Ça lui a pris quelques jours pour trouver le temps de se dégager une après-midi complète pour un rendez-vous de travail avec des noms illisibles. La secrétaire du Magenmagot aurait ainsi la preuve que Myrthild était partie travailler, mais ne saurait pas vraiment avec qui. Myrthild n’était pas non plus totalement sotte, elle empruntait la technique des noms illisibles à Blackeye, qui affirmait souvent que cela relevait du secret de l’instruction. Voilà, qu’on la pense partie œuvrer pour le Plus Grand Bien, le Ministère ou n’importe quelle association de sangs-purs bien-pensants, ça serait une couverture idéale.

La réalité était tout autre et après être sortie du Ministère et s’être assurée que personne ne la suivait, elle avait fait en sorte de changer radicalement d’apparence. Ainsi grimée sous des traits masculins, une barbe rousse de quelques jours lui assombrissait les joues et épaississait le bas de son visage, et elle semblait un peu plus grande que sous son apparence ordinaire. Méconnaissable, elle avait profité d’être sortie côté moldu pour poursuivre sa route dans des quartiers moins agités du Londres des non-magiques. Ce faisant, elle retrouva l’emplacement exact où elle avait laissé un dernier message pour Kingsley, des années auparavant, en guise de présent d’anniversaire et d’adieu. Pour tout le bien que ça lui avait fait, elle était ainsi de retour au point de départ, comme si elle n’avait jamais vraiment cessé de renseigner Shacklebolt. Le magasin d’antiquités avait l’air toujours aussi poussiéreux et un instant, elle fut tentée d’aller y jeter un coup d’œil à la recherche d’une vieillerie ensorcelée qu’on aurait dissimulé dans les étagères, comme portée par un vent de nostalgie qui lui rappelait ses années à travailler ouvertement avec Farrow.
Ces temps-là aussi étaient révolus, en tout cas la partie officielle.

Des gens passaient un peu trop nombreux, Moldus pressés pour attraper un bus ou un métro, et elle guettait l’instant où elle pourrait déposer la missive pour l’ennemi public qu’elle aurait plutôt dû abattre, au lieu de l’aide. Sauf qu’entre temps, une silhouette se rapproche d’elle et, dès lors que la personne était entrée dans un rayon de trois mètres autour de Myrthild, qu’elle avait tous ses sens en alerte et était prête à dégainer sa baguette si besoin.
Parfaitement, vous avez bien lu, elle était prête à briser le secret magique en plein Londres moldu, pour éviter de se faire arrêter, assassiner, emmerder d’une façon ou d’une autre. À un moment, la survie valait mieux que de ne pas briser les lois, et c’était une membre du Magenmagot qui pensait ça, oui.
Toujours est-il que son périmètre de sûreté était brisé et qu’une silhouette féminine se trouvait à ses côtés, venue pour faire la conversation, comme si elle connaissait la figure masculine que Myrthild arborait. Myrthild regardait ailleurs mais la voix familière lui fit vriller la tête vers sa voisine et elle dévisagea, presque incrédule, l’ancienne compagne de son frère, dont ce dernier lui avait parlé il n’y avait même pas une semaine. Et pour ne rien arranger, cette dernière venait d’employer un mot qui fit supposer à Myrthild que Freya pensait parler à quelqu’un de spécial, pas n’importe qui, peut-être Kingsley lui-même d'ailleurs.

Ses intuitions étaient souvent bonnes, parfois un peu en retard, mais en général elle comprenait assez vite et savait analyser le monde qui l’entourait. Aussi, elle misait juste, mais ne voulait pas sottement se jeter dans la gueule du loup, puisqu’on ne savait jamais après tout. Elle qui était grimée sous des atours factices pouvait bien se trouver face à une fausse Freya Abbott… Mais en ce lieu précis ? À côté de cette boîte aux lettres morte insoupçonnée ? C’était trop gros. Pour l’heure, elle n’avait quand même aucune certitude et il valait mieux jouer le jeu pour voir où ça les mènerait. D’une voix différente de celle que Myrthild avait d’habitude (les métamorphomages pouvaient tout changer dans leur apparence physique, les cordes vocales pouvaient ainsi bouger si l’on maîtrisait son pouvoir à la perfection), le rouquin acquiesça donc à la remarque de sa voisine : « Ma foi, vous avez l’œil, très chère. Tenez, si je ne m’abuse et que la légende est vraie, on peut repérer à la loupe, dans les ferronneries sur les flancs du meuble des silhouettes d’oiseaux jaillissant d’un brasier. » Soit, l’allusion au phénix n’était pas très subtile, mais il s’agissait de vérifier une hypothèse. Et de continuer à faire mine de fixer la vitrine alors qu’elle scrutait le reflet de Freya dans la vitre transparente : « Cherchez-vous à faire l’acquisition de quelqu’objet spécifique ? Ou bien êtes-vous là, comme moi, à regarder les prix pour vous débarrasser de vieilleries qui encombrent votre grenier ? » Elle guettait, dans le verre réfléchissant partiellement leurs visages, un signe qui pourrait lui permettre de savoir qui elle avait à ses côtés, et surtout ce que cette femme venait faire là.

Installés dans ce café moldu, les deux sympathisants de l’Ordre du Phénix se jaugent, malgré le déséquilibre réel entre eux. L’homme roux hoche complaisamment la tête lorsque Freya exprime à voix haute ses déductions, tant au sujet des convictions communes que d’une connaissance non-révélée. Une gorgée de thé plus tard, elle se laisse le temps de réfléchir. Faut-il se démasquer ? L’allégeance de Freya à l’Ordre est-elle authentique, ou ne serait-ce qu’une façon d’agir pour Marlon ? En même temps, leur histoire s’est arrêtée, de ce qu’a dit Marlon, et le dépit de son frère semble prendre une toute autre illustration maintenant qu’elle se retrouve face à Miss Abbott, qui cherchait à trouver Kingsley. Savait-il que son ancienne compagne trahissait le Seigneur des Ténèbres ? DIfficile à imaginer, mais Myrthild sent qu’il faut qu’elle se concentre sur la situation présente plutôt que de se laisser porter par des questionnements qui n’auront jamais de réponse.

« Vous allez toujours droit au but, très chère. », poursuit-elle donc en maintenant et son apparence et sa voix masculine. Il y a quelque chose de frontal chez Freya que Myrthild trouve rafraichissant, là où elle-même n’est que faux semblants et roueries dignes de sa maison à Hogwarts. « Nous nous sommes croisés déjà, par moments., daigne-t-elle concéder, sans pour autant chercher à en dire plus. Mais pas sous ces traits, il est vrai. Je m’étonne d’ailleurs que vous n’ayez pas pris pareilles précautions… » À moins que, songe-t-elle soudainement…Plutôt que de se dévoiler, la membre du Magenmagot décide d’attaquer également, quoiqu’elle soit au courant des récents développements quelque peu funestes pour ce qu’elle s’apprête à mentionner, ne serait-ce que pour étudier la réaction qu’aura « Freya », si c’est bien elle : « Comprenez que je me méfie néanmoins et ne me dévoile point : votre idylle avec Travers justifierait qu’on se demande où est réellement votre cœur. » Une nouvelle gorgée de thé est avalée sans bruit, et les billes lazurites s’ancrent dans les prunelles de sa brune voisine : « À moins que tout ceci n’ait été qu’une ruse… Était-ce de cette affaire que vous vouliez entretenir notre ami aux abonnés absents ? Veniez-vous lui rendre compte de vos avancées ? Ou de votre échec, peut-être ? » Myrthild brûle de savoir la vérité, pour deux raisons tout à fait distinctes l’une de l’autre. D’abord, elle veut savoir si Freya peut être une personne qui lui posera problème si elle vient à se révéler à elle : aussi, il lui faut connaître impérativement ses aspirations réelles. Un instant, elle songe qu’elle aurait sans doute gagné à se faire passer pour Shacklebolt lui-même, mais elle redoutait d’éventuels mots de passe qui l’auraient trahie plus allant. Si Freya penche réellement pour l’Ordre, alors se révéler à elle ne sera pas risqué -quoique, le sera moins que si Freya était une infiltrée pour les Mangemorts, dirons-nous plutôt. Mais alors, si Freya vole pour le Phénix depuis plusieurs années, son histoire avec Marlon n’était-elle qu’un mensonge, qu’une mission ? C’est la seconde chose que Myrthild veut mettre au clair avant d’envisager de se dévoiler. Connaître la nature de la relation entre Freya et Marlon lui permettra de mieux savoir où se situer, voire peut-être d'envisager une quelconque rédemption pour son frère…

Myrthild prend note de tous les gestes, toutes les expressions que Freya prend. Déjà parce qu’elle tente de savoir si cette femme peut devenir une alliée, ou risque de n’être qu’une menace. Ensuite, parce qu’elle aimerait quand même bien savoir ce qu’il en est de cette relation avec Marlon, sachant que, aux dernières nouvelles, la semaine précédente en tout cas, il semblait que l’histoire idyllique avait pris fin brutalement. Alors elle la scrute, des yeux bleus du rouquin dont elle a pris l’apparence. Elle attend de voir ce qu’il en est, ce que Freya pourra révéler, soit de plein gré, soit sans pouvoir s’en empêcher. L’interroger sur cette affaire avec Travers a pour but notamment de la désarçonner rien qu’un instant : elle a bien compris que Miss Abbott contrôle plutôt bien son corps et son visage, mais il ne suffirait que d’une seconde à peine, pour peut-être mieux la comprendre. Ainsi, l’homme barbu hoche la tête en levant les mains, comme pour dire qu’il a bien compris que le sujet est sensible, autant du point de vue sentimental, que du point de vue du secret qui l’entoure. Soit, il ne s’acharnera pas davantage, puisqu’il n’a pas le droit d’en connaître.

Mais en ouvrant sur Marlon, il semblerait qu’elle ait prêté le flanc à l’inquisition de Freya, qui a l’air de faire le point, dénouer des fils emmêlés et bientôt la confondre, la démasquer par des sous-entendus qui ne leurrent pas la membre du Magenmagot. Plutôt que de nier, plutôt que de s’offusquer, quelque chose chez Myrthild lui dit qu’il lui faut se dévoiler maintenant, et ne pas nier bêtement comme elle aurait pu le faire. Si elle veut pouvoir être à égale avec Freya, si elle veut pouvoir un jour lui faire confiance sur cet aspect de sa vie plutôt secret, il lui faut cesser de jouer d’artifices. « La précédente entrevue était assez agressive de ma part, je reconnais. Et je suis bien d’accord avec toi, rien ne vaut les boissons du chaudron. Pour autant… » Un soupir, tandis qu’elle se penche, toujours sous l’apparence du rouquin : « Disons que vu l’endroit où nous nous croisions et les circonstances, je me disais que le Chaudron était moins désigné pour une petite discussion. » Elle se rappuie contre le dossier de son fauteuil, passe une main dans sa chevelure au reflets de rouille, et daigne s’expliquer, toujours de cette voix grave et masculine : « Si tu le veux bien, je préfère rester sous ces atours : ça sera moins suspicieux aux yeux des Moldus qui nous entourent qui si, soudainement, une femme prend la place d’un homme… » Se grattant la barbe brièvement, elle concède : « Ce n’est pas forcément la meilleure des idées, cette barbe, mais au moins, elle dissimule bien mon menton. » Reprenant une gorgée de thé, Myrthild s’accorde quelques instants de répit, avant de revenir à la brune face à elle : « Il se peut que ce soit la pire des idées que j’aie à l’instant, de confirmer ce que tu as compris, mais oui, sous cette pilosité rubiconde, c’est bien Myrthild. Je ne sais pas si Marlon t’avait dit, mais j’imagine que tu as compris maintenant que je suis métamorphomage, et que ça m’aide plutôt bien pour certains secrets… » Elle entrecroise ses doigts et hausse les épaules brièvement, avant de suggérer : « Une question, chacune son tour ? »

Enfoncée dans le fauteuil, Myrthild n’est pas aussi sereine qu’elle le laisse penser. Se révéler à Freya Abbott comporte sa part de risques, même si elle considère que la brune face à elle est réellement acquise à la cause du Phénix. Il n’empêche, ce n’est pas forcément la meilleure idée de divulguer à d’autres personnes que Kingsley et Lance son implication dans pareille entreprise vouée à la déchéance. Freya semble en tout cas assez curieuse pour rester face à une telle révélation. Ça arrange Myrthild, qui voudrait bien en savoir un peu plus sur le lien de Freya avec Marlon, ne serait-ce que pour comprendre si c’est l’intérêt qui l’a déclenchée ou autre chose de plus authentique. Mais, chaque chose en son temps : d’abord, c’est à l’employée du Département des Mystères d’ouvrir le bal, et la Travers hoche la tête pour confirmer cela.

La question a le mérite d’être directe et arrache un sourire à Myrthild, qui fend un instant la barbe rousse qu’elle continue d’arborer. « Je ne sais pas si je peux dire qu’on est amis… » Il faut préciser néanmoins :« On sortait ensemble du temps de Poudlard, mais cette histoire s’est achevée il y a bien longtemps. On s’est perdus de vue un peu, et puis il y a environ dix ans on a repris contact. » D’un mouvement de main circulaire, elle semble indiquer qu’une boucle s’est bouclée : « Ce n’est pas mon employeur en tout cas : il ne me paie pas pour les informations que je lui transmets, et… disons que nous avons de l’estime l’un pour l’autre. » D’autant plus qu’il a bien voulu se plier à ses conditions de reprise de contact et qu’il a sagement patienté pour ce qu’elle a enfin fini par déposer dans cette boîte aux lettres planquée dans le monde moldu. Une nette amélioration si on compare ça avec sa reprise de contact cavalière et oppressante dans ce foutu salon de thé. On verra bien ce qu’il adviendra, mais elle suppose que leurs entrevues ne sont pas finies.

Elle se penche un instant pour reprendre sa tasse de thé, en prend une gorgée et, tout en reposant la soucoupe sur la table, elle relève les yeux vers Freya : « Et toi, alors ? » Dardant ses yeux bleu sombre sur son interlocutrice, elle précise sa question : « Quand est-ce que tu es entrée dans l’Ordre ? Depuis le début ? » Autant tenter de mieux connaître cette femme qui lui avait pourtant semblé tout sauf une traîtresse à son sang -comme quoi, il ne faut vraiment jamais se fier aux apparences…