"You’d have felt the difference if it really was my boner. - And humble on top of that..." siffle Corban avant de brandir ses bras devant lui, lorsque le sanglier leur saute dessus, sa lame en première ligne. Les deux hommes font succinctement (et de manière assez brouillonne, on va pas se le cacher) (mais quand même avec une certaine cohésion assez grisante) la peau au sanglier, dont les défenses avaient brossé d’un peu trop près son visage tendu.

Corban reste coincé un temps sous le sanglier mort, peinant à dégager sa jambe blessée. Pendant ce temps-là, Göran s’est jeté sur le loup avec lequel il est aux prises, se débattant dans la boue et la poussière. Si on ne fait pas attention, on pourrait croire qu’il s’agit de deux lycanthropes en train de se chamailler, tant la distinction entre les deux silhouettes est vague: là une gueule d’humain presque lupin, là une jambe d’homme écrasant celles de la bête.
Le Mangemort finit par se dégager du premier cadavre, claudiquant jusqu’à la bagarre. "Turn over!" aboie-t-il pour être sûr que Göran roule sur le dos, histoire de présenter le ventre de la bête à son petit camarade.

Dans un mouvement lent, prudent (et presque lascif?? Corban, what’s with you??), il enjambe homme et loup, s’asseyant à califourchon sur la bête entravée, finissant d’immobiliser ses côtes entre ses cuisses. Corban prend un temps pour retrouver l’équilibre, suivant du bassin les mouvements chaotiques et saccadés des deux autres, afin de se stabiliser, à l’instar d’un cavalier sur une monture perdus en pleine montagne.
Il plonge sa main libre dans la fourrure de l’animal, harponnant sa gorge, lui arrachant un sifflement rauque. Il lève son autre bras, armé du couteau de chasse. Plantant ses yeux noirs dans ceux de Göran, comme une lame, il articule entre ses dents serrées: "Open it!"

Et, illustrant son propos, sa poigne lâche le cou de la bête pour agripper l’énorme paluche de Göran muselant la gueule du loup. Glissant ses doigts entre les siens, il lui fait lâcher du leste, ouvrir la goule de l’animal, exposant dangereusement ses crocs, ses glapissements, mais aussi le fond de sa gorge, vulnérable.
Le bras armé de Corban se tend et fend l’air poussiéreux, jusqu’à ce que sa lame vienne se ficher dans la gueule de l’animal qui, après un dernier hurlement guttural, quelques soubresauts désespérés, vains, s’immobilise dans son dernier souffle, lestant tout son poids (et celui de Corban) dans les bras du truand à terre.
Corban n’avait pas lâché Göran des yeux, tandis qu’il achevait la pauvre bête.

Le Mangemort reste un moment crispé autour de sa propre lame, essoufflé, les mèches de sa coiffure autrefois impeccable balayant doucement son front, ou collées à ses tempes à cause de la sueur. Ses doigts finissent par se desserrer autour du manche et glissent lorsqu’il retire la lame d’un geste sec et humide à la fois. "And that’s two..." lâche-t-il dans un soupir, essuyant son couteau dans la fourrure boueuse de l’animal.

"If anyone had told me I’d be riding a horse, a wolf and a man the same night, I wouldn’t have believed them..."
Il se redresse, se relève, bancal, aide Göran à se dégager de sous la bête du bout de sa botte encore à peu près intacte. Il l’observe un instant avachi par terre, ses bras et ses jambes en vrac dans la boue, sa face brune et rouge, et au milieu, son regard bleu presque transparent, défiant le sien, noir, luisant comme des insectes grouillants. "I can’t believe you got turned on by a fucking hunting party... I’ll never be half the hunter that you are..." constate-t-il, levant son regard au ciel pour imiter un certain dépit. Ce faisant, il lui tend la main pour l’aider à se relever, épinglant cette fois-ci son regard sur leurs trophées, un poil moins enthousiastes (et vivants) que les deux compères.

L’air est brûlant, de là où t’es. Comprimé entre tes narines et le pelage lupin, il a aussi peu d’aisance que t’en as sous les poids respectifs de la bête et de Yaxley. Le Mangemort (parce que, oui, t’aperçois tout juste sa marque, à demi-cachée derrière les plis de sa chemise sale) fait visiblement durer le plaisir ; et ce que tu pensais être une mise à mort rapide s’étire en longueur. C’est pas tellement ce que t’imaginais qui allait se produire en lui présentant les flancs de l’animal (tes chasses ont beau être brutales, elles restent concises) mais la scène, à laquelle t’assistes presque passivement, a quelque chose de fascinant. Qu’un type comme toi sait apprécier à sa juste valeur : cathartique, toujours, car les cris bestiaux et le sang qui coule font après tout partie intrinsèque de ton identité. Tes doigts sentent ceux nerveux de Corban s’insérer et t’obliger à relâcher la gueule fermement maintenue. L’hésitation retient ton geste ; parce que l’animal a des crocs longs comme ton majeur ; parce qu’il est acculé et par conséquent des plus dangereux ; parce que Yaxley n’a peut-être pas tant conscience que ça de ce qu’il est en train de faire. On dirait un fou. Son visage est englué d’hémoglobine et ses mèches noires, pointant à tout-va quand elles ne lui collent pas carrément les tempes, lui donnent une allure de monstre qui aurait dévoré sa part humaine. Tes yeux froids s’en soucient pourtant peu. Ils ont déjà vu des corps baignés de rouge. Et l’horreur signer des visages. La plupart de ces fou-furieux étaient des tiens ; c’est pourquoi au lieu de t’inquiéter, Corban t’est plus familier que jamais.

Les doigts se retirent donc pour laisser à la lame le luxe de s’enfoncer. Ton bras passe quand même autour de l’encolure, pour empêcher le loup d’avoir un geste trop brusque en direction de la gorge humaine, et le coup s’abat. Contre ton poitrail, où la douleur persiste, les soubresauts bestiaux s’amenuisent peu à peu. Contre ta glotte, en revanche, le bout de la lame enfoncée est ressorti de l’autre côté du pelage et te taquine les chairs. À tout moment, Corban plante un peu plus le couteau et fait d’une pierre deux coups… Ça t’empêche pas de le fixer en retour, avec une certaine agressivité de situation, le défiant peut-être au passage d’aller plus loin. C’est que tu sais pas trop quoi penser du type. L’homme t’est contre tout attente sympathique (parce qu’il est un chasseur-né et un violent combattant, oui, bon, chacun sa grille des valeurs). Mais le roussin, lui, te donne constamment l’impression d’en vouloir à ta gueule. Une question d’instincts, probablement, à qui tu forces décidément la main chaque fois que tu laisses à ce représentant des forces de l’ordre le soin de décider si oui, ou non, il te sauve la mise. C’est encore oui, pour ce tour de piste, puisque la lame se retire. "And that’s two..." Ton soupir part au même moment que le sien. Plutôt soulagé par la tournure des choses.

"If anyone had told me I’d be riding a horse, a wolf and a man the same night, I wouldn’t have believed them..." L’occiput s’abat par terre comme il te dégage du poitrail le cadavre du loup. L’air se rafraîchit enfin autour de toi et dans tes poumons, même si ton souffle est sifflant, cahoteux. "Ar-", t’expires, les yeux rivés vers les cimes, appuyant de tes doigts poisseux les parties de ton corps où les os remuent, "then I'm too old for foursomes." Et pour à peu près tout, de toute évidence. Là où Corban a l’énergie d’un beau diable qui se remet déjà de ses émotions, toi t’es lent, lourd, encombrant. La terre qui t’enlise est une illustration parfaite de ton état, et de ce vers quoi tu ferais mieux de t’enfoncer plutôt que de t’obstiner encore et toujours à traîner en surface. "I can’t believe you got turned on by a fucking hunting party..." Wimp. "I’ll never be half the hunter that you are..." Tu t’es redressé à l’aide du bras tendu, te heurtant presque au corps menu qui a pourtant plus fière allure que toi. D’un pied à l’autre, tu retrouves lentement ton équilibre, non sans te pencher un peu en avant pour aider tes bronches à retrouver une respiration normale. "Damn right." T’as beau être minable, t’en perds pas ton orgueil de Falk. "But I’ll never be half the sick bastard that you are." On dirait, à te voir le mater de traviole comme tu le fais, que tu bouillonnes sur place. La faute à cette fièvre, à certains égards obscène, qui t'appesantit le regard et que tu décharges sur lui sans la moindre retenue – il est possible que, l'espace d'un instant, t'aies envie d'aller foutre tes battoirs de géant dans le sang qui lui macule son visage et ses frusques pour lui massacrer davantage ses contours, comme on vandalise une idole sacrosainte, comme on abuse de son intouchable pureté. La pulsion te passe. Mais laisse derrière elle un pouls saccadé, loin de se calmer. "Guess we’re all fucking talented here." Un sourire oblique finit par te trancher la gueule sans que tes pupilles claires ne s’arrachent à l’auscultation de sa silhouette ensanglantée. T’as pas honte de le dire : "you’d have made a great fighter of my clan." Nerveux. Sanguin. Imprévisible. Du genre qu’on envoie en dernière ligne achever la cible, ou de front pour l’abattre en toute discrétion. Ton mouvement d’épaule et le dos que tu présentes à Corban envoie bouler le dédain qu’il pourrait (à raison) te renvoyer à la gueule – rappelons que t’es orgueilleux et que tu doutes pas de grand-chose en la question de ton clan, et certainement pas de l’honneur que c’est de s’entendre dire ça. Qu'on vienne ou non d'une lignée d'aristocrates (pour ce que ces dynasties t'inspirent comme respect...).

Tu ramasses ton couteau que tu rengaines et t’approches du sanglier magique que tu soulèves et positionnes sur tes épaules. La bête est lourde. Bien dodue. "We're in for a treat", tu commentes, préméditant la bonne bouffe que vous réserve sa cuisson. Tu laisses le loup à Corban et t’éloignes en direction du camp, tonitruant par-dessus épaule / carcasse : "hope you have some booze in your tent! I won't settle for water...", tu grommelles et complètes, "... I've had enough of that." Oui. Tu parles bien de gnôle au chef de la VB. Et t’espères qu’il sera pas assez chiant pour te la refuser et te barber avec les édits gouvernementaux...

Göran se relève et Corban manque prendre sa place, tant sa poigne est puissante (quelle idée aussi de lui filer sa main comme béquille). "But I’ll never be half the sick bastard you are." Corban plisse les yeux, observant Göran en retour, avec toujours cette pointe dans son regard, douloureuse, aussi bien pour lui que pour son interlocuteur. Le regard de Corban, ce vide aspirant, se visse comme une pique dans les yeux transparents de son comparse, une lame qui le perce au passage, qui les percent tous les deux. Le regard de Corban a toujours été insoutenable.
Tandis que Göran semble vrombir sur place, Corban, bien à l’abri derrière ses yeux, derrière son imagination saugrenue, se rejoue la scène de lutte, avec certes moins de loup, et moins de vêtements, aussi. Ne laissant rien paraître de sa brûlante vision, il hausse une épaule désinvolte: "I’m not sick; I’ve had a complicated childhood," lui semble-t-il de bon ton de nuancer. Il faut dire que Göran n’avait pas eu la chance de rencontrer Yaxley sr, et même Yaxley sr sr avant lui.

Faute de quoi, le titan est même à ça de le prendre sous son aile: "you’d have made a great fighter of my clan." La vision primaire que Corban se fait aussitôt dudit clan a de quoi être comique; une bande de sauvages consanguins, reclus dans leurs montagnes, si énormes et poilus, qu’on n’en distingue même plus les hommes des femmes. Il était même prêt à parier que Göran n’était qu’un modèle réduit de ses pairs. Le Mangemort grimace, sensiblement confus: "Thanks, I guess?"

Du bout de sa baguette, Corban fait léviter le loup, et le transporte jusqu’au camp, sur les talons de Göran. "Hope you have some booze in your tent! I won't settle for water... I've had enough of that." Le rire de Corban grince, présomptueux. "That’s the perks of working for the government, my dear Göran; for, you see, no one can actually punish you, when you’re the punisher." Le sourire est fier, insupportable, sous la couche d’hémoglobine séchée.
(Non parce que magica sana in corpo sano, là, ça va bien deux minutes, mais la magie noire, c’était pas trop trop sana en premier lieu...)
(Et puis, fallait se les coltiner, à la Values Brigade (même si, généralement, Corban carburait à la boisson énergisante, et qu’au final, c’était davantage ses handlers qui étaient biberonnés au firewhisky, histoire de le supporter, lui)!)

Sur le chemin du retour, Corban ajoute à sa cargaison volante un peu de bois sec.
Une fois sur place, il allonge le loup aux côtés du kelpie, et entreprend de les emprisonner dans un sortilège de glace, spécialement conçu pour la conservation, que son père lui a appris, et qui se transmet à chaque génération de Yaxley. Rien de bien impressionnant en soi; ça relevait plutôt du hack life à ce stade, puisque la magie maintenait les carcasses au frais, mais sans que la glace soit suffisamment agressive pour abimer le cuir.

Un feu est allumé d’un tour de poignet, une bassine lévite magiquement hors de la tente, remplie d’eau tiède, histoire de se rincer les pattes avant de cuisiner (un geste purement mécanique, puisqu’ils n’allaient pas tarder à remettre les mains dans le cambouis) (but make it blood). Corban ramène également des bouteilles d’alcool, du genre si vieilles qu’elles n’ont plus rien de lisible sur les miettes de label restantes. Quelque chose lui dit que Göran ne s’encombrera pas de l’usage d’un verre.
"Should I leave the cooking to you? So you can treat me with some speciality from where you’re from..." plaisante-t-il, pour autant intrigué par ce clan mentionné un peu plus tôt. Et aussi parce que l’envie pressante de se rincer la figure le prend de plus en plus à mesure qu’il sent le sang séché lui gratter la peau.
Corban boite jusqu’à la bassine, pose son cul dans l’herbe et défait le foulard distingué et le harnais qu’il portait par-dessus sa chemise collante et crasseuse.
Il se rince les mains, les bras, le visage, se mouille les cheveux qui retrouvent, si ce n’est une propreté parfaite, les légères ondulations de leur nature, quand ils n’étaient pas domptés et écrasés par les produits de beauté sorciers. Une pensée fugace pour l’autrefois, quand il les portait longs et indisciplinés.

Puis, une fois vaguement propre, il observe un temps Göran s’occuper du sanglier, le regard par-dessus les flammes, à la chaleur desquelles il allume une cigarette. Il garde un moment le visage proche du feu, jusqu’à ce que la fumée rende ses yeux  acérés larmoyants. Il y a un côté mise en scène légèrement démoniaque et hypnotisant, à le voir posté ainsi, presque recroquevillé derrière la barrière de flammes qui illuminent son visage, plus si insupportablement lisse que ça, maintenant que ses potions quotidiennes et ses soins magiques ne font plus tant d’effets qu’au petit matin. Les racines sur ses tempes virent doucement au gris de son âge. Il entame sa bouteille, crissant des dents en réaction à la brûlure instantanée dans sa gorge.

Il se lève et contourne le foyer, s’installant à côté de Göran. "Take off your shirt, I’ll treat your wound while you take care of the dinner. A rib for a rib, if I may say." C’est que l’alcool est si fort qu’il pourrait autant s’en servir pour désinfecter ses plaies. Et pas de risque de venir à manquer; Corban semblait avoir racheté les distilleries Prewett à leur âge d’or (à ceci près qu’il n’avait pas déboursé un gallion pour ses bouteilles). En attendant qu’il s’exécute, Corban renchérit: "So, what was that clan you mentioned before?" Il tire sur sa clope, époussète un peu de cendre tombée sur sa chemise que l’eau a rendu transparente et rougeâtre.
"I’ve never heard such a thing... I mean, except for vampires clans..." réfléchit-il au travers de la fumée de sa cigarette qui s’enroule lascivement autour de celle du feu de bois, comme deux langues dans un baiser. "And you don’t seem to be the kind of guy who sucks," ricane-t-il, continuant ainsi de faire honneur à leur humour graveleux, autant qu’à ses pensées vagabondes.

"That’s the perks of working for the government, my dear Göran; for, you see, no one can actually punish you, when you’re the punisher." Un autre aurait probablement levé les yeux au ciel mais l’excès de confiance est pour toi une vertu – quand elle s’accompagne de mérite, sinon quoi on appelle ça avoir une grande gueule (ce dont tu l’as soupçonné pendant un temps, let’s face it). T’en sais trop rien si Yaxley est digne ou non de sa position au gouvernement mais en ce qui te concerne tu doutes plus vraiment de sa capacité à trancher dans le lard. Note à toi-même : soigner votre association aussi longtemps que possible. L’abus de pouvoir fait en général bon ménage avec l’opportunisme.

La carcasse du sanglier tombe pesamment contre la terre battue entourant votre campement. La probabilité de pouvoir picoler sous peu t’a requinqué. Peut-être pas assez pour que la douleur te cisaillant un peu partout les chairs s’étiole, mais suffisamment pour que la fatigue te quitte comme les gouttes de sang quittent tes pommettes pour disparaître dans ta barbe grisâtre. T’accordes un regard curieux au procédé de conservation de Yaxley, jugeant l’idée pas si bête, d’autant plus que sa glace à lui saisit sans abîmer – au contraire de la tienne, brutale et brouillonne. Puis en reviens au sanglier que tu retournes panse vers le haut, tâtant de deux claquements de paume le ferme de sa bidoche ; ton rire lourd s’inscrit dans la continuité de votre chasse, qui a été certes courte, mais satisfaisante. "Should I leave the cooking to you?" Tes yeux se redressent en direction de Corban qui revient les mains chargées. "So you can treat me with some speciality from where you’re from..." Un sourire canaille s’amuse autant que lui du concept invoqué (toi, savoir cuisiner, de surcroît des spécialités), après quoi ta caboche opine distraitement en même temps que tu lui réponds à l’affirmative. "Sure." La pogne dégaine derechef le couteau, mais tu ne commences pas de suite le dépeçage.

D’abord, et avant toute chose, tu t’approches de ton hôte improvisé qui a sorti des bouteilles d'alcool. T’en réquisitionnes une, qui t’était de toute façon destinée, et sans un regard pour son cru ou ses origines lui dégoupilles sa tête en y allant à la force de tes chicots. Tu recraches le bouchon dans l’herbe, pas loin de Corban, de sa jambe blessée pour être plus précis, sur laquelle t’attardes un instant ton regard, te demandant si ça vaudrait pas le coup qu’il désinfecte tout ça (t’en as connu des plus costauds à qui la gangrène leur a bouffé la guibole). Une longue rasade t’arrache à ton observation. La liqueur va peu t’hydrater l’organisme, mais la sensation recherchée – se désaltérer le gosier après l’effort – te fait souffler de bonheur. Quand ton regard retombe sur Corban, tu constates une différence. Il a l’air moins jeune, moins frais ; en d'autres termes, redescendu parmi les mortels. Tu souris en coin sans émettre de commentaire. Difficile de savoir si tu te moques de sa disgrâce ou si t’en apprécies l’aboutissement.

Tes pas te ramènent vers le sanglier auprès de qui tu t'agenouilles. Une (très) longue gorgée est siphonnée depuis ta bouteille, que tu finis par reposer sur un bout de terre plus ou moins stable, avant de te livrer à la découpe. Les légères vibrations de la chair tailladée passent par ta lame, remontent par ton poignet et s’étirent avec régal tout le long de ton bras. Tes muscles sollicités par l’effort s’imprègnent de ces ondes, les mêlent aux résidus d’adrénaline qui te picorent encore le corps. L’acte, somme toute charnel, te plonge dans une transe légère et concentrée, tout juste dérangée par la figure maligne qui t’épie derrière les flammes du feu de camp. Ça n’empêche pas tes gestes de poursuivre machinalement leur œuvre, même si tes orbes glacials décident de soutenir ceux abyssaux de Corban – camouflés ici et là par la fumée de sa clope. C’est dans ces moment-là que tu sens qu’un truc crépite entre vous, quelque chose d’hostile, mais pas assez pour être nocif ; comme si un vieux réflexe antagonique roupillait quelque part au fond de ses yeux, et qu'il pouvait se réveiller à tout moment pour te sauter à la gorge. A moins qu’il s’agisse d’autre chose. Son agressivité passive n’en est peut-être pas une. Un coup sec arrache la peau poilue de l’échine animale, sorte de point final à la réflexion en cours (déjà trop composée, pour un type comme toi qui n’aime franchement pas se prendre la tête).

Le cuir de la bête est étalé sur le côté, son verso ensanglanté affrontant un ciel sans étoiles. Ne reste plus que le tas de viande écorché. Bientôt éviscéré. "Take off your shirt", le goulot de la bouteille, saisie entre deux coupes pour continuer d’étancher ta soif, se rabat dans un bruit de liquide qui valdingue, "I’ll treat your wound while you take care of the dinner. A rib for a rib, if I may say." La gnôle est levée nonchalamment et ta mâchoire se penche, comme autant de signes acceptant le deal. Tu reposes le litron, plantes la lame dans les chairs du sanglier, et t’exécutes. "Please do", que tu finis par dire, la voix traînante, chargée. Ton poitrail ainsi dénudé révèle, derrière les contusions et plaies, une mappemonde de tatouages au style éclectique et peu réfléchi – sont gravés des choses, des noms, des alphabets, piqués à l’aiguille traditionnelle avec des encres de qualité médiocre –, ton dos, non moins exempt de blessures, présente en revanche un combat illustré qui a, lui, reçu un soin particulier (ton dernier tatouage en date, choisi avec plus de maturité que le reste de tes conneries – que t’affectionnes pas moins). "Feel free to weld some bones too. Healing spells aren't really my thing." C’est dit sans honte. Le franc-parler accentué par tes syllabes hachées.

"So, what was that clan you mentioned before?" Regard de biais vers la position de Corban, qui clope tranquillement (so much for the values). "I’ve never heard such a thing... I mean, except for vampires clans... And you don’t seem to be the kind of guy who sucks." Le ricanement est accueilli par ta gueule qui se chiffonne. "Why?" Les bras crasseux s'écartent et tu rugis, sans vraiment t'emporter non plus. "Not handsome enough?" Le mot handsome, dans ta bouche de butor, est prononcé avec sérieux ; que la référence soit aux vampires, ou autres, t’as l’air indigné qu’on t’en refuse le genre. Confortable dans ta masculinité, et tolérant à tout (en bon, comme en mauvais), t’enfonces régulièrement des portes qu’on pense inutiles de t’ouvrir – sous prétexte que t’es grossier, primitif et inculte, comme si ça empêchait.

"You do know clans." Ton couteau repris en main, tu continues ton travail de boucher. "You and your...", mouvement circulaire de lame, "kind are clans. Yaxley, Travers", pour ne citer que ceux que tu connais (ou que tu n’exècres pas), "and whatnots, you share ancestors, honour your heritage and protect your own, yes?" Après s’être retrouvé dans la bidoche, le canif s’arrête pour souligner l’inflexion interrogative qui s’est glissée en fin d’éclaircissement. D’abord rhétorique, elle flotte cependant entre vous deux à cause du silence qui s’ensuit. Silence auquel t’es pas totalement insensible. Ta mâchoire hispide donne un coup vers la gauche, en direction de Corban, avant que ton regard en revienne aux tripes du sanglier, déversées à tes genoux. "What was so complicated about your childhood?" T’as comme l’impression que ça a un rapport avec son absence de réponse.

"Why? Not handsome enough?" Corban a suivi du regard la chemise crasseuse remonter le long de la bidoche de son comparse, avant de venir s’échouer par terre, se confondant presque avec le sol piétiné et boueux. Il hausse une épaule, détaillant sans vergogne la plastique grossière et massive du géant. "Nah, I’d rather say not desperate enough," ricane-t-il avec dépit, imaginant la vie de scandales et de stupre que Göran devait mener, sans se préoccuper d’aucun des édits du Lord. Bah, la haute société commettait bien des incartades, elle aussi; mais de son côté, si Corban avait plus d’une fois enfreint les lois dont il était le bras armé, il s’était plutôt tenu à l’écart des aventures au masculin (le mariage n’était pas encore passé par là...), le rendant chaque année un peu plus aigri et frustré.

La clope glissée entre deux doigts, la baguette dans l’autre main, Corban se penche au-dessus du dos constellé de Göran. Il fronce du nez, aussi bien à cause de l’état déplorable de ses muscles et de ses quelques os cassés que des affreux tatouages dont il s’est affublé au fil de ses rocambolesques aventures. Il a même l’impression d’en reconnaître certains, déjà croisés sur les bras ou sur le torse de Buck. Mais ça faisait bientôt douze ans qu’il n’avait pas dessapé le Buchanan, aussi, il n’a aucun moyen de confirmer ses doutes.
Au lieu de ça, il commence à refermer chacune leur tour les plaies séchées barbouillant les bras et les épaules de Göran, arrosant çà et là les blessures d’une rasade d’alcool (qu’il déverse aussi sur sa jambe, au passage).

"You do know clans. You and your... kind are clans. Yaxley, Travers," froncement de sourcils, se demandant bien d’où il connaissait les Travers, "and whatnots, you share ancestors, honour your heritage and protect your own, yes?" Le Mangemort reste étrangement silencieux, réfléchissant sans doute à cette audacieuse comparaison. Il s’en serait bien offusqué, rétorquant qu’ils n’étaient pas aussi rustres et sauvages que la bande à Göran; mais à bien y réfléchir, le colosse avait vu juste, à la différence que les sangs purs dissimulaient leur dégénérescence sous des costumes taillés sur-mesure.

En guise de réponse, le bout de la baguette de Corban se plante entre les côtes démolies de Göran. Il coince sa cigarette entre ses dents, et pose à plat sa main libre sur les renflements bleuis de son flanc blessé.
"What was so complicated about your childhood?"
Corban tressaille, sa paume soudain moite manquant de glisser de la blessure. Il se dépêche de marmonner le sort, machinal, familier et, tandis qu’il s’échappe de sa baguette dans un filet grisâtre, Corban appuie sur la côte brisée, rendue plus malléable par magie, et semble la repousser à sa place initiale dans la cage thoracique de Göran, dans un craquement légèrement sordide.
"Oh, you know, the usual stuff, coasse-t-il en relevant sa baguette. As I said, I’ve been going hunting since I was eight. It can’t be related to anything but a complicated childhood." Il hausse les sourcils, gagne un peu de temps et de contenance en buvant quelques gorgées de sa bouteille. Après l’avoir reposée, le bout de ses doigts brossent machinalement l’énorme tatouage dans le dos de Göran; il se demande ce qu’il cache sous la couche d’encre, s’il porte les mêmes cicatrices que lui. Corban n’a jamais cherché à cacher ce que son père lui avait fait subir, désormais réduit à de discrètes boursoufflures le long de son échine; les seuls tatouages dont il est affublé sont ceux inhérents à son statut.

"You should know best; I’m pretty sure putting your hands in that pig’s belly got you hard." Il lève à son tour le menton comme pour jeter un œil par-dessus son épaule. L’odeur des viscères le prend un peu à la gorge et il se ravise. "Anyway; you’re as good as new!" fanfaronne-t-il en lui époussetant pensivement l’épaule, à l’instar d’un barbier zélé.
Corban ne peut pas en dire autant de sa jambe, dont il se met précautionneusement à éplucher les lamelles de cuir déchiquetées qui semblent avoir fusionné avec son épiderme. De quoi se mettre en appétit en attendant que la viande cuise. "What about you? Why did you leave your clan to move here? You wanted to refresh a bit the gene pool?" plaisante-t-il entre deux sifflements arrachés à sa gorge par anticipation de la douleur.

Un feulement douloureux traverse tes lippes en sentant les os bouger sous la paume de Corban. C’est pas tellement la première fois que tu te pètes quelque chose, ni la première fois non plus qu’on te replace tout le barda, mais ça reste une opération pour le moins désagréable. Les mouvements de ton acolyte sont cependant maîtrisés et après t’avoir consciencieusement rincé les plaies, il te remet les os en place assez efficacement. T’apprécies sa rapidité. Sa dextérité aussi. On est loin des bouchers qui t’ont plusieurs fois dans ta vie rafistolé à la va-vite.

"As I said, I’ve been going hunting since I was eight. It can’t be related to anything but a complicated childhood." D’un bout de botte, tu secoues doucement la carcasse du sanglier pour que les viscères et autres organes continuent de tomber sur l’herbe. Dans le même mouvement, tes sourcils se sont haussés derrière le masque de sang sec. "Is it?" L’interrogation a grimpé dans ton gosier avec cette franchise habituelle qui marque ton accent. Encore une fois, vos mondes s’entrechoquent ; tu vois rien de bizarre à chasser à cet âge-là, et même si, au fil des décennies, tu t’es habitué aux mœurs et coutumes des autres cultures, reste que tes valeurs n’ont pas évolué d’un iota. Les gamins doivent apprendre à se démerder, à survivre, et le plus tôt le mieux, non ? Il est vrai que, au plus loin que tu puisses te souvenir, aucun individu ne t’a jamais confié avoir eu cette enfance aussi – à part peut-être des aussi sauvages et rustres que toi, dans des confins que certaines cartes peinent encore à identifier –, t’imagines donc bien, enfin, tu supposes, que Corban fait office d’exception dans le panorama britannique, et probablement aussi, et même surtout, celui aristocratique. Du reste, t’es loin de te douter des sévices qu’il lui a fallu essuyer en plus d’être traîné à la chasse en couche-culotte. "You should know best; I’m pretty sure putting your hands in that pig’s belly got you hard." Tu t’es toi aussi saisi de ta bouteille que tu siphonnes d’une rasade, sans répondre, laissant planer le doute, ou le regard de Corban qui s’est glissé par-dessus épaule. Un rire gras s’échappe depuis le goulot en le sentant se raviser et revenir en arrière. "Anyway; you’re as good as new! – I figured." Le ton abrupt s’accompagne d’un sourire en coin complice, manière de le remercier. Plus rien ne te lance et, quand tu bouges, tu ne sens plus aucune côte jouer du carillon avec les autres. Ça te remet d’aplomb.

Tu te lèves après avoir reposé la gnôle à côté de celle de Corban, et t’accroupis en face du gibier, de ton comparse aussi, pour découper cette fois de larges carrés de viande. "What about you? Why did you leave your clan to move here? You wanted to refresh a bit the gene pool?" Nouveau rire grogné dans ta barbe. "The gene pool." Ta voix de rogomme, cette fois, transpire le sarcasme. C’est absurde à tant de niveaux te concernant que même sur le ton de la blague ça reste grotesque. "I left because they all died." Les mèches grises et crades bougent devant ton front à mesure que tu découpes la chair fraîche. Impossible de dire si l’émotion te traverse étant donné que ton regard est plongé dans la besogne. "I travelled for a while. And then I settled in Malta." Les détails de tes pérégrinations, et de ton activité sur l’île, sont bien évidemment occultés. Le souvenir de Malte, impérissable dans ton cœur de brigand, tord cependant ta gueule en un rictus amère. "I didn't plan on leaving the island, but, you know; the curse." Nouveau mouvement circulaire de lame et grimace fâchée. "So here I am on another island, locked up in a city so tight you can hardly squat to take a shit." L’imagination débordante des simples d’esprit, dira-t-on. Ou le récit d'une expérience, qui sait.

Ce disant, t’as utilisé des pierres plates pour placer la viande sur le feu. Le fumet qui s’en échappe déjà tranquillise ta rogne, sorte de réaction pavlovienne comme on peut en voir chez les clébards. Ta gueule patibulaire se tourne vers Corban et se fend d’un air satisfait, puis tes yeux froids tombent sur sa botte dont il a réussi à désenlacer le cuir de la chair. "Here." De ta grosse carcasse, cette fois, tu te rapproches de lui, plantes un genou dans la boue, et l’aides à retirer sa longue grolle en faisant – plus ou moins – attention. Sa blessure, moins vilaine que ce que t’imaginais, t’arrache quand même un haussement de sourcils suivis par un pincement de lèvres. "Be generous on that too." Parlant du litron avec lequel il t’a arrosé tes propres plaies. "And huh- hey, sorry about that", mouvement de barbe vers la jambe tranchée, "not my best moment." Finalement, ces excuses, même tardives, sont arrivées ; c’est que t’as pas tellement envie qu’il t’en tienne rigueur – et comme Yaxley est un type difficile à lire, tu préfères t’assurer que vous êtes O.K. Il est possible que tu te sois demandé si ses petits regards noirs de vipère qu’il te lance de temps en temps n’ont pas un rapport avec ça…

"I left because they all died." La gravité et le cru de sa réponse arrache à Corban un singulier et nerveux: "AH!" qu’il excuse aussitôt d’un raclement de gorge confus et d’un timide: "Sorry for that", sans vraiment préciser s’il était désolé pour les membres disparus de son clan, ou pour son intervention incontrôlée. Il faut dire que Corban en connaissait un rayon sur le sujet, pour avoir perdu quasiment tous les membres de sa famille en trop peu de temps. C’est comme s’il avait été traversé d’une émotion qu’il n’arrive pas à lire sur le visage fermé de Göran, concentré sur leur imminent repas.

Il ne s’encombre ainsi pas de davantage de détails, tandis qu’il poursuit le récit de son parcours: "I travelled for a while. And then I settled in Malta. - Lovely place, quite a change of scene" commente pensivement le Mangemort, appliqué à découvrir sa jambe blessée. Il se souvient avoir envoyé Buck à plusieurs reprises là-bas, pour du commerce de peaux de bêtes et autres trophées arrachés à la faune locale. Il l’avait peut-être même accompagné à l’occasion, mais il n’y pense pas trop. De ce qu’il savait de l’Europe continentale, ça n’avait rien à voir avec les gens et le climat de l’île; mais Göran avait peut-être fui le massacre de son clan, et se refusait à fouler des terres qui avaient vu les siens mourir... Corban, de son côté, avait simplement acheté une nouvelle baraque avec l’argent de l’héritage. "I didn't plan on leaving the island, but, you know; the curse. So here I am on another island, locked up in a city so tight you can hardly squat to take a shit." Corban approuve le coup du sort d’une grimace. Cependant, une information vient de lui mettre la puce à l’oreille: pourquoi devoir quitter spécifiquement Malte à cause de sa malédiction? Mis à part quelques particuliers un peu shady avec qui ils avaient pu faire du trafic de créatures, des années auparavant, Corban n’avait pas ouï dire que l’île regorgeait d’une faune particulièrement abondante... à moins de vivre du trafic de créatures susnommé...
Göran était assez avare en ce qui concernait son passé, aussi, l’autre chasseur décide de ne pas le brusquer en lui tirant les vers du nez, feignant nettoyer ses plaies.
Hé, après tout, le géant lui avait demandé un nom; c’était pour cette raison que Corban commençait aussitôt à explorer toutes les pistes possibles; that’s what the Values Brigade does.

Corban s’interrompt un instant pour humer le fumet régressif de la viande sur la pierre chaude. Il réalise soudain à quel point il est affamé. Il est presque prêt à interrompre sa minutieuse intervention sur sa jambe pour pouvoir passer à table. Mais c’est sans compter son comparse qui tient à lui rendre la pareille (à moins qu’il ne fasse pas pour qu’ils puissent aller bouffer plus rapidement). Göran se fiche de l’autre côté de sa botte déchiquetée, tandis que Corban prend appui sur le morceau de tronc d’arbre sur lequel il avait posé son derrière. Son mollet et sa cheville paraissent ridicules entre les énormes pattes de Göran qui pourrait finir de les briser comme bon lui semble. Corban se demande pendant quelques secondes si le butor ne va pas lui arracher la jambe en même temps que sa botte, sans faire exprès. Mais l’opération se passe sans trop de mal, tandis que l’un et l’autre tirent chacun de leur côté, le Mangemort plantant une main crispée dans le bras massif de l’autre homme, sifflant entre ses dents serrées.

Il ne se fait pas prier pour vider la moitié de sa bouteille (ou ce qu’il en reste) sur son tibia lacéré, dont les derniers bouts de cuir englués à la plaie finissent d’être évacués. "And huh- hey, sorry about that, not my best moment." Corban chasse ses manières d’un revers de main. "Ugh, don’t worry about that, I’ve seen worse..." A charge de revanche, il profite de l’appui solide de Göran pour poser son pied déchaussé sur sa cuisse. "You gave me the best story to tell in the breakroom at work, left aside that "I cut a horse’s dick" part. And unless you were aiming for me, you were just doing your part of the deal." Corban n’a jamais été le plus rancunier, vis-à-vis de ce genre d’accidents; une habitude qu’il était sage de prendre, quand on travaillait avec une bande de bras cassés fourbus de crises de violence. Et aussi une habitude qu’il avait prise dès son plus jeune âge, quand il avait à deal avec des blessures dont il ne parvenait pas à comprendre la raison. "Hand me these bandages, you’d be a peach." Bon, ok, il fait même pas semblant d’essayer d’atteindre les rouleaux de bandage, invitant son comparse désolé à lui saucissonner la patte, en s’affalant un peu vers l’arrière, la jambe toujours en appui sur la sienne. "And tell me why, of all the places you could go, you choose that sorry excuse for a purist system? And don’t tell me that was for the weather or the food!" s’esclaffe-t-il, tout en reluquant en coin la bidoche ronronnant au-dessus du feu.

La pression du pied nu s’appuyant sur ta cuisse remue à peine ta carcasse. “You gave me the best story to tell in the breakroom at work, left aside that "I cut a horse’s dick" part — The juiciest part... — And unless you were aiming for me, you were just doing your part of the deal. — Trust me, I wasn't aiming for you”, tu reprécises d’un mouvement de gueule, presque trop habitué à essuyer des procès d’intention (souvent avisés, on va pas se mentir). L’attitude de Corban, finalement plus détendu que ce que tu croyais, te fait relativiser ; maintenant que les choses sont claires entre vous l’impression qu’il pourrait te planter dans ton sommeil s’envole comme la fumée au vent.

“Hand me these bandages, you’d be a peach.” Tu croirais entendre Tula. Jusque dans la non-exécution d’une tâche qui du coup te revient, on dirait elle ; et passe-moi ci, et masse-moi ça, ce genre de petit service que t’exécutais en bronchant pour la forme. Tu souffles une moitié de rire en même temps que ton regard blasé grimpe jusqu’au visage luisant de Corban, puis glisse en direction desdits bandages. Que t’attrapes d’un geste mou et commences à déplier entre tes grosses paluches, avant d’en enrouler un autour de la guibole rincée. “And tell me why, of all the places you could go, you choose that sorry excuse for a purist system?” Sans arrêter ta manœuvre, t’ouvres la bouche, mais es aussitôt coupé. “And don’t tell me that was for the weather or the food!” Tes billes bleues reviennent sur la figure de Corban, un regard par en-dessous qu’un sourire de traviole rend malicieux. “You’re talking about that porridge of yours that I wouldn't even feed to a ghoul?” Sans dire que t’es un fin gourmet — parce que tu pourrais engloutir tout ce qui se présente, pour peu que ça soit mangeable — tu peux pas dire que la bouffe anglaise ait particulièrement ému tes papilles, c’est même assez fade et mou pour un palais et des canines comme les tiens qui aiment mastiquer la bonne chair.

Tu serres le bandage après avoir fait quatre tours, et commences à le coincer pour qu’il tienne au moins la soirée. “You’re a very curious man. In every way.” Sans te départir de cette risette en biais, tu soulèves sa jambe et la reposes pied sur terre en même temps que tu te lèves. “I’ve never heard any of you guys admit so easily that your system is a- purist one. And of all people it’s the boss of the VB who says that.” Tu te plies en deux pour ramasser ta bouteille de gnôle. “I’m sensing the punisher is not as uptight as he wants to appear.” Pour preuve, cet alcool gracieusement cédé que t’avales d’une grosse rasade, avant de t’essuyer la gueule d’un revers de pogne. T’as pas tellement l’air de le moquer, Yaxley ; la risette pleine de chicots que tu lui adresses finalement a même l’air d’apprécier sa malhonnêteté finement cachée. T’es à peu près certain, tout bourré que tu commences à être, que Corban est un type avec qui tu pourrais t’entendre. Et qu’il a un potentiel de corruptibilité pas inintéressant.

“Alright, enough with the interrogation Yaxley, let's eat.” Tu filoches sans demander ton reste, fuyant de toute évidence les questions de Corban qui commence à s’intéresser un peu trop à ta situation — clandestine, pour commencer, criminelle, pour couronner le tout. T’espères qu’avec de la barbaque dans la bouche, l’envie de te cuisiner toi va lui passer.

* * *

“So I'm standing there, in the middle of the market, when this huge thunderbird breaks its chains and comes at me!” Tes bras singent le mouvement si brusquement que tu te déportes d’un pas sur le côté — avec tous les litrons que t’as bu, le fait même que tu tiennes debout et saches encore articuler plus ou moins correctement tient du prodige.

Ça t’a pris comme une envie de pisser, de lui raconter cette histoire. Juste après lui avoir déballé à peu près tout ce que tu voulais garder de secret : qu’un type rencontré en taule a fini par t’embaucher sur Malte, que là-bas tu faisais du business de créatures magiques, que quand t’as été maudit c’est devenu la merde, et que si t’as échoué en Angleterre c’est parce que cet autre type t’a trouvé un plan dans l’Allée des Embrumes, mais c’est temporaire, t’as précisé, en y croyant dur comme fer, parce que quand t’auras le nom, ce nom que lui, il va te trouver, pas vrai ! — une claque dans le dos bruyante et lourde comme une massue a secoué Corban à ce moment-là — bah y aura plus de malédiction, plus de merdier, plus, ah ! et ce putain de jour où t’as su qu’on t’avait garni l’karma ! ça aussi, sacré merdier ! Tu t’es levé d’un bloc du tronc où t’étais assis, te plaçant entre Corban et le feu pour mimer tout un tas de trucs relatifs à ton histoire, comme à chaque fois que t’es ivre et que t’as besoin de parler, parler et parler.

“It’s so upset that it brings along it’s trader — who bites the dust so fucking badly you can see his teeth scatter on the ground (rire gras). Then Iggy tells me- wait, I need an Iggy.” T’arrêtes de montrer le vide à tes côtés et te tournes vers Corban. “C’mon, you’ll be Iggy. Oh c’mon Yaxley!” Tu le choppes par les frusques puis l’entraînes à côté de toi, avec une telle force brute que tu l’aides à se stabiliser sur sa guibole blessée en le retenant du bout du col. V’là ! T’es pas peu content d’avoir ton Iggy. “So he tells me-” Tu t’interromps une nouvelle fois, dévisageant Yaxley dans la moitié de pénombre de votre camp d’infortune. “Shit.” Ta poigne s’est amollie. Sans pour autant le relâcher, tu te sens pris d’un vertige bizarre, un début de nausée qui embue tes yeux. “You do look like him...” Pas tellement. D’un point de vue strictement physionomique, ils ne partagent qu'une tignasse noire de jais et des billes à vous transpercer la cervelle. Mais ça fait des plombes que t’as perdu le nord, que tu sais plus trop bien dans quoi t’avances, et Corban est un gouffre sans fond dans lequel il t’est facile de tomber. Un visage familier. C’est tout ce que tu demandes. Et si pour ça faut plonger dans le délire, alors tu plonges.

“You have the same fucking eyes.” On dirait un reproche. La manière dont tu l’approches de toi, avec une gueule soudain menaçante et le ton pierreux, grave, te grandit comme un géant dans l’ombre des flammes. Ton bras l’a ramené si près de toi que ton haleine puant la viande consommée et l’alcool englouti lui chatouille le nez. “Maybe your mother went to Malta?” Et de tordre un sourire méchant, dégradant pour la mémoire de maman Yaxley qui se serait faite visiter le tiroir par cette canaille d’Iggy ; tu lui en veux de lui ressembler, et en même temps, t’es rassuré, suffisamment rassuré pour le garder près de toi et ne rien lâcher.

"So I'm standing there, in the middle of the market, when this huge thunderbird breaks its chains and comes at me!" Le nez dans son morceau de bidoche, Corban observe, légèrement soucieux (et surtout très ivre), Göran se balancer dangereusement d’un pied sur l’autre. Le Mangemort, pour sa part, ne s’y risquerait pas; entre l’alcool et sa blessure à la patte, il craint ressembler à un poulain sombral sur un navire en perdition. De fait, il s’était fait une joie de jouer le bon public du brigand qui avait délié sa langue, aussi bien pour avaler une quantité astronomique de viande et de vin, que pour raconter ses rocambolesques histoires de bestioles magiques à en faire pâlir un.e Scamander.
Loin de Corban l’idée de faire du délit de faciès, but still, quand il avait fini par comprendre (et, entre le récit déconstruit et son cerveau assommé par l’alcool, il lui avait fallu un certain temps) que Göran versait dans le trafic plus ou moins légal, il n’avait pas été plus surpris que ça (mais là encore, c’était peut-être à cause de leur état en commun). Il lui avait même sûrement confié qu’ils avaient vraisemblablement fait du business ensemble avant même de se croiser ici, révélation (si elle avait vraiment été faite) qui s’était ponctuée d’exclamations sur bruit de fond de porte qui grince (oui, c’est encore quand il a bu) (mais pas autant que quand il est nerveux) (alors imaginez quand il est les deux en même temps).

Ce serait mentir que de dire que Corban n’a pas pensé à ses anciennes escapades avec Buck. Le décor était le même, la tente aussi, presque, et Göran et Buck partageaient sans aucun doute la même descente, la même couleur d’yeux (mais pas le même regard) (... mais pas le même regard, hein?) et la même propension à exagérer toutes leurs histoires.
Corban y a pensé, mais a aussi essayé de pas y penser. Parfois il se surprenait à y penser et se rattrapait aussitôt, focalisant son attention éparpillée sur les bobards de Göran, afin de savoir s’il s’agissait de bobards ou pas. C’était les quelques moments où Corban posait des questions, s’attardait sur un stupide détail, du genre "et il faisait quelle taille, cet oiseau tonnerre?", ou encore "mais du coup, c’est ta fille ou pas?", comme s’il voulait partager des souvenirs qui n’étaient pas les siens, pour garder les siens bien enfouis là où personne ne pouvait les déranger, et surtout pas lui.

"It’s so upset that it brings along it’s trader — who bites the dust so fucking badly you can see his teeth scatter on the ground. Then Iggy tells me- wait, I need an Iggy." Leurs regards se croisent, et Corban secoue la tête: "Göran, no, I— - C’mon, you’ll be Iggy. - No! I said— - Oh c’mon Yaxley!" Et de fait, Yaxley! se voit contraint d’obtempérer, tu fait que son comparse le décolle de la souche d’arbre sur laquelle il était posé, avec une facilité (et une brusquerie) si déconcertante, qu’elle arrache un commentaire embarrassé du Mangemort: "Do I even weigh anything to you?" Il se voit déjà devoir incarner un type dont il ne sait rien que cette fois où il s’est fait cramer le cul par une espèce de dragon en voie de disparition. "So he tells me-" Corban, qui posait à peine son regard sur lui, remis de ses émotions, plisse les yeux, attendant une réplique qui ne vient pas. "Shit. - What? - You do look like him... Corban hausse les sourcils, amusé: - Oh... good-looking fellow, I’m sure..."

"You have the same fucking eyes. - Look who’s talking..." rétorque-t-il, avec une insolence assez inappropriée pour quelqu’un qui se fait tenir à bout de bras par un type pesant deux fois son poids. De là où il se trouve, Corban peut désormais apprécier les nuances de transparent dans le regard lourd et bovin de Göran. Il observe aussi les petites cicatrices sur sa peau, la réflexion des flammes dans le blanc un peu rosâtre de ses yeux. Il n’a pas le même regard que Buck, mais il ne s’est jamais tenu aussi près de quelqu’un qu’avec Buck. "Maybe your mother went to Malta?" Un ricanement grinçant râcle la gorge de Corban; dans ses yeux, de la moquerie, et encore au fond, cette peine violente: "You know what? I don’t know shit about your Iggy boy, but I would have given everything for it to be true... But unfortunately, I’m pretty sure I’m just the fucking son of my fucking dad..." crache-t-il avec dépit.
Si Corban ne s’était pas gêné pour penser à Buck, il ne voulait en aucun cas penser à son père et à ce qu’il n’avait pas été. Aussi, un mince sourire, insupportable, un peu envoûtant, déchire la surface lisse de son visage. "However, if I can give you a piece of advice, you should work on a new pick-up line; not that I don’t like roleplay but it’s not to everyone’s liking." Et la prise qu’il avait gardée tout du long, les ongles plantés dans l’avant-bras de Göran qui le maintenait en équilibre, se relâche progressivement, ses doigts laissant un sillon tiède sur sa peau.

cw: langage grossier

"You know what? I don’t know shit about your Iggy boy, but I would have given everything for it to be true..." Toi aussi. Ça aurait été fendard. Complètement stupide. Absolument aberrant. Un rien dérangeant… Dio se serait sûrement étouffé avec sa salive en t’entendant le lui annoncer. You have a swanky brother, kid! T’aurais gardé Corban comme un souvenir, le genre de bibelot dont on ne sait que foutre mais qu’on aime bien avoir tout près de soi. Iggy-boy's offspring. Big freaking deal. "But unfortunately, I’m pretty sure I’m just the fucking son of my fucking dad..." Le dépit de Corban te revient à la gueule où une grimace se forme. Il l’aime vraiment pas, son daron. A un niveau que tu n’imagines même pas ; le tien était bourrin, stupide et envahissant, et t’aurais été le premier à prendre sa place au moindre signe de faiblesse, mais tu l’aimais quand même bien, d’une manière qu’on aime bien ce qui nous unit et complète le sentiment d’appartenance. Sûrement que les Yaxley n’ont jamais su offrir ça à Corban, ou Corban n’a jamais su trouver sa place dans son clan, ou… ou t’en sais rien, en fait, t’es bourré et tu t’en fous. Tu recules d’un pas dans la terre pour retrouver un bout d’équilibre perdu en chemin (ton acolyte est plus menu que toi, mais il a une rage tumultueuse que tu sens remuer dans tout ton bras).

"However, if I can give you a piece of advice, you should work on a new pick-up line. — A what? — Not that I don’t like roleplay but it’s not to everyone’s liking." Un air interdit a remplacé ta grimace. Les mots de Corban mettent un certain temps à gagner ta cervelle, et un temps supplémentaire à être traités. Ils sont un peu trop savants pour toi, ceux-là, exactement le genre de vocabulaire et subtilité sémantique que pourrait te sortir Iggy… Un rire monte soudain dans ton poitrail, pas le plus impressionnant que t’aies pu grogner, et même plutôt modéré compte tenu de ton état d’ébriété, mais il rafle au passage la lueur menaçante brillant dans ton regard pour n’y laisser qu’un trait de nostalgie. "And you sound just like 'im." Ta pogne relâche son col et vient lui tâter un bout de gueule que tu flattes de deux petites tapes indolores (peut-être juste lourdes, comme le sont tous tes gestes). "Y'should go to Malta som’time. You'd love the ambience. And Iggy's brothel. Plenty of roleplay or whatev' the fuck ov' there." Un nouveau pas dans la boue te fait reculer pour mieux t’enfiler une longue quoique très approximative rasade qui suinte de tous côtés. "What was I sayin' again…? Err…" Tu balaies l’air d’un geste brusque. Un truc chiant à mourir sûrement, vu l’état larvaire dans lequel t’as tiré Yaxley de son rondin de bois.

En errant, tu finis à côté du kelpie congelé et tapes d’un coup de grolle pas trop brutal dans ses chairs solidifiées. "Yeh. Creatures. Curse. Fuckery”, tu radotes, en continuant de siphonner ton litron. Le peu de méninges que tu possèdes se sont visiblement barrées dans le fin fond de ton crâne (ou flottent joyeusement dans la marée de gnôle remontant de tes veines). "A'right I’m done." Ton volte-face est pesant, le pas peu certain, mais tout de même volontaire. Tu racles le sol plus qu’autre chose en te dirigeant vers la tente dans laquelle, de toute évidence, tu comptes te pieuter. Dormir à la belle étoile ne t’aurais franchement pas dérangé, mais, comme l’indique ton signe de tête en direction de la forêt, les bestioles veillent, t’attendent. "Don't forget to streng'en the spells, or we'll wak'up in the belly of a fuckin' beast." Et tu serais le dernier de vous deux à être digéré. Pas dingue comme mort. T’attends pas de réponse, ou bien t’en donne-t-il une que t’entends que d’une oreille obstruée, et tu files dans la tente où tu déambules le temps d’exécuter un petit circuit court et sinueux avant de t’effondrer dans le premier coin vite-fait confortable que tu trouves, ta bouteille serrée dans tes bras comme un biberon et le ronflement d’un nouveau-né repus en bord de babines.