quelque chose grandirait, et enflerait, et finirait par sortir d'entre ses cuisses dans une marée de sang et de m... "We are not parents, Sav." La voix de Noam contre son cou la rappela à l'étreinte, à la présence brûlante de Noam contre lui – contre eux. Un haut-le-coeur la saisit tandis qu'elle s'écartait de lui, repoussant son torse d'une main, tandis que celle de Noam la retenait à lui. "But like, we have to, don't we?" "I don't know, fuck, fucking shit, what the fuck." Elle brisa l'étreinte, où elle avait l'impression de suffoquer, et alla prendre la cigarette de Noam entre ses doigts (qu'elle remarqua aussi tremblants que les siens, fuck). La bouffée de nicotine sorcière éclatant dans son nez et sur sa langue, grillant son odorat fin de demie-louve, fut sensiblement inutile face à la pression lourde sur son plexus, qui l'empêchait de respirer correctement ; elle lui redonna aussi rapidement qu'elle lui avait prise, et referma une main sur ses cheveux en se détournant de lui. "Fucking shit, fuck." Elle buta de nouveau contre le comptoir de la cuisine, et se retourna vers lui en se laissant aller contre le meuble, les bras croisés, le cœur battant à cent à l'heure. "It's going to be the worst. We're going to be... What the hell, fucking worst shit ever."

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Après des années passées l’un avec l’autre, sans s’éloigner trop longtemps, Noam ne parvient toujours pas à contenir la douleur soudaine qui s’enroule autour de sa poitrine à chaque fois que Sav s’enferme sur elle-même, le repousse de la sorte pour patauger dans sa frustration. Il a appris, avec le temps, que ce n’est pas un rejet total, que c’est sa façon de gérer un trop plein d’émotions - un torrent, dans le cas présent. C’est pourtant une gêne presque physique, que de la voir quitter brusquement le refuge de ses bras ; et il lève vers elle ses yeux humides, qu’il a vite fait s’essuyer du revers de la main en reniflant bruyamment lorsqu’il lui cède sa cigarette. "Fucking shit, fuck." Noam résiste contre l’envie de se blottir à nouveau contre elle, se contentant plutôt de tirer nerveusement sur sa cigarette, une fois récupérée, et d’observer avec cette même appréhension Sav s’énerver contre le comptoir. "It's going to be the worst. We're going to be... What the hell, fucking worst shit ever." Même au bout de sept ans, Noam est toujours bluffé par la capacité de sa compagne à trouver les mots justes, à les poser sur ce qu’il ressent et n’arrive pas à exprimer. It is the fucking worst shit ever, pense-t-il en silence, son coeur battant jusque dans ses tempes, alors qu’il jette négligemment la cigarette encore fumante dans l’évier, le silence rompu uniquement par le son de l’eau au fond du lavabo venant éteindre la clope, et leur respiration rapide - un seul et même souffle de panique. Noam se laisse doucement tomber au sol contre le comptoir, une jambe repliée contre sa poitrine - ils vont être parents, et il n’y a rien qu’ils puissent faire pour empêcher cela. Avec la même lenteur, il vient reposer sa tête contre la jambe de Sav, frottant bientôt son visage contre le tissu de son jean, après s’être assuré quelques secondes qu’elle ne le repoussait pas. "We got this."

Ils n’ont, en réalité, pas géré quoi que ce soit.

Parce qu’en parler ne faisait qu’accroître leur angoisse. Chaque fois que l’arrivée de la petite merde était abordée, Noam avait l’impression de revivre la même panique explosive que ce jour-là, dans la cuisine, à prendre conscience qu’ils allaient devoir accueillir le résultat de leur insouciance. Et les mois n’ont qu’à peine réussi à apaiser cet affolement ; et les conseils de leurs amis, déjà parents, encore moins - s’ils ont accepté le berceau offert par Ethan quand il a appris qu’ils n’avaient pas préparé la chambre pour l’arrivée de leur enfant, c’est uniquement parce qu’il ne leur a pas laissé le choix.

Au contraire, plutôt que d’aller chercher une quelconque aide extérieure, ils ont préféré s’enterrer dans leur tanière, ignorant la réalité qui n’allait pas tarder à leur tomber dessus. Noam, retenu à Sav par l’odeur sensiblement différente de sa peau - plus forte, empreinte d’une effluve magique décuplée et étrangement addictive, comme si s’en éloigner était alors intolérable -, a fini par ne quitter l’appartement plus que pour se rendre au travail, passant le reste de son temps à chercher son contact, plus encore qu’habituellement. Et il a passé ces derniers mois, en regardant le ventre de Sav s’arrondir, à se répéter qu’ils étaient en train de vivre le plus grand drame de leur existence - la guerre et la disparition de leurs camarades relayées au fond de son esprit, face à l’idée d’enfanter.

Noam ne s’est pas préparé, pas un seul instant. Et il doute que quoi que ce soit aurait pu réellement le préparer à l’onde déstabilisante et pressante qui a explosé dans sa poitrine quand on lui a remis sa fille dans les bras. "She’s so… fucking small… What the fuck." Vingt minutes qu’il tient la petite merde endormie contre son torse en sanglotant, assis dans le fauteuil à côté du lit de Sav, incapable de décrocher son nez du haut de son crâne. Il ne réfléchit plus à la panique, aux mois à se ronger les ongles, la boule au ventre, à la perspective de devenir père. Parce que maintenant qu’il la tient entre ses mains, Noam a l’impression que cette petite merde s’y est toujours trouvée - qu’elle est à lui, à eux, et que son odeur, un parfait mélange de la sienne, de celle de Sav, et d’autre chose, un parfum qui soulève beaucoup trop d’émotions dans sa cage thoracique, le lui confirme.

Noam est père - et si c’est pour être le père de ce petit truc rougeâtre aux traits bouffis et aux doigts minuscules (what the fuck? even her nails?), cela lui convient parfaitement.

Et il n’en peut plus de laisser Sav dormir ; il a jugé bon de la laisser tranquille, quand elle leur a tourné le dos pour “se reposer”, a-t-elle dit. Mais Noam peine à contenir tout ce qui l’agite, et il ressent un besoin irrépressible de partager cette émotion indescriptible avec Sav. "Babe", souffle-t-il en s’asseyant sur le lit, la petite merde toujours pressée contre son torse nu. Avec précaution, retenant sa tête - comme le corps médical lui a dit de faire -, il la décolle tout juste pour la présenter à nouveau à Sav lorsqu’elle se retourne vers lui. "Babe. Look at that lil’ bitch we made", glisse Noam en reniflant, un sourire jusqu’aux oreilles. Comme si elle avait pu oublier seulement la naissance de leur enfant - et, accessoirement, son accouchement, un autre événement particulièrement éprouvant, aussitôt effacé par l’odeur de la little bitch.

Ils avaient passé cinq mois en apnée ; autant que le permettait la croissance visible et sensible de ce truc à même son ventre. Le corps embrassant désormais pleinement cette grossesse jusqu'alors déniée, les perceptions de Savage s'étaient retrouvées chamboulées par les hormones, cette présence inconvenante, la crainte croissant au fil des jours, à voir sa peau se tendre sous l'évolution non-désirée de cette chose en elle – son odorat affûté, plus fidèle allié depuis ses quinze ans, se montrait capricieux, insensible aux effluves d'ordinaire explosives, ou au contraire déclenchait en elle une faim, une envie, un désir insoupçonné et brutal, dérangeant, face à des effluves qu'elle détestait jusqu'alors. Ses repères tanguaient sous la tempête provoquée par la pire des imbécillités jamais connues ; et les mots sages de leur entourage peinaient à rassurer les deux parents, avalés par la spirale infernale qui s'étaient abattue sur eux. Si Noam faisait l'effort de se montrer optimiste, par instants, Sav se murait dans un silence nerveux, retournant contre son compagnon cette peur violente qui la prenait aux tripes – ce n'était pas lui qui nourrissait le monstre, qui pouvait le sentir croître, s'agiter, la dévorer de l'intérieur en de longues semaines d'agonie. Ils ne se disputèrent jamais autant qu'en ces quelques mois de panique – et lorsque Sav perdit les eaux, elle fut prise à la gorge par la sensation étourdissante qu'elle plongeait de l'autre côté du miroir à jamais.

Aucune attaque terroriste, aucune attaque de loup-garou, aucune blessure ni aucune souffrance n'équivalut la douleur de l'accouchement – c'était comme si on l'avait ouverte de l'intérieur pour lui arracher les entrailles, une sensation viscérale remontant jusqu'aux origines de l'existence, un déchirement du corps se répercutant à l'identique sur son esprit et son cœur, ouverts en deux suite au traumatisme de voir son bassin se fendre et craquer sous l'arrivée violente de cet être indésiré.
Elle sentit un frisson de dégoût, en posant les yeux sur la forme rouge et bruyante, encore embaumée de cette odeur de viscères et de sang ; une onde de terreur la saisit lorsqu'on voulut lui mettre le nourrisson dans les bras, et elle repoussa cette intrusion en la renvoyant contre Noam. "You keep it." C'était normal, après tout ; elle était épuisée, le corps en morceaux, tout irait mieux après quelques heures de repos. Sav n'avait pas la force de repousser complètement le pressentiment qui l'avait assaillie, juste avant de fermer les yeux – l'envie d'être seule, de voir disparaître la forme puante maintenant qu'elle l'avait expulsée hors d'elle.
Elle avait dormi, dormi, dormi encore, se forçant à un sommeil dont elle n'avait que rarement besoin, d'ordinaire – c'était comme si son corps, d'habitude vif et bouillonnant d'énergie, la tirait vers une nouvelle sieste à chaque fois qu'elle revenait à la réalité, loin de la vue du petit corps enveloppé dans ses couches de coton doux, rugueux et désagréable au toucher de Savage.

"Babe." La voix de Noam la tira de sa somnolence, une douceur qui lui brisa le cœur lorsque l'odeur du truc lui parvint, plus forte, plus intrusive que celle rassurante du corps de Noam. Elle se retourna tout juste, ouvrant une épaule vers lui (vers eux), et son regard coula de la forme silencieuse, tranquille contre la chaleur du sorcier, au sourire ému de ce dernier. Fuck – le bonheur soudain de Noam, après des mois de panique partagée, ne faisait qu'enfoncer le clou du profond malaise la prenant au ventre. Il lui donnait l'impression d'être désormais parfaitement seule, anormale, une intruse au sein de sa propre famille – la famille qu'ils composaient elle et lui, jusqu'à l'arrivée de la troisième roue du carrosse. "Babe. Look at that lil’ bitch we made." "I don't want it", répondit-elle d'une voix basse, se détournant de nouveau pour ne pas l'accueillir contre elle, pour ne pas les voir, dans les bras l'un de l'autre, en paix, flottant sur un nuage où Sav ne trouvait pas sa place. "You take care of it, I just need some sleep." Et elle ferma de nouveau les yeux, remontant sur elle la couverture de l'hôpital, ravalant la bile amère qui lui remontait dans la gorge – comment pouvait-il être père, et être heureux sans elle maintenant ?

En retrouvant le regard de Diana, le sourire de Noam s’étire un peu plus, presque soulagé de voir ses yeux s’ouvrir pour se tourner vers eux. Quand bien même le contact de la petite merde contre sa peau allège sensiblement son esprit, son corps épuisé ne parvient totalement à se défaire de la terreur monstrueuse qui lui a tordu les entrailles lorsque Sav a perdu les eaux. Alors qu’il détaille son visage, il la revoit pliée en deux, il entend à nouveau sa propre voix aboyant sur le corps hospitalier pour sauver sa compagne d’une mort certaine et imminente. Dix ans de guerre à observer les pires horreurs ne sont rien, comparées à la vision de la sorcière sur la table d’accouchement, à sa douleur perceptible jusque dans son odeur, à la peur de la perdre, bêtement, à cause d’une erreur d'inattention.

Le risque maintenant écarté, Noam baigne sans retenue dans la grisante réalisation qu’ils ont réussi à créer cette petite chose, tous les deux, et qu’ils ont, toute compte fait, toutes les deux chances de s’en sortir, tous les trois. Cette confiance soudaine, nouvelle, surprenante, lui vient naturellement, extraite des battements rapides des coeurs de l’être contre lui et de Sav, qu’il peut parfaitement percevoir, calés sur le même rythme.
"I don’t want it." Noam marque une pause, perdant aussitôt son sourire sous ce qui est ressenti comme une claque lui ouvrant la cage thoracique en deux. Ce qui n’est sûrement que l’expression de la fatigue compréhensible de Sav lui parvient comme un violent et vertigineux rejet. I don’t want it. Comme s’il ne pas en vouloir était une option, désormais. Peut-être, sûrement, a-t-il mal compris, que son état émotionnel chargé lui fait prendre de travers ce que la sorcière souffle en se détournant d’eux - elle lui dit souvent qu’il est trop sensible (avec elle, plus encore), et c’est ce que Noam se répète en cet instant, pour absorber le poids qui s’installe dans sa poitrine.

I don’t want it. "You take care of it, I just need some sleep." Les yeux du joueur de Quidditch passent rapidement du dos qu’elle leur offre à la petite merdre endormie ; ils s’y attardent un moment, observant le haut de son crâne légèrement chevelu. Comment est-il censé contenir tout ce qui le traverse, à la simple vue de sa fille ? You take care of it. Et comment est-il censé baigner dans ce bonheur, seul, s’occuper d’elle, quand tout ce dont il a envie est de vivre cette drôle d’expérience avec Sav - comme toutes les expériences, elles ne valent vraiment le coup d’être vécues qu’en présence de la Halfer qui partage son existence.

I don’t want it. "Of course you want it." Qu’il le dise pour lui ou pour Sav, Noam n’en sait rien ; toujours est-il qu’il se penche un peu plus vers elle, marquant un léger mouvement du bassin pour se rapprocher de son dos et sentir son contact contre sa hanche. Il prend soin de bien maintenir la petite merde contre lui lorsqu’il vient presser ses lèvres dans les cheveux de la sorcière, inspirant brièvement l’odeur enivrante qui parvient toujours à chasser la moindre de ses appréhensions. "Can’t you smell this? She’s like half you, half me, and half her." Parce que c’est à cela que Noam a la confirmation qu’elle est l’une des leurs - qu’elle fait définitivement partie de leur meute. "It’s like we’re a real pack now. Isn’t it fucking awesome?", souffle-t-il contre son oreille, un léger sourire sur ses lèvres rien qu’à cette idée. Et Noam est persuadé qu’en l’entendant, de l’autre côté de cette barrière physique qu’elle met entre eux, Sav sourit exactement de la même manière.