tw:mention de drogue

Jesse est toujours parvenu à trouver une bonne excuse pour éviter de traîner qui que ce soit du côté de Romford, et de meilleures excuses encore pour ne pas avoir à faire monter qui que ce soit dans l’appartement familial qu’il partage avec sa mère et ses frères et soeurs – et il a toujours été soulagé, presque reconnaissant, que Kyung n’ait jamais insisté le moins du monde pour cela. A vrai dire, au fil du temps, avec lui, les excuses sont devenues inutiles ; leur cocon était (et est) amplement suffisant, qu’il s’agisse de l’ancien logement de Kay ou du nouveau, une bouffée d’air frais pour Jesse, à l’abri du chaos généré par ses cadets, et du constant chantage affectif de Tess.

La vérité, celle qu’il n’ose totalement avouer, pas même à lui-même, est la honte de vivre dans ces conditions, de faire découvrir à la personne la plus importante pour lui le bordel ambiant, le matelas posé à même le sol du salon derrière un rideau lui servant de chambre, les fourmis qui ont élu domicile dans un des placards de la cuisine et que tous les sortilèges du monde n’arrivent à repousser, la chasse d’eau qui nécessite un coup de main spécial pour être tirée et que Jesse n’a toujours pas eu l’argent pour réparer depuis que Bryan a arraché (sans raison apparente) la poignée, la porte de la salle de bain qui ne ferme pas pour la même raison, l’odeur de cigarette et de substances autrement plus dures et dangereuses cohabitant avec les mineurs que sont ses frères et soeurs – bref, un amas de détails que Jesse a toujours préféré ne pas exposer au regard de Kyung ; un comble quand il a passé son adolescence à presque fantasmer une vie qui n’était alors pas la sienne, plus difficile, plus street osait-il penser à l’époque. Un comble également, quand Kyung a lui aussi connu la misère, et qu’il est certainement la dernière personne qu’il connaît qui jugerait les difficultés dans lesquelles vit la famille de Jesse. Il n’a, après tout, jamais jugé les jobs les mieux payés qu’il prend pour remplir le frigo, au contraire, et ce même à la lueur du tournant récent dans leur relation.

Est-ce que cela allège la honte, soulage la nervosité en partie irrationnelle qui le ronge sur l’instant ? Absolument pas.

Y a-t-il une autre solution ? Non plus. Alors Jesse se rassure en se disant qu’il ne s’agit que d’une soirée, d’une nuit, le temps que les sortilèges permettant d’alimenter correctement l’immeuble en eau potable soient rétablis, après avoir mystérieusement sauté en plein jour – et accessoirement que l'impressionnant dégât des eaux ayant ravagé la salle de bain de Kyung soit réparé. Autre point rassurant, Tess ne sera visiblement pas de la partie, lui a confirmé Abbie quand il est passé un peu plus tôt dans l’après-midi pour déposer les courses et faire un brin de rangement ; et Jesse a bon espoir que, si elle finit par rentrer tôt ou tard, elle sera trop défoncée pour remarquer la présence de Kyung, et ira directement s’écraser dans son lit.

”Welcome to my kingdom”, annonce Jesse sur le ton de la plaisanterie en relâchant le bras de Kyung, alors qu’ils viennent de transplaner au pied de l’immeuble, réajustant légèrement son sac à dos dans un geste nerveux, et jetant un coup d’oeil de côté, pour s’assurer que les moldus sortant de la station de métro attenante ne les ont pas aperçus. Il se fait violence pour s’avancer et gravir les quelques marches face à eux, avant de repousser la porte de l’immeuble, dont le code de sécurité n’a jamais fonctionné d’aussi loin qu’il se souvienne. ”Alright, it’s on the sixth floor. Aaand elevator has been out of service for almost a year, the landlord is some sort of muggle company, so, yeah, not gonna be fixed.” Il a bien eu plus d’une fois envie de trouver un sort pour régler le problème lui-même, mais sachant que Tess paye probablement le loyer à coup d’Oubliette pour garder l’argent, mieux vaut ne pas attirer davantage l’attention sur eux. Alors, Jesse adresse un sourire en coin à Kyung avant de se mettre en marche pour monter les interminables escaliers, dépassant sans y prêter attention les portes des voisins d’où s’élèvent de la musique, des voix, parfois des cris, un brouhaha trahissant sans mal l’insonorisation de l’immeuble. Et à mesure qu’ils progressent dans les étages, le ventre de Jesse se serre de ce stress toujours peu rationnel, mais persistant, s’accrochant à son estomac en un poids toujours plus lourd.

Son cœur bat lourdement lorsqu'ils arrivent sur le palier du sixième étage, où se trouve une unique porte en bois usé, et Jesse fait quelques pas seulement, avant de se retourner vers Kyung. Ils sont hors des regards et oreilles indiscrètes des voisins, ils sont seuls, et il sait qu’ils ne pourront pas faire cela avant au moins quelques heures ; alors, il glisse sa main sur la hanche de son petit-ami, l’autre dans son cou, et vient cueillir sur ses lèvres un baiser bref, peut-être pour se donner un semblant de courage et effacer cette nervosité grandissante. A croire qu’il trouve sur ses lèvres l’effet inverse, finissant par rompre le baiser sans pour autant reprendre ses mains, et proposer à voix basse : ”You know, we can still go sleep under a bridge or something.” Sa proposition n’a, certes, rien de sérieux, en témoigne l’expiration amusée suivant ses mots, mais il ne peut s’en empêcher. Dans un monde idéal, il pourrait emmener Kyung dans un hôtel luxueux, petit déjeuner et spa inclus, lui offrir une nuit dans des draps en soie – un jour. ”I know it’s cold outside, but we could snuggle under my jacket, it doesn’t sound that bad.”

tw:mention d'alcool

Cela faisait quelques jours que Kyung dormait d’une seule oreille, régulièrement réveillé par les bruits exacerbés de l’immeuble lorsque les runes insonorisantes cessaient de fonctionner. Son travail se trouvait également régulièrement interrompu, sa baguette rendue inutile face au parchemin couvert de runes – il avait pu voir la magie quitter ces dernières, comme un défunt rendant son dernier souffle de vie. Kyung-Tae était ainsi légèrement sur les nerfs, contraint de se montrer d’autant plus discret avec Jesse (les runes d’insonorisation marchaient dans les deux sens, et un frisson d’anxiété le traversait à l’idée que la BPM pouvait de nouveau faire une descente au sein de leur propre chez eux). Tout avait atteint son apogée lorsqu’il avait découvert leur appartement inondé : son cœur avait raté un battement et il s’était précipité vers la salle de bain, pataugeant dans un bon centimètre d’eau en constatant que les canalisations avaient sauté. "Bloody useless shite", avait grommelé le plombier dépêché en urgence par le propriétaire, "I’ve got so much work these days, with all the magic rubbish that’s been happening... You think they would have found a way to fix it by now, but no, of course not! And these bloody idiots with their glueing spells…"

Kyung-Tae et Jesse s’étaient ainsi retrouvés avec un appartement humide, privés d’eau ("better shut it before the whole flat turns into the North Sea!"), et on avait gentiment enjoint Kyung, le locataire officiel, à se trouver un logement pour une nuit ou deux, le temps de revoir à la Moldue les canalisations défaillantes des lieux. Le premier choix de Kyung s’était porté sur un hôtel miteux du quartier – Jesse pourrait aller dormir chez lui, pour ne pas attirer les soupçons et ne pas avoir à supporter la petite chambre misérable que Kay envisageait pour lui. Why wouldn’t you come with me? To my mom’s, I mean. Le cœur de Kyung-Tae s’était emballé malgré lui – rencontrer sa mère ? Dormir chez ce qui avait été chez lui ? Ses oreilles avaient pris une teinte rouge dont il n’avait que trop conscience ; après un bref débat et une légère résistance de sa part, il avait rassemblé ses parchemins les plus sensibles et importants pour les faire disparaître dans son sac. "Promise, no work tonight. It’s just for safety." Et sa tranquillité d’esprit.

”Welcome to my kingdom.” Le regard de Kyung s’était porté sur la porte en face d’eux – il constata qu’elle s’ouvrait sans beaucoup de mal, attestant d’un manque de sécurité criant qui lui rappela de désagréables souvenirs. Il aurait suffi d’une seule petite rune primaire… Contentant la démangeaison qui le prenait, il embrassa du regard l’ascenseur défaillant, revint aux escaliers devant eux et releva les yeux vers les étages supérieurs en rajustant la bandoulière de son sac. Kyung n’avait jamais été particulièrement sportif : son souffle s’était alourdi au fil des marches, creusant légèrement son torse, et son manteau d’hiver lui avait paru étouffant, une couche épaisse retenant une chaleur intenable dont il rêvait désormais de se défaire en dépit du froid qui régnait dans l’immeuble. Il s’épongea discrètement le front lorsqu’ils arrivèrent au sixième, sa respiration lui semblant à la fois plus rapide et plus lente – ses quelques abdos et pompes quotidiens ne servaient apparemment pas à autre chose qu’à attirer les remarques de Jesse et cocher la case sport dans son esprit organisé.

Son regard retrouva celui de Jesse ; l’interrogation se formulait tout juste dans ses yeux que ce dernier s’approchait pour glisser ses mains sur lui, le corps de Kyung se tendant (ils étaient techniquement en public) pour mieux se détendre dans la seconde (les baisers de Jesse, si ce n’était son simple contact, avaient cet effet miraculeux). ”You know, we can still go sleep under a bridge or something.” Le souffle de Jesse était tout proche, un sourire léger sur ses lèvres à cette proposition déraisonnable qui lui valut un regard dans ses pupilles sombres de la part de Kyung. ”I know it’s cold outside, but we could snuggle under my jacket, it doesn’t sound that bad.” "I wouldn’t fit in your jacket," répondit Kyung avec une expression sérieuse, repoussant de vieux souvenirs traçant sur sa nuque des picotis désagréables -- des nuits passées dehors, sans avoir d’autre choix que de se coller à son père fleurant l’alcool. "I can still go to the hotel", ajouta-t-il en sondant ses grands yeux noirs, tandis qu’une de ses mains s’aventurait timidement dans le bas du dos de Jesse.

Kyung interrompit son geste en entendant la porte grincer devant lui – un œil bleu apparut dans l’embrasure, avant que la porte ne s’ouvre entièrement sur une silhouette de petite taille, ses dents blanches brillant en un sourire ravi. "Jesse !" cria la petite fille en se précipitant sur son frère pour l’étreindre, enfouissant son visage dans sa veste un millième de seconde avant de redresser vivement la tête, son regard s’éclairant en accrochant le regard de… "Kaaaaay !" Kyung eut le souffle coupé en se prenant la petite boule d’énergie dans le ventre, ses bras enroulés autour de son manteau en une étreinte étrangement serrée. "Hello Lili", parvint à articuler Kyung en posant maladroitement une main sur la tête blonde, qui en réaction enfouit un peu plus son visage contre lui. "Are you coming for dinner? Are you staying tonight? Let’s play trolls and wizards in my room!" fit Lili en s’agrippant un peu plus à ses vêtements, tandis que Kyung relevait les yeux vers Jesse, voyant leurs chances de fuite réduites à néant.

”I wouldn’t fit in your jacket” La réponse pragmatique de Kay face à sa proposition absurde lui tire une expiration s’échappant de son sourire attendri. S’ils ont en commun d’être tous les deux relativement terre à terre, son petit ami a sans aucun doute toujours été le plus sérieux des deux – une autre qualité que Jesse admire chez lui, en plus de son esprit brillant permettant de mettre ce pragmatisme au service d’idées réalistes et efficaces. ”You think so?”, répond Jesse avec une pointe de moquerie affectueuse, en glissant ses propres mains dans l’ouverture de son manteau pour les refermer de nouveau dans son dos, histoire de prouver que, lui, pourrait tenir sans mal sous sa veste. Mais il ne s’agit là que d’une autre idée grotesque - il est bien trop tard pour faire demi-tour, désormais, et se laisser gagner par son appréhension légère n'y changerait rien. Il s'agissait de son idée, après tout, que de venir ce soir chez sa mère, ensemble, plutôt que de dormir séparément une simple et unique nuit. Et ce n'est pas tant la perspective désagréable de s'endormir et de se réveiller seul qu'il l'a poussé à insister, quand bien même ils ont l'habitude depuis trop longtemps de passer leurs nuits ensemble, mais peut-être bien l'envie de partager cette partie de sa vie tenue jusqu'alors privée. Jesse lui a toujours tout raconté, certes ; mais il ne lui a jamais montré, n'a jamais tout à fait partagé sa honte avec lui. Et aussi nerveux puisse-t-il être, il est étrangement heureux de le faire.

”I can still go to the hotel. – And miss the shit show?”, répond Jesse avec un sourire en coin un peu gêné en baissant les yeux entre eux, les battements de son coeur pressant légèrement l'allure au geste timide de Kyung contre lui, lui faisant remonter son regard dans le sien. ”Nah. I, hm, I want you here. I'm glad—” Jay n'a pas le loisir de finir sa phrase, sursautant et se glaçant presque en même temps en entendant la porte s'ouvrir dans son dos. Avec précipitation, peut-être même un brin de panique, il reprend ses bras jusqu'alors enroulés autour de Kyung pour faire volte-face... et tomber sur la tête blonde de sa plus jeune soeur, qui semblerait frappée d'un méchant sugar rush au vue des bonds hystériques qu'elle fait en les apercevant, s'il ne s'agissait tout simplement pas de sa personnalité naturellement explosive (Jesse soupçonne parfois Tess d'avoir été sous acide pendant ses deux dernières grossesses). Il accueille l'impact de la furie venant s'écraser contre lui dans un sourire, ayant à peine le temps de lui ébouriffer les cheveux que la voilà déjà repartie pour plutôt s'intéresser à son invité du soir (”Kaaaaay !”), dont le malaise est presque palpable, et tire immanquablement un rire discret à Jay. ”Hello Lilly. – Are you coming for dinner? Are you staying tonight? Let’s play trolls and wizards in my room!” Il mentirait, s'il affirmait que cette image l'attendrit plus que de raison ; ce n'est pas la première fois que Lilly et Kyung se voient, loin de là, et si l'enfant a toujours porté une affection débordante à son ami, Jesse pose cette fois un regard différent sur cette scène.

Parce que les choses sont différentes désormais, et qu'il a ce soir, en un sens, l'impression de présenter Kay pour la première fois à sa famille. Et peut-être est-ce pour ça, qu'il est si nerveux, plus que honteux.

”Oook ok pumpkin, enough, you're gonna scare him away”, finit par intervenir Jay en attrapant la gamine par les épaules pour la décoller du sorcier, auquel il adresse un regard complice, et significatif à la fois - définitivement trop tard pour faire demi-tour. ”But we're going to play, right?”, insiste Lilly, ses grandes pupilles bleues rivées sur Kyung tandis qu'elle se fait entraîner à l'intérieur par son frère, qui ne la laisse pas harceler davantage son invité. ”Hey, I said leave him be, alright?”, ordonne non sans douceur Jay en pénétrant enfin à l’intérieur. C’est le désordre habituel de l’appartement bien trop étriqué pour ses six (et bientôt sept) habitants – des chaussures entassées dans l’entrée, des tas de vêtements bloquant la porte de la salle de bain (qui, toujours, ne ferme de toute façon plus depuis un moment), des parchemins et cahiers d’école jetés à même la table de la cuisine devant laquelle il passe, des cendriers non vidés depuis une éternité (ou seulement quelques jours, vue la consommation de tabac de Tess) éparpillés un peu partout dans le salon jusqu’auquel Jesse guide Kyung, Lilly toujours sur leurs talons. Il interrompt ses pas pour se tourner vers la petite, qui continue à tirer sur la manche de Kay pour attirer son attention en déblatérant des paroles toujours aussi excitées d’une voix plus aiguë qu’à l’accoutumée. ”Hey pumpkin, why don’t you go clean the kitchen’s table so we can make dinner? – Why me?!”, s’indigne Lilly, qui a changé d’expression du tout au tout et a désormais une voix plaintive. ”Because you’re here, come on! – But it’s not even my stuff! It’s Austin’s! – Yeah well, I clean your stuff all the time, chop-chop. – It’s so not fair”, bougonne-t-elle dans sa barbe en se détournant avec exagération avant de disparaître en traînant des pieds dans la cuisine.

Enfin tranquilles ; même si c’est probablement pour une poignée de minutes à peine, le temps que Lilly termine de ranger la cuisine, ou qu’un autre de ses frères et sœurs déboule en l’ayant entendu arriver. Alors Jesse en profite pour enfin relâcher son souffle et offrir un sourire en coin à Kay – un sourire un peu gêné, un sourire un peu heureux également, que de le voir se tenir au milieu de ce salon qu’il déteste pourtant. De le voir partager une nouvelle partie de sa vie, une de plus. ”Sorry for the mess”, s’excuse-t-il en se grattant l’arrière du crâne, comme s’il ne répandait pas un bordel plus ou moins similaire quotidiennement dans l’appartement de son petit-ami. ”And for the loud greeting committee”, ajoute Jesse, tandis qu’il tente d’ignorer la prise de becs entre Lilly et vraisemblablement Bryan leur parvenant depuis la cuisine (”Kay said he’ll play with me! – No he won’t! He promised last time he’d show me how to burn stuff without a wand, you ugly goblin!”). ”I won’t put you through this more than one night, I promise.” Cette phrase-ci aussi, a un goût d’excuses, alors que sa main vient presque timidement, pour lui, chercher la sienne, en un geste qui se veut inconsciemment discret, bien éloigné des caresses autrement plus directes qu’il peut avoir pour lui quand ils ne sont que tous les deux.