Son regard se perdait sur les étagères d’ingrédients de la réserve sans un clignement. L’habitude l’empêchait de se poser des questions ; la hâte, elle, lui faisait oublier de jouer sur la discrétion qu’il prenait normalement soin d’appliquer lorsqu’il décidait de se servir pour motif personnel. C’était un choix dangereux, peut-être même idiot, mais un choix que Chester avait appris à protéger depuis quelques temps maintenant et où chaque risque pris était soigneusement supporté. Il aurait pourtant pu faire en sorte que ce soit plus simple ; comme par exemple se contenter des privilèges de sang de Felix en s’appuyant sur ce que l’architecte pouvait apporter à leur relation, sans que rien ne soit jamais remis en cause par la simple et bonne raison que personne n’irait fouiller dans les affaires d’un sang-pur sans qu’aucune motivation ne soit donnée au préalable. Et cette facilité, qu’il avait refusée sans forcément s’en rendre compte, avait progressivement été surplombée par son envie de faire les choses par lui-même, comme pour montrer qu’il avait lui aussi des droits et une manière de contribuer à leur rythme de vie si décrié par les mœurs imposées par la politique du pays. Puis c’était si simple, si facile, de venir apporter sa part de participation pour entretenir leurs habitudes à la moldu lorsqu’il pouvait se servir directement sur son lieu de travail. Les risques étaient néanmoins tout aussi importants et dommageables, il aurait été parfaitement stupide de ne pas en avoir conscience.

Et s’il y avait bien une chose que l’ancien Serdaigle estimait ne pas être, c’était stupide. Ce qui en l’occurrence était peut-être une erreur de jugement. Ses réussites antérieures avaient fini par amoindrir l’efficacité des précautions qu’il prenait d’ordinaire ; si bien qu’il n’avait même pas eu le temps de cacher sa poudre de corne de bicorne lorsqu’il entendit la porte de la réserve s’ouvrir derrière lui.
Un simple « merde  » s’échappa discrètement de ses lèvres, dans un murmure si faible qu’il en était presque inaudible. Et doucement, comme pour encore garder le maximum de contrôle dont il était encore capable pour cacher la peur qui commençait à l’envahir, il quitta son regard des étagères qu’il venait de fouiller pour chercher l’identité de la personne à l’origine de ce mouvement. Diego Prewett, un apprenti qu’il avait déjà dû rapidement former au service de pathologie des sortilèges. Une relation purement professionnelle qui n’était pas allée très loin entre eux. Chester était incapable de dire où le jeune homme en était dans son apprentissage et à quel service il était temporairement rattaché. « Oh. C’est toi.  », se contenta-t-il de balancer le plus naturellement du monde. Il noyait sa surprise dans une attitude calme, réfléchie, qui pourrait presque faire croire que sa présence n’avait absolument rien de suspecte. Pourtant il ne fallait pas être Merlin pour comprendre qu’il n’était pas à l’aise et qu’il n’avait rien à faire là pour le travail dans son service. « Tu cherches quelque chose peut-être ? », lui demanda ensuite Chester sur un ton légèrement plus sur la défensive avant d’engouffrer le plus discrètement possible sa fiole de produit dans la poche de sa robe verte de médicomage. Ce n’était pas vraiment l’attitude à prendre, il le savait bien, mais la présence de Diego le prenait de court et l’improvisation se faisait maladroitement. Il essayait pourtant de penser à une justification de sa présence rapidement en retournant d’abord l’attention sur le jeune sorcier. Après tout, c’était bien Chester le médicomage professionnel sorti d’apprentissage, pas Diego. « Je peux t’aider ? »

Même si c'est l'été, Diego a obtenu le droit de continuer son stage à temps partiel à St Mungo's — l'avance qu'il prend pendant trois mois sera précieuse pour son année à venir d'enseignement, il le sait. Et puis, le fait que sa soeur soit à la tête d'un des étages les plus importants de l'hôpital a dû aider... il n'a pas hésité une seule seconde à aller la voir pour lui demander de l'aide avec sa dérogation. Alors Diego travaille, trois jours par semaine au moins, venant même quand on ne l'a pas appelé mais qu'on a besoin de lui. Il gagne une somme modique chaque mois mais ce n'est pas ce qui l'intéresse. Ce qui l'intéresse, c'est se retrouver loin de chez lui, être capable d'échapper pendant quelques heures et quelques jours à l'ambiance anxiogène de sa maison.
Il se sent mal, d'en penser ainsi — de penser à sa femme, à son fils, à leur habitat, de cette manière-là. Mais c'est un fait, quand il rentre à la maison, Diego a l'impression qu'un poids s'abat sur ses épaules. Et quand il travaille, il a l'impression que ce poids disparaît au moins un peu, le temps de quelques heures.

Alors il se plonge dans son travail, avec un certain zèle même si il reste maladroit et qu'il est toujours en train d'apprendre. Il n'a jamais fait de bourdes qui ont mené à des catastrophes mais... pas loin. Aujourd'hui, Diego a la tête ailleurs. Généralement, il passe d'interne en interne qui le prennent avec lui dans leurs rondes et lui montrent les ficelles du métier mais cette fois, c'est carrément leur cheffe qui lui met un dossier entre les mains en soupirant: “ j'ai l'impression que t'as deux mains gauches aujourd'hui, Prewett. Va faire l'inventaire, reprends-toi et reviens quand t'as fini, je te renverrai chez toi. ” Autant dire que Diego n'a qu'une envie: prolonger au possible sa visite dans la salle des ingrédients. Il hoche la tête, un peu déçu toutefois qu'on ait remarqué sa maladresse aujourd'hui, et rentre la tête dans les épaules en se détournant pour descendre quelques étages pour se rendre dans l'immense salle des ressources de l'hôpital. Les inventaires sont fréquents, quoique Diego a souvent vu des médicomages qui lui apprenaient à le faire, le faire les yeux fermés en cochant simplement les cases pour dire que tout était dans l'ordre. Diego compte bien tout compter et tout peser pour prendre le plus de temps possible avant de rentrer chez lui.

Il ouvre la porte de la pièce sans regarder, les yeux vissés sur le dossier de l'inventaire, et arque les sourcils en voyant, lorsqu'il tourne la tête, qu'il y a déjà quelqu'un. Woolridge, un jeune médicomage de l'étage de sa soeur. Diego se contenterait d'un simplement hochement de tête en le voyant, ils ne sont pas véritablement amis, mais Woolridge décide apparement qu'il veut lui parler. « Oh. C’est toi. » De la manière la plus étrange et mystérieuse qui soit en plus. Woolridge a un visage calme et professionnel, comme d'habitude mais Diego a l'impression que quelque chose ne va pas. « Tu cherches quelque chose peut-être ? » Diego fronce les sourcils à cette question. Il est dans son bon droit d'être là, puisqu'on lui a explicitement dit d'y aller et faire l'inventaire... Tandis que Woolridge, quant à lui, met la main à la poche comme pour attraper sa baguette. « Je peux t’aider ? — Hmmm, non, ça va. ” Diego ferme la porte derrière lui, se sentant mal à l'aise sous le regard de Woolridge et surtout avec le ton que celui utilise comme pour le confronter à... quoi, exactement? Pourquoi lui donne-t-il l'impression que lui, Diego, n'a pas le droit d'être là...? “ J'ai été envoyé par Chandra pour faire l'inventaire... ” explique-t-il, espérant que le nom de la chef de service lui donne un peu de poids dans cette conversation.

Il ne peut pas s'empêcher de rétorquer, ceci dit, en bon petit Slytherin un peu trop roublard et curieux pour son propre bien: “ et toi? T'avais besoin de quelque chose? ” Il fait mine d'ouvrir son dossier pour chercher de quoi manque le service de Woolridge. “ Peut-être que je pourrais t'aider à trouver ce dont t'as besoin? ”