Celyn a fini par se réveiller. Caesar pensait sincèrement que ce serait la meilleure chose qui puisse arriver, et que tous ses problèmes seraient résolus par ce simple état de fait. Une fois Celyn réveillé, il pourrait lui dire quoi faire avec Zabini, lui dire quoi faire avec Rosier Lights, trouver un endroit pour lui et Jeong-Hui, et aussi l'aider à trouver à Basil. Celyn reprendrait le rôle lui revenant de droit, la tête de leur branche de la famille, et Caesar n'aurait plus à recevoir les condoléances des retardataires, les hiboux des comptables et autres requins, ou alors les attentes non-dissimulées des gens ayant un jour évolué dans un monde où presque tous les Rosier importants portaient la Marque des Ténèbres sur le bras.

Mais non. Celyn a fini par se réveiller, mais il semblerait qu'il ait laissé une partie de lui en chemin. Caesar pensait qu'elle était encore endormie - après tout, on lui a dit d'être patient, conciliant, de laisser du temps à hyung pour qu'il redevienne hyung. On lui a aussi dit qu'il est possible qu'il ne redevienne jamais hyung. Sauf que les guérisseurs, infirmières et médicomages n'y connaissent rien. Hyung est un Rosier, hyung est le fils de leurs parents, hyung est plus fort que ça: il redeviendra comme avant, et tout rentrera dans l'ordre.

Du moins, c'est ce qu'il croyait. Parce qu'après quelques semaines, quelques mois, Caesar a fini par se rendre à l'évidence. Une partie de hyung est toujours endormie, ou alors a été détruite. Il n'est que l'ombre de lui-même (parfois, il a véritablement l'impression de voir des ombres sur son visage, des pans d'obscurité qui n'étaient pas là avant). Hyung est bien incapable de reprendre en main la famille, ou de l'aider à chercher Basil. Hyung est éteint.

Il a insisté, pourtant, quand ils ont reçu la missive un peu sèche de Park Jae Joon. Les affaires avec les Park sont en négociation depuis novembre déjà, mais c'était Umma et Papa qui s'en occupaient: Caesar savait juste qu'on lui avait trouvé une fiancée, et il ne s'y était pas intéressé plus que ça. Après l'incendie, et durant le sommeil de Celyn, il a bien été obligé de répondre lui-même à leurs missives pressantes et parfois mêmes impatientes. Ça fait longtemps qu'il s'est fait à l'idée qu'il épouserait une jeune femme venant de Corée, et qu'ils auraient de nombreux enfants ensemble. Mais maintenant bien plus qu'avant, il est prêt. Pis encore: il en a envie.

Et si on lui avait posé la question, il aurait demandé à Celyn de ne pas venir.

Mais celui-ci semble bien décidé. Caesar aurait presque envie de se moquer de lui jusqu'à le faire changer d'avis: une technique perfectionnée par lui et Basil quand ils étaient petits, qui avait fini par se révéler complètement obsolète quand Celyn s'était découvert être aussi obstiné et têtu qu'un âne. Il pourrait lui dire que son col roulé est de travers, et que ses genoux finiront par fléchir, et se rappelle-t-il seulement parler coréen après son long sommeil? Et pffff, de toutes façons, il a que quelques années de plus, c'est pas non plus son père, c'est pas lui qui devrait être là à négocier les termes de ses fiançailles avec Seung Wan. Normalement ce serait Papa, mais Caesar pense sans se tromper que Umma aurait insisté pour y aller à la place...

Mais bon, c'est vrai que Park Jae Joon n'est pas venu lui-même pour donner sa fille en mariage - il s'avère même qu'elle n'est pas sa fille, mais sa pupille. Caesar et elle ont échangé quelques rares lettres, et elle lui a longuement parlé de Seoul, et lui de Londres. Elle a l'air sympa, autant qu'une jeune femme qu'il n'a jamais rencontré et avec laquelle il n'a aucun atome crochu peut paraître sympa, et il est bizarrement impatient de la voir pour de vrai. Il va, après tout, passer le restant de ses jours avec.

Ça fait quelques minutes qu'ils attendent dans un silence un peu tendu et gênant (à moins que l'angoisse latente que ressent Caesar ne soit la source de son impression que l'air qui l'entoure lui et hyung est épais à couper au couteau), Caesar laissant ses yeux se balader à travers le restaurant, voyant sans regarder les visages des autres sorciers en train de dîner. La richesse de l'endroit est opulente, presque intimidante - le choix de Jae Joon - et les plats sophistiqués que Caesar voit les serveurs amener aux différentes tables, à eux seuls, témoignent du standing de l'endroit.

N'y tenant plus, Caesar finit par rompre le silence après avoir, pour la énième fois, changé de croisement de jambes en soupirant: "I told you we would be early." C'est Celyn qui a insisté pour partir en avance, et Celyn de toutes façons a bon dos dès que son jeune frère a quelque chose qui le contrarie. En vérité, attendre ne le dérange pas tant que ça (surtout quand il a pu si facilement ignorer le haussement de sourcils de hyung quand il a commandé un nouveau fond de vin blanc), mais à mesure que l'heure fatidique se rapproche, il sent la boule qui existe dans son estomac depuis son lever ce matin, s'appesantir et remonter lentement mais sûrement vers sa gorge. Son coeur a-t-il jamais battu aussi vite et fort?

Il finit son verre et se tourne déjà vers le serveur le plus proche pour attirer son attention - ils ont après tout encore cinq minutes à attendre avant l'heure dite - mais s'arrête dans son geste en voyant la porte de la salle (séparée de la rue pour la salle qui n'est pas réservée aux sang-purs; on ne va pas non plus se mélanger avec la plèbe dans un tel établissement) s'ouvrir et révéler Seung Wan accompagnée de son gardien envoyé par Jae Joon.

Caesar ne peut pas s'empêcher d'être vaguement soulagé que Seung Wan soit bien plus jolie que ce qu'il aurait pu espérer.

Il se lève d'un mouvement un peu brusque, enclenchant les muscles de son dos pour le raidir autant que possible. Jalebi tourne la tête en même temps que lui et Celyn avec un temps de retard, alerté par son geste. Le maître d' amène le duo à leur table et Caesar s'incline devant le gardien (Nam Joon, se rappelle-t-il) avec déférence. "Good evening, sangmoonim, I am very pleased to meet you." Il a essayé de polir son accent autant que possible en prévision de cette soirée, et il se demande si il imagine la vague grimace sur le visage de Nam Joon quand il se redresse. Il est accompagné d'une hermine (à moins que ce soit un furet?) qui glisse de son cou au sol pour s'approcher de Jalebi, curieuse (Caesar ne lui a adressé qu'un regard, a eu une pensée pour Shil, et a ravalé la bile lui remontant l'estomac avec difficulté). Comme décrit dans ses lettres, Seung Wan est accompagnée d'un kkachi dont les yeux noirs vrillent Caesar et le transpercent de part en part. "Good evening, Seung Wan," lui dit-il en se tournant vers elle. Quand leurs yeux se croisent, la boule dans sa gorge disparaît - peut-être parce qu'il lit sur son visage la même tension et nervosité qu'il ressentait jusque là. "I hope your travels went well." Il jette un regard en coin à Celyn, qui s'est levé avec un temps de retard, ignorant complètement ce qu'il pourrait dire d'autre. C'est lui qui a insisté pour être présent et prendre la place lui revenant de droit; c'est donc à lui de mener la danse.

Nam Joon ne semble pas disposé à cela, pourtant, et fait un geste brusque vers les chaises. "Good evening. Let's start, shall we? I hope to be done by seven and we have much to discuss." Et il s'assied, levant la main dans un geste que Caesar ne peut que voir comme incroyablement arrogant, pour attirer l'attention du serveur le plus proche. "Rest easy, sangmoonim, we are not leaving tomorrow and we have plenty of time," répond Seung Wan d'une voix douce en s'asseyant à son tour. Caesar a l'impression d'avoir débarqué dans une situation complètement inédite, surtout quand il voit le regard en coin que Nam Joon adresse à sa pupille. Nièce? C'est ça, non? Le fait qu'elle l'appelle... c'est quoi déjà? Maître? Non, manager? A-t-il oublié tout le coréen qu'Umma lui a appris? Le regard qu'il glisse vers Celyn a désormais des teintes d'urgence, alors qu'il se rassied à son tour, le souffle coupé pour une fois, ayant trop peur de dire quelque chose de travers.

Son mal de tête enflait depuis déjà de longs jours.
C'était un bourdonnement insidieux, différent des migraines qu'il avait pu connaître dans l'avant – il y avait désormais deux parties distinctes de son existence, l'avant et l'après, comme si sa vie avait été coupée en deux par son « absence », comme il l'appelait intérieurement. « Coma » lui semblait à la fois réducteur et inexact ; Celyn gardait le souvenir émoussé, sensation à la fois étrangement vive dans son corps, comme s'il l'avait vécue à même l'âme sans enregistrer les données de ses ersatz de sens, d'une longue quête d'une porte à l'autre, d'une marche interminable dans ce couloir blanc. S'il était resté immobile dans le monde matériel, il n'avait cessé d'avancer sur le plan astral, en s'épuisant sans ressentir de fatigue physique. Et maintenant, si ses fonctions motrices lui revenaient peu à peu grâce aux séances de rééducation quotidiennes et aux soins d'une équipe des meilleurs médicomages, le contrecoup de cet effort émotionnel et spirituel commençait à se faire ressentir.

Cela avait commencé avec un ronronnement intermittent, dans son crâne, se taisant brusquement pour reprendre, souvent quelques heures plus tard, dans le silence suivant ses pleurs – trop nombreux, trop fréquents, car en recouvrant ses sens et en s'extirpant de l'autre côté du voile, Celyn s'était vu ouvrir les yeux et se heurter à une dure réalité où ses parents, Eun-Ji et Basil n'existaient plus.
Puis le bruit indistinct s'était mué en un souffle, comme la respiration de quelqu'un trop près d'un micro enchanté de mauvaise qualité – Celyn avait demandé à Reiner s'il entendait quelque chose, lui aussi, et la réponse négative de l'elfe lui avait confirmé qu'il devait s'agir, tout au plus, d'un énième symptôme de ce réveil douloureux. Il avait ignoré la sensation rampante au fond de ses veines ; son esprit éreinté par le traitement des émotions, des sens, et des données factuelles qui coulaient depuis son éveil n'avait pas la place de traiter, en plus, les pressentiments, aussi tenaces, (aussi évidents) étaient-ils. Celyn préférait fermer les yeux – littéralement, en espérant se rendormir aussi facilement qu'avant.
Il en venait à regretter les premiers jours de son réveil, où il replongeait de l'autre côté aussi aisément que s'il se laissait tomber dans le vide, le corps alourdi par un sommeil d'outre-tombe. L'éveil lui semblait insoutenable ; il se demandait comment il avait pu tenir les yeux ouverts plus de vingt-six ans.

Et ce jour-là plus que les autres, Celyn devait être particulièrement alerte – autant que pouvait le lui permettre son crâne grésillant douloureusement, sa faible résistance aux interactions sociales, le shut down naturel de ses pensées lorsque le poids de ces dernières devenaient trop important. Il avait demandé de l'aide à Iris pour passer un costume spécialement taillé pour cette occasion (le premier d'une longue série, afin de refaire sa garde-robe perdue aux flemmes) ; une veste bleu nuit aux reflets métalliques discrets, dénué des broderies habituelles qu'on pouvait voir sur lui. "Are you ready ? We're going to be late." Son ton faussement calme et ses remarques gentiment pressantes ne flouaient personne ; Celyn ne reprenait son rôle d'aîné que pour le temps d'un dîner, pour les apparences, déjà trahies semblait-il par son teint gris, ses cernes marquées et la maigreur d'un corps déserté par la faim. L'idée de manger retournait d'avance son estomac noué par un mal invisible depuis des semaines ; ces rencontres formelles étaient heureusement semblables à des dîners d'affaire, où terminer son assiette restait optionnel – Celyn préférait encore s'épuiser à faire la conversation dans une langue aux codes sensiblement différents de l'anglais que d'avoir à prétendre profiter de la nourriture luxueuse qu'il peinait à faire descendre à chaque bouchée.

L'angoisse de Caesar crevait l'atmosphère ; assis à côté de lui, Celyn pouvait voir du coin de l'oeil ses regards nerveux adressés aux serveurs, aux clients et aux plats, sentait la tension dans le corps sec de son petit frère, que visiblement plusieurs verres de vin blanc ne parvenaient pas à apaiser. Celyn, lui, se sentait glisser dans un état d'apathie, un réflexe de fuite lorsque la situation devenait trop à supporter ; les reproches, l'anxiété, et les attentes de Caesar faisaient enfler son mal de crâne, et le clouaient sur sa chaise, où il se tenait parfaitement immobile. Entre les deux frères, le contraste était saisissant ; même la présence d'Écaille, aussi peu vivace que le sorcier, dans sa poche lui apportait peu de réconfort.

Le regard de Celyn passa de la main tendue de Caesar, en direction d'une autre commande alcoolisée, aux deux silhouettes pénétrant dans le restaurant ; Celyn repoussa légèrement sa chaise, s'appuya sur sa canne, un remplacement bienvenu de la chaise roulante dans laquelle il était resté coincé trop longtemps à son goût, et se releva avec une difficulté réduite par l'enchantement jeté sur l'objet, lui permettant de soutenir parfaitement une partie du poids de son corps à moitié mort.

"안녕하십니까, 상무님. 처음 뵙겠습니다." Il s'inclina devant l'oncle de Seung Wan, avant de se redresser et de poser le regard sur cette dernière, apprêtée avec élégance pour cette première rencontre, enchaînant parfaitement sur les salutations identiques de Caesar. "승완 양, 안녕하세요?" Il aurait été de circonstance de lui faire un compliment sur sa beauté, soulignée par les touches d'un maquillage discret, mais Celyn avait, toujours été avare en politesses mondaines, qu'il considérait comme de vaines flatteries – les échanges de compliments sur le physique de son vis-à-vis, communs en Corée, l'avait mis particulièrement mal à l'aise lors de son dernier séjour chez les Hwang. Aussi se contenta-t-il d'une légère inclinaison, moins marquée qu'auprès de son oncle, rompant brièvement le contact visuel. "여기까지 오시느라 고생하셨네요." Nam Joon interrompit les salutations pour mieux signifier son empressement d'en finir vite – que Celyn partageait intérieurement, mais qu'il n'aurait jamais eu l'idée de manifester au grand jour, particulièrement au-devant de la future famille de l'époux. Ces fiançailles se tissaient depuis déjà de longs mois, par lettres, et Celyn connaissait la situation complexe de la famille Park et de Seung Wan, pupille récupérée de force par la famille de chaebols ; que Nam Joon se saisisse de l'avantage que lui conférait son âge pour se montrer impoli ne constituait qu'une désagréable confirmation que ce dîner serait un entretien pénible. Il espérait simplement qu'il ne se terminerait pas en véritable bras de fer.

"식사는 저의가 부담하겠습니다." Une fois rassis, Celyn leur offrit un sourire poli, ignorant la plainte des rouages rouillés de son coréen – sa mère aurait sensiblement eu à redire sur son accent, qui n'était ni complètement étranger, ni parfaitement séoulite. Au moins n'avait-il pas les accents du Jeolla-do des Hwang ; Nam Joon Park aurait eu une autre raison de le regarder de haut. "레드를 좋아하시나요?", demanda-t-il en reposant les yeux sur Seung Wan, menu en main. "술을 잘.." "얘는 다 좋아해요", interrompit Nam Joon. Celyn referma le menu, et vint refermer pour lui celui de son frère, dont les yeux traînaient un peu trop sur la carte des vins. On commanda un cru hors de prix, français, loin des blancs sirupeux que Caesar était susceptible de boire comme du petit lait. Le serveur s'éloignait tout juste que Nam Joon reprenait : "결혼은 언제 하실 생각이 있으세요?" Il n'avait pas menti, en statuant nettement son intention d'en terminer rapidement. "글쎄요.." commença Celyn, dont l'hésitation polie fut tranchée par le ton sans appel de Nam Joon Park. "추석을 지나서 10월초에 저의 눈에 괜찮을 것 같습니다." Le regard du gardien se planta dans celui de Celyn – son crâne bourdonna d'autant plus douloureusement, comme ravivé par les yeux vifs et sévères de son interlocuteur. 다 기 싸움이야, lui avait répété son père à ses débuts patauds dans le monde des affaires. Ces conseils lui semblaient désormais bien lointain, au-devant de la présence imposante de Park (qui lui rappelait celle d'Ezekiel sans néanmoins s'en approcher seulement) et de l'absence de ces barrières solides derrière lesquelles il paraît les coups de ses interlocuteurs ; il avait connu plus habile et plus fin, et bénissait Merlin pour lui avoir opposé un homme d'affaires visiblement désireux de s'aligner sur les termes d'un contrat déjà à moitié signé. Même aller dans son sens se révélait un exercice pénible ; il pouvait sentir ses forces brûler, rien qu'à tenir cette conversation face à l'énergie vive de Nam Joon. "예, 저의도 괜찮을 것 같습니다. 저의 생각에 전통대로 한국에서 먼저 하고, 그 다음 승완 양은 영국으로 오셔서 런던에서 마무리 하면 좋을 것 같아요." Du coin de l'oeil, il pouvait voir Seung Wan immobile, écoutant silencieusement les deux hommes décider des détails de son avenir marital ; son regard restait rivé sur Nam Joon, qu'il vit affecter une moue approbatrice, avant un léger hochement de tête. Caesar ne mouftait pas ; ou tout du moins Celyn, pris entre le grésillement contre ses tympans, la voix forte de Nam Joon, et le brouhaha discret du restaurant, ne l'entendait pas."그럼, 결혼비는.." Ignorant la bouffée de chaleur qui grimpait sous son costume, Celyn sourit sans vraiment le faire (du coin des lèvres, le regard éteint), tandis que le serveur leur revenait pour déboucher leur bouteille de vin.

Spoiler:

Ils se rasseyent tous les quatre, Caesar attendant que Seung Wan ait pris place pour pour l'imiter. Il essaye de ne pas trop la fixer, en vain à vrai dire: c'est la femme avec laquelle il va finir sa vie, il est donc plutôt curieux d'à quoi elle ressemble (et il pense déjà à quoi vont ressembler leurs enfants). Elle est jolie, et délicatement apprêtée. Lors des quelques fois où ils ont visité la Corée, Caesar avait déjà remarqué combien il se sentait différent des véritables coréens. Que ce soit les vêtements, les coiffures ou même le maquillage (il avait déjà surpris, avec une sorte de jalousie incompréhensive, certains jeunes hommes de son âge en porter la dernière fois qu'il y était allé), tout semblait différent là-bas. Sans, évidemment, parler du slang et de l'accent auxquels parfois il n'entendait rien.
Parfois pressée par leurs demandes d'enfants, leur mère leur avait raconté que la différence entre la culture dans laquelle elle avait baigné étant petite, et celle du Royaume-Uni quand elle avait épousé leur père, était titanesque. Mais il fallait dire qu'Umma avait été élevée dans un cadre très spécial...
En se remémorant les contes anxieux d'Umma et de sa transition britannique, Caesar sent lui-même une étrange anxiété s'installer en lui à l'idée que sa future femme, la Seung Wan en face de lui consulte la carte des vins d'un air incertain, soit elle aussi gênée de déménager à l'autre bout du monde. Il ne la connait ni d'Eve ni d'Adam et pourtant, il se sent déjà étonnament protecteur à son égard sur ce point-là. Cette situation dans laquelle ils ont été jetés n'est pas du tout agréable, malgré le fait qu'il s'y soit personnellement préparé toute sa vie. Umma et Papa aussi ont eux des mariages arrangés, et pourtant Caesar a toujours pu sentir le véritable amour les unissant. Même si il doute pouvoir éprouver un jour plus qu'un profond attachement pour Seung Wan, il a envie... d'essayer.
De plus en plus, Caesar se rend compte qu'il a hâte d'être marié. De tourner la page, d'oublier toutes ces soirées et nuits débauchées et honteuses. De recommencer à zéro, de devenir le Caesar de Seung Wan. Avant, il était le Caesar de Karim, ou le Caesar de Logan, les deux hommes qui ont véritablement compté pour lui. Le premier - il s'en rend compte maintenant - l'utilisait sans vergogne et abusait de lui alors que le second, tout simplement, lui mentait. Il y a eu bien plus d'hommes entre les deux bien entendu, des hommes à qui il s'est abandonné avec autant de passion que de honte. Aucun n'a compté.
Maintenant, Caesar veut être le Caesar de Seung Wan. Il a besoin d'être le Caesar de quelqu'un.
Surtout maintenant que Basil est parti.

Celyn lui prend la carte de vins des mains et Caesar lui adresse un regard noir en coin mais ne proteste pas, réprimant une moue en l'entendant commander un vin qu'il ne pourra pas boire. Le goût le laisse plutôt indifférent - quoiqu'à choisir, il préfère la bière au vin - mais il sait que si il peut se permettre de boire quelques verres de blanc sans trop risquer, le vin rouge fera monter à ses joues des rougeurs à la fois désagréables et embarrassantes. Et pas question de paraître comme un idiot face à la famille de sa future épouse.
Nam Joon, quant à lui, ne semble pas avoir ces réticences-là, attaquant la longue conversation les attendant avec impatience: "결혼은 언제 하실 생각이 있으세요?" Caesar détache le regard de son frère pour regarder les Park, surprenant le regard de Seung Wan sur lui qui se détourne presqu'aussitôt. Peut-être n'est-elle pas si distante et indifférente qu'elle en a l'air... "글쎄요.. - 추석을 지나서 10월초에 저의 눈에 괜찮을 것 같습니다." Caesar réprime un nouveau regard noir en direction de hyung, agacé qu'il se laisse ainsi marcher dessus - quoique l'impolitesse de Nam Joon n'aide en rien. "예, 저의도 괜찮을 것 같습니다. 저의 생각에 전통대로 한국에서 먼저 하고, 그 다음 승완 양은 영국으로 오셔서 런던에서 마무리 하면 좋을 것 같아요." Tout comme Seung Wan, Caesar écoute sans rien dire, n'étant pas invité à la conversation et n'ayant pas non plus le droit d'en avoir une avec sa fiancée. C'est à se demander même pourquoi ils ont été invités.
Nam Joon hoche lentement la tête, un mouvement imperceptible d'acceptation et de satisfaction qui fait tomber le coeur de Caesar dans sa poitrine. Chuseok... Non, c'est si loin, ils ne peuvent pas attendre jusque là. Ca a toujours été le plan, bien entendu. Mais Caesar n'a pas envie d'attendre quoi... six mois! pour se marier. Non, il est prêt maintenant. Il faut qu'il se marie maintenant, qu'il ait des enfants maintenant. A son âge, les gens de la génération de ses parents avaient déjà des enfants. Et dans les rapides lettres qu'ils ont échangé, bien qu'il pense qu'elles aient été relues et corrigées par sa famille d'adoption dans le cas de Seung Wan, il pense qu'elle aussi a trahi une certaine impatience à nouer ces noces. "그럼, 결혼비는.." Nam Joon est poliment interrompu par le serveur qui se présente près de lui, au grand bonheur de Caesar qui n'aurait pas osé le faire. Etant le plus âgé de la tablée, c'est donc à lui que revient naturellement le devoir de goûter le vin - Caesar trouve ça agaçant, et oserait normalement demander au serveur de faire goûter hyung aussi parce que c'est lui qui paye après tout.

Le serveur débouchonne le vin avec expertise et en verse un doigt dans un minuscule verre posé devant Nam Joon, qui l'observe faire silencieusement. Caesar saute sur le bref silence pour parler: "If I may, sangmoonim." Les yeux de Nam Joon se tournent aussitôt vers lui et Caesar ravale la boule d'anxiété qui vient se loger dans sa gorge, surtout quand il sent hyung lui aussi tourner les yeux vers lui.
"Although I'm sure that we'll be lucky enough to have splendid weather in Seoul in October, London's infamous rain surely won't be just as somptuous and agreeable." Un très léger sourire s'invite sur ses lèvres, bien loin de la politesse de ceux de hyung; c'est le sourire qu'il a toujours servi aux producteurs, aux danseurs récalcitrants et à tous ceux qu'il a jamais voulu séduire. Le sourire de Caesar est contagieux, charmant et franchement séduisant, et il le sait. Il l'a à tant de reprises observé sur le visage de Basil avant qu'il ne parte. "We took the liberty to consult with an astrologist, and they mentionned that all unions celebrated under the sign of the Gemini this year will be prosperous and long-lasting." L'astrologue, Caesar l'a consultée seule. Il jette néanmoins un regard complice à hyung, et ignore les yeux que celui-ci lui offre en retour. Il sait que le mettre ainsi devant le fait accompli va lui valoir quelques remarques plus tard, mais il s'en fiche. Hyung est mou, à peine réveillé, un rien mieux qu'inutile. Il devrait rester en convalescence, et laisser Caesar s'occuper de tout. Manifestement, il n'est que capable de commander du vin.

"Moreover," ajoute-t-il alors que, l'écoutant sans répondre, Nam Joon lève son verre de dégustation à ses lèvres. "I am excited to share with you amazing news. Our family here is very friendly with a name that I'm sure you will recognise. Ezekiel Zabini?" Il se demande si le regard intense de Celyn sur son profil est juste une impression. Malgré le fait que son licensiement de sa propre entreprise ait été, tout d'abord, quelque peu... douloureux, Caesar a néanmoins compris que c'était un blessing in disguise. Même si il n'aime pas les manières de Zabini, il est un merveilleux hommes d'affaires qui accepte toujours de recevoir Caesar quand ce dernier le lui demande.
Il voit le nom trouver résonnance chez Nam Joon, qui hoche la tête à son adresse, ignorant sciemment le serveur qui attend poliment son verdict. "M. Zabini has shared with me in all confidentiality that his company here, the BCBC, was looking for a new assistant director of network programming." Quand il répétait son petit monologue face au miroir, Caesar prévoyait d'expliquer ce qu'était la BCBC; mais devant le sourcil haussé de Nam Joon, il se dit que ce n'est pas nécessaire. Les Park travaillent dans le Hallyuwood sorcier; ils savent très bien qui est Zabini et ce qu'est la BCBC.
Parfait. "After I've asked, he's been kind enough to promise me Seung Wan would be seriously considered should she wish to apply. Unfortunately, he's looking to fill that position soon. I apologise that I haven't shared this in a previous letter: this is a recent development, and I was hoping to surprise my future wife with these exciting news myself." Il incline la tête, apologétique, et jette un regard rapide à Seung Wan qui a l'air aussi surprise que Nam Joon.

"I apologise for interrupting. How is the wine, sangmoonim?" Nam Joon fronce légèrement les sourcils puis semble se rappeler de la présence du serveur à sa droite qui n'a pas moufté de toute la petite tirade de Caesar. "Very good. Serve us." Caesar a tout d'un coup un peu moins honte de son accent en coréen en l'entendant parler anglais; mais il n'en montre rien, ignorant le serveur alors qu'il se déplace autour de la table en remplissant leurs verres. "Is this true?" demande Nam Joon à hyung en se tournant vers lui. "This changes everything." Caesar sent son coeur faire un bond appréciateur dans sa poitrine, alors qu'il se tourne à son tour vers Celyn d'un air impassible, ravi de ce petit joker qu'il vient de matérialiser devant lui.

"If I may, sangmoonim." Celyn tourna vers Caesar un regard surpris – le regard de ce dernier était rivé sur Nam Joon, paré d'une lueur déterminée que son aîné ne connaissait que trop bien.

Leur père aurait dû être là, à sa place. L'attitude de Nam Joon aurait été différente, l'attitude de Caesar aurait été différente : son petit frère n'aurait jamais osé intervenir dans les négociations entre les deux hommes, et Nam Joon ne se serait pas affalé dans son siège en sirotant son vin comme si le monde lui était dû. "Although I'm sure that we'll be lucky enough to have splendid weather in Seoul in October, London's infamous rain surely won't be just as somptuous and agreeable." Et Caesar offrit un sourire solaire au tuteur, éclipsant la présence fantomatique de son frère. "We took the liberty to consult with an astrologist, and they mentionned that all unions celebrated under the sign of the Gemini this year will be prosperous and long-lasting." Il avait consulté l'astrologue sans lui, et sans même lui en parler. Le mauvais pressentiment de Celyn acheva de se transformer en réalisation brute : son propre petit frère cherchait à le doubler, pour une raison que l'aîné ignorait encore – ou voulait ignorer, renvoyant vers Caesar un regard relativement neutre, où se lisait néanmoins pour son frère qui le connaissait et connaissait les codes Rosier, une incrédulité nette.

Son mal de tête ne fit qu'amplifier, et les murmures grattèrent contre ses tympans, tandis que le regard de Caesar revenait à Nam Joon en ignorant parfaitement la teneur de ses propres traits figés."Moreover, I am excited to share with you amazing news. Our family here is very friendly with a name that I'm sure you will recognise. Ezekiel Zabini?" Le cœur de Celyn, qui se contentait depuis son réveil de faibles battements, aussi apathique que lui, chuta dans sa poitrine pour se répandre en un sentiment trouble, désagréable, au nom d'Ezekiel. Il savait que Caesar travaillait avec lui (ou qu'Ezekiel avait approché Caesar, plus exactement) durant son coma ; la mention du nom de Zabini, dans les négociations du mariage d'un membre de leur famille, tira une légère sonnette d'alarme dans l'esprit de Celyn. Il était proche, trop proche – et Celyn ne pouvait qu'assister, impuissant, à la révélation de cette coalition qui s'était faite en toute discrétion, dans son sommeil.

Celyn écouta, sidéré, le récit de ce qui s'était décidé sans lui.

Il aurait été de rigueur, également, de prévenir son propre frère censé être en charge de ces négociations – Celyn était tout simplement sidéré de ce coup porté derrière la nuque par son propre frère. Oh, il avait eu, dans leur jeunesse, tout le loisir de goûter aux coups bas de ses deux petits frères – mais jamais n'aurait-il cru Caesar capable d'en porter un, désormais qu'ils étaient adultes, lors d'une rencontre officielle. Pour quoi faire, qui plus était ? Celyn ne se serait pas opposé au fait d'avancer le mariage. Était-ce pour la position à la BCBC ? C'était, en soi, un bon argument ; seules les réticences de Celyn de placer sa belle-soeur dans le fief d'Ezekiel auraient pu constituer un frein éventuel.

Celyn ne voyait tout simplement pas ce qui avait motivé Caesar à lui passer devant. Main dans la main avec Ezekiel ; la trahison double de son frère traça une vive brûlure dans son torse endormi, d'autant plus que Celyn, sur le coup, ne pouvait que se contenter de suivre. "I apologise for interrupting. How is the wine, sangmoonim?" L'assurance impertinente de Caesar continuait jusqu'au bout. Le souffle de Celyn s'accéléra légèrement, tandis que Nam Joon achevait de confirmer le choix du vin. "Very good. Serve us." C'était une horreur, le pire des retours à cette société dont Celyn s'était tenu si loin ces dernières semaines ; il n'était pas sûr que son corps supporterait jusqu'au bout le cauchemar dans lequel Caesar venait de le plonger. "Is this true?" Le regard de Nam Joon revint au visage pâle de Celyn, une complexion malade dont les nuances étaient connues de Benjamin, de Caesar et d'Ezekiel seuls. Tous trois auraient pu discerner que quelque chose n'allait pas ; Celyn put sentir sur lui le regard inquisiteur de Seung Wan, qui observait les échanges de ses grands yeux depuis le début. "This changes everything." Celyn adressa un regard bref à son frère, une seconde à sonder les yeux prétendument tranquilles de Caesar – on pouvait lire dans son propre regard une teinte d'amertume et de déception. Doublé par son propre petit frère...

Son regard revint à Nam Joon, dont les traits reflétaient l'agréable tournure des événements. Le choc le laissa d'autant plus épuisé, et s'il n'avait pas été tenu par l'étiquette et les responsabilités d'une famille en lambeaux à laquelle il semblait être le seul à se raccrocher, Celyn aurait jeté l'éponge et tout quitté. Il fallait, à défaut de l'être véritablement, en dépit de la blessure que venait de provoquer ce retournement de situation inattendu, au moins prétendre être un front uni devant l'adversité. Aussi Celyn ravala-t-il le goût amer de la bile qui lui était monté dans la bouche, reprenant tant bien que mal son rôle de pantin. "예, 그 말씀을 바로 드리려고 했는데 동생이 먼저 해 버렸네요." Il eut un sourire sans joie, sans considérer Caesar, qu'il cherchait à tout prix à occulter de son champ de vision. Ezekiel et lui... "그러면 날짜가 당겨야 되지 않을까요?" "글쎄요." L'esprit amorphe de Celyn peina à faire son chemin jusqu'à la saison des Gémeaux. "괜찮으시면 5월달말로 당기는 걸로.. 결혼 두 군데서 하는 것은 그대로 하면 되고요." Les mots franchissaient douloureusement ses lèvres, formant des morceaux de phrases qui ne lui ressemblaient pas ; heureusement insensible à son malaise, Nam Joon esquissa un sourire et, d'un air satisfait, hocha la tête. "와인이 참 맛있네요."

Caesar voit sans mal le heurt dans le regard de son frère, et une partie de lui se sent terriblement coupable. Son teint cireux, l'amertume déçue dans ses yeux, la crispation de sa bouche; autant de détails qui lui fendent le coeur, mais Caesar se décide bien vite à ne pas laisser cela trop l'atteindre. Celyn est devenu un incapable. Il ne peut pas reprendre le flambeau des Rosier comme ses parents le méritent, et c'est à Caesar de tout faire. Il a tellement, tellement voulu que Celyn se réveille; et maintenant que c'est fait, il aimerait que Celyn disparaisse, lui laisse la place. Il a très bien géré les affaires familiales en son absence, et clairement Celyn n'a pas l'envergure pour continuer sur ce chemin et être méritant de l'héritage des Rosier.
Impossible pourtant de taire la petite voix pernicieuse lui reprochant d'être un mauvais frère.

Celyn rejoint sa position, comme il s'y attendait, pour ne pas perdre face - ils se doivent d'être unis, face à l'adversité et au reste du monde. Caesar essaye de ne pas trop montrer sa satisfaction, gardant un sourire placide et hochant la tête pour abonder dans le sens de son frère.
Il ne parle pas beaucoup durant le reste du dîner, préférant rester un spectateur intéressé mais discret, répondant seulement à Nam Joon lorsque celui-ci s'adresse directement à lui. À sa demande, il le régale des détails scéniques de la pièce de l'an passé, mais tourne court à la discussion quand il voit la curiosité de Nam Joon être amoindrie (il ne pense pas, en revanche, imaginer le regard intéressé de Seung Wan, qui ne décroche pas un mot de toute la soirée). Caesar ignore sciemment son frère et à part en l'écoutant parler, prétend qu'il n'existe pas.
Pour boire, il se cale au rythme de Nam Joon, quoiqu'il commence à sentir ses joues se colorer de rouge; il garde néanmoins une poigne de fer sur sa raison et ce léger sentiment d'ébriété qui monte en lui. Les plats se succèdent, et puis l'addition est réglée par Celyn. Caesar s'incline profondément en laissant Nam Joon et Seung Wan à la sortie du restaurant, leur disant au revoir avec tout le respect qu'il peut proférer, les regardant disparaître dans Londres en quête de leur hôtel d'un long regard pesant.

Il refoule une bouffée d'angoisse en tournant ensuite les yeux vers Celyn et lui offrant silencieusement sa main, afin qu'ils transplanent. Les doigts de son frère sont pâles et faibles, chétifs, comme lui. Caesar le voit se préparer à l'impact du transplanage et il a envie de vomir de l'ombre de lui-même qu'il est devenu. Il est bien le seul à pouvoir naviguer le navire coulant des Rosier et à pouvoir l'amener à terre ferme.
Caesar relâche bien vite la main de hyung une fois qu'ils sont arrivés, comme si il s'était brûlé, et ouvre la porte de l'entrée où les attend Iris. Il empêche son agacement de trop se lire sur son visage, l'elfe étant particulièrement dévouée à hyung et plus distante avec lui-même. "How was dinner, Master?" La question ne lui est définitivement pas adressée et pourtant, Caesar répond d'un ton léger en retirant ses chaussures et glissant ses pieds dans ses sandales de maison. "It went very well, Iris, thank you very much. I'm getting married!" Il coule un rapide regard vers Celyn, and it's no thanks to you. "And that's fantastic news." Il adresse un sourire à Iris avant de nouveau tourner les yeux vers Celyn. "Thanks, hyung, I'll see you tomorrow, you have a good night." Sa voix a un côté tranchant; c'est plus fort que lui. Jusqu'au bout, Caesar est obligé de le provoquer, comme pour espérer faire sortir de lui son grand-frère qui lui manque tant.

Le reste du dîner se déroula comme Celyn l'avait prévu ; sans heurt apparent, porté par les bavardages mondains de Nam Joon, soudainement plus détendu une fois le vin ouvert et le mariage conclu, et de Caesar, ponctués par les regards inquisiteurs de Seung Wan, et les sourires affables de Celyn. Le ressentiment qui pesait, lui, lourdement sur son estomac, avait été un douloureux imprévu à cette équation ; il remplit difficilement ce dernier des mets légers qu'on leur présentait. Celyn avait l'impression d'avaler à chaque bouchée un peu plus de la trahison amère que lui servait Caesar, appuyée par son ton enjoué et volontaire, sa participation active à une discussion qui drainait, lentement mais sûrement, le reste des forces de l'aîné.
Le bourdonnement contre son crâne, lui, atteignit son paroxysme au détour d'un de ses rires de son frère. Celyn survécut jusqu'à la fin du dîner comme il l'avait fait durant des années d'obligations professionnelles et aristocratiques ; en ravalant son mal, et en offrant aux convives le strict minimum d'attention et de politesse, comme si ses émotions n'étaient qu'une légère fissure qu'il suffisait de combler avec un peu de bonne volonté et d'abnégation.

Le teint cireux, Celyn s'inclina, offrit son dernier sourire à Nam Joon, un regard à Seung Wan, tandis qu'à côté de lui, Caesar appuyait ses salutations comme l'exigeaient les convenances – au vu du déroulé de cette rencontre, Celyn aurait peut-être dû être celui à s'incliner à quatre-vingt-dix degrés, offrant ainsi sa nuque au Coréen, à son petit frère, et à tous ceux qui souhaitaient l'enfoncer dans les tréfonds de la mortification où il se trouvait depuis la trahison de son propre sang.

Lorsque les invités transplanèrent, le maigre sourire de Celyn disparut brusquement et le mal de crâne, repoussé jusqu'aux limites de sa boîte crânienne afin de laisser la place à son esprit d'assurer ses fonctions minimums, se répandit dans sa tête à la vitesse de l'éclair, émoussant ses sens, avalant ses dernières pensées structurées et cohérentes. Celyn baissa les yeux dans le vide, sans accorder un regard à Caesar ; il se sentit soudainement épuisé, un mélange d'extrême fatigue physique et de lassitude profonde, l'énergie insufflée dans les derniers mots adressés à Nam Joon. La main de Caesar s'ouvrit vers lui ; ravalant la bile qui lui montait de nouveau dans la bouche, menaçant d'entraîner avec elle la nourriture fine qu'il s'était forcé à ingérer, Celyn se raidit légèrement, inspira, et prit la paume tendue vers lui.

De l'autre côté, Celyn se retint à sa canne lorsque Caesar le lâcha. Il serra les dents, inspira de nouveau, une seconde, avant de le suivre à l'intérieur, traînant son propre corps comme un boulet alourdi par la rancoeur. "How was dinner, Master?" Les grands yeux d'Iris le cueillirent à l'entrée, tandis que l'elfe de maison se penchait sur ses lacets pour les lui défaire d'un sort habile. "Please, don't..." "It went very well, Iris, thank you very much. I'm getting married! And that's fantastic news." Celyn détourna les yeux de l'assistance inconvenante (et pourtant pratique) d'Iris pour accrocher le regard de son frère ; l'éclat de supériorité qu'il put y lire, achevant de couronner la trahison inutile, les jugements silencieux, sa propre incapacité à se sentir apte dans la seule tâche qu'il avait à exécuter depuis des mois, insuffla dans son torse une bouffée furieuse. Caesar le méprisait jusqu'au bout. "Thanks, hyung, I'll see you tomorrow, you have a good night." "말을 왜 안 했어?", répondit-il sans ciller, retenant Caesar d'un ton aussi abrupt que le sien. Il ne voulait qu'une chose : retrouver le calme de sa chambre, fermer les yeux, reposer son crâne vrillant sous la douleur, et ne plus penser à cette soirée affreuse. Pourtant, il se tint bien droit dans ses chaussures défaites, ignorant la fuite de ses dernières forces dans brusque accroc, provoqué par ses soins. "그렇게까지 할 필요가 있었어?" Sa gorge se serra sous la dureté de cette réalité où son frère avait cru nécessaire de le doubler pour une malheureuse rencontre, des formalités dues à leur sang et à ces traditions qui avaient toujours été celles de leur mère plutôt que les leurs. A la lumière de cet irrespect à peine voilé, Celyn peinait à croire que Caesar était resté à son chevet pour le veiller, le laver, et lui parler durant son coma ; à quoi bon ces attentions et cette persistance, lorsqu'il se montrait désormais incroyablement égoïste, vindicatif, affligeant son frère d'une honte publique devant leur future belle-famille ? Le bourdonnement contre ses tympans se mua en un éclat de voix – un cri de colère, dans la brume engourdie de son esprit, qu'il crut un instant reconnaître.
Sous le choc, le regard de Celyn vrilla. Il baissa les yeux, se penchant pour se déchausser avec une difficulté renforcée par la fébrilité dans laquelle le plongeait cette discussion, tandis qu'Iris lui amenait les pantoufles à ses pieds. "행동을 똑바로 고쳐라, 준서야", siffla-t-il sur un ton qui n'était plus le sien, et qui pourtant sonnait étrangement, désagréablement familier à ses oreilles – Celyn n'avait jamais appelé Caesar par son autre prénom, en dehors de ses brèves visites auprès des Hwang en donnant des nouvelles de ses frères.

Est-ce qu'en le provoquant, Caesar parviendra à faire sortir le véritable Celyn de cette enveloppe molle et fade à qui il fait face? Est-ce qu'enfin hyung reviendra, reprendra la situation en main, à grands coups de répliques bien assénées et de patience mesurée?
Il sait déjà que c'est trop demander. Celyn ne s'est jamais réveillé et l'ombre qui a pris possession de son corps ne le quittera pas aussi facilement. "말을 왜 안 했어?" Un sourire sans joie ni chaleur vient tordre les lèvres de Caesar. Ce n'est pas comme si il était mauvais acteur, pourtant, et ils le savent tous les deux: face aux gens qu'il n'apprécie pas ou qui l'ennuient, Caesar sait parfaitement se montrer aussi charmant et solaire que d'ordinaire, même lors que les conversations s'allongent et deviennent insupportables. Les jumeaux ont toujours été bons pour séduire, pour mentir, pour être plaisants en toutes circonstances. Ce sourire, froid et moqueur, prend presque des intonations cruelles face à son frère. "그렇게까지 할 필요가 있었어? - Yes I did, hyung," siffle-t-il en réponse, se demandant si Celyn se rend seulement de la honte qu'il est devenu, pour Caesar, pour leurs parents, pour leur famille, pour lui-même.

Caesar détaille Celyn de la tête aux pieds, passant de ses petits yeux à son teint cireux à la canne sur laquelle il s'appuie et ses chaussures qu'il ne peut même pas défaire lui-même. Il a essayé d'être compatissant, compréhensif, patient. Mais Celyn ne se remet pas assez vite.
Avec une expression dédaigneuse, Caesar regarde son assisté de frère se pencher pour retirer ses chaussures, cassé en deux comme un vieillard sur le chemin de la sénilité, Iris se précipitant pour lui amener ses pantoufles. Caesar réprime l'agacement furieux qui vient lui entraver la gorge. Il pense à Umma, qui n'aurait jamais accepté qu'un dégoûtant petit elfe comme ça vive sous leur toit. Il pense au fait que Celyn serait bien incapable sans Iris. Ça l'énerve. Où qu'elle soit, il sait que leur mère doit être affolée, embarrassée, de voir ce qu'ils sont devenus.

"행동을 똑바로 고쳐라, 준서야."

Caesar blêmit, toute couleur quittant son visage qui portait jusque là encore les couleurs rosées de l'alcool sur ses joues. Il ne sait pas comment réagir, tout d'abord, au ton sec et pernicieux de son frère et à l'utilisation de son prénom coréen. Il cligne des yeux en regardant Celyn, décontenancé par sa soudaine verve et puis, rapidement, l'énervement prend le pas sur la surprise: "fuck you, Celyn."

Les gestes d'Iris se suspendent et elle s'arrête alors qu'elle se détournait déjà, certainement pour ouvrir la porte à Celyn et aller l'aider à se coucher. Caesar n'en revient pas que ces mots se soient échappés de sa bouche, à l'adresse de hyung en plus. Il serre les dents sans détourner le regard, ravalant la bile lui remontant l'oesophage. "Look at you. Your weakness is written all over you and it makes me sick to my stomach. Your mere presence and lack of nerve tonight were an embarrassment to me and our name, and I'm the one who has to fix their behaviour?" Caesar rit d'un rire discordant, sans joie ni chaleur, en secouant la tête. "Because I have. I stepped up in your absence, I've done everything I could, I took care of your lifeless body and of Jeong-Hui, I've tried to shoulder our name on my own. I managed. Can you say the same, hyung? You can't even tie your fucking shoes on your own." Il claque de la langue, faisant un bref mouvement de main en direction des pieds de Celyn. "I did what I had to do because clearly, you don't have the spine anymore to help us save face in these circumstances." Il renifle et recule d'un pas en direction de la porte menant au reste du manoir. "And it's not like you'd be the one to get married now." Alors que lui n'a pas eu la chance de passer un marché avec leurs parents pour y échapper.

"Fuck you, Celyn."

Celyn releva brusquement la tête et considéra, interdit, le visage blême et furieux de son frère.

Ils s'étaient disputés, bien sûr, durant leur jeunesse. Si Celyn finissait souvent par s'enfermer dans sa chambre pour se soustraire aux rires moqueurs des jumeaux, il lui était arrivé, poussé dans ses retranchements par les plaisanteries de mauvais goût de ses frères, d'en venir à des paroles brutales et amères, envenimant la conversation de remarques immatures, incisives – et parfois, d'insultes, une grossièreté violente arrachée par la colère, vite chassée par l'intervention de leurs parents.
Mais leurs chamailleries d'enfants s'étaient évanouies à l'orée de la majorité, et jamais ni Basil ni Caesar ne lui avait dit d'aller se faire foutre avec autant d'aplomb.

On ne jurait pas, chez Rosier ; pas lorsqu'on était adulte, civilisé, capable de faire la part des choses. Mais beaucoup de ces règles qu'on leur avait inculquées, au fil de leur éducation rigoureuse, avaient été soufflées par la brutalité de ce choc, où avait disparu leur famille, leur maison, tout ce sur quoi leur identité s'était construite, ébranlant jusque dans les fondations de ce savoir-vivre, les limites bien dessinées dans les rapports parfois houleux entre la fratrie.
Il n'y avait plus Aloysius ni Jae-Hwa pour les séparer, désormais.

Celyn put voir, très distinctement, le masque placide de Caesar se craqueler après des heures de sourires et de conversation enjouée. "Look at you. Your weakness is written all over you and it makes me sick to my stomach. Your mere presence and lack of nerve tonight were an embarrassment to me and our name, and I'm the one who has to fix their behaviour?" L'indignation de Celyn se coinça dans sa gorge, étouffée par la honte terrible l'écrasant sous les paroles de son frère – trop vraies, trop fraîches, versant autant de sel sur ces blessures embarrassantes dont il avait l'impression qu'il ne se remettrait jamais. Useless. Il n'avait jamais brillé par sa présence, aux côtés d'Aloysius et de Fergus, et de nombreuses fois il avait pu lire un sourire gêné sur les lèvres de son père, au-devant de son manque d'initiative et d'une retenue extrême, deux défauts mal venus pour une entreprise flamboyante telle que Rosier Events. Look at Basil and Caesar. They're go-getters, I'm not saying you should be like them, but you should try more, take some risks, be open. Longtemps, Celyn avait été envieux de la capacité des jumeaux à sourire, briller, parler avec une énergie qui lui faisait cruellement défaut. "Because I have. I stepped up in your absence, I've done everything I could, I took care of your lifeless body and of Jeong-Hui, I've tried to shoulder our name on my own. I managed. Can you say the same, hyung? You can't even tie your fucking shoes on your own." Le claquement de langue résonna sèchement dans l'air, écorchant les oreilles de Celyn. Il ne reconnaissait plus son frère, sous l'avalanche ; ce déchaînement haineux n'était pas lui. "I did what I had to do because clearly, you don't have the spine anymore to help us save face in these circumstances. And it's not like you'd be the one to get married now."

Celyn ignora les pantoufles déposées à ses pieds par Iris. Mû par une colère furieuse, un grondement blessé résonnant dans ses os, il se dirigea vers Caesar, et interrompit sa fuite en l'attrapant par le bras, l'attirant à lui pour déverser tout son fiel. "형을 앞지르는 게 체면을 차리는 것에 도움이 된다고 생각하니? 도대체 무슨 생각을 하는거야?" Sa poigne était faible, tremblante, réquisitionnant le peu de muscles qui lui restait. Il pouvait sentir son propre souffle, épuisé par le dîner et cette bataille qui n'était pas la leur ; ce n'était pas la place des deux derniers frères de la famille de se battre pour une broutille qui n'aurait jamais dû être. "지금 그 어느 때보다 더 서로 뒤를 봐줘야 되찮아. 지금 어머니와 아버지께 너를 보고 부뜻했을 것 같아? 니가 결혼한다고 다 해결이 되는 줄 알아? 그렇다고 다들을 되돌릴 줄 알아?" Bring him back ; Celyn déglutit difficilement, ravalant une bile amère, tentant d'endiguer ce mal de crâne étourdissant, sentant la douleur battre à ses tempes au fur et à mesure que le ton montait. Il relâcha son poignet, comme répugné par son propre geste, ses propres paroles – par le contact de la peau chaude de son frère, qui avait accueilli son retour avec une effusion de larmes et d'étreintes, autant d'émotions manifestes qui depuis toujours avaient embarrassé son frère. "너는 로지에라는 것이 뭔지 몰라. 오늘 나 때문에 창피했다고? 근데 동생아, 니가 우리에게 늘 고대한 실망이었어."

tw: ableism, racial slur

Celyn se jette en avant et lui attrape le poignet, provoquant chez son frère un mélange de surprise et de fureur. Caesar regarde la main de son frère aîné comme si il pouvait lui faire desserrer les doigts rien qu'avec son regard, avant de relever ses yeux sombres vers les siens, un orage y grondant sourdement et sournoisement, prêt à exploser de nouveau. Quand ils étaient petits, lui et Basil prenaient un malin plaisir à tourmenter leur grand frère, et ça se finissait soit par celui-ci parvenant à s'extirper de leurs provocations aussi puériles qu'insolentes, soit par Celyn élevant le ton et la teneur de leurs propos pour les leur renvoyer en pleine figure. Basil et Caesar aimaient beaucoup ces instances-là, étant toujours un bon prétexte pour aller courir dans les jupes de Umma ou de Papa pour se plaindre de hyung et de ses manières.
Mais Umma et Papa ne sont plus là comme dernier rempart ou pour les arrêter, physiquement ou mentalement, dans leurs agissements. Ils sont adultes mais, surtout, ils sont seuls. "형을 앞지르는 게 체면을 차리는 것에 도움이 된다고 생각하니? 도대체 무슨 생각을 하는거야?" Caesar lève les yeux au ciel, insolent et dédaigneux au possible, tirant mollement sur l'emprise pourtant faible de Celyn sur son bras - plutôt que de le forcer, Caesar préfère simplement que son frère le lâche. Il est à deux doigts de lui siffler un so dramatic méprisant, mais hyung reprend: "지금 그 어느 때보다 더 서로 뒤를 봐줘야 되찮아. 지금 어머니와 아버지께 너를 보고 부뜻했을 것 같아? 니가 결혼한다고 다 해결이 되는 줄 알아? 그렇다고 다들을 되돌릴 줄 알아?"

Les traits de Caesar s'assombrissent. Il pense que ses parents seraient fiers de lui, oui. D'avoir organisé des fiançailles rapides, de vouloir reprendre la famille et son histoire en main, de forcer la main de son frère à défaut de coopérer avec: de toutes manières, lui et Celyn ne se sont jamais entendus dans le domaine des affaires et lui proposer frontalement de l'aide n'aurait jamais fonctionné.
Ce qui l'agace, plus que tout, est le fait que Celyn pense le penser naïf. Il sait bien qu'un mariage ne résoudra pas tout, mais il trouve son grand-frère stupide de penser que ça n'aidera pas avec leur futur. À moins que Celyn se fiche du futur, ce qui ne le surprendrait pas tant que ça vu son comportement de ces dernières semaines. "Don't be silly." Celyn est injuste, en cet instant précis. Faible, embarrassant, injuste, manquant cruellement de vision pour le futur. Pense-t-il que Zabini les sauvera de la perte de leur nom, de leur famille? Va-t-il rester un spectateur placide jusque là?

Son grand frère le lâche et Caesar lève la main pour se masser le poignet comme si il lui avait fait mal. C'est faux bien entendu: malgré tout, il reste faible et chétif, à peine plus dangereux qu'un vieillard ou qu'un gamin. Son esprit est le même, pourtant, et les mots suivants sont une torture: "너는 로지에라는 것이 뭔지 몰라." Caesar cligne des yeux, immobile et crispé, son expression figée de colère retombant pour laisser glisser sur son visage des traits pris au dépourvu. "오늘 나 때문에 창피했다고? 근데 동생아, 니가 우리에게 늘 고대한 실망이었어."
Le soir de l'incendie et de la perte de ses parents, Caesar avait pensé vivre une peine et une douleur insurmontables et incomparables, quelque chose d'unique et d'inconnu, qu'il n'avait jamais connu avant et qu'il ne connaitrait jamais après. Perdre ses parents, ignorer si ses frère et soeur allaient survivre, ne plus retrouver son jumeau, se retrouver avec Jeong-Hui; son coeur s'était brisé une dizaine de fois, entre les murs durs et froids de l'hôpital, à mesure que les mauvaises nouvelles s'amoncelaient. Ses parents étaient morts; Eun-Ji était morte; Celyn ne se réveillait pas; Basil était perdu; il ne restait plus qu'Eun-Ji; ils iraient vivre chez Benjamin; personne n'avait de solution-miracle; et plus encore.

Caesar aimerait se dire que Celyn ne s'est jamais réveillé et que c'est un étranger qui se trouve devant ses yeux. Que son coeur se brise seulement parce que son frère a irrémédiablement changé et qu'il n'est pas revenu entier.
En réalité, Caesar souffre parce qu'il comprend que son grand frère le voit enfin tel qu'il est.

Peut-être le savaient-ils tous, même. Qu'il était une honte, une déception, quelque chose de tordu et de malade, d'impropre, d'injuste, d'indigne. Entendre Celyn prononcer des mots qu'il pense depuis des années le touche plus qu'il aimerait.
Sauf que pour une fois, plutôt qu'un désespoir vertigineux et handicapant le renvoyant aux parties le plus sombres de lui-même, Caesar sent une colère étourdissante monter en lui.

Cette fois-ci, c'est lui qui fait un mouvement vers son frère et sa main se lève, s'écrasant avec force sur le poitrail de Celyn. Il le repousserait presque en arrière mais ses doigts se referment sur le col de sa chemise qu'il froisse dans une poigne puissante, le ramenant vers lui avec un air de menace. Du coin de l'oeil, il voit Iris se figer et sembler prête à intervenir et il lui adresse un regard mauvais avant de plonger de nouveau dans les yeux sombres de son frère, qui ne lui ont jamais paru aussi loin. "If I could trade their lives for mine," souffle-t-il d'une voix qui s'effondre déjà, enrouée du poids de sa culpabilité et de son sentiment d'insuffisance, "I would do it in a heartbeat." Il donnerait tout, tout pour avoir été à la place de Basil, d'Eun-Ji, de Papa, de Umma. Ils ont tous mieux représenté les Rosier que lui, et auraient tous mieux travaillé avec Celyn dans ces circonstances. Ils auraient tous été plus justes, plus droits, plus utiles, plus responsables, plus matures. "But you're stuck with me, hyung, a "terrible disappointment."" Il relâche brusquement son frère et le pousse même en arrière avec force, peu sensible à sa condition fragile. "And I'm stuck with a cripple and a retard." Et il sait sur qui des trois, à choisir, il parierait.

Il secoue la tête, l'air mauvais, un sourire froid plaqué sur les lèvres, ignorant son esprit qui lui dit de hurler, de s'énerver, d'abattre ses poings sur les murs impassibles de la demeure de Benjamin. "They're never coming back. It's just us now. I need to get married so that our family name may live on. Or what, should we wait on Benjamin to marry his half-blooded chink? Or on you?" Il rit sans coeur à cette idée, dans un geste démesuré et odieux à outrance, fermant les yeux et renversant la tête brièvement. "I'm not sure that you know how to use your dick, let alone if you even have one. You should be grateful that I'm sparing you this ordeal." Pas question, en tous cas, de laisser transparaître un grain de toute la panique douloureuse que la perspective de se marier réveille en lui: Caesar l'enferme à double-tours au fond de lui-même, quelque part où elle ne se réveillera jamais et ne pourra jamais l'affecter autant que les derniers mots qu'a proféré Celyn à son encontre. "Think of me what you will, hyung. I'll always be a Rosier and my children will be Rosiers that will live on to carry our values and family name. Meanwhile, your weakness will die with you."

tw: ableism, racial slur

La main sur son col fut une terrible gifle au visage de Celyn. Le teint pâle, il considéra son frère avec des yeux écarquillés, incrédules - terrifiés. "If I could trade their lives for mine, I would do it in a heartbeat." Une brusque angoisse se saisit du cœur de Celyn, sous la poigne furieuse de son frère. Il pouvait les voir basculer sur cette pente glissante, perdre l'équilibre, s'agripper l'un à l'autre pour s'entraîner avec plus de violence dans la chute. Ils étaient censés être soudés ; et Caesar, empêtré dans sa propre souffrance, égoïste comme toujours, n'en entendait rien. Ce n'était pas un problème de sélection, une question de qui vivait, de qui méritait de vivre ; c'était une question d'entraide et de soutien, de bienveillance et d'unité, pour reconstruire les fondations sapées de leur famille qui menaçait désormais d'être définitivement réduite à néant. "But you're stuck with me, hyung, a "terrible disappointment." Et avant qu'il ne pusse lui répondre, Caesar acheva son geste, le repoussant d'un mouvement sec en arrière. Sans le support de sa canne, ses jambes flanchèrent, fauchées par la colère de son frère ; il tomba à la renverse sur le parquet lisse de l'entrée, une chute gauche et ridicule, rattrapée par un coude, ses dents s'entrechoquant sous l'impact. "And I'm stuck with a cripple and a retard." Son regard retrouva celui de son frère, et Celyn se sentit blêmir en y découvrant un profond dégoût.

Il aurait voulu lui dire que ce n'était qu'un mal temporaire, que bientôt, comme le lui prédisaient les médicomages, ses muscles allaient retrouver leur force, qu'il pourrait, enfin, se servir de sa magie, sentir sous sa peau les sens affûtés d'Écaille, revenu à la vie en même temps que lui.

Mais Celyn resta résolument, définitivement coi, les lèvres scellées par l'évidence : Caesar avait raison.
Il n'était plus bon à rien, maintenant. Ce n'était pas son handicap physique, qui finirait par s'estomper avec le temps ; c'était cette apathie émotionnelle, lui pompant son énergie et son envie, fauchant son élan et sa force tranquille, si souvent méprise pour une absence de caractère, qui le rendait profondément, injustement inapte. Et Jeong-Hui, elle, avait toujours été différente – une différence problématique qui désormais, devenait un profond embarras pour les deux Rosier restants.

Iris avait accouru auprès de lui, et lui offrit son maigre soutien pour l'aider à se redresser en position assise. "They're never coming back. It's just us now. I need to get married so that our family name may live on. Or what, should we wait on Benjamin to marry his half-blooded chink? Or on you?" Le rire de Caesar lui glaça le sang ; Celyn ne pouvait départir son regard du le tableau effroyable qu'il lui offrait, une fresque familiale terrible, où deux frères se déchiraient avec violence. "I'm not sure that you know how to use your dick, let alone if you even have one. You should be grateful that I'm sparing you this ordeal." Celyn serra les mâchoires, sentant le goût du sang dans sa bouche et une brûlure à la langue, qu'il s'était mordue en chutant. Iris lui tendit sa canne, et il prit appui sur cette dernière ; l'elfe produisit un sort informulé pour lui donner l'impulsion nécessaire pour se relever, lui évitant l'embarras de se traîner jusqu'aux pieds de Caesar, la tête bourdonnante de ces mots terribles qu'ils s'échangeaient. "Think of me what you will, hyung. I'll always be a Rosier and my children will be Rosiers that will live on to carry our values and family name. Meanwhile, your weakness will die with you." Ravalant sa bile, Celyn se redressa, les phalanges blanchies sur le pommeau de sa canne, profondément blessé par le mépris de Caesar. L'excès et l'extrême, l'explosion d'un trop-plein d'émotions, d'énergie, de toutes ces choses dont Caesar, plus que Basil, bouillonnait depuis toujours – Celyn n'avait, et n'aurait jamais pu, avant, se dresser contre ces deux tornades.
Mais maintenant, il n'y en avait plus qu'une seule - tout était différent.

"니 자식이 우리 이름을 받는데도 불구하고, 너한테 배울 게 뭔가 있는데? 니가 이기적인 변덕쟁인데다가 음욕에 빤진지 몇 년이나 됐찮아." Celyn releva les yeux vers son frère, ignorant la moiteur de ses tempes, sous l'effort et l'épuisement, la brûlure sur son torse, là où l'avait repoussé Caesar. "그래, 알고 있었지. 바질이 말하기 전에도 다 알고 있었고." Le souvenir de la visite de Basil, relégué dans un coin de son esprit avec le reste de cette vie d'avant, lui revint immédiatement, comme les images d'une Pensine soudainement projetées sur l'écran de sa mémoire, entraînant avec lui l'éruption d'autres sensations, d'autres visages, de moments anesthésiés par son long sommeil. "엄마와 아빠가 너를 얼마나 사랑하셨는데." Sa voix s'érailla légèrement à ces quelques mots, portés par les visages de leurs deux parents disparus, déposant un voile humide sur ses yeux sombres. "너를 그대로 사랑해주셨는데 니가 아무것도 못 봤찮아." Frayer dans l'ombre de son père et de ses bijoux clinquants, de ses robes soulevant les murmures aux soirées de l'élite conservatrice, de ses remarques incisives face à ces avis tranchés, so nineteenth century, avait permis à Celyn d'apprivoiser ses différences sensibles, les doutes soulevés aussitôt chassés par la main bienveillante d'Aloysius. C'était comme si les encouragements de son père n'avaient jamais touchés que lui : Eun-Ji s'était enfermée dans une rigueur extrême, parfait petit soldat de Jae-Hwa, et Caesar et Basil, les deux génies inséparables, deux bijoux précieux admirés de loin par le reste de la fratrie, avaient creusé leur voie seuls, sous le regard distant de deux parents impuissants, mis comme le reste sur le banc de touche de ce lien fusionnel. Jeong-Hui avait, elle, toujours été à part ; Ha-Yun, elle, était morte trop vite.

Sur les traits de Celyn, la colère pure avait laissé place aux symptômes d'une blessure évidente, d'une touche de désespoir face à la force destructrice de son frère. "너를 좀 봐. 이 게 다야? 그런 사람이 되고 싶어?" Il y avait tellement plus, chez Caesar, que ce masque odieux qu'il lui offrait sur l'instant ; ses sourires et son enthousiasme, ce naturel flagrant et cette aisance sociale, autant de qualités extraordinaires qui manquaient tant à Celyn. Ce dernier sentit les affres d'une jalousie ancienne le prendre à la gorge, arrachant à sa gorge toute bienveillance. "멍청하고 교만하면서 다 큰 거라고 생각하는 꼬맹이가. 제발 카에사르, 그렇게 하고 싶으면 결혼하든가 하고, 장난 그만해라."