"Celyn, I don’t make poor investment. Never have, never will. And I sure don’t need any further proofs or certifications to know this one might be a gold mine." "You are mistaking me for another Rosier." L'or avait été la couleur de son père ; brodé dans ses robes élégantes, porté sur ses parures forgées par les plus grands orfèvres, jusque sur sa peau, sur le plumage de Prince lorsque la lumière s'y reflétait. L'or se trouvait dans les mains de Caesar, d'où naissaient des sculptures troublantes, animées d'une puissance flamboyante où se lisait dans les traits torturés de certaines pièces plus personnelles, une tristesse déchirante qui avait saisi Celyn avec violence. L'or coulait dans le portefeuille de Ben, gourou de l'événementiel consacrant chaque venue officielle de la patte de Rosier Events ; s'il y avait bien un Rosier qui ne brillait pas d'un éclat solaire, c'était bien lui. A lead mine is all that you may find, pensa-t-il en considérant, avec un éclat triste, l'engouement démesuré du Santoméen. "Besides, I’ve been left with way too much free time this past couple months, it’s just common sense to reclaim what used to be my all time favorit meetings." L'affreux mensonge entretint, quelques secondes de plus, la lueur dans les pupilles de Celyn ; Ezekiel était l'un des hommes les plus occupés qu'il ait pu connaître, et le trou qu'avait laissé l'Anglais dans son emploi du temps avait dû être rapidement comblé – par une énième réunion, d'autres dîners d'affaire à la teneur différente, toute professionnelle (ou du moins Celyn l'espérait-il, sous les couches épaisses et poisseuses d'un chagrin qu'il se refusait encore à toucher).

Pouvait-il seulement se le permettre ? Les doutes ressurgissaient, face à l'excès de confiance d'Ezekiel. Il se relevait de plus de deux mois d'inertie, peinait à se mouvoir, avec ses muscles affaiblis et un corps imbibé d'une tristesse lourde, une rétention de larmes alourdissant chaque geste, chaque parole, chaque pensée ; déjà Celyn, en dépit de la vague tiède soufflée sur sa peau par les mots du CEO, se sentait fatiguer à suivre, et tenir surtout, une conversation oscillant entre mondanité et wit purement britannique – cette conversation qui faisait partie de lui, avant, pratiquée sans qu'il n'ait à la forcer, demandait désormais un effort pénible pour son esprit éreinté, un effort, se rendait-il compte, trop important pour son énergie dont les niveaux n'avaient jamais été aussi bas. S'il se sentait drainé en quelques minutes de conversation, supporterait-il les visites hebdomadaires de Zabini ? Il avait, pour cette fois, l'excuse des retrouvailles, de l'embarras sévère d'être vu dans un tel état, et de ne savoir sur quel pied danser avec Ezekiel ; et s'il pleurait encore, ensuite, avec ces gros sanglots incontrôlables ? Et si Zeke le touchait de nouveau, provoquant un raz-de-marée intérieur semblable, extrêmement gênant, et qui le laissait immanquablement vidé de ses forces ? Celyn n'avait d'autre choix que de fermer les yeux et de dormir, encore, après les pleurs, en dépit de sa crainte de s'endormir, de replonger dans cet état second – ou sa crainte au contraire, d'avoir à se réveiller de nouveau ; et même l'intensité des pupilles brunes d'Ezekiel, rivées sur lui, même l'énergie éclatante de son sourire, ne pouvaient chasser complètement la torpeur succédant à cette crise de larmes soudaine, cristallisée dans ses yeux et ses lèvres légèrement gonflés, les dernières traces humides effacées d'un ultime passage de la serviette trempée.

Quelque chose néanmoins l'empêchait de se résoudre à prendre congé. Désormais que le contrat tacite était passé, Celyn pouvait risquer d'offusquer Ezekiel en le quittant prématurément – l'accompagner dans sa convalescence incluait de le laisser se reposer lorsqu'il en faisait la demande, et était de fait certainement l'une des requêtes les moins inconvenantes qu'il pourrait lui faire.
Celyn voulait rester, tenir la barre de cet éveil pesant encore quelques minutes, s'accrocher aux cils épais de Zabini, la trace chaude de sa main sur la sienne ; savourer l'établissement de cet accord, le souffle d'un renouveau, aussi illusoire fût-il (pour lui comme pour Ezekiel).

Il se mut difficilement, les pleurs ayant figés ses muscles déjà raides du manque d'exercice ; se pencha de nouveau en avant, détournant son regard de celui de son invité, pour glisser la serviette souillée, pliée adroitement entre ses doigts nerveux, sur la table, et reprendre sa tasse pour se rasseoir au fond de sa chaise. Le réflexe de vouloir croiser les jambes fut coupé net par l'incapacité de ces dernières d'y répondre – dans l'inconfort léger de ne pouvoir s'asseoir comme il le souhaitait, Celyn, tasse et coupelle entre les mains, retrouva le regard brillant d'Ezekiel.

"Please keep in mind that I have warned you first", rappela-t-il simplement, économisant ces mots devenus soudainement dans la fatigue une denrée précieuse, laissant son regard porter le reste de ses paroles muettes. Qu'Ezekiel ne soit pas surpris d'être déçu, au vu du risque presque aveugle qu'il prenait avec lui – en dépit de l'optimisme mesuré des médicomages, qui lui prédisaient un rétablissement encourageant sur le moyen à long terme, Celyn sentait, au fond de lui, grouiller une menace qu'il n'aurait pu expliquer, et encore moins formuler à voix haute. Comme un écho, résonnant faiblement dans sa chair ; il avait refusé jusqu'alors de tendre l'oreille à cet appel intérieur, mû par une crainte inexplicable, découragé par l'effort que lui demandait la manœuvre. Plonger en soi, dans son état, était prendre le risque de ne plus pouvoir remonter à la surface.

Celyn cilla, un instant, repoussant la fatigue en se nourrissant de l'arôme floral du thé remontant jusqu'à lui. "So, are you still available on Fridays?" Et sans quitter des yeux Ezekiel, il trempa de nouveau ses lèvres dans le Darjeeling, se désaltérant de sa saveur entière, terrestre, ré-ancrant Celyn dans ce présent où il ne trouvait plus sa place.

"You are mistaking me for another Rosier." L’intérêt démesuré porté par Ezekiel à l’entreprise d’événementiel est loin d’être un secret, s’il n’est même de notoriété publique dans le milieu des affaires britanniques - il est, en tous cas, un sujet de conversation récurrent entre Zabini et les figures dirigeantes de Rosier Events, devenant presque une plaisanterie bonne enfant régulièrement évoquée avec Benjamin. Malgré le ton vaguement railleur qu’il peut employer lorsqu’il remet subtilement sur la table son intention de raffermir son emprise sur la société partenaire, Zeke ne saurait être plus sérieux. Rosier Events, et la famille à sa tête, sont, Celyn n’a pas totalement tort, autant de mines d’or qui auraient belle allure sur la liste de ses nombreuses acquisitions. Les Rosiers n’ont pas originellement attiré son attention par hasard. Indépendamment de leur influence étendue au gouvernement anglais, ils font surtout preuve - ou plutôt, faisaient, pour la plupart, tragiquement - d’une adresse d’esprit rare, et d’un sens des affaires forçant le respect. Tous, à leur manière, brillaient en effet d’un éclat certain, dans lequel Ezekiel se reconnaît assurément.
Celyn, tout comme nombre de personnes, sous-estime son propre éclat. Indéniablement, Zeke a su apercevoir seulement les trésors cachés derrière le regard poli, néanmoins expressif, de Rosier. L’expérience lui a enseigné que les lueurs les plus discrètes peuvent se révéler aveuglantes une fois tirée hors de l’ombre dans laquelle elles sont bien souvent baignées. Et depuis qu’il s’est retrouvé ébloui par le scintillement finement réservé de Celyn, le CEO de la BCBC est incapable de détourner le regard. Ainsi, il ne le confond certainement pas avec un autre Rosier, comme peut l’avancer son interlocuteur. Il ne pourrait s’y tromper ; cet or, qu’il a uniquement eu l’opportunité d'effleurer au cours de leurs dîners réguliers, ne ressemble, de près ou de loin, à aucun autre. Ne pas saisir l’occasion d’explorer pleinement le gisement dissimulé derrière les traits tirés de Celyn laisserait sans le moindre doute une lourde amertume dans son torse.

"Please keep in mind that I have warned you first." Immanquablement, le rescapé prend le temps de recentrer son attention sur cette condition insaisissable, à la teneur évasive, le coeur même de cette nécessité à passer un accord presque tacite. La précaution sans faille de Celyn étire les lèvres d’Ezekiel en un sourire assuré, porteur de cette détermination nouvelle, qu’il embrasse désormais sans chanceler. Il est conscient que cette clause offre à Celyn une forme d'ascendant dans l’échange formulé à demi-mot ; il est le seul à détenir le secret de ce qu’elle implique réellement, s’il a lui-même la moindre idée de l’objet de cet avertissement. Un investissement sans risque ne serait, de toute façon, pas intéressant aux yeux de celui qui accepte sans l’ombre d’une réticence d’apposer sa signature aux côtés de celle de Celyn. "I’ll make sure to remember it. Although you’re already aware I’m not one to break my commitments." A son tour, Ezekiel rappelle son engagement ; un engagement, en apparence à sens unique, en réalité à la saveur particulièrement équitable, à en juger par l’étonnante chaleur dans sa cage thoracique. Rarement a-t-il été aussi certain de prendre la bonne décision, en laissant son regard détailler le visage encore rougi du Rosier.

L’homme d’affaires se penche, guidant ses mains jusqu’à la tasse encore fumante, qu’il ramène doucement vers lui, avant de croiser à nouveau les jambes dans une attitude plus décontractée, marquant, semble-t-il, la fin des négociations. Ses yeux remontent vers ceux de Celyn, lui offrant l’esquisse d’un sourire confiant, où se dessine l’assurance de parvenir à le déterrer des maux visibles sur ses traits, si ce n’est même palpables, semblant former une brume épaisse autour de lui - et ce ténébreux brouillard ne parvient malgré tout à étouffer la lumière, toujours perceptible, qui guide Ezekiel. "So, are you still available on Fridays?" L’illusion qu’ils puissent retrouver pleinement ce qu’ils ont été contraints de laisser en cours de route n’est plus. Zeke le sait, désormais. Ils ont tout à reconstruire, en se réappropriant les fondations endommagées d’une relation déjà, à l’époque, incertaine. Alors, entendre Celyn caresser la première pierre, bâtir en ne quittant pas son regard les prémices de ce qui leur échappe encore, fait courir un peu plus la chaleur réconfortante dans ses veines. "Without a doubt, yes. I even happen to pay an assistant just to ensure I have slots in my agenda for such important meetings. Isn’t it convenient?" Portant à son tour la tasse à ses lèvres, il adresse un sourire entendu à Celyn, étreignant d’un regard ce qui l’attend probablement ; la détresse, les larmes, la convalescence, les pupilles presque éteintes, le deuil.

Autant de futilités. Il n’y a, à ses yeux, plus que l’or, encore tiède dans sa paume. "Fridays it is, then."