Elle était de nouveau à Gracefield. Remettre les pieds dans ce secteur était loin de la réjouir, franchement elle s’en serait bien passée, mais elle avait promis à Kingsley qu’elle le ferait. Bon, il ne lui avait pas vraiment laissé le choix, en faisant en sorte de la retrouver sans qu’elle ne l’ait souhaité dans un salon de thé, quelques mois de cela. Il avait fallu qu’elle prenne le temps de vérifier que les Battues existaient encore, malgré le chaos d’Hallowe’en. Ça ne l’étonnait guère, d’ailleurs, que ça continue, cette horreur : les événements de Potter’s End avaient dû sans doute ragaillardir certains sangs-purs partisans du régime à aller blesser, estropier et laisser pour morts des impurs qui n’avaient rien demandé.
Rien que cette pensée suffisait à lui faire monter une sorte de nausée. Ou peut-être était-ce le contrecoup du voyage jusqu’ici.

Qu’importe, il fallait qu’elle se ressaisisse : d’abord pour ne rien laisser paraître, et ensuite parce qu’elle devait se concentrer pour trouver une loge vide, attribuée à des visiteurs non-permanents, qui venaient de façon ponctuelle pour se remplir les yeux de paillettes sanglantes.
Non, définitivement, elle n’était pas dans un bon état d’esprit pour se balader là. Il fallait qu’elle se concentre, vraiment, et que Merlin soit avec elle pour qu’elle évite de croiser un Legilimens un poil trop fouineur. Tout allait bien, elle était très contente d’être là et elle avait hâte que tout ceci commence (oh que oui, plus vite ça commençait, plus vite ce serait fini).

Et puisque tout allait bien dans le meilleur des mondes et que Myrthild se réjouissait d’être sur cette île, elle ne pouvait pas se figer en voyant la stature familière de son frangin à quelques mètres d’elle. Non, non, elle ne pouvait même pas faire semblant de ne pas l’avoir vu, et elle devait continuer d’avancer en conservant cette image qu’elle renvoyait d’être comme un poisson dans l’eau dans ce lieu. Merlin l’emporte ! C’est que depuis la dernière entrevue tendue dans le bureau de Marlon, et surtout le glorieux repas de famille qu’elle s'était juré de ne plus jamais tenir, elle avait fait en sorte de ne pas avoir besoin d’aller le voir. Certes, les mois étaient passés, mais pas suffisamment pour déloger le désagréable sentiment de honte à l’égard de son frère.
Elle avait vu juste, il avait clairement décidé de ferrer sa proie et il allait falloir jouer le jeu, alors que ni l’un, ni l’autre n’était dupe ni heureux de se retrouver -quoique. Le gros problème, c’est qu’elle allait avoir beaucoup plus de mal à faire ce qu’elle devait pour King avec un Membre de l’Elite des Mangemorts à ses côtés. Ou bien cela serait-il la meilleure des couvertures ? Ne nous avançons pas trop, déjà il fallait qu’il ne mette pas fin à ses jours dès lors qu’elle serait dans sa loge. « J’espère que la surprise de me voir n’est pas mauvaise., raille-t-elle tout en pénétrant dans l’antre du loup. Ayant repéré une caisse de vin, elle commence à se dire que ce ne sera peut-être pas si terrible. Elle ne relève pas la remarque mesquine sur le tout bien tout honneur. Elle le connaît suffisamment pour savoir que c’est peine perdue de lui faire entendre raison, il la considère vraisemblablement comme une débauchée aux idées malsaines depuis cet... incident.

Croisant les bras après avoir replacé une boucle sombre derrière son oreille droite, dos au mur, Myrthild dévisage son frère et se surprend à songer que l’âge commence à le faire de plus en plus ressembler à leur paternel. Lorsqu’il mentionne Ford, lançant avec peu de subtilité les hostilités, la voilà qui roule les yeux au ciel, apparemment déjà exaspérée par les piques de Marlon : « Je n’ai rien à faire avec Ford, arrête avec ça. » Par Merlin, des bruits de couloir circuleraient-ils dans le Ministère pour que Marlon revienne là-dessus ? Il faudra s’assurer du contraire. Ses bras se décroisent, elle est consciente qu’il faut qu’elle ait l’air moins crispée qu’elle ne l’est actuellement. Glissant les mains dans les poches de son pantalon gris, Myrthild hausse les épaules et, le regard qui détaille la décoration sommaire de la loge, les billes s’accrochant un instant sur les boules de cristal posée sur un guéridon, elle souffle un demi-aveu : « Sans vouloir être désagréable, je ne te cacherai pas que je ne voulais voir personne aujourd’hui... J’espérais pouvoir me changer les idées. Tu peux comprendre ça, j’imagine..., ajoute-t-elle en relevant le visage vers son frère. « D’ailleurs, t’es sûr que tu veux que je sois là ? » Elle se barrerait bien, là. Elle sait parfaitement ce qu’elle voudrait faire, quitter cette loge. Sauf qu’elle préfère faire la gênée, celle qui ne sait toujours pas sur quel pied danser avec Marlon. Et de demander, sincèrement quand même, sans vraiment préciser à quoi elle pourrait faire allusion : « Comment tu vas, au fait ? Toi aussi, t’es là pour te changer les idées ? Je me serais attendue à te voir sur le terrain, tu sais... »

C’est vraiment le pire qui pourrait arriver, se dit-elle en ayant l’air tout à fait détaché pour autant. Ainsi, elle prend place dans le fauteuil désigné par Marlon, croise les jambes en repliant la droite sur la gauche, se met apparemment à l’aise. L’intérêt de pareille posture n’est pas négligeable : ce ne sera pas bien dur d’attraper sa baguette si le besoin s’en fait soudainement sentir. Mais pour l’heure, il faut qu’elle joue un rôle, un rôle qu’elle connaît bien, un qu’elle joue depuis bien longtemps, un qu’elle a cru pendant un temps être vraiment celle qu’elle était. Sauf qu’il a bien fallu se rendre à l’évidence et même si elle voudrait être ce que sa famille a besoin qu’elle soit -une sang-pure convaincue de la suprématie justifiée des purs sur les mêlés, une épouse et une mère dévouée à la cause et à sa famille, une réelle partisane du Seigneur des Ténèbres- c’est une façade plus qu’une réalité. Ce qui pose tout de suite plusieurs problèmes et qui explique les visions cauchemardesques qu’elle a dû expliquer à Farrow la seule fois où ils ont abordé ce sujet. Aussi elle boit en miroir de Marlon, une gorgée, petite, histoire de rester pleinement consciente de ce qu’elle fait. S’oublier dans l’alcool pourrait être une gageure en présence de son frère, mieux vaut ne pas tenter Grindelwald. D’ailleurs, elle préfèrerait qu’il continue encore longtemps d’ignorer des choses sur elle, pour leur tranquillité d’esprit à tous deux.

Et bien entendu, d’acquiescer en silence avec un rictus au coin des lèvres lorsque Marlon souligne qu’il est tous les jours sur le terrain. Evidemment, elle en avait presque oublié son métier de terrain, à le trouver régulièrement dans son bureau du Ministère. Tout ce qu’il fallait, vraiment. Il fallait qu’elle se concentre, par Merlin. Loin de se douter que Voldemort manquait à l’appel, après tout, Bertram ne lui racontait pas tous les problèmes au sein de leur organisation de mages noirs, ce qui était normal puisqu’elle n’était pas marquée.
En même temps, vu ce qu’elle faisait actuellement, il aurait été sans doute périlleux de rentrer dans leurs rangs en ayant renseigné et en continuant de renseigner une figure notoire de l’Ordre du Phénix.

Concentre-toi, se morigéna-t-elle en reprenant ses esprits alors que Marlon proposait des solutions hasardeuses quant à la raison qui pouvait la pousser à se changer les idées. Et de largueur une bombe, puis une deuxième. Elle en lâcha presque son verre, tiens, tandis qu’elle le dévisageait soudainement avec des yeux écarquillés. Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vu, autrement que de loin, une silhouette s’éloignant vers les ascenseurs ou s’enfermant dans son bureau ? Elle l’avait évité depuis Hallowe’en et elle se rendait compte que la vie ne s’était pas arrêtée pour autant, pas plus que la mort.
il aurait pu être une nouvelle fois père. Et il avait tout perdu.
Ça lui revenait maintenant, cette annonce qui était survenue en plein chaos.

Comme elle comprenait les traits fermés qu’il arborait et comme elle se doutait bien qu’il n’avait aucune envie de lire la pitié dans le regard de sa sœur, à reporter son attention sur les prisonniers qui feraient l’animation pour ces Battues. Il n’avait pas l’air de vouloir en parler, comme on aurait pu le parier. Depuis combien de temps cela s’était-il fini ? Elle s’en voulait de ne pas avoir été là pour lui, et pourtant elle savait pertinemment que ce n’était pas non plus le bon moment pour se détourner de ce qu’elle était venue faire ici. Et pourtant la compassion, qui existait malgré toutes les horreurs qu’ils s’étaient envoyés à la face depuis tant de temps, ce sentiment étrange qui persistait chez Myrthild à l’égard de son frère, la poussa à tendre la main vers l’une de celles de Marlon, qui regardait toujours les occupants de Gracefield. Lorsqu’il reprit la parole, elle aurait pu l’effleurer, mais retira sa dextre aussitôt : « Tu es venue uniquement pour regarder ou tu vas aussi miser ? Je crois qu’aujourd’hui, je suis d’humeur à sponsoriser Lupa. »

Si elle disait le nom de celui qu’elle était venue guetter, la discrétion serait au point zéro. Lupa Gonzalez lui rappelait quelque chose, mais elle mit quelques temps à reconnaître l’ancienne employée du Ministère. Se penchant en avantr, coudes posés sur les cuisses, Myrthild scrutait les différents visages avant de repérer celui dont elle était venue confirmer la survie. Rassérénée, elle s’enfonça de nouveau dans son fauteuil, prenant une gorgée de son verre, avant de commenter à l’adresse de Marlon : « Dis-moi, cette Lupa, elle est vraiment habillée comme ça à chaque Battue ? » Non, parce que c’était quand même sacrément suggestif, songeait Myrthild sans se douter qu’elle avait le principal responsable de cet accoutrement à ses côtés. « Quant à parier, je n’ai pas spécialement envie de miser de l’argent sur ces têtes. Surtout que depuis la dernière fois que je suis venue, ce qui remonte à un certain temps, je n’ai aucune idée de qui est le plus susceptible de rester en vie. Tu les connais tous de nom, toi ? » Noyer le poisson, technique imparable. Ils reviendraient sur les sujets douloureux plus tard, peut-être, une fois les langues déliées par l’alcool et le poids sur l’âme atténué. Pour l’heure, il fallait éteindre tout soupçon possible et jouer l’intéressée, la curieuse, l’assoiffée de sang : « Oh...quoique... après tout, j’ai bien un ou deux Galions à perdre sans que ça ne soit trop problématique… Tu me conseillerais de miser sur qui : cette Lupa, aussi ? »

On se battait avec les armes dont on disposait, mais ces armes n’étaient pas forcément adaptées à la lutte qu’elle devait mener sans en avoir l’air. Marlon était un homme affûté, qui savait que sa sœur pouvait parfois lui mentir, et il avait décidé de tirer au clair les raisons de sa présence ici. Myrthild allait probablement avoir du mal à le détourner de ses marottes, mais elle ferait de son mieux pour maintenir les apparences d’innocence le plus longtemps possible. Qui sait ce qu’il déciderait de faire s’il apprenait que sa sœur renseignait l’ennemi ? Elle préférait continuer de l’ignorer. Coup d’œil à Marlon lorsqu’il affirme que la tenue bien frivole et bien peu adaptée au chaos des Battues a joué pour beaucoup dans la survie de cette Lupa : elle n’aimait que très peu ce qu’il sous-entendait, mais les hommes restaient sensibles à la chair dénudée, et puisqu’ils étaient nombreux à assister à ces Battues, on ne devait pas trop s’étonner de pareille situation. Portant le verre à ses lèvres, elle en prend une petite gorgée qu’elle déguste, les yeux de nouveau rivés sur ce qui se joue à l’extérieur, dans ce champ de bataille qui ne va pas tarder à foisonner de sang et de cris. Ils échangent des banalités, elle ne perd pas de temps à rebondir sur l’allusion à une précédente visite, parce que cela commence à remonter à vrai dire. Deux ou trois ans déjà, sans doute, depuis la dernière fois où elle a mis les pieds ici. Elle a beau faire mine d’être insensible, elle reste tout de même écœurée par ces pratiques barbares. Sans doute songe-t-elle parfois qu’elle pourrait bien y finir si le sort se retournait contre elle. Un hochement de tête approbateur lorsqu’il vante encore les mérites de Gonzalez, et elle sent le vent tourner lorsqu’il tente une nouvelle approche.

« Tu ne sembles pas avoir gardé de séquelles de la soirée d’Halloween. C’est une bonne chose. Comment es-tu parvenue à te sortir de ce pétrin ? - Farrow., qu’elle lâche avant de reprendre une gorgée de vin, comme si le nom de son ancien partenaire de travail était une explication suffisante. Il m’en devait une, il a profité de l’occasion pour solder les comptes. » Comme si ça n’était qu’une histoire de coup de main et d’aide ponctuelle. Son amitié avec Lance dépassait largement ces histoires de comptes, mais elle ne souhaitait pas spécialement que Marlon foute le nez dans ces affaires. « Il a lancé son patronus au moment où le mien faiblissait, et m’a permis de fuir à temps… » Façon pudique de parler de la disparition de ce patronus dont elle n’était pas vraiment sûre au départ qu’elle parviendrait à le faire jaillir de sa baguette. Elle ne parla pas non plus du fait qu’il l’avait carrément empoignée par le bras pour la faire sortir de cette horrible transe dans laquelle elle avait sombré. Quelques secondes s’écoulent, pendant lesquelles Marlon voit le moment propice pour lui signaler que Louis, le vrai, était sur place. « … Je n’aurais pas dû te laisser seule, cela aurait pu mal tourner. », affirme-t-il enfin, sorte de mea culpa bien maigre vis-à-vis de ce qu’il s’est passé et de la façon dont elle a vécu l’abandon et la mention de son enfant décédé. À l’aveu, elle a écarquillé les yeux, surprise d’apprendre pareil problème qui aurait pu leur exploser à la face si la soirée s’était déroulée sans encombre. Néanmoins, outre ce défaut de renseignement et cet abandon, elle a une chose à lui reprocher, et elle ne parvient pas à se retenir de l’exprimer. « T’aurais surtout pu éviter de parler de Pollux. », dit-elle sévèrement, en le regardant droit dans les yeux, le visage fermé. Elle ne précise pas plus les choses, considérant que de trop nombreux mois s’étaient écoulés pour qu’elle lui fourre le nez dans la bouse de troll, même si l’envie était forte. « Du reste, je suis assez grande pour faire face à Louis… Et puis j’avais de toute façon repris mon apparence normale dans le tumulte. » Se faire renvoyer dans la face la mention de Pollux avait été la porte d’entrée des détraqueurs dans les humeurs de la brune, qui avait presque aussitôt perdu le contrôle précis de son don et avait repris l’apparence classique qu’elle arborait, c’est-à-dire techniquement ses véritables traits. Elle hausse les épaules, esquisse un sourire en coin faux comme jamais, et reporte ses billes vers le spectacle : « Mais non, je n’ai pas croisé notre cher frère à cette soirée. D’ailleurs, rassure-moi : les Battues ne sont pas trop son truc, hm ? » Elle se serait presque attendue à ce que Louis n’entre brutalement dans leur loge sur ces mots, mais il n’en fut rien. À la place, des clameurs commençaient à se faire entendre : la chasse était lancée.

Et plutôt que de s’intéresser à la masse de condamnés qui couraient, elle reporta ses prunelles sur son frère, un instant détournée de la tâche qu’elle était venue accomplir (de toute façon, elle aurait le temps de repérer un type avec un seul bras, ça ne devait pas courir les rues), pour se concentrer sur cet aveu qu’il avait esquissé sans plus le développer : « Que s’est-il passé, avec Abbott ? » Et d’employer le nom de famille de la Langue-de-Plomb, l’air de signaler à Marlon qu’elle serait forcément de son côté. Parce qu’elle l’était un peu, quand même, c’était son frangin après tout…

Cigarette sorcière au bec, elle ne tire pour autant pas dessus tout de suite, laissant l’extrémité du tube de tabac magique se consumer lentement. Elle roule d’abord les yeux au ciel lorsque Marlon évoque un possible béguin de Lance à son égard, alors qu’il s’agit sans doute de l’amitié la moins ambigüe qu’elle ait jamais connue, Merlin merci. Myrthild lui en voulait quand même toujours pour avoir mentionné Pollux et elle le regardait avec un mélange de sérieux et de sévérité jusqu’à ce qu’il reconnaisse ses torts dans cette histoire -une première, peut-être. Décidément, ils avaient grandi depuis leurs jeunes années à s’asticoter sans cesse : à croire qu’ils étaient désormais adultes et prenaient la mesure de leurs erreurs éventuelles. Les explications de Marlon suffirent à Myrthild, qui hocha la tête lorsqu’il mentionna Azkaban sans la nommer, et elle ne chercha pas plus loin, comprenant qu’il y avait des traumatismes tacites qui justifiaient pareille fuite. Haussant les épaules, une exclamation brève s’échappa d’entre ses lèvres, comme pour signifier qu’elle ne lui en tiendrait donc plus rigueur. De toute façon, elle avait passé deux ou trois mois à lui tirer la gueule, ça suffirait.

Glissant dans un coin de sa caboche de s’intéresser de plus près mais plus tard, à cette histoire d’ex-fiancé d’Aquila -ça serait l’occasion de déjeuner avec sa nièce métamorphomage, tiens, toujours sympathique comme plan- elle aspira une taffe de tabac avant de la souffler lentement, sous la forme enchantée d’un centaure à qui il manquait le torse cela dit -mal soufflé, donc. Et, croyant le moment venu, après un bref coup d’œil à la chasse qui débutait, elle se tourna vers son frère et chercha à savoir ce qu’il s’était passé avec Freya. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, et elle sentait qu’il était de son devoir d’en savoir plus sur cette affaire, ne serait-ce que pour pouvoir épauler Marlon suffisamment. Car, s’il était un dangereux mage noir, pétri d’idéaux auxquels la brune n’adhérait plus vraiment, il restait son frère, et le sentir touché par quelque trait extérieur à leur guéguerre fraternelle ne lui disait rien qui vaille.

Ses sourcils se froncent lorsqu’il dépeint la scène tragique qu’elle n’aurait jamais imaginée d’elle-même. Une fausse couche n’est jamais une chose agréable, à la fois pour la mère ou pour le père. Un « Marlon… », empreint de compassion, quitte ses lèvres, mais meurt lentement entre eux tandis que le visage de son frère trahissait la peine qui l’accablait. Il n’avait sans doute pas envie de sa pitié, et elle se doutait qu’il lui en coûtait de se confier ainsi, mais il fallait bien qu’il vide son sac à un moment, et -pour une fois- Myrthild n’était pas là pour le juger. Elle allait ajouter quelque chose, mais il poursuivit ses explications, et la scène tragique devint un drame qui avait eu raison de leur couple. Un soupir s’échappa de ses narines, tandis que les lèvres pincées, elle contemplait son frère qu’elle croyait pourtant inébranlable, lui qui avait résisté à Azkaban, lui qui siégeait désormais sur une assise plutôt confortable, mangemort reconnu, chef de la brigade de police magique, le visage de la réussite dans ce monde que le Seigneur des Ténèbres avait façonné à son image.

Et pourtant… Le colosse avait des pieds d’argile, il semblait.
« Je suis désolée pour toi, frérot. », souffle-t-elle doucement, avec sincérité. Elle n’a pas vraiment de remède à lui donner. Elle n’est pas certaine que Marlon a envie d’entendre des paroles proverbiales inutiles que Louis serait bien du style à lui sortir s’il l’apprenait -le sait-il déjà ? la communication entre eux laisse vraiment à désirer, parfois. Reportant la cigarette à ses lèvres, elle aspire une bouffée avant de proposer, plutôt espiègle : « J’imagine que notre mère n’en sait encore rien… » sans cela, elle aurait sans doute reçu une beuglante de la part de leur génitrice pour tâcher d’en savoir plus sur cette histoire. « Sois sans crainte, je n’ai aucune intention de le lui apprendre. Ce sont tes oignons, après tout… Mais merci de m’avoir expliqué. J’aimerais pouvoir t’aider, mais j’imagine qu’il n’y a rien d’autre à faire… ? », hasarde-t-elle, espérant qu’il ne va pas lui rappeler ce moment gênant où elle avait eu l’idée saugrenue de prendre l’apparence de Freya pour comprendre ce qui l’unissait à Marlon. Un frisson gêné parcourt son échine et elle se concentre sur autre chose : « Parlant de tes enfants… Je ne crois pas t’avoir déjà demandé ce que tu en avais fait. Mais tu n’as peut-être pas envie de ressasser ça : on peut se concentrer sur les Battues, j’ai l’impression que le sang y coule déjà… »

Elle encaisse, lorsqu’il lui avoue qu’elle est la seule de la famille à savoir que l’idylle entre Marlon et Freya a pris fin. Elle hoche la tête, souffle une bouffée de tabac, lui précise quand même l’évident, à savoir qu’elle ne racontera rien à Adèle. Mais lorsqu’elle lui propose, contre toute attente, du soutien, de l’aide, le voilà qui rit doucement, et ce qu’il exprime la fait rire également, jusqu’à ce que le rire s’étouffe et qu’elle s’étrangle dans son verre de vin alors qu’il renvoyait à cette entrevue qu’elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour oublier. Elle tousse un coup, pour faire sortir le chat dans sa gorge, reprend une gorgée de vin et une taffe de cigarette, décide de ne pas relever, comme s’il n’avait rien dit, et enchaîne sur les jumeaux issus de son union avec une sang-mêlée. La cigarette arrive à sa fin et elle tapote pour faire tomber les cendres dans le cendrier, pour en profiter jusqu’à la fin.

« Intéressant… », commente-t-elle lorsqu’il lui affirme que ses rejetons s’en sont sortis indemnes. Elle ne s’y attendait pas mais elle est -agréablement- surprise de l’action de Marlon. La cigarette meurt entre ses doigts dans une ultime bouffée lorsqu’il aborde son propre secret et ce n’est qu’après un long soupir qui fait se former plusieurs petits centaures bleutés dans les volutes, qu’elle répond : « Il ne sait pas. Tant qu’il ne l’a pas découvert, je continuerai de les couvrir. C’est peut-être idiot, peut-être que je devrais le lui dire avant qu’il ne l’apprenne par je ne sais quelle manière, mais… Je crois que j’ai suffisamment imaginé la lueur de dépit dans ses yeux pour ne pas avoir envie de la voir réellement. » Évidemment qu’elle ne s’imagine pas que Marlon voulait tenter de débusquer un autre de ses secrets : elle a compris l’évidence, ce secret qu’il mentionne trop souvent pour ne pas que ça devienne presque une plaisanterie propre à eux deux. Néanmoins, avec le contexte, elle se tend quelque peu, songeant à ses autres mensonges qu’il vaudrait mieux qu’il ne déterre jamais.

Pourtant, la voilà qui doute, un instant bien court certes, quant aux craintes qui peuplent parfois ses nuits les plus mouvementées, quant à la réaction que pourrait avoir Marlon s’il venait à apprendre qu’elle renseignait le camp opposé -à l’instant même, d’ailleurs. Car le voilà qui lui tend cette main qu’elle a tant de fois essayé de saisir pendant leur adolescence, lorsque Louis l’avait tellement déçue, à en préférer une autre. « Si tu as besoin de quoi que ce soit que seul un membre de l’Elite ou le chef de la brigade de police peut te fournir, fais-le moi savoir. Je suppose qu’il n’est jamais trop tard pour jouer les grands-frères. » Elle écrase sa cigarette dans le cendrier calmement, avant de darder ses prunelles vertes sur son frangin, et d’affirmer, l’air soudainement plus grave qu’avant, la main glissant vers sa baguette : « Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de Marlon Travers ? » Et de le fixer quelques secondes, peut-être dix longues secondes, avant de soupirer longuement et de reprendre une cigarette dans le paquet toujours accessible, et d’esquisser un sourire en coin en coulant un regard complice à Marlon : « Ouais, franchement, je ne saurais dire ce qui nous est arrivé ces derniers mois… À croire qu’on a fini par se comprendre, à force… » Il y a quelque chose en elle qui lui semble sonner faux, tandis qu’elle lui ment encore à l’instant, qu’elle se refuse de lui dire ce qu’elle fout ici -mais ce serait signer son arrêt de mort, elle en reste persuadée. Une bouffée de tabac encore, tandis qu’elle passe une main dans ses cheveux aile de corbeau, et lâche, en reportant son regard sur l’extérieur, sur ces Battues qui font rage dehors, et auxquelles il faudrait quand même qu’elle s’intéresse à un moment. La mine un brin plus sombre, elle souffle, plus bas, mais suffisamment audible pour ce grand frère qu’elle avait recherché tant d’années : « Je te préviens : je n’exclus pas de me réfugier chez toi, le jour où il l’apprendra… » Et dans sa voix, un infime tremblement, sincère. Elle précise, quand même : « Pas que j’aie peur de lui, hein… Un peu quand même, peut-être, mais elle se refuse à le reconnaître. Plus pour… prendre un peu l’air, tu vois… » Et de revenir vers son frère, clope au bec, les mains glissées dans les poches : « Ouais, je sais pas trop ce qu’il s’est passé entre nous mais… Mais j’crois que je suis heureuse qu’on ait trouvé le moyen de… Enfin bon, tu vois, quoi. » Exprimer son affection à l’égard de son frère ? Ils n’ont plus dix ans, elle n’a plus l’âge, quand même. Si ? Qu’importe, ils n’ont jamais été très effusion dans la famille. Elle le regarde, les mots morts sur ses lèvres, et presque gênée d’en être rendue à ça, elle s’éclaircit la voix et reprend : « Bon, et ces Battues alors ? » Comme pour étouffer dans l'œuf ce sentiment étrange et imprécis de culpabilité qui vient de poindre.
Comme si elle avait besoin de ça, en plus.