Il y a un silence, bref, entre eux ; un silence qui dure une éternité, ou peut-être deux. Une éternité où Jesse a tout le loisir de réaliser qu’il se tient au bord d’un précipice, et qu’il n’a eu de cesse depuis de longues minutes de faire des pas aussi hésitants que déterminés au bord du vide. Il a passé tant de temps derrière le filet de sécurité, à s’y accrocher et à contempler l’autre côté, ce vide terrifiant et envoûtant l’appelant sans cesse ; il n’y a plus de retour en arrière, maintenant qu’il s’en tient à la frontière, et que chaque battement de son coeur l’enjoint à sauter. C’est ce qu’il souhaite, pas vrai ? C’est ce qu’il souhaitait, en laissant échapper cette évidence – I’ve been in love with you for years, Kay. Il peut entendre sa propre voix résonner entre ses côtes en un écho étourdissant, se déformant un peu plus à chaque fois qu’elle se répète dans son crâne, de plus en plus ridicule, de plus en plus absurde, de plus en plus pathétique.

Parce que Jesse se laisse ronger par ces vents contraires qui se bousculent en lui. Il ne pouvait garder cela pour lui plus longtemps – et s’il avait pu, en réalité ? Il ne voulait plus vivre dans ce grotesque mensonge, quitte à repartir seul dans son coin – et s’il perdait Kay, pour de bon, et s’il a vraiment tout fait exploser ? Ils viennent de coucher ensemble, bordel – et si ce n’était qu’une fois, une unique fois, et qu’il vient de la ruiner en faisant une déclaration malvenue ? Ils ne sont pas que de simple amis, et ne l’ont jamais été – et s’il avait mal interprété, tout ce temps ?

”That's why, that's why there was the plan.” La voix de Kyung presse les battements affolés de son coeur, et Jesse se suspend désespérément à chaque mot, les retourne pour y trouver un sens, s’écorche sur ce plan qui revient comme une formule magique entre les lèvres du sorcier. Il n’est pas certain de ce qui se cache derrière ce simple mot, quand bien même Kay a tenté de lui expliquer sa nature un peu plus tôt, mais il est certain qu'une seule chose, dans ce brouillard confus qui s’est installé dans son esprit : le plan de Kyung est une menace, un rempart entre eux, qu’il n’a eu de cesse de brandir un peu plus tôt pour le repousser. Voilà ce que Jesse a retenu : the plan means no. ”You weren't supposed to tell me this...” Une fissure trace son chemin dans le torse du métamorphomage, alors qu’il baisse entre eux ses yeux gorgés de larmes.

Quel putain d’idiot.
A quoi bon s’être rapproché du précipice, si c’est pour découvrir qu’il n’est en vérité que terrifiant, terriblement douloureux ?

”Or if you did it would have been later, after everything was over”, ajoute Kay, et Jay relève brièvement ses yeux rougis vers lui, en une tentative vaine de comprendre, n’y trouvant qu’un écho confus à ce qu’il lui a dit un peu plus tôt : Now is not the time for being happy. This comes next. Et ce n’est pas assez – dans un élan de tristesse, Jesse a envie de le secouer et de lui arracher à la force de ses mains tout ce qu’il ne veut pas lui dire, ou du moins pas clairement, tout ce qui brûle, juste là, sous sa peau contre laquelle il se trouvait il y a quelques instants seulement, qu’il a pu ressentir dans ses bras, dans son souffle, dans ses baisers et dans ses caresses, tout ce qui a éclaté, le temps de quelques minutes, tout ce que Kay lui a livré en silence, et tout ce qu’il a repris sitôt qu’il s’est détaché de lui. Est-ce que… c’est tout ? Est-ce qu’il y a seulement quoi que ce soit d’autre, dans le buste de Kyung, que ce qui a mordu son ventre brièvement ? Un fantasme, et… c’est tout ? Fuck. ”Fuck. – Look, it’s f–” it’s fine, I get it, you don’t need to say anything, I’ll leave you alone, débute Jesse d’une voix étranglée par sa gorge serrée par son coeur brisé, sans avoir l’occasion de finir pour autant ; ses mots sont ravalés par le corps du sorcier venant se presser contre le sien, le faisant basculer presque brusquement sur le dos, enroulant ses bras autour de lui en une étreinte trop serrée et fébrile à la fois. Et Jesse n’a pas le temps de comprendre, que ses propres mains s’accrochent à sa peau, à ses cheveux, le gardent contre lui alors qu’il presse son visage contre son crâne en laissant son souffle saccadé faire rouler quelques larmes sur ses joues.

”I don't want more.” Le murmure de Kay pénètre sa peau encore brûlante d’émotions et de plaisir, le secoue jusqu’au plus profond de son être lui semble-t-il – une secousse virulente, touchant chaque parcelle de son cœur et de son corps. ”I don't want more”, répète Kay, et ce deuxième écho éveille brièvement Jesse, perdu dans ses bras. You don’t want more… with me? Than me? La question reste bloquée à la surface de son esprit, tout comme le sens du souffle de Kyung, l’un comme l’autre avalé par la pression des lèvres du sorcier contre la peau sensible de son cou, éveillant un frisson électrique en Jesse, qui presse un peu plus ses paupières dans ses cheveux. Il ne dit rien, étouffe son envie de savoir, de comprendre, pour mieux le laisser embrasser son cou, sa mâchoire, ouvrant tout juste le visage pour lui laisser l’espace et accueillir ses baisers sur sa joue sans le relâcher un instant, sous la peur vertigineuse qu’il ne s’arrête de nouveau, et ne reprenne encore tout avec lui – toute cette tendresse, cette vulnérabilité, cet amour que Jay sait ne pas avoir rêvé maintenant qu’il peut à nouveau sentir son coeur battre contre le sien, un tambourinement net, clair, limpide. Alors il tourne tout juste la tête pour venir chercher ses lèvres des siennes, un souffle saccadé lui échappant en retrouvant leur chaleur et en l’embrassant comme si tout se jouait dans ce simple baiser à la saveur de dernière chance.

Pourtant, Jesse le rompt, la respiration courte et le coeur battant jusque dans ses tempes ; il n’ouvre pas les yeux pour autant, et pose son front contre le sien, ses lèvres tremblantes en murmurant ”But do you want me?” d’une voix à peine audible, une fréquence pour eux deux seulement. Il resserre ses doigts dans ses cheveux et sur sa peau, y laissant leur empreinte pour mieux le retenir à lui, autant que pour se fondre contre lui, et lui signifier que, lui, ne le lâchera jamais. ”Yes or no.” Et pas de plan dans les options qu’il lui offre – une réponse simple, brute, dénuée d’explications ou de raisons, un oui ou un non. ”That’s all I need to know, yes or no.”

Kyung-Tae sentit de nouveau la morsure double, à son ventre et à son cœur, en retrouvant les lèvres de Jesse, fondant dans ce baiser à la puissance déroutante, capable de balayer d’un souffle les protestations crépitant dans l’esprit de l’étudiant. ”But do you want me?” La pression de ses doigts sur son crâne et sa nuque manqua de lui tirer un soupir, avalé par ce but qui fit dégringoler son cœur entre ses côtes, la morsure des lèvres de Jay encore contre les siennes. ”Yes or no.” Kyung-Tae rouvrit les yeux, accusant brutalement le choc de cet ultimatum. Yes or… ”That’s all I need to know, yes or no.”

Kyung-Tae avait fait de la résolution de problème la spécialité de toute une (courte) vie – des équations complexes dans le cadre de ses études d’arithmancie aux problèmes autrement plus épineux de l’existence, Kyung, quelque part, ne se sentait jamais autant dans son élément que lorsqu’il se trouvait face à une énigme complexe ou un choix cornélien. Observer, évaluer, supputer, avancer dans la direction qui lui semblait la plus propice – le cas échéant, revenir sur ses pas et bifurquer vers le deuxième choix le plus logique. Un protocole simple, efficace, que sa persévérance (d’autres l’avaient déjà considéré comme un trivial entêtement) portait jusqu’à déboucher, d’une façon ou d’une autre, sur une solution finale, la conclusion libératrice amenant avec elle une vague de soulagement presque extatique.

Lorsque Kyung-Tae, à la question de Jesse, tâtonna en direction de ses capacités de réflexion, sa logique froide, fidèle au poste, qui l’avait plus d’une fois sorti d’une position inconfortable, il ne put que constater qu’un vertigineux néant, un vide absolu que ses alliées de toujours avaient déserté. Rien, nada – rien d’autre que les battements vifs de son cœur tambourinant contre sa poitrine. Un choix simple, yes or no, devant lequel Kyung-Tae cilla nerveusement – cette question était un pivot crucial dont il était le seul à décider de l’orientation, et il se trouvait seulement épaulé de ses seules émotions, une force changeante, imprévisible, sur laquelle il s’était rapidement résolu à ne pas compter, reléguant au placard les balbutiements de son coeur. Yes or no – do you want me? Un choix simple, sans condition – un choix simple sans autre issue que l’un ou l’autre, une réponse aussi définitive qu’effrayante ; un véritable pari sur un rayon que Kyung-Tae avait cru maîtriser jusqu’alors, jusqu’à ce qu’il, qu’ils…

Le souffle de Jesse sur ses lèvres, son torse se soulevant contre le sien, sa peau chaude embrassant la sienne – Kyung-Tae rassembla faiblement ses dernières capacités mentales, flottant à la dérive dans le bouillonnement de son crâne, pour jauger l’impact de la présence de Jesse à ses côtés (contre lui), et la violence du choc lorsqu’il avait menacé de partir. Cela valait-il tous les risques ? Pour Jesse et pour lui – pour ce plan qu’il avait cru sans faille, quand la plus grosse faille s’était trouvée en eux, prête à éclater à la surface de leur peau au moindre choc ? Les larmes de Jesse… La douleur lancinante dans son torse et la colère qui en avait résulté… Le bien-être mordant lorsqu’il avait, lorsqu’ils s’étaient… Pouvait-il ignorer les causes émotionnelles dans un problème uniquement basé sur de stupides sentiments ?

Fuck. Qui aurait cru que Jesse lui poserait la plus grosse colle de son existence ? Kyung-Tae resserra ses doigts sur ses cheveux ras en une prise fébrile, pinçant les lèvres en constatant le silence étourdissant régnant dans sa boîte crânienne. I’ve been in love with you for years, Kay. Il y eut un bref silence durant lequel il retint son souffle, et puis : "Yes." Sa voix état tremblante, un murmure provoquant le plus grand éboulement de son existence – une simple syllabe pour détruire un mur savamment érigé depuis des années, derrière lequel il s’était cru à l’abri, loin du corps chaud et des baisers humides de Jesse. "Yes," répéta-t-il, son souffle court sous la brûlure qui lui montait au visage, éclatant en un rouge vif qu’il sut avoir contaminé jusqu’au bout de ses oreilles. Il ferma les yeux pour ne pas avoir à voir ni la panique sur ses traits, ni la destruction de sa création chérie dont il devrait arpenter les ruines sitôt une fois sorti des bras de Jesse – comment faire ? quel autre plan ? sous quelles conditions ? Kyung-Tae pressa son nez, son visage entier, contre la joue encore mouillée de Jay, comme pour se cacher au plus près de sa peau, aspirant son odeur ; il fronça les sourcils sous ses sens lui renvoyant une multitude d’informations vives, éclatant en une cacophonie sous son crâne, se raccrocha à Jesse en remontant sa main libre le long de ses côtes en une caresse lente et fébrile, appréhendant tout juste la vie battant sous sa peau, la chaleur organique animant le corps sous le sien. Ses doigts coulèrent sur son ventre où il étendit les doigts tandis qu’il enfouissait cette fois, son visage dans le cou moite de Jay, le cœur au bord des lèvres, submergé par un trop-plein d’émotions brutales où son seul salut semblait se trouver dans le contact du corps de Jesse sous sa paume.

Yes or no. Jesse connait bien trop Kyung pour lui laisser le loisir, dans un tel moment, de retourner plonger dans les rouages qui semblent sans cesse en activité de son esprit, des mécanismes dont il a appris à s’amuser autant qu’à se méfier au fil des années à ses côtés, un fonctionnement on ne peut plus éloigné du sien, bien plus impulsif et surtout prompt à commettre des erreurs. Kay, lui, ne semble jamais faire d’erreurs, et une grande partie de l’admiration qu’il a toujours éprouvé pour lui repose sur ce fait ; chaque décision semble pensée, pesée, longuement digérée avant d’être mise en application, et Jesse a observé le sorcier mener sa vie ainsi avec une précaution dont il se moque avec affection parfois.

Oui, Jesse connait bien trop Kyung, et il sait que ce qu’il considère majoritairement comme une qualité peut se révéler être parfois le pire ennemi du sorcier, l’enfermer dans une inaction faite d’une spirale sans fin. Yes or no. Pas de spirale, pas de troisième option, pas de logique froide et mathématique, pas de possibilité d’échapper à ce vide effrayant dans lequel Jay vient lui de s’engouffrer ; yes or no – il ne tient plus qu’à Kay de l’y rejoindre, ou de l’y laisser seul. Et Jesse retient son souffle, prêt à entendre l’un ou l’autre, et rien de plus, confiant néanmoins alors que sa peau chaude embrasse la sienne et que son souffle se mêle au sien, que leurs yeux brillants se cherchent et se trouvent.

”Yes.” Le jeune métamorphomage cligne des yeux rapidement, face à la voix tremblante de Kyung qui s’écrase contre ses lèvres, comme s’il avait mal entendu, ou qu’il ne voulait simplement y croire, comprendre, quand il a lui-même posé cet ultimatum aux airs de dernière chance. ”Yes?”, répète-t-il, incrédule, d’une voix basse à peine audible, un murmure qui semble être plus pour lui que pour Kay, alors qu’il contemple avec un temps de retard les implications de ce yes ; et il les balaye aussi vite, alors que le sorcier affirme de nouveau ”Yes” en fermant les yeux, ceux de Jesse parcourant ses traits d’un rouge vif à cette courte distance pour en récolter chaque détail, et graver dans sa mémoire cet instant décisif. Les implications, ils pourront les voir plus tard, à tête reposée, quand leurs voix seront moins tremblantes et quand lui-même sera capable d’aligner deux pensées cohérentes. Alors, il resserre l’étreinte de ses bras autour de son corps pour l’accueillir et le presser contre lui, pressant ses paupières désormais closes dans ses cheveux. ”Okay”, souffle-t-il du bout des lèvres, englouti par un trop-plein d’émotions grignotant ses synapses et sa capacité de réflexion. Yes – il n’y a que cela qui compte réellement, sur l’instant, une promesse qu’il ne veut et ne peut laisser filer, Jesse s’y raccrochant comme si sa vie et son avenir en dépendaient, un fil de lumière, alors qu’un sourire léger éclate sur ses lèvres humides, et qu’une dernière larme roule sur sa joue. ”Okay.” Son soupir bas se perd dans la chevelure de Kay en un dernier effort pour sceller à haute voix cette promesse.

Il n’a besoin de rien de plus, et il ne cherche pas à en demander plus à Kyung ; il le garde contre lui, à reprendre son souffle et à se laisser engloutir par sa chaleur, jusqu’à ce que ses lèvres retrouvent les siennes au détour d’un soupir et d’un éclat de bien-être qu’il retrouve contre son corps. Jesse l’embrasse, le touche, l’aime avec autant d’empressement et d’avidité que précédemment, si ce n’est plus encore, comme s’il n’y avait besoin d’autres réponses que celle de sa peau moite embrassant la sienne, une évidence qu’il découvre après l’avoir laissé à l’état de fantasme à peine avouable pendant tout ce temps. I love you, I love you and I want you, n’a-t-il pas besoin de dire, ni d’entendre, alors que leurs gestes se répondent naturellement, avec une certaine maladresse avide qui ne rend cet amour que plus vif, brûlant, organique, sincère, véritable.

Jesse n’a aucune idée de l’heure qu’il est, ni de celle à laquelle ils sont tombés de fatigue dans les bras l’un de l’autre. Il sait trois choses, néanmoins, alors qu’il ouvre lentement ses yeux gonflés par le sommeil et ses sanglots de la veille ; tout d’abord, il est bien trop tôt ; ensuite, il est incapable de se rendormir, alors qu’il aurait habituellement grogné pour replonger dans la seconde, son cerveau picoré par une adrénaline qui le cueille aussitôt et la maintient fermement éveillé ; et surtout, il se trouve dans le lit de Kay, contre Kay, son corps blotti contre son dos et son bras ensserrant sa taille, comme il a pu se retrouver au réveil de nombreuses fois au cours de ces dernières années. Cela n’a rien à voir avec ces dernières années cependant, sait-il, sans pouvoir mettre directement le doigt sur cette différence qu’il sent battre vivement dans son torse, encore trop empêtré dans le sommeil – jusqu’à réaliser qu’il se trouve entièrement nu, et qu’il peut sentir Kyung tout aussi dénudé dans ses bras. Son cœur rate un battement, alors qu’il ouvre un peu plus les yeux en cillant, les baissant sur la nuque de Kay face à lui, étendant dans un même temps ses doigts sur son ventre en une étreinte légère. Yes. Et tout lui revient en une fraction de seconde, se bouscule en une avalanche de sensations, d’images, de murmures, d’émotions, des bribes de plus en plus précises et entières à chaque seconde.

Lentement, Jesse reprend son bras quand il le sent remuer contre lui, s’écarte légèrement pour lui laisser la place, une chaleur brusque remontant jusqu’à son visage alors qu’il retrouve le regard de Kyung-Tae, tourné vers lui désormais. Il y a un bref silence, de ceux lourds de sens, porteurs de mots qui n’ont pas besoin d’être énoncés, alors qu’ils se toisent sans bouger davantage. Yes, Kay a dit yes, Kay l’a embrassé et lui a fait l’amour et l’a serré dans ses bras, et il lui a dit yes ; mais les émotions sont retombées, le sommeil les a emporté, et la possibilité que les choses aient pu évoluer pendant ces quelques heures presse le coeur de Jesse. ”Morning”, chuchote-t-il d’une voix éraillée, un sourire faisant son chemin jusqu’au coin de ses lèvres. Il n’ose avoir un geste dans sa direction, sa jambe néanmoins toujours contre les siennes. ”Are you– Did you sleep well?” Ce n’est pas exactement la question qu’il a réellement envie de lui poser, mais il s’en contente pour l’instant, ses yeux se plissant légèrement au-dessus de son sourire. ”Sorry if I woke you up, I– yeah”, ajoute Jesse en ayant une expiration tout juste amusée, pour ne pas dire ce qui lui brûle les lèvres. I just wanted to hold you a bit more.

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Kyung-Tae remua au contact sur son ventre, le poussant à prendre conscience de celui dans son dos ; un étau de chaleur dans lequel son corps lourd de fatigue aurait voulu s’enfoncer – si son cerveau n’avait pas immédiatement identifié l’origine de cette présence, et sonné une alarme brutale en le noyant d’images floues et de sensations sourdes, néanmoins explicites, brusquant ses sens encore mal éveillés et ses yeux plissés par les émotions de la veille. Shit.

Kyung-Tae, piqué par une aiguille microscopique sur sa nuque en une douleur étrangement grisante, bascula sur le dos pour tourner la tête vers la source de chaleur qui l’avait quitté, à présent à une distance légère, ses yeux sur lui. Il cilla pour chasser sa vue floutée par le manque de sommeil et faire le point sur les traits fatigués de Jesse – Jesse nu, chaud de sommeil, son corps encore imprimé sur le sien. I want you. I want you now.

Ils avaient fait l’amour trois fois, morcelées en plusieurs autres, de façon désordonnée, avec empressement et maladresse, désireux d’embrasser chaque parcelle de l’autre pour mieux s’y fondre ; un état de transe dont prenait maintenant conscience Kyung-Tae à la lumière du jour, souffrant d’une étrange gueule de bois, à la fois légère et mordant sa peau de picotements vifs – il n’y avait plus l’ivresse ni la colère pour camoufler les restes de leurs étreintes, une passion brute devant laquelle Kyung se retrouva coi, en se réveillant ainsi au côté de Jay. ”Morning.” Kyung-Tae fut tiré de son réveil confus, porta ses doigts à l’un de ses yeux gonflés pour le frotter, un geste de contenance de ses doigts fébriles pour normaliser ce premier réveil qui faisait battre son cœur en un rythme inconnu, des tambourinements vifs, une mélodie de joie discrète faisant souffrir ses côtes encore mal réveillées. "Morning." Jesse souriait, et Kyung-Tae sentit un sourire étirer ses propres lèvres avant qu’il ne le réprime, baissant les yeux sur son torse, comme pour dérober l’expression honteuse de son bonheur aux yeux de son… De son… De son quoi, au juste ? Jesse souriait, et sa jambe se trouvait contre les siennes – I’ve been in love with you for years. Tout cela était bien réel. Fuck. ”Are you– Did you sleep well?” Kyung-Tae releva les yeux vers lui, parvenu à retrouver son sérieux devant le battement vif dans son torse, sa gorge nouée sous la prise de conscience que la veille avait existé. ”Sorry if I woke you up, I– yeah.”

Kyung-Tae glissa ses doigts dans ses cheveux en pagaille, avant de les relâcher lorsqu’il se rappela la sensation vive des mains de Jesse s’y agrippant. "It’s okay." Il s’éclaircit la gorge pour chasser sa voix rocailleuse qui persista malgré lui, ses cordes vocales encore sèches suite à cette trop courte nuit. "I slept alright, yeah", reprit-il en renvoyant au placard les protestations d’une vérité étouffée – Jesse l’avait réveillé trois fois durant la nuit, comme toujours lorsqu’il se greffait à lui durant son sommeil. Cette fois, pourtant, Kyung-Tae n’avait pas eu la moindre envie, ou ressenti la moindre obligation, surtout, de se défaire de cette étreinte douce – il s’était rendormi avec l’assurance qu’il ne profitait désormais plus des mouvements nocturnes de Jesse ni de la chaleur trompeuse de ses bras autour de lui, qu’il ne pourrait emporter avec lui qu’en rêve.

Il lui suffisait désormais d’étendre le bras pour toucher la peau de Jesse, établir le contact, chasser l’ambiguïté que le jour avait apportée avec lui. Mais Kyung se trouvait de nouveau bêtement paralysé face à la proximité de Jesse, incapable de faire un geste pour combler cette distance réduite quand la jambe de Jay se trouvait contre la sienne, quand il se trouvait encore dans ses bras quelques instants plus tôt, quand il pouvait encore sentir sa peau moite sous la sienne, son souffle brûlant mêlé au sien – autant d’images vives, grisantes, qui le réduisait à un stade presque larvaire, forcé à simplement regarder Jesse quand il mourrait d’envie de le retrouver.

Kyung-Tae prit soudainement conscience de son regard rivé sur Jay, se languissant en silence de ce qu’il n’osait effleurer du doigt ; il se râcla la gorge pour mieux ajouter la première chose qui lui vint, la suite d’une conversation sans relance, stupide, qui fit légèrement rougir le haut de ses oreilles tandis qu’il tentait de se donner l’air de la conversation, et d’ignorer l’éclat brumeux du regard de Jesse sur lui : "And hum, and you?"

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”It’s okay.” La voix de Kyung lui semble lui parvenir directement d’un rêve, ou plutôt d’une réalité légère étirée, distordue, un pied dans celle où ils ont vécu cette nuit, et un pied dans celle de ce réveil inédit, où il peut encore sortir la chaleur du sorcier imprimée sur sa peau. Ce n’en est pas un, de rêve, et Jay le constate aux battements anxieux mais tendres de son coeur, et surtout au sourire bref qui apparaît sur le visage de Kay, une fraction de seconde seulement, mais suffisante pour qu’il en relève la teneur elle aussi inédite – douce, heureuse, de ces notes légères que Jesse se prend à vouloir surprendre de nouveau, provoquer même, pour pouvoir les immortaliser sur papier. ”I slept alright, yeah”, lui répond-t-il d’une voix éraillée et encore lourde de sommeil, de quoi faire fondre un peu plus le coeur du métamorphomage qui n’en dit rien – il l’a pourtant entendu tant de fois, cette petite voix rocailleuse, mais jamais elle n’a fait couler une chaleur aussi vive entre ses côtes que ce matin. Peut-être est-ce parce qu’elle résonne désormais agréablement avec les soupirs lourds de Kay contre sa peau remontant à la surface de son esprit, le poussant à ciller pour ramener ses pensées sur l’instant, et ne pas les laisser s’égarer vers ces images brûlantes. ”Cool”, souffle simplement en retour Jay, un mot bien éloigné de tous ceux qui lui brûlent les lèvres et qu’il crève d’envie de laisser sortir ; de toute évidence, il ne saurait même pas par où commencer, il y a bien trop à dire, et si peu à la fois.

What are we?, est probablement ce qui le démange le plus. Il n’a pas pris la peine de lui demander, ni de vraiment se poser la question cette nuit, préférant nettement partir à la découverte de ce corps dont il a rêvé tant de fois, de ses mains et de ses lèvres, à la recherche des tressaillements de ses muscles et de soupirs ; à la recherche du temps perdu, pourrait-on dire également, alors qu’ils se sont aimés pendant des heures, presque sans interruption, jusqu’à ce qu’ils tombent lourdement de fatigue dans les bras l’un de l’autre, sans même que Jesse ne le réalise. Et c’est presque sans transition, pour lui, qu’il se retrouve face à Kay, ses jambes contre les siennes et ses yeux dans les siens, à savourer cet après aux doux airs de rêves. What are we? Il peut presque toujours la réponse du bout des doigts ; la peur qu’il ne s’agisse que d’un coup d’un soir a été nettement écartée, hier soir, et l’est encore par le regard presque perdu de Kyung-Tae sur ses traits.

C’est à peine si Jesse se rend compte de cet instant de flottement, où son coeur se presse avec plus d’insistance contre sa cage thoracique, et où ses yeux tombent sur les lèvres sèches de Kay. Il ne lui suffirait que d’étirer la nuque, pour venir les cueillir et retrouver cette douceur dont il a cruellement manqué pendant des années. Mais le raclement de gorge du sorcier le ramène à cette réalité où ils sont face à face, nus et silencieux à se détailler. ”And hum, and you?” Hein ? Et lui de quoi ? C’est un regard presque surpris qu’il relève dans le sien, avant que la question qu’il lui a posée il y a quelques secondes à peine ne lui revienne. ”Oh, hm, yeah yeah”, arrive-t-il à extirper de ses pensées éparses, avant de pousser une expiration presque amusée, un poil gênée. Jesse dort, de fait, toujours bien, même quand il n’a que quelques heures pour se reposer, ou qu’il se retrouve à devoir faire une sieste assis par terre entre deux shifts. Mais cette nuit… ”Really, really well”, ajoute Jay d’une voix légèrement plus basse en baissant un instant les yeux entre eux, n’assumant pas entièrement cette déclaration on ne peut plus lourde de sens.

Now what? Est-ce qu’ils vont rester une minute de plus à se toiser en silence, sans avoir de gestes l’un envers l’autre ? Jesse n’est pas certain d’en être physiquement capable, alors que tout son corps réclame de reprendre là où ils se sont arrêtés, il y a quelques heures à peine, et d’effacer la légère, à peine tangible distance que ce réveil étourdissant met entre eux – et surtout, alors qu’il sait que Kay, lui, en serait très certainement capable, de rester ainsi encore un long moment. Alors il relève ses yeux dans les siens, brillant d’un sourire qui ne perce néanmoins pas complètement sur ses lèvres. ”Hey, say… Can I get a hug?”, demande-t-il presque dans un murmure, sans réussir cette fois à contenir l’ombre de sourire pointant au coin de ses lèvres. Et lorsque Kyung accepte, son cœur fait un bond magistral dans son torse, sa main retrouvant sa taille, puis son dos. Ses gestes sont un peu maladroits et gourds, en reprenant ses repères encore peu établis sur son corps ; mais c’est avec assurance qu’il vient enfouir son visage dans son cou en se serrant contre lui, inspirant l’odeur douce et presque légère de sa peau.

Il n’a que trop conscience de leur nudité et de leur fébrilité, alors qu’ils se tiennent ainsi sans un mot, et que ses doigts tracent des arabesques hasardeuses sur son dos. Évidemment, qu’il y a une partie de lui qui cherche à lui dire que c’est étrange, mais Jesse écoute plutôt celle lui soufflant à quel point il est naturel et confortable d’être dans les bras de Kyung – et surtout, à quel point il pourrait se rendormir d’une seconde à l’autre tant il s’y sent bien. Shit ; il rouvre les yeux dans un effort pour rester éveillé, sans se détacher pour autant de lui. ”Is that ok for me to say I’m kinda hoping you don’t have any plans this morning because I want to stay like this for another couple hours?”, finit-il par dire tout bas, découvrant à quel point il est aisé de le lui dire quand il se trouve contre lui, hors de son regard empli d’hésitations, tout comme le sien. Jesse ne sait plus hésiter, dans les bras de Kay.

Jesse avait l’air ailleurs ; un fait dont Kyung prit conscience en le voyant presque pris de court par sa question, quelques secondes à peine après la sienne. Il n’était pas difficile d’imaginer où son esprit avait pu errer aussi rapidement, alors qu’ils étaient encore nus comme des vers… Kyung-Tae enfonça légèrement plus son visage dans son oreiller pour cacher la gêne fébrile qui menaçait de s’étendre sur ses traits, son regard toujours rivé sur Jesse. ”Oh, hm, yeah yeah.” L’expiration amusée de Jesse secoua légèrement l’embarras de Kay, sans pour autant parvenir à l’en défaire complètement – le début de sourire sur ses lèvres s’évanouit à son regard sur lui et à sa voix légèrement plus basse, lourde de sens : ”Really, really well.” Heureusement pour Kay, Jesse baissa les yeux face à ce sous-entendu trop lourd pour eux deux – il ne vit rien de la rougeur qui s’épanouit sur la nuque et les oreilles du sorcier, dont le regard était rivé, si ce n’était figé, sur les traits du métamorphomage, comme paralysé par cette première référence à ce qui n’était autre que leur nuit ensemble.

Il y eut un nouveau silence, durant lequel Kyung-Tae regarda Jesse regarder l’espace entre eux. Il se trouvait dans un état de confusion nouveau, loin du brouillard mental qu’il avait pu connaître la veille ; il y avait une forme de clarté dans les battements assourdissants de son cœur, un rai de lumière lui indiquant la route dont la finalité n’était autre que Jesse, juste devant ses yeux. Il ne fallait qu’un geste, qu’un mot pour pouvoir franchir la distance qui…

Le regard brun de Jesse retrouva le sien et Kyung-Tae sentit son pouls s’accélérer face à la lueur douce dans ses yeux, un millième de seconde avant le choc. ”Hey, say… Can I get a hug?” Il avait beau s’y être attendu, la demande résonna comme un son de cloche dans son crâne bousculé par le croisement de ses rêves et de cette nouvelle réalité. Ce n’était pas la première fois qu’ils s’étreignaient, ou même que Jesse lui réclamait un câlin – c’était en revanche la première fois qu’il le faisait sans ambiguïté aucune, depuis que tout (ou presque) avait été dit la veille. Ce n’était pas une étreinte amicale – c’était… C’était autre chose d’indéfini rendant Kyung-Tae aussi nerveux que le jour où il avait passé le Maneung. "Yeah… Sure."

Kyung-Tae relâcha son oreiller en baissant les yeux, avant de brusquement les détourner devant le corps de Jesse se dévoilant tandis qu’il bougeait sous la couverture – il balbutia légèrement en lui demandant de soulever sa tête, avant de passer ses bras autour de lui en des gestes fébriles, repliant gauchement ses bras autour de lui, ne sachant trop où il pouvait encore se permettre de poser les mains, déglutissant légèrement en se retrouvant ainsi contre Jay, ce dernier enfouissant son visage contre lui. Kay effleura ses cheveux du bout de ses doigts, et se raidit au contact des doigts de Jesse dans son dos ; le contact physique (intime), à même sa peau était une occurrence rare et il n’était pas sûr d’avoir un jour senti les dessins maladroits de doigts sur son corps. ”Is that ok for me to say I’m kinda hoping you don’t have any plans this morning because I want to stay like this for another couple hours?” Kyung-Tae baissa les yeux sur le haut du crâne de Jesse, une chaleur douce irradiant entre ses côtes. "Yeah. Yeah, that’s okay…" fit-il en retour en resserrant son étreinte, fermant les yeux en laissant aller sa joue contre les cheveux de Jesse. "I don’t have any plans." You can stay.