Il a perdu Mafalda, mais il n'arrive pas à réfléchir correctement. Il devrait peut-être se transformer, aller lécher et panser ses plaies ailleurs: mais dans l'agitation environnante, et avec son battement de coeur qui résonne entre ses oreilles avec force, il ne parvient ni à réfléchir ni à se concentrer suffisamment longtemps pour accomplir sa métamorphose. Alors il marche, hébété, il boite un peu, il a du mal. Les sortilèges se sont additionnés, succédés, ils ont hurlé tout autour de lui. De la fumée, des explosions, des hurlements... du sang. Du sang quand il passe sa main sur son crâne et baisse les yeux sur ses doigts tâchés par l'hémoglobine. Mauvais signe. Il a perdu Mafalda. Il s'en souvient et relève les yeux. Au milieu de l'affrontement, il l'a vue puis l'a perdue de vue, hurlant son nom sans qu'elle ne l'entende. Il a vu... qu'a-t-il vu? Il a vu Ron, cheveux roux brillants dans l'épaisse poussière tombée sur la place... il a vu Hermione à ses côtés... il a vu Harry. Il a vu Harry. Un Harry changé... un Harry dangereux. Un Harry avec de la propagande dans la bouche. Peut-être devrait-il se remettre plus sérieusement à Potterwatch... et renommer la station de radio dans la foulée. Peut-être... peut-être peut-être peut-être. Peut-être qu'il doit retrouver Mafalda. Il l'a vue pourtant...

Il a vu Malia aussi.

Malia.

Ce mot l'anime tout entier alors qu'il se hâte dans les rues de Diagon Alley, le soleil commençant lentement la fin de sa course dans le ciel tirant de longues ombre sur le sol. Autour de lui les sorciers s'activent, personne ne peut transplaner et tout le monde prend la direction du Cauldron, ou de leur maison. Ils n'ont pas de planque sur l'Alley... demain, la liste des disparus et morts sera longue, Lee n'en doute pas. Il faut qu'il trouve une planque, un endroit où reprendre ses esprits, un endroit pour contacter ses amis afin qu'ils devisent un moyen de s'échapper... il faut... c'est là. Il a perdu Mafalda. Il faut qu'il la retrouve. Dans la huée, il parvient à donner des coups d'épaule et à entrer dans l'immeuble, se laissant plus tomber qu'autre chose contre le battant qui, miracle, s'ouvre. Il monte les escaliers à grand mal, le mal de tête devient migraine, l'inconvénience devient douleur aveugle, il se traîne jusqu'à l'étage où habite Malia. Malia. Il n'est venu ici qu'une seule fois, quand les parents de la jeune Shacklebolt ne pouvaient pas le rejoindre et qu'il a dû passer des informations à la fille du couple... il est resté sur le pallier, celui sur lequel il se tient en cet instant précis, alors qu'il laisse tomber son épaule avec tout son poids contre la porte, son autre main se levant pour y frapper cinq fois.

Quand le battant s'ouvre, il manque de s'effondrer et se rattrape au dernier moment; le déséquilibre est tel, ceci dit, qu'il finit par totalement valser et tomber à genoux, une main s'agrippant à la hanche, puis à la main de Malia. Il l'a vue sur la place... ils ne se sont pas vus depuis longtemps, depuis avant la mort de ses parents en fait. Des années à l'observer, des mois à être son ami, des semaines à servir de point de contact entre elle et l'Ordre. Tout ce temps et elle est toujours aussi jolie qu'au premier jour quand elle le regarde d'un air effrayé et effaré quand il chavire à ses pieds. Il ouvre la bouche pour parler et, crachant du sang, marmonne: “ s'il te plaît... ” d'une voix faible, avant de sombrer dans l'inconscience.

Bien entendu, que Malia a vu Lee.
Bien entendu, qu’elle a tenté de le retrouver dans tout ce bazar, dont l’odeur âcre rappellera aux plus téméraires d’entre eux, une fois de plus, de ne pas se dresser contre un gouvernement ayant déjà fait ses preuves à de nombreuses reprises. Ou inversement, peut-être rappellera-t-elle au gouvernement de se méfier un peu plus des groupuscules malmenés depuis de trop nombreuses années.
Bien entendu, qu’elle est occupée à faire les cent pas dans son appartement, incapable de savoir si elle est supposée aller à la rencontre de Lee ou s’il aura l’illumination de venir frapper à une porte qui, elle espère qu’il le sait (et qu’importe qu’elle ait un peu de mal à l’admettre), lui sera toujours ouverte.
Et si Lee ne parvenait pas jusqu’à son appartement ? Rien que l’idée lui donne l’impression que son coeur se prend pour Green et son double Dinkley — la sensation de vertige la dévore et fait remonter son estomac jusque dans sa gorge. C’est pas le sentiment le plus plaisant qu’elle connaisse, faut bien l’avouer.
Finalement, un peu comme si Merlin ne supportait plus d’avoir à observer le fauve tourner en rond dans sa cage, cinq petits coups résonnent contre la porte de l’appartement. C’est à peine audible, tant et si bien que Malia se demande soudainement si ce n’est pas l’envie de les entendre qui lui joue un tour relativement cruel. Qu’importe. Ça ne l’empêche pas de se jeter dans l’entrée à une vitesse record, un geste qu’on ne lui connaît pas — faut dire que la notion d’effort autre qu’intellectuel est inconnue au bataillon d’une vie plus encline au calme qu’à une effervescence toujours arborée.
Y’a un murmure de supplications qui s’échappe d’entre ses lèvres rougies et le cerveau de Malia qui se fige, une chaîne qui déraille quelque part, des rouages qui se bloquent quand ils ont besoin de fonctionner le plus efficacement. Lee a toujours été spécial et sans doute ne l’a-t-il jamais laissée entièrement indifférente — cette fois, pourtant, c’est la première fois qu’elle ressent un sentiment d’une telle ampleur. Lee l’excentrique, ouvertement relégué au rang d’imbécile sur lequel elle n’aurait jamais officiellement posé le regard, quand dans l’intimité leur relation a toujours oscillé délicatement entre le flirt et l’amitié sincère, a, c’est certain, le don de faire des entrées fracassantes. Pour la peine, elle a presque envie de le hisser de force sur ses deux pieds et lui faire regretter son culot — comment ose-t-il se pointer ici après autant de temps ? Après une simple carte de condoléances et un silence radio ?
C’est pas comme si elle avait espéré si fort qu’il retrouve le chemin de chez elle qu’il avait fini par se pointer comme par enchantement, après tout.
Non, vraiment. Lee, quel petit con.
« T’es vraiment qu’un imbécile, Lee Jordan », fait-elle en le rattrapant finalement, plus poupée de chiffon que véritable humain. « T’as intérêt à m’avoir entendue ». Et à pas clamser sur son canapé. Avec plus de certitude qu’elle n’en a eu durant les quatre dernières années, Malia attrape sa baguette et la pointe une première fois en direction du jeune homme, puis en direction du canapé où les coussins se rassemblent en un amas surélevant légèrement le corps de Lee.
Le problème, c’est que Malia est juriste et pas médicomage — bloody hell, où est Cassie quand elle a besoin d’elle ? —, alors quand elle est pas occupée à paniquer, tout en faisant semblant du contraire pour tenter de s’en convaincre, elle se surprend à faire approximativement n’importe quoi. Enfin, pas tant que ça, visiblement, parce que la majeure partie des plaies de Lee finissent par cicatriser, même si elle doit s’y reprendre à plusieurs fois, même s’il y a quelques ratés et qu’il devra certainement consulter un vrai médicomage quelque part autre que dans son appartement. Merlin, avec quelqu’un comme elle pour s’occuper des soins à prodiguer, heureusement que Lee a perdu connaissance plus tôt dans la soirée et qu’il ne semble vouloir émerger qu’une fois la nuit tombée. « Salut, étranger », fait-elle en venant s’installer au bord du canapé, pupilles soucieuses vrillées en sa direction pour l’examiner plus attentivement. Bon, il a l’air plutôt vivant et savoir qu’elle ne l’a pas tué, c’est une nouvelle relativement réjouissante. « Toujours un aimant à mauvaises idées, à ce que je vois ». Elle a le sourire facile et pourtant, c’est de sombres reproches qui attisent la flamme du regard qu’elle pose sur lui, sachant pertinemment qu’on ne peut changer la nature profonde d’une personne. Certainement pas la sienne. C’était ce qui lui plaisait, à l’époque. C’est ce qui lui fait peur aujourd’hui.

Pendant un très bref instant, Lee se rend compte qu'il est en train de s'évanouir et serait presque en train de s'en réjouir: tout va bien, Malia lui a ouvert la porte donc elle va s'occuper de lui... non? Et il n'aura plus mal... et puis il tombe, dans l'inconscience et aussi physiquement, mais la jeune femme a la bonne idée de le rattraper au dernier moment; et son oreille interne fait un tour et le monde revient envahir ses sens, l'assommer au passage mais le gardant douloureusement conscient. Même pas foutu de rester évanoui. Il se déteste. Sa tête dodeline, ceci dit, et il ne semble pas très loin d'y retourner tête la première, dans ces eaux profondes du Léthé. Malia marmonne un truc, le traite d'imbécile, il entend à peine: il l'a à tant de reprises entendue dire ça que ça ne le touche même plus. C'est en demi-teinte que le reste lui parvient: ses pieds qui arrivent à marcher de manière hasardeuse, le plancher qui traîne contre le bout de ses Converses défoncées, un meuble qui lui rentre dans la hanche et finalement... un lit de nuages dans lequel Lee s'enfonce bien volontiers.

Il ne se rendait même pas compte à quel point son dos et son torse lui faisait mal jusqu'à ce qu'il s'allonge. Il pourrait rester là des heures... On lui fait quelque chose et il se laisse faire, plongeant et ressortant de l'inconscience spasmodiquement. Il a la vague impression qu'on lui tire des bouts de peau ici et là... Et puis un flash de brilliance: la douleur est telle qu'il tressaute mais dès que sa nuque refait contact avec le coussin, il ronfle pour de bon.
Enfin il ne ronfle pas vraiment. Les rêves sont fiévreux, plein de douleurs et d'inquiétudes, mais le corps ne bouge pas, rigide comme un cadavre sur la voie du rigor mortis.

Il rêve de Mafalda et il rêve de l'étrange fumée tirant sur l'orange qui a explosé comme un poison furibond sur toute la place. Il rêve de Harry et Harry qui ouvre la bouche et sa bouche est grande comme le monde et ses dents effilées comme des rasoirs et il avale tout le monde et ils meurent. Il rêve des loups-garous et il rêve de la terre meuble sous ses pattes, l'odeur de la forêt la nuit. Il rêve Sweet River, il rêve de George et surtout, surtout il rêve de Fred. Fred qui lui raconte quelque chose à propos d'un livre, un vieux livre que les trois compères s'étaient prêtés en deuxième année... un livre qui racontait l'histoire d'une reine rancunière et laide, d'un prince qui s'était enfui, d'une histoire d'amour... quel était le nom de ce livre...?

Où est Fred? « Salut, étranger. » Lee se redresse d'un mouvement un peu brusque, et s'arrête à mi-chemin en grognant. Où est Fred? Où est-il? La source de la voix se rapproche et Lee a un mouvement de recul instinctif: pendant un bref instant, il est de retour dans les geôles du Ministère, subissant tous les mauvais traitements possibles et imaginables. Mais non, c'est... Malia. Malia. Il est allé chez elle avant de s'écrouler... et... où est Mafalda? « Toujours un aimant à mauvaises idées, à ce que je vois. » Elle s'est assise près de lui et Lee soupire en fermant brièvement les yeux, ses mains se levant pour s'y appuyer rapidement. “ À quoi bon changer une équipe qui gagne? ” répond-t-il, comme si la douleur lui avait jamais apporté la moindre victoire.

Il fait tomber ses mains pour la regarder, s'assurer que c'est bien elle. Oui. Malia avec ses jolis yeux et ses jolis cheveux et son joli petit sourire. Bon, en l'occurence, là, elle ne sourit pas. Mais Lee n'a aucun mal à l'imaginer, pour l'avoir tant observé à Hogwarts... “ Merci de ne pas m'avoir laissé mourir. ” Il recommence l'opération redressage, se bat contre la douleur jusqu'à parvenir à s'asseoir, se laissant tomber contre le dossier du canapé. Son t-shirt gris est tâché de sang et tailladé le long de ses côtes. Il sent encore une douleur sourde et, quand il effleure la chair, celle-ci est très sensible... Malia n'est pas médicomage mais elle a assurément fait de son mieux. “ Tu sais où est... ” Il s'interrompt, en se rendant compte que si Mafalda n'est pas là, c'est qu'elle a dû filer ailleurs. La possibilité qu'elle ne s'en soit pas sortie est évidemment impossible. “ Quelle heure est-il? Quel jour? ” finit-il par demander abruptement, ses yeux sombres vrillant sur Malia un regard paniqué.

Malia prend soin de Lee comme elle peut, et si c’est pas forcément une grande réussite, c’est toujours mieux que de le laisser sur le pas de sa porte, livré à lui-même ou pire, entre les mains d’un gouvernement prêt à tout pour mettre la main sur quelques figures d’une résistance qui, Malia en est certaine, ne doit plus tenir à grand chose depuis que Potter s’est pointé tout sourire pour annoncer qu’il était bel et bien vivant, finalement. Y repenser lui fait serrer les doigts autour de sa baguette avec un peu plus de fermeté. Elle sait pas trop si elle a le droit d’être en colère, ignore jusqu’à sa place dans ce conflit, mais une chose est certaine : elle ne se sent plus si indifférente que ça, en fin de compte.
Elle sait pas vraiment si elle l’a un jour été.
(Non)
Et quand Lee se remet enfin à gesticuler, très légèrement dans un premier temps, Malia ne peut s’empêcher de respirer à nouveau, ne se rend compte qu’elle avait retenu sa respiration tout ce temps qu’à présent.
Il est en vie.
C’est une bonne nouvelle. Vraiment. Elle sent son palpitant louper un battement, plus d’aise qu’autre chose. « A quoi bon changer une équipe qui gagne ? », qu’il ose lui répondre, provoquant inéluctablement un roulement d’yeux exaspéré en direction du plafond de l’appartement de la part de Malia. Lee, partiellement conscient depuis elle ne sait trop quand exactement, l’agace déjà. C’est pas comme si elle ne s’y attendait pas ou comme si elle ignorait l’art et la manière qu’a — et a toujours eu — le jeune homme pour susciter chez elle ce genre de sentiment. Constamment accompagné d’une certaine forme d’affection rapidement reléguée à la catégorie de ces (nombreuses) choses qu’elle n’avouera jamais de vive voix. « Merci de ne pas m’avoir laissé mourir ». Il tente de se redresser, s’asseoir, elle le devine sans grande difficulté, alors elle place précautionneusement un bras sous son coude et l’aide. Juste un petit peu, juste ce qu’il faut. « C’est pas comme si tu m’avais laissé le… Evite de toucher à tes blessures, tu veux ? » Elle a les yeux qui glissent sur ses côtes endolories, puis qui remontent pour capter l’attention du jeune homme. « Ecoute, je sais que c’est pas terrible », avoue-t-elle à mi-voix, un élan de culpabilité faisant vibrer l’intonation d’une voix habituellement empreinte d’une sûreté qu’ils lui ont tous envié à un moment donné, elle le sait. « Je suis désolée de pas pouvoir faire plus. » Elle se redresse légèrement, le regard détale comme un fuyard pourchassé et finalement, elle se relève pour se diriger vers la cuisine. « Ton amie la rouquine ? » Une Weasley, certainement ; c'est réducteur, mais elle s'en fiche pas mal, Malia, de généraliser si vulgairement. Une main sur le mur séparant les deux pièces, Malia passe la tête par l’arche afin de pouvoir lui lancer un regard contrit. « Elle était avec une blonde. C’est tout ce que je sais ». Une blonde, oui, c’est ça. Deux gamines paumées qu’elle aurait pu aider, qu’elle s’est contentée d’observer en souhaitant ardemment les voir se sortir de ce pétrin. Aucune main tendue, rien dont Malia puisse être fière. Oh, Merlin. Ses parents doivent certainement se retourner dans leur tombe et par simple cruauté (parce qu’elle le mérite), elle se laisse aller à des chimères où les joues de père et mère sont colorées d’une honte qu’il n’est, de toute façon, pas compliqué d’imaginer. « Quelle heure est-il ? Quel jour ? » Malia revient, un verre d’eau à la main, qu’elle lui tend presque du bout des doigts, comme si le contact, après tout ce qu’elle avait déjà fait, pouvait lui brûler l’épiderme.
C’est que c’est pas Lee le problème, c’est elle.
Un geste du poignet, les yeux rivés sur le cadran, elle se contente d’arquer un sourcil : « il va être vingt-et-une heure, toujours le même jour. » Elle marque une pause, croise les bras, ne sait réellement quelle position adopter. « Peut-être que tu… » Lèvres pincées, elle hausse doucement les épaules, comme si elle était indifférente à la proposition qu’elle envisage depuis le début. « Peut-être que tu devrais passer la nuit ici. Et on avisera demain. » C’est vrai qu’elle apprécie pas énormément les surprises et que le mot aviser lui fait un peu peur. Pourtant, elle est plus certaine, cette fois-ci et parvient à chasser les rouages poussiéreux d’une voix endormies par l’impassibilité quotidienne.

Lee ne sait pas trop quoi faire de la générosité et de la sollicitude de Malia. Elle n'est pas quelqu'un de mal, ça, il le sait. Mais elle a lâchement abandonné toute la relation que ses parents avaient construit avec l'Ordre après leur mort. Lee ne peut pas lui en vouloir. Il ne peut même pas se mettre à sa place et seulement imaginer ce qu'elle a vécu en perdant ses parents. Il refuse de l'imaginer, refuse de se mettre à sa place, de se laisser lui-même penser à son père qui...
Non. Il ne peut pas imaginer la douleur, le chagrin, le deuil. Mais une part de lui lui en veut peut-être. De les avoir laissés tomber. D'avoir réduit à néant les efforts de ses parents. D'avoir tiré un trait sur leur lien. « C’est pas comme si tu m’avais laissé le… Evite de toucher à tes blessures, tu veux ? » Elle l'aide, pourtant, à se redresser; et c'est d'un air inquiet qu'elle le regarde, d'un ton inquiet qu'elle lui parle. Lee, qui a plus l'habitude de s'occuper des autres plutôt que de les laisser s'occuper de lui, fait un peu la moue en posant ses longs doigts sur ses côtes, pour en apprécier la douleur avec précaution. « Ecoute, je sais que c’est pas terrible. Je suis désolée de pas pouvoir faire plus. » Il secoue un peu la tête. Du moment qu'il ne s'écroule pas ce soir ou demain d'une infection... Elle se relève et Lee la suit des yeux, se rappelant brièvement de Mafalda et son coeur s'emballe: est-elle... « Ton amie la rouquine ? » Malia disparaît, puis sa tête revient. « Elle était avec une blonde. C’est tout ce que je sais. » Une blonde... bon ça devrait aller pour le moment. Gabrielle, sans aucun doute, du moins Lee l'espère... Merlin, pourquoi autant de gens ont-il décidé de désobéir à Kingsley?

Lee soupire un peu, se détend en se laissant aller contre le coussin que Malia a généreusement mis dans son dos, avant de s'enquérir de l'heure. Il est très reconnaissant quand Malia revient et lui met un verre d'eau dans les mains, l'amenant aussitôt à ses lèvres pour en avaler trois longues gorgées. « Il va être vingt-et-une heure, toujours le même jour. » Nouveau léger soupir de soulagement alors qu'il garde le verre d'eau dans la main. Il se sent se détendre visiblement, comme si il n'était pas chez l'ennemi. « Peut-être que tu… » Il tourne les yeux vers elle, surpris de son hésitation — Malia ne l'a jamais habitué à ça. « Peut-être que tu devrais passer la nuit ici. Et on avisera demain. » Il cligne des yeux. Il devrait se remettre en route, quitte à se transformer. Sortir de l'Alley et transplaner au plus vite. Sans doute que la Brigade va venir toquer à toutes les portes. Ce n'est vraiment pas raisonnable. “ D'accord, ” s'entend-t-il dire, s'injuriant à l'intérieur de son crâne. “ Merci. ”

Il y a quelque chose de curieux dans son regard, mais Malia l'ignore alors il finit par retourner à son verre d'eau qu'il finit prestement. “ T'aurais pas à manger aussi? ” demande-t-il sans gêne, si elle l'invite, alors qu'elle en souffre les conséquences. Il lui offre un grand sourire plein de dents quand elle le regarde. “ T'as changé. Tu t'es coupé les cheveux. ” C'est un peu inutile comme remarque, il s'en rend bien compte. Lee, qui est toujours à l'aise, qui est du genre à s'inviter partout, à détendre les gens et les rendre confiants en eux, se retrouve à agir comme le gamin qu'il était la dernière fois que lui et Malia se sont réellement côtoyés. “ Ça te va bien: ça accentue ton menton et ta mâchoire, c'est joli. ” Il fat qu'il arrête de prononce à haute voix tous les petits détails inutiles qu'il remarque... Elle le regarde comme si venait de lui pousser une deuxième tête. “ Ma lettre, tu l'as reçue? ” finit-il par demander, question qui le taraude depuis des mois maintenant, des années. Une lettre... un mot bien prétentieux pour parler du rapide mot qu'il lui a écrit, lui présentant ses condoléances et pour lui faire comprendre qu'il n'essayera pas de rentrer en contact avec elle et de mettre en péril sa situation dans la société sorcière.

Lee ne capitule pas réellement, parce que Lee ne se bat pas. Peut-être qu’il n’a pas assez de force pour lutter contre la proposition de Malia, quand bien même elle n’est pas la plus prudente qui soit. Après un tel fiasco, tous deux savent très bien que le gouvernement finira pas envoyer ses chiens de garder remuer ciel et terre pour voir si ceux qu’ils relèguent au rang de cafards ne se terrent pas en attendant de panser leurs blessures, espérant que la tempête finira par s’effacer — c’est exactement ce que Lee et Malia font, avec l’idée que le fugitif pourra toujours s’évader avant que le monde se réveille, au lueur d’un lendemain qui semble bien loin pour le moment. « Parfait », se contente-t-elle de répondre, légèrement refroidie par les minutes qui s’écoulent et l’esprit qui s’échauffe en se rendant compte de ce qu’elle a fait. Une véritable traîtrise envers le gouvernement ou un salut pour la cause de ses parents, elle ignore laquelle des deux perspectives devrait être prise en compte.
Qu’importe.
Ce qui est fait, est fait. Malia est partisane des adages vantant l’impossibilité des retours en arrière. L’acte posé aura des conséquences, certes. Le fait est qu’il est trop tard pour s’en soucier ce soir et que, quand bien même l’instinct de survie lui hurlerait de jeter Lee en dehors de l’appartement, elle ne le ferait pas, guidée par des sentiments longtemps mis de côté et l’impression de faire quelque chose de bien. Quelque chose qu’elle n’a plus fait depuis longtemps. Trop longtemps. « T’aurais pas à manger aussi ? » Et aussitôt, Malia se sent stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt, parce qu’après tout c’est Lee et qu’il semble avoir recouvert un début de bon sens, alors bien entendu, c’est le demande qui suit. Le seul problème est que, si elle n’est pas de mauvaise foi et lui offrirait volontiers un repas copieux, la jeune femme ne mange pas sainement et encore moins régulièrement. « Oui, c’est que je… » Les yeux se lèvent machinalement en direction du plafond le temps de réfléchir à ce qu’elle a conservé au réfrigérateur, ce qui pourrait satisfaire l’estomac sur pattes que toi être Lee après un tel événement et les conclusions qui tombent les unes après les autres ne sont pas des plus glorieuses. Lorsque ses yeux se posent à nouveau sur le réfugié d’une nuit, elle lève l’index, prête à énumérer les options, la mine légèrement contrite : « je crois qu’il doit me rester de la lasagne ? » Elle y joint le majeur, qu’elle enserre des doigts de son autre main avant d’arborer une moue agacée. « Oui, bon, c’est tout ce que j’ai, je crois. » Elle arque un sourcil, comme pour lui demander silencieusement si ça lui convient — non pas qu’il ait grandement le choix, de toute façon. « T’as changé. Tu t’es coupé les cheveux. » Elle l’écoute distraitement, plus préoccupée par ce qui va se tramer dans la cuisine : un geste de baguette magique en direction de la dite pièce et un moulinet du poignet plus tard, elle entend les lieux s’activer. C’est l’une des premières choses apprises après avoir libérée Lacy, l’elfe de maison des de la famille, et ça a pas été facile. Les sortilèges liés à l’entretient d’une maison, à la cuisine ou ce genre de choses — très peu pour elle, ça la rebute presque. Mais c’est pour Lee, cette fois-ci, alors elle fait un effort. « Ça te va bien : ça accentue ton menton et ta mâchoire, c’est joli. » Malia, après avoir nié ostensiblement la première remarque, aussi mignonne soit-elle, finit par hausser les sourcils si hauts qu’ils doivent forcément disparaître sous son épaisse chevelure d’ébène, elle en est certaine. « Merci ? » Et maintenant, elle les fronce, peu certaine de ce qu’elle est supposée lui répondre. « Je coupe mes cheveux plusieurs fois par an, tu sais. » Il le saurait s’il n’avait pas coupé les ponts du jour au lendemain (peut-être l’aurait-elle fait elle-même, mais c’est une toute autre histoire, ça). S’il n’avait pas déposé ce morceau de papier en guise de condoléance pour ne plus jamais se pointer au pied des divers points de rencontre où ils avaient l’habitude de se retrouver.
Finalement, elle se décide à s’asseoir sur la table basse faisant face au canapé dans lequel est installé l’ancien Gryffondor. Elle se souvient combien Lee avait facile à lui voler des sourires, parfois même des rires. Il réussissait si facilement là où tant d’autres échouaient lamentablement que c’en aurait presque été déconcertant, s’ils y avaient prêté un peu plus attention. « Ma lettre, tu l’as reçue ? » Bien entendu, elle sait à quoi il fait allusion. Rien de grandiloquent, tout ce qu’il y a de plus impersonnel, même après toutes ces années passées à se côtoyer. « Une lettre ? Non. » Lee n’a pas hésité à envoyer valser des années d’elle-ne-sait-trop-quoi, parce qu’elle ignore comment qualifier leur relation, sans le moindre remord. Et même si elle était parvenue à se convaincre que ce n’était rien, que ça ne comptait pas, elle est incapable d’empêcher la boule logée dans son estomac de remonter jusque dans sa gorge. Quand elle est capable d’ouvrir à nouveau la bouche sans laisse transparaître la peine causée par un geste si insignifiant, presque innocent, elle claque des doigts en hochant positivement la tête. Comme si c’était un détail  parmi tant d’autres qu’elle avait simplement oublié. « Oh, tu veux parler de ce vieux bout de parchemin usé ? » Elle se garde bien de lui dire qu’elle l’a conservé. Il n’a pas besoin de le savoir. Ne mérite pas de le savoir. « Oui, ça me dit vaguement quelque chose. Tu sais, j’en ai reçu tellement à l’époque. » Elle marque une pause, puis ajoute malgré tout : « très attentionné. Je n’ai jamais eu l’occasion de te remercier. »

Des lasagnes... le ventre de Lee gargouille à cette idée. Il s'impatiente à mesure qu'il entend des ustensiles dans la cuisine s'entrechoquer et, il l'espère, préparer un peu de nourriture. À quand remonte son dernier repas...? Depuis l'annonce du retour de Harry, il a du mal à se poser. Il vole de camp en camp, rassure tout le monde, sourit, fait de blagues, discute longuement avec Sofia. Et fait des bêtises avec Mafie... il n'aurait jamais dû y aller avec elle. Y aller tout court. Il va falloir qu'ils discutent un peu tous les deux des responsabilités qu'ils ont chacun envers l'Ordre (il serait bien placé pour faire la morale, tiens). Sa faim, ceci dit, ne semble pas capable de l'empêcher de dire des conneries: ses compliments ne font pas mouche et Malia effectivement le regarde comme si il était devenu fou. « Merci ? » Lee fait un peu la moue, ayant du mal à venir à là où il voulait aller. « Je coupe mes cheveux plusieurs fois par an, tu sais. » Il marmonne quelque chose en retour qui ressemble à lucky you (malheureusement aucun coiffeur n'a trouvé bon de rejoindre l'Ordre et de s'occuper de cette besogne pour eux) et à un ah tout simple et un peu sec en même temps.

Quand elle lui fait face, Lee a un peu plus de mal à parler bizarrement, quelque chose comme de la... culpabilité... l'étreignant. Il aurait dû faire... plus. Il aurait dû arrêter de penser pour l'Ordre et penser à la place à la fille qui venait de perdre ses parents. Ils n'ont jamais été amis (si?) mais tout de même... il aurait pu... aurait dû... c'est dans le passé, tout ça. « Une lettre ? Non. » Le ton est un peu définitif et pendant un bref instant, Lee se dit qu'elle n'a, effectivement, pas reçu sa rapide missive. “ Ah, ” s'entend-t-il dire. Lui en veut-elle parce qu'il n'a rien dit, justement, qu'il a coupé les ponts? Le silence s'étire, inconfortable pour Lee qui sent en plus sa chair pulser là où il a été blessé. Malia ne dit rien et quand elle claque de doigt, l'autre sursaute, pris de court; un éclair de reconnaissance illumine les traits de la jeune femme quand il relève les yeux vers elle.

« Oh, tu veux parler de ce vieux bout de parchemin usé ? » L'embarras transforme le sang dans ses veines en glace... il blêmit à vue d'oeil et se fait tout petit, mais malheureusement il ne peut pas se soustraire à la honte qui soudain l'envahit. « Oui, ça me dit vaguement quelque chose. Tu sais, j’en ai reçu tellement à l’époque. » Il se mord les lèvres, coupable. « Très attentionné. Je n’ai jamais eu l’occasion de te remercier. » Il pourrait faire comme si il n'entendait pas son ton sec et désagréable, mais Lee n'est pas stupide et elle non plus. Alors, repentant, il baisse un peu la tête.

“ Écoute, Malia... ” commence-t-il, sans savoir où va aller la suite... il abandonne, au final, en secouant la tête. “ Je suis désolé, ” dit-il simplement et ces trois mots, prononcés à voix haute, sonnent plus sincères que ceux qu'il a écrit pour la mort de ses parents. “ Je pensais... au début je pensais que soit ils t'avaient prise la main dans le sac toi aussi et que t'allais mourir ou alors trahir et je-- ” Il se souvient de son angoisse quand elle n'était pas venue au rendez-vous convenu, ni au suivant. Il se souvient de l'élan de compassion qui l'avait pris en apprenant la nouvelle en retard. “ Je suis content de voir que tu vas bien, ” continue-t-il difficilement, posément. “ Et je suis désolé, j'aurais dû faire autre chose... je ne sais pas quoi, mais j'aurais dû faire autre chose. Je pensais que tu ne voulais plus rien à voir avec moi- enfin, avec, euh, l'Ordre, ” se rattrape-t-il d'un air embarrassé. “ Ce que j'aurais compris bien entendu. ”

Quand Malia aperçoit les traits du visage de Lee se fermer comme du papier chiffonné, elle ne peut s’empêcher de renchérir un : « ta coupe est bien aussi, tu sais », même si elle n’y croit pas un seul instant. De toute façon, c’est pas de sa faute s’il paraît si négligé. C’est qu’elle imagine mal la vie de fugitif être mêlée à celle de luxure qu’on certains autres sorciers et puis, qui se préoccupe d’une coiffure quand on passe son temps à tenter de sauver le monde magique ? (Ou saboter le pouvoir en place, à méditer). Aucune importante, de toute façon. Vaut mieux que lui comme elle cessent de parler coiffure, mais Malia n’est pas certaine que le sujet que Lee finit par aborder soit mieux que le premier — il est même pire, à bien y réfléchir, parce qu’elle se rend bien compte que plus il blêmit et plus elle sent une colère sourde, oubliée depuis un sacré bout de temps, remonter à la surface. Elle sait bien, pourtant, qu’elle n’a pas le droit de lui en vouloir. Rien ne retenait Lee, rien ne l’obligeait à être présent. Et même s’il l’avait été, Malia l’aurait repoussé, comme tous les autres, neuf chance sur dix, elle en est certaine.
« Ecoute, Malia… » Mais Malia n’a pas envie de l’écouter. Elle a le coeur lourd d’avance, parce qu’elle sent qu’ils glissent le long d’une pente qu’elle arbore de tout son être. C’est de sa faute, en même temps. Elle sait très bien qu’elle aurait dû faire semblant de rien : oui, Lee, j’ai reçu ta lettre, c’était gentil, merci. C’est pas bien compliqué, si ? Qu’importe qu’elle n’en pense pas un mot, elle est habituée à mentir, non ? C’est devenu quotidien, une seconde nature, alors pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Elle le regrette déjà. « Je suis désolé », qu’il finit par lui dire et il y a une partie du poids enserrant le coeur de Malia et pesant sur ses épaules qui s’évapore un peu. Pas grand chose, la colère est toujours présente. Ça fait quatre ans qu’elle vit avec, de toute façon, alors la voir s’allumer et s’éteindre aussi aisément qu’un interrupteur, c’est même plus dérangeant — c’est comme le mensonge, à ce stade, la colère est devenue une seconde nature, qu’elle a appris à contrôler bon gré mal gré. « Ça n’a aucune importance, laisse tomber, d’accord ? » Mais Lee ne laisse pas tomber et ajoute : « je pensais… au début je pensais que soit ils t’avaient prises la main dans le sac toi aussi et que t’allais mourir ou alors trahir et je— » Malia arque un sourcil, la curiosité piquée à vif. « Je suis content de voir que tu vas bien. » Et elle préfère laisser échapper un petit son guttural, légèrement moqueur, qui doit sûrement lui donner les allures snobinardes qu’on lui connaissait du temps de Poudlard, que certaines personnes lui connaissent encore. Elle profite du moment de flottement détourner le regard en direction de la cuisine d’où émane un plateau garnit d’une assiette fumante — pas grand chose, elle aurait aimé pouvoir lui donner plus malgré tout. « Et je suis désolé, j’aurais dû faire autre chose… je ne sais pas quoi, mais j’aurais dû faire autre chose. Je pensais que tu ne voulais plus rien à voir avec moi- enfin, avec euh, l’Ordre. » L’allusion au groupuscule le plus recherché du pays pousse Malia à se redresser et serrer les dents, comme s’il était question d’un mot interdit. « Ce que j’aurais compris bien entendu. » Le problème, c’est que Lee ne comprend rien et qu’elle ne peut même pas l’en blâmer, parce qu’elle non plus, ne comprend toujours pas réellement ce qui lui est arrivé. Ce qui leur est arrivé. Les Shacklebolt sont tombés, et Lee et Malia ont cessé de se voir, de compter, c’est tout ce qu’elle sait. « Tu ne pouvais rien faire », finit-elle par admettre à mi-mots, une confession qui lui arrache une légère grimace. Blâmer autrui c’est plus facile d’admettre que c’est elle la fautive. Que c’est elle qui a repoussé tout le monde. Elle qui a été si en colère qu’elle s’est murée dans un silence et une sous-alimentation qui lui a presque valu un aller-simple pour St Mungo’s. Elle qui est en colère contre le monde entier, mais pas toujours les bonnes personnes. « De toute façon, tu avais raison. Moi aussi, je pensais que j’allais me faire… Tuer. » C’est la première fois qu’elle parle de ce sujet sans le faire passer pour un vulgaire accident, comme le souhaite le gouvernement et ça provoque une drôle de sensation, une douleur presque — moins aiguë qu’aux premiers jours cependant. « Et puis, je t’aurais certainement claqué la porte au nez », dit-elle en levant les yeux au ciel, faisant passer son comportement de l’époque pour un caprice plutôt que ce qu’il était réellement — une profonde lacération à peine cicatrisée, encore aujourd’hui.

Les mots sont plutôt pesants, flottent dans l'air de la pièce lourdement, accablent un peu plus Lee qui n'a pas autorisé la culpabilité à le ronger depuis la dernière fois qu'il a vu Malia; mais là c'est plus fort que lui, tout ressort après avoir mariné pendant des années, et c'est... désagréable. Désagréable parce que Lee, normalement, ne s'autorise pas ce genre d'excès, ce genre de diatribes émotionnelles qui mettent tout le monde mal à l'aise. Il est sensé être le petit rigolo de service, ou alors le loner distant mais sympathique. Il n'est pas sensé être ça: tremblant, un peu fiévreux mais très sincère, regardant Malia avec de grands yeux qui s'humidifient de plus en plus à mesure que le moment s'étire. Que cherche-t-il? Son pardon, sa compréhension? Qu'elle proteste — ce n'est pas ta faute —, qu'elle se mette à sa place — j'aurais fait pareil —, qu'elle pleure — t'es qu'un pauvre con, Lee —?

Il ne sait pas trop ce qu'il attend d'elle. Il ne s'attend pas à ça: « Tu ne pouvais rien faire. » Comme si elle venait de lui donner un coup de poing dans la mâchoire, Lee baisse les yeux sur ses genoux où il a posé ses mains et il regarde ses doigts et ferme les poings, il les serre jusqu'à ce que ses ongles esquintent la peau tendre de ses paumes, jusqu'à ce que ses poignets tremblent de la tension à laquelle il s'astreint brutalement. Il ne pouvait rien faire. Pour Fred, Katie, Lavander, les parents de Malia, et des dizaines d'autres encore, il ne pouvait rien faire. Il pourra devenir aussi fort qu'il veut, aussi puissant, aussi agile, il pourra apprendre tous les sorts, toutes les magies, toutes les potions, il ne pourra pas sauver tout le monde.

« De toute façon, tu avais raison. Moi aussi, je pensais que j’allais me faire… Tuer. » Ils ont donc la même théorie. Enfin, Lee trouve que c'est une théorie déjà plutôt avérée, vu le timing de tout ce qui s'est passé. Ses parents ont été tués. Heureusement, la piste n'a pas été remontée jusqu'à lui mais ils devaient avoir laissé traîné des preuves incriminantes et... ont-il laissé Malia en vie pour menacer le reste de la famille Shacklebolt? Lee sait, de la part de Kingsley, que sa famille a eu du mal à se remettre de sa défection. « Et puis, je t’aurais certainement claqué la porte au nez. » Il peut parfaitement l'imaginer. Lee serre les poings un peu plus fort pendant deux secondes avant de laisser partir la tension de son corps d'un seul coup, relevant les yeux vers Malia: “ et alors? J'aurais dû insister. Revenir tous les jours pour que tu me claques la porte au nez à chaque fois. Jusqu'au jour où tu ne l'aurais pas fait. ” Il secoue la tête. “ Je suis désolé. ” Son ton, cette fois est définitif. Il n'aime pas les expansions émotionnelles, il pense qu'elle non plus, alors autant s'en arrêter là.

Il soupire et se penche lentement, grognant quand la blessure sur son torse lui fait du mal. Il pose les coudes sur ses genoux, met ses doigts sur son visage, les tire vers ses cheveux coupés courts. Il reste dans cette position pendant quelques instants. “ J'apprécie d'être ici, et je comprends les risques que tu prends en cet instant précis, ” dit-il d'une voix un peu terne. “ Je ne sais pas... je ne sais pas si ça vaut le coup. ” Il se dénigre lui-même autant que l'Ordre, bien malgré lui. “ Mais merci quand même. ” Encore une fois, un ton définitif. Fin de la discussion, des excuses et des remerciements. Comme toujours, Lee se force à regarder vers le futur.

Il se redresse aussi longtemps qu'il s'est penché pour la regarder, et lui offrir un sourire un peu faiblard. Il a le teint pâle, il a chaud, trop chaud, un peu de sueur perle sur son front: mais son sourire est comme avant, il creuse des petites parenthèses autour de ses lèvres et même deux larges fossettes sur ses joues. “ Elles en sont où ces lasagnes? ”

Malia, comme elle a le regard rivé sur Lee et qu’elle s’autorisé à observer la moindre de ses réactions alors qu’elle lui avoue sobrement qu’il n’aurait rien pu faire, l’aperçoit baisser les yeux en direction de ses genoux et serrer les poings avec ferveur. Elle a soudainement l’impression de le torturer, que d’une façon comme d’un autre, elle tente de lui faire payer son absence. Et ce n’est pas ce qu’elle veut. Oh, non. Alors elle se penche un peu dans sa direction et fermer ses doigts filiformes autour d’un des poings de Lee et relève les yeux pour avoir l’occasion d’harponner son regard. Comme elle le lui a fait remarquer, il ne pouvait rien faire. Pour son propre bien, elle espère qu’il entendra raison, qu’il comprendra que ce qu’elle dit, elle le pense. Parce que d’une certaine façon, quand bien même la colère s’embrase facilement depuis le fameux événement, s’il y a bien une personne sur terre à qui elle est incapable d’en vouloir, c’est Lee.
Quand elle finit par relâcher son étreinte, elle a le coeur qui bat un peu trop vite. Elle n’aime pas parler de tout ça, même si elle en a besoin et elle pense que Lee n’apprécie pas ça non plus. Ça fait remonter en elle l’idée que, quelque part, elle devrait s’en être allée avec ses parents. Qu’elle est l’électron libre des Shacklebolt à présent et que rien ne la rattache plus à son entourage, malgré les efforts et l’implication de Selena. Qu’une partie d’elle-même s’est envolée le soir où la nouvelle lui a été annoncée. Bref. Elle a du mal à composer avec tout ça et sait qu’elle tend à agir un peu bêtement depuis qu’elle s’est remise de ses émotions : il faut bien avouer qu’accueillir Lee ce soir, sachant combien ils sont tous étroitement surveillés, n’est pas la plus brillante de ses idées. Elle craint sans doute un peu plus que sa tante Selena l’apprenne plutôt que le Gouvernement, quelle ironie. « Et alors ? J’aurais dû insister. Revenir tous les jours pour que tu me claques la porte au nez à chaque fois. Jusqu’au jour où tu ne l’aurais pas fait. » Et plus les mots s’échappent d’entre les lèvres de Lee, plus elle sent les larmes lui piquer douloureusement les yeux, plus elle a envie de le faire taire, parce que c’est si doux qu’elle en a les oreilles qui sifflent. D’un geste de la tête qu’elle secoue, elle chasse ses paroles en même temps que ses larmes, comme si l’une comme l’autre étaient absurdes, mais peut-être, oui peut-être qu’il a raison, dans le fond. Peut-être que, comme pour Selena, comme pour Cassandre ou Felix, elle aurait cessé de lui fermer la porte au nez. Ils ne le sauront définitivement jamais. « Je suis désolé. » Et elle demande finalement : « arrête. Le passé appartient au passé. » Elle marque une pause, laisse échapper un petit rire étranglé avant d’ajouter : « c’est toi qui m’a dit ça une fois. On était encore à Poudlard. » L’époque de l’innocence. Si lointaine que c’en est presque douloureux. « Des paroles emplies de sagesse, tu n’y croyais donc pas ? », demande t-elle en se penchant légèrement dans sa direction. « C’est si rare que ça m’a marquée. » La voix, toujours fluette, se perd quelques instants. La colère, comme elle s’en doutait si bien, s’est déjà volatilisée depuis un petit bout de temps — un interrupteur qui s’enclenche et s’éteint au gré de variantes qu’elle ne saisit toujours pas malgré toutes ces années.
Ce n’est qu’en l’entendant grogner qu’elle pose à nouveau le regard sur lui, légèrement sévère. Lee ne peut visiblement s’empêcher de gesticuler, comme un enfant à qui on aurait demandé de rester en place et qui n’en éprouverait que d’autant plus l’envie de se tordre dans tous les sens. Rien de bien surprenant, donc. « J’apprécie d’être ici, et je comprends les risques que tu prends en cet instant précis », lui fait-il finalement savoir. « Je ne sais pas… je ne sais pas si ça vaut le coup. » Malia lui lance un regard lourd de sens. « Mais merci quand même. » Elle ne sait pas trop ce qui lui passe par la tête, mais elle rétorque tout de même : « ne dis pas n’importe quoi. C’est la chose la plus digne et raisonnable que j’ai fait depuis un sacré bout de temps. »
Elle l’observe se pencher dans sa direction pour finalement lui murmurer quelques paroles qui lui font aussitôt lever les yeux au ciel. « Elles en sont où ces lasagnes ? » Malia se lève pour se diriger vers la cuisine où le plateau s’est mis à léviter. Sur le chemin du retour, elle lui adresse un sourire moqueur. « C’est qu’il deviendrait presque exigeant, dis donc. »