Elisabeth s’éloigne toujours de Londres, quand elle veut faire des choses qui ne sont pas du goût du gouvernement. C’est probablement une précaution inutile : le gouvernement est partout, quand bien même on a l’impression qu’il se concentre dans la capitale anglaise. Alors qu’elle soit à Manchester ou à Londres, ça ne fait sûrement aucune différence. Mais… Elle ne sait pas pourquoi, elle se sent plus à l’aise en s’éloignant de la ville dans laquelle elle vit. Peut-être que c’est simplement s’éloigner de chez elle, de son boulot et.. de son mari, qui lui fait du bien.
Ce soir, c’est à Liverpool qu’elle a décidé d’aller, et ce n’est pas par hasard. Il y a deux semaines, elle est déjà venue dans ce bar gay en plein quartier moldu, et y a croisé la plus délicieuse des créatures. Elles ont passé la nuit ensemble, dans un hôtel à quelques pas de la boîte, et c’était une sacrée nuit. Elisabeth n’est pas vraiment du genre à coucher deux fois avec la même personne, à part quand il s’agit de Lillian, avec qui elle a une relation plutôt régulière. Mais cette nana rencontrée l’autre soir… Elle l’a marquée, alors Lizzie a envie d’en savoir plus. Elle a envie de percer son mystère, de comprendre qui elle est. Seulement après ça l’envie de la retrouver disparaîtra, elle en est sûre. Rien ne dit qu’elle sera là ce soir, mais Elisabeth veut tenter sa chance. Et si elle n’est pas là… Il y aura bien quelqu’un d’autre.
Et puis… Ils passent de la bonne musique ici.

Elle a laissé derrière elle ses vêtements sorciers, les a remplacés par une robe moldue suffisamment élégante, mais suffisamment sexy aussi - le juste milieu. Elle ne l’avouerait jamais, à qui que ce soit, mais Elisabeth n’est pas complètement hermétique à la mode moldue. Parfois, quand elle fait du shopping dans le monde moldu pour ses… petites soirées, elle a très envie d’acheter toutes sortes de vêtements de marques de haute-couture moldues. Mais jamais elle ne répondra à ce désir-là. Elle a déjà suffisamment de vices, il ne faudrait pas en ajouter à la liste. Elle ne peut décidément pas se pointer chez les sorciers avec des vêtements moldus, en plus de ça. Ce serait un scandale.

La musique est si forte qu’elle a l’impression de ressentir le rythme des basses jusque dans ses tempes. Pas de trace de sa cible pour l’instant, mais Elisabeth ne désespère pas. En attendant, elle danse avec une petite rousse aux yeux noirs, qui est tout à fait son genre (tout le monde est son genre). « Je vais nous chercher à boire. » murmure-t-elle à l’oreille de la fille alors que la musique change. Le sourire aux lèvres, elle se dirige vers le bar, bougeant la tête au rythme de la musique, tournant sur elle-même sur le chemin. On dirait qu’elle a de nouveau vingt ans, Lizzie, quand elle est là. Pas de limites, pas de responsabilités. Elle aimerait pouvoir vivre dans cette bulle tous les jours. « Oh sorry. » À cause d’une légère bousculade, elle a malencontreusement enfoncé son talon dans le pied de quelqu’un. Elle relève les yeux pour offrir un regard navré à l’homme à qui elle vient sûrement de faire très mal. « On m'a pouss--- » Elle s’arrête immédiatement quand les traits devant ses yeux s’avèrent être familiers. Elle cligne des yeux, pas sûre de ce qu’elle voit. Est-ce qu’elle a bu à ce point ? Non… Elle a juste pris deux verres. Lizzie écarquille les yeux, choquée et paniquée à la fois. « Alas- » Elle se coupe de nouveau avant d’avoir prononcé son nom en entier, juste au cas où. « Je… rêve où? » Cette fois, elle plisse les yeux. Oui, c’est bien lui. Elle ne peut pas se tromper. « Je ne suis pas là. » dit-elle soudain, avant de réfléchir deux secondes et de se rendre compte… qu’elle n’est pas la seule à ne pas devoir être là. « Eh mais… Qu’est-ce que toi, tu fais là ? » Elle a bien une réponse mais… Elle lui paraît complètement improbable.

Lorsqu’il jouissait encore d’une liberté relative, Alastar ne se gênait pas pour trouver des conquêtes parmi les fans qu’il rencontrait. Ces affaires étaient toujours excessivement discrètes mais même cela est devenu bien trop dangereux pour en valoir la peine. Il s’est finalement tourné vers les moldus, avec qui il a bien moins en commun mais qui sont d’une compagnie plus qu’agréable pour des histoires sans lendemain. Il avait pour habitude de trouver des partenaires dans les pubs de Dublin ou Galway qu’il affectionnait particulièrement mais la frontière avait mis un terme à cela. La frontière, quelle honte, heureusement que les moldus n’avaient jamais entendu parler de son existence ou une autre guerre aurait éclaté. Toujours est-il que les années passant et la pression grandissant, surtout depuis la pénalisation officielle, le joueur de Quidditch avait dû se faire de plus en plus invisible. Il lui avait même fallu abandonner les bars de Belfast où il avait plus de chances d’être détecté. Jusqu’à-ce qu’il en arrive ici ce soir.
Liverpool.
Il n’aime pas Liverpool. Certes, il y a pire comme ville, York par exemple, mais il n’en reste pas moins qu’il ne considère par la bourgade comme incontournable. La seule gloire de la cité c’est d’avoir été la maison des Beatles, exploit qui a bien moins de cachet dans le monde sorcier – mais tout de même un peu, personne n’est imperméable aux Beatles, même la communauté magique. En plus les hommes y sont moins beaux qu’en Irlande, du moins c’est son avis.

Ce soir le Fawley s’est paré de jeans et d’une chemise, tenue qu’il n’oserait jamais porter où que ce soit d’autre et surtout pas là où on pourrait le prendre en photo. Si le pantalon est une mode qui peut être très confortable et parfois plus élégante que les robes de sorciers, il ne faut pas non plus pousser Merlin dans le ravin, un jean c’est juste aller trop loin. Certes, ça peut avoir un côté sexy pour l’air débraillé que ça donne mais débraillé ce n’est pas le style d’Alastar. Sauf aujourd’hui, comme ça si les paparazzis le croisent par malheur il pourra tout démentir ‘c’est pas moi je porterais jamais ça’. Il a dansé avec deux blonds et un brun, mais c’est finalement un rouquin qui a attiré son attention dans la foule, la force de l’habitude peut-être. Ils ont dansé, il lui a offert un verre et puis ils sont retournés sur la piste. Quelques baisers ont été échangés mais le nord-irlandais n’est pas encore prêt à aller ailleurs, profitant de la chaleur du lieu, de la mouvance des corps, du volume de la musique. Légèrement ivre, il est heureux sans aucune retenue. Rien ne semble pouvoir assombrir son humeur, pas même le talon qui s’enfonce dans son pied, lui arrachant une grimace de douleur. « Oh sorry. On m'a pouss--- » Le visage de l’inconnue qui vient de lui rentrer dedans se lève vers lui et il a un moment de latence. L’obscurité rend l’identification difficile mais après quelques secondes il lui est impossible de la confondre avec qui que ce soit d’autre. « Alas- » Les yeux de l’attrapeur doivent s’être écarquillés immédiatement car elle s’arrête net avant de prononcer son nom en entier. Il comprend cependant le réflexe car il manque lui aussi de laisser échapper son prénom. « Je… rêve où? » Elle reflète entièrement sa pensée. Il n’aurait jamais pensé la voir ici. Et pas juste à Liverpool. « Je ne suis pas là. » Lui non plus d’ailleurs, ce ne sont que deux look-alike qui dansent dans le noir avec des moldus du mauvais sexe. « Eh mais… Qu’est-ce que toi, tu fais là ? » Petite soirée sociale avec son groupe de tricot bien sûr. C’est la surprise qui doit la rendre un peu lente. Il pose une main sur l’épaule de son compagnon de danse et se rapproche de son oreille. « Excuse-moi une minute, je reviens. »

Puis c’est Elizabeth qu’il prend par le bras pour l’entraîner vers le bar où ils auront plus d’espace mais où les conversations des autres couvriront toujours la leur. « A ton avis qu’est-ce que je fais là ? » Il jette un regard aux alentours, parcourant la foule des yeux, à présent paranoïaque. « La même chose que toi non ? » En tout cas il l’espère. Certes, les bars gays sont remplis de femmes hétérosexuelles mais il imagine mal une sang-pur prendre le risque de se rendre dans un de ces lieux, surtout moldus, si ce n’était pas pour s’adonner à des activités illicites. « T’es venue seule ? » Il souhaite de tout son cœur qu’elle répondra oui et qu’il n’aura pas à croiser qui que ce soit d’autre de la haute société sorcière.

Je suis complètement débile. Voilà ce qu’elle se dit après avoir demandé à Alastar - ou son sosie parfait - ce qu’il fait là. Elisabeth aurait dû fermer sa gueule, ou en tous cas, réfléchir avant de dire quoi que ce soit. Elle aurait dû faire semblant de ne pas l’avoir vu, faire semblant de ne pas le connaître. Ça aurait été beaucoup plus simple, pour elle comme pour lui. Comment peut-on avoir tant de diplômes et être aussi bête ? Et puis même, la question est débile. Elle sait très bien ce qu’il fait là. Il est là pour la même raison qu’elle, c’est évident. C’est la seule explication possible, même si elle a bien du mal à y croire. On ne vient pas dans ce genre d’endroit par hasard. À moins… à moins qu’il soit là en mission secrète pour le gouvernement, et qu’il soit là pour l’arrêter. Soudain, le visage de Lizzie pâlit.

Alastar renvoie l’homme qui est avec lui et finit par lui saisir le bras. Elle ne se débat pas et le suit, partagée entre la peur de s’être faite prendre et l’envie de savoir s’ils sont juste… tous les deux dans la même merde. A ton avis qu’est-ce que je fais là ? La façon dont il surveille la foule autour d’eux donne au moins des premiers éléments de réponse à Lizzie : il a l’air tout aussi inquiet qu’elle que quelqu’un les observe. Il n’est donc probablement pas missionné pour la dénoncer - ou alors il est un excellent acteur. La même chose que toi non ? Elle le fixe, inspire, expire. Donc c’est officiel, ils sont bien là pour les mêmes raisons. Elisabeth ne s’attendait vraiment, vraiment pas à ça. T’es venue seule ? Évidemment. répond-t-elle du tac au tac. Qui serait assez bête pour se faire accompagner dans ce genre de soirées? Même les femmes avec lesquelles elle a passé plusieurs nuits dans le monde sorcier ne l’ont jamais accompagnée ici. Elle préfère faire ça toute seule. C’est trop dangereux, d’emmener quelqu’un, qui que ce soit. Elle le regarde des pieds à la tête, se prend à sourire en le voyant dans cet attirail… moldu. Lizzie ne l’a jamais vu comme ça. Ça lui va bien.

C’est… Si on m’avait dit que je te croiserais là… dit-elle finalement. Elle secoue la tête, toujours incrédule. Bon. On est tous les deux jamais venus ici, ok? dit-elle en pointant un index autoritaire sur sa poitrine. Elle regarde autour d’eux, et la voix un peu plus basse, elle dit, le visage penché vers le sien. Tu viens… souvent ? Tu viens…. depuis longtemps ? Elle a des tas de questions, bien entendu. Ils sont amis depuis longtemps, tous les deux. Très longtemps. Ils ont même failli être mariés ! Ça la ferait presque encore plus sourire, maintenant. Elle n’arrive pas à croire que tout ce temps, ils cachaient un secret similaire. La vie réserve de drôles de surprises. Elle se demande si Alastar est homosexuel, ou bisexuel. Elle se demande depuis combien de temps il sait. Elle se demande s’il est choqué pour elle. C’est étrange, de découvrir un nouveau niveau d’intimité chez quelqu’un qu’on fréquente depuis si longtemps. Lizzie est un peu déboussolée. Il va me falloir un verre. Quelque chose de fort. Elle se tourne vers le barman. Quelque chose de très fort. dit-elle, le coeur encore battant suite au choc d’avoir vu ce visage si familier dans cet endroit très… personnel.