Les mensonges s’entassent, toujours plus ténébreux, toujours plus dangereux. Elle sait qu’un jour, ils finiront par faire s’effondrer ce monde qu’elle a construit sur la base de faussetés damnées. La vérité incendiaire lui brûle les lippes, incendie sa langue, mais les mots qui marquent au fer rouge sa gorge restent simplement emprisonnés, incapable de s’échapper. Les opalescences de la pécheresse se perdent sur la silhouette dénudée, entremêlée dans les draps salis par leurs émois, de son amant, à peine éveillé, qui gît simplement à ses côtés. Elle voudrait se libérer de ses péchés, lui dire qu’elle porte en elle le fruit de leur amour prohibé, mais elle n’y arrive simplement pas, comme condamnée à répéter inlassablement les mêmes impiétés. Les jours s’écoulent et elle reste hantée par la cruelle réalité, elle est enceinte d’un homme qu’elle aime et fiancée à un mâle qu’elle exècre. « Quoi qu’il se passe, tu resteras à mes côtés ? » Le léger murmure, qui s’échappe, incontrôlable, d’entre ses lippes pour fracturer le silence. Miroir de l’une de ses plus grandes peurs, qu’il l’abandonne. Ce qu’il fera quand il saura, c’est pour cela qu’elle se hait et qu’elle se tait. « Évidemment Maddy… Tu as quelque chose à te reprocher ? » Leurs orbes qui s’entrechoquent, qui se mutilent, alors qu’elle se glisse sur lui. La poupée voudrait tout contrôler, le dominer, lui et leur histoire, et pourtant, jamais elle n’a été si fragile. Le diamant devenu cristal, prêt à se fendre et à se morceler, si par malheur, il venait à lui échapper. « Non... Mais je veux que tu me le jures. » Le voile de l’incompréhension qui vient s’apposer sur le regard du mâle, alors qu’il se redresse. Dangereux face à face de deux bêtes qui s’aiment à s’en calciner l’âme, à s’en laminer le cœur. « Je te le promets. » Alors, elle garde au fond d’elle l’espoir fou qu’il ne lui en voudra pas, qu’il restera à ses côtés, sans jamais l’abandonner. « Je t’aime. » Et jamais, elle n’a dit quelque chose de plus vrai.


« Tu n’es pas venu hier. Je t’ai attendu durant des heures. » L’éclat métallique de son regard se détache de la psyché, pour venir contempler Samaël. La bête est là, plus sombre qu’à l’accoutumé, plus dangereuse qu’elle ne l’a jamais été. « Tu n’as rien à me dire ? » La douceur qu’elle avait réussi à faire naître au fond de ses pupilles n’est plus, ne reste que l’immaculée pureté de la rage incendiaire. Alors que la fleur s’avance, la bête recule, alors qu’elle le frôle, il se dérobe. « Que se passe-t-il ? Tu as l’air contrarié ? » Et c’est la mélodie du rire glacé qui s’échappe de son gosier pour venir emplir la pièce de ses notes désaccordée. « Apprendre que tu es fiancée ne m’a pas mis particulièrement en joie vois-tu. » Le palpitant qui se suicide au fond de sa carcasse, la peur qui vient mortellement étreindre son âme, alors que l’un de ses mensonges commence doucereusement à les briser. « Qui te l’a dit… » La terreur vient enlacer son estomac jusqu’à l’étouffer, elle sait qu’il va se dérober, elle le sent déjà s'échapper. Elle le sait depuis des mois, tout en restant persuadée qu’elle ne pourra définitivement pas vivre sans lui à ses côtés. « Marlon. » L’espace d’un court instant, c’est la fureur qui succède à la peur. C’est le faciès du traître qui apparaît dans ses pensées, alors qu’elle rêve déjà de se venger et de lui faire payer. Pas foutu de gérer ses propres affaires sentimentales et voilà qu'il venait interférer dans les siennes pour le simple plaisir de la tourmenter. « Je ne veux plus entendre parler de toi. Tout est terminé. Je te souhaite bien du bonheur avec ton Malfoy. » La douleur est bien plus vive que ce qu’elle avait pu imaginer. Sans qu’elle ne puisse rien faire, elle sent les débris de son cœur ensanglanté s’effondrer. « C’est un projet de mon père… Cela n’a absolument aucune signification… C’est toi que… » Les doigts de la poupée qui s’agrippent à lui, pour l’empêcher de fuir, pour l’empêcher de s’échapper, mais il se défait, encore. « Ne termine surtout pas cette phrase. » Et dans un tourbillon, la bête disparaît pour rejoindre les limbes de ses enfers, laissant derrière lui une poupée à la porcelaine brisée. « Tu avais juré…»

« C’est une adorable petite fille. Vous voulez la prendre ? » Les pleurs du poupon emplissent la pièce aseptisée. Un nouveau souffle de vie qui s’échappe, alors que la poupée n’a qu’une impression, celle d’avoir été fauché par Hadès. Plus qu’une ombre, à peine vivante, le regard dans le vague, le cœur en vrac. « Non. » Les mois s’étaient écoulés, maculés par la douleur et la peur. La princesse de contes de fée damnés s’était envolée pour préserver ce secret dont la visibilité n’avait fait que s’accentuer à mesure que les jours passaient. Elle l’avait attendu, mais il n’était jamais revenu. Il l’avait simplement délaissé, abandonné, après avoir juré qu’il ne le ferait jamais. Et voilà que le fruit de leur passion proscrite venait de voir le jour. « Tu en es certaine Madelaine ? » Un léger hochement de tête pour simple réponse, parce qu’elle sait que si l’éclat argenté de ses prunelles se pose sur la créature qu’elle a engendré, elle sera incapable de la quitter. Mais elle se doit de s’en séparer, pour que le reste de son univers branlant ne s’effondre pas, pour que les ténèbres et le déshonneur ne viennent pas entacher ses rêves dorés. « Ce qu’il s’est passé aujourd’hui ne devra jamais quitter ses murs. Mon père, Axel, Marlon, personne ne doit jamais savoir Myrth… » Les perles salées s’échappent de ses prunelles, silencieuses et glacées, alors que ses doigts se mêlent à ceux de sa cousine scellant ainsi leur serment damné. Elle avait été le seul réconfort qui avait brisé sa foutue solitude, la seule personne en qui elle avait eu assez confiance pour oser se confier sans craindre que l’on tente de lui faire changer d’avis ou qu’on la trahisse. Elle avait été un pilier insoupçonné, qu'elle ne pourrait jamais assez remerciait. « Merci. » D’être simplement là, avec moi. Elle venait de renoncer à une part de son être, elle venait d'accepter, en abandonnant sa poupée, de vivre avec une douleur assassine fichée dans le coeur jusqu'à la fin de ses jours.

Les violons recrachent leur douce symphonie, alors que la fleur létale ouvre le bal, dans les bras de celui qui est désormais son mari. « Je suis au courant. Je sais que tu voyais encore quelqu’un alors que nous étions fiancés. » L’espace d’un simple instant, trop court pour que l’on puisse le capturer, la douleur étreint ses traits, bien vite balayée par son arrogance naturelle. Masque glacé que rien ne pourra plus jamais briser. « Tes espions t’ont-ils aussi informé du fait que cette histoire était depuis bien longtemps terminée ? » Bien que visiblement, ils avaient été trop bêtes pour capter l’horreur d’un plus gros secret. De cette union proscrite était né un enfant qu’elle ne reverrait jamais et qui hantait la moindre de ses pensées. « En effet. Ce jour n’aurait certainement pas eu lieu si cela n’avait pas été le cas. » Un léger sourire narquois vient fracturer ses lippes alors que doucement, il la fait tournoyer, le tissu de sa robe immaculée ondoyant doucement autour d’elle, avant que leurs carcasses ne soient de nouveau réunies. « Et cela m’aurait assurément brisé le cœur. » Un léger souffle moqueur soufflé avec une fausse douceur. « Aujourd’hui, marque le début de notre vie ensemble Madelaine. » Une vie qu’on lui avait imposée, mais qu’elle avait par la force des choses acceptée. « Heureusement pour moi, la tienne s’achèvera bientôt Louis, c’est que tu n’es plus tout jeune. » Le sourire moqueur qui s’accentue, alors la mélopée s’achève.

La poupée se perd dans ses compositions de poisons au parfum d’enfer, lorsque l’ombre de l’une de ses gouvernantes apparaît, brisant sa parfaite quiétude et sa douce solitude. « Je vous avais demandé de ne pas me déranger. Vous n’avez dont rien à briquer ? » Les prunelles rougies, la carcasse tremblante, la femme ose à peine la regarder. Cariatide figée, incapable de cracher le moindre mot, simplement plantée là, mortifiée comme si elle venait de croiser la mort personnifiée. « Madame, votre… » Mais avant qu’elle n’ait le temps de la brusquer, un hurlement glaçant résonne dans le château dans lequel elle régnait depuis plusieurs années. « Madelaine ! » Le cri déchirant de Louis qui lui retourne le cœur, qui immisce dans ses veines l’horreur de la peur. La poupée s’échappe, fuit pour retrouver son mari et c’est là qu’elle le voit. Son unique fils. « Théodore… » Frêle silhouette de l’enfant, étendu contre l’herbe, près du lac de la propriété, entouré par une foule aussi horrifiée que curieuse. Son derme autrefois rosé est devenu azuré. La carcasse trempée a cessé de s’agiter. Simple statue, figée, dont le cœur a cessé de palpiter. « Non…non…non… Théodore ! » Les corps qu’elle bouscule avant de fondre sur la chair de sa chair, sur ce deuxième enfant qu’elle perd. La douleur vibre dans le moindre de ses pores, l’horreur l’immerge et la noie. « Madelaine, c’est fini… Il est parti…» Mais la poupée n’est plus là, elle a sombré dans l’horreur de ses propres enfers, berçant machinalement contre elle ce petit qui s’est noyé. « Pas lui Louis...pas lui...»

« Marlon, mon cher cousin ! » L’impie se glisse dans le bureau de son cousin, un sourire fardant ses lèvres, alors que l’ironie s’immisce dans la moindre de ses syllabes. Ses prunelles argentées retombent lourdement sur la silhouette du malin, qu’elle ne parvenait à supporter que dans les moments où elle le torturait. « Madelaine… » La simple manifestation de son indignation et de son dépit suffisait à la combler de joie et à faire fleurir un peu plus ce sourire qui bafouait ses lippes. Conquérante, et comme à son habitude, diablement agaçante, elle vint se poser sur son bureau, balayant d’un doigt le derme de son front. « Mais que vois-je, une nouvelle ride. Tu es sûr d’être assez frais pour te remarier avec cette Frida ? Tu comptes la tuer celle-ci ? » Ignorant les sorts mortels qui fusaient des orbes du Travers, elle laisse sa curiosité retomber sur les dossiers qui s’accumulaient sur le bureau de son adversaire de sang. « Que me vaut le déplaisir de ta venue. » Elle sentait déjà la jubilation fleurir et s’épanouir en elle. Elle n’avait plus qu’une seule hâte, se délecter de son désenchantement. « Je venais simplement t’annoncer une merveilleuse nouvelle. Je m’installe en Angleterre. J’ai même trouvé un poste au ministère. Merveilleux n’est-ce pas ? »