Parfois, Abbas trouvait vraiment que les pensants de ce monde abusaient: il voulait bien avoir donné deux-trois coups de mains à l'époque où il travaillait pour la Justice Magique, mais désormais, il s'occupait que des cas importants et de ceux qui avaient le malheur de se retrouver dans les griffes du Département des Mystères... Apparemment, il avait été soit décidé que les nouveaux prisonniers étaient importants, soit qu'il valait mieux ne pas faire traîner l'affaire et amener dans la salle un Legilimens compétent.
Mais bon, ce n'était jamais sa place de se plaindre alors il s'abstient (officiellement) même si il doit rouler des yeux environ dix fois pendant le court chemin qui sépare son Département enfoncé au fond du Ministère, à celui de la Justice Magique. Des années durant il a travaillé là, en tant que simple employé tout d'abord, puis quand il était Gardien d'Azkaban, et enfin en tant qu'administrateur. Aucun bon souvenir pour lui en tous cas, juste l'endroit où il allait travailler tous les jours à l'époque.

Aujourd'hui il arpente les couloirs sinueux du Département d'un pas hâtif, connaissant l'endroit par coeur et retrouvant sans mal le chemin de la salle d'interrogatoire, serrant la main à Yaxley en passant. Il a la tête ailleurs, focalisé qu'il est sur la prochaine Battue à venir et le manque de réponse de Zabini. Peut-être ne pourra-t-il pas y amener Penelope et dans ce cas, il devra porter le poids de cette vérité tout seul...
“ Nielsen twins? ” demande-t-il après un regard au dossier que lui a filé Yaxley, en entrant dans la pièce. Si ils ne sont pas jumeaux, c'est qu'on se fout de sa gueule: les deux ont le même regard, les mêmes cheveux blonds et le même visage. “ Bon, bon, bon, ” dit-il en desserrant un peu sa cravate habituelle, s'asseyant sur la chaise de l'autre côté de la table. Il remarque que leurs mains sont liées, accrochées à la table par un lien magique. “ Par qui devrions-nous commencer? Azaël? Jarod? ” demande-t-il sincèrement, non pas par plaisir sadique mais ayant juste l'envie d'expédier la chose au plus vite. Des gamins comme eux ne sauront pas résister à sa Légilimancie. “ Lequel est né en premier? ” demande-t-il ensuite, simplement. Ils ne répondent pas alors Abbas soupire lourdement et, sans attendre, enchaîne: “ Legilimens ” en regardant la fille.

Il est tiré des souvenirs confus, effrayés et pleins de rage de la gamine — elle n'a aucune protection mentale semble-t-il, à part les habituelles qu'il trouve toujours dans les têtes des membres de l'Ordre — par un coup à la porte. Peut-être que Yaxley a oublié de lui dire quelque chose. La porte s'ouvre aussitôt alors qu'Abbas se retourne pour accueillir le Mangemort, se redressant instinctivement sur sa chaise en reconnaissant la silhouette qui se dessine dans l'encadrement de la porte. Un Mangemort, mais pas le bon. Pas le bon du tout, même. Et il y a quelque chose... « Shafiq. Ainsi les rumeurs disaient vrai, le directeur du Département des Mystères nous fait l’honneur de sa présence. » En temps normal, Abbas serait du genre à gentiment mais fermement demander un peu plus de respect mais, sans se forcer, il sent l'agacement chez l'autre homme et décide de ne pas jouer avec. Il sait qu'il n'imagine pas l'animosité de Marlon Travers à son égard. « Je suis certain que vous comprendrez que je ne puis vous laisser seul en compagnie de prisonniers qui dépendent du Département de la Justice Magique. » Il y a quelque chose qui ne va pas.

Abbas, encore à moitié dans le vague et dans la tête d'Azaël, finit par secouer la tête et par froncer les sourcils en triant rapidement les souvenirs rapides qu'il a vu. Comme toujours, il est allé à la source: qu'est-ce qui l'a motivée à rejoindre l'Ordre? Pourquoi? Et il est tombé sur quelque chose de très simple.
Marlon Travers. Abbas se demande rapidement si il est au courant et se dit qu'il a dû au moins voir leurs noms écrits sur son arbre quand il a  passé l'épreuve du sortilège van Bäume en 2001. Avoir deux gamins qui font partie de l'Ordre, ça n'aide la situation de personne. Les deux enfants, ceci dit, ne semble pas connaître le visage de leur père. “ Je crains, monsieur, que ces deux prisonniers-là ne relèvent pas de vos responsabilités officielles, ” dit-il simplement, avant de lever sa baguette qu'il à la main jusqu'à ce que la chaise à côté de lui se tire d'elle-même pour inviter Travers à s'y asseoir. “ Mais vous êtes le bienvenu pour vous joindre à nous, bien sûr. ” Abbas lui sourit, un sourire qui n'a rien de très sympathique. “ D'après ce qu'on m'a dit, les mages historiens vont bientôt arriver pour leur faire passer le sortilège van Bäume et vérifier la nature de leur sang et voir qui ils sont réellement. ” Il croise les jambes, replongeant dans son examen méthodique du dossier sur ses genoux, toutes les (maigres) informations retirées jusque là sur les deux jeunes adultes. “ Il n'y a pas grand chose, là dedans, ” fait-il remarquer en montrant le dossier. “ Ça risque d'être intéressant de voir leur arbre généalogique se remplir. Peut-être ont-ils des alliés infiltrés jusque dans les couloirs du Ministère... Qu'en pensez-vous, monsieur Travers? ”

Travers s'assied sur la chaise que lui a tiré Abbas et celui-ci l'observe faire avec curiosité. Il ne fait pas mystère de ce qu'il vient d'apprendre, et il peut sentir comme si elle était palpable l'animosité que lui dévoue l'autre employé du Ministère; malheureusement pour lui, Abbas est aujourd'hui son supérieur hiérarchique et il le voit mal s'emporter contre lui et risquer ainsi que ce qu'Abbas imagine comme une honte soit révélé à tous. « S’ils avaient des alliés au sein même du Ministère, ils ne se seraient certainement pas retrouvés ici face à vous, monsieur Shafiq. Mais vous finirez certainement par dénicher toute la vérité à leur sujet. Après tout, le passé m’a prouvé à bien des reprises que vous êtes un homme désireux d’aller jusqu’au bout de son travail. Rien ne saurait alterner votre conviction, pas même la férocité d’un détraqueur. »  Travers sourit et Abbas pince des lèvres, lisant sans mal la rancoeur dans le ton de Travers... ce qu'il peut bien comprendre. À part Dolohov, apparemment trop taré pour faire le lien, peu ont été les Mangemorts à lui pardonner son zèle exemplaire en tant que gardien d'Azkaban. Il a eu la baguette lourde, une ou deux fois, punissant l'un ou l'autre mage noir pour des broutilles, mais il n'a jamais véritablement abusé d'eux.

« Vous êtes marié à une Prewett, n’est-ce pas ? » Abbas arque les sourcils en le regardant, n'appréciant pas vraiment la mention de Lizzie. « A la fille de Langford, si je ne m’abuse… Votre beau-père est un homme intéressant. Sans mes généreuses donations, il aurait déjà fini par ruiner toute sa lignée. » Travers rit et Abbas lui offre un sourire crispé. “ Sur ces points-là, nous sommes bien d'accord, ” répond-t-il simplement, se demandant ce que Travers essaye de faire en n'énonçant que des vérités. Langford est un idiot, Abbas s'en est convaincu bien avant le mariage. « En vue des liens qui unissent nos familles, j’ai un marché à vous proposer. Je peux vous faire gagner un temps précieux en complétant toutes les informations manquantes au dossier de ces deux jeunes gens. Je vous permettrais même de vous débarrasser d’eux sans que vous n’ayez à vous salir les mains. Tout ce que je veux en échange, c’est votre coopération. » Il faut quelques instants à Abbas pour se souvenir des liens qui unissent effectivement leur famille: sa soeur, Myrthild, a épousé le frère de Langford. Abbas voit très bien ce qu'il essaye de faire mais il n'a vraiment pas aimé entendre Travers parler de sa femme. Alors il sourit.

Il sourit, très simplement, en l'entendant, faisant mine de jauger sa proposition avec sérieux. De l'autre côté de la table, l'un des jumeaux ouvre la bouche pour commencer à parler et, d'un coup sec de la baguette, Abbas les réduit tous les deux au silence, sans quitter Travers du regard. “ Mon temps est précieux, ” admet-il. “ Mais je ne me suis pas déplacé pour rien... vous comprenez bien, monsieur Travers, que ce que vous me proposez là me semble bien inéquitable. Vous-même dites que j'aime aller jusqu'au bout de mon travail. ” Réutiliser ses mots contre Travers semble délecter Abbas dont le sourire devient presque sincère. “ Et vous ne me proposez pas quelque chose qui puisse nourrir ma curiosité, désormais piquée par ce que je viens de découvrir dans l'esprit de cette jeune femme. ” Il secoue la tête. “ Vous semblez aussi habile que mon beau-père dans l'art de la négociation, monsieur Travers. Peut-être devrais-je vous rappeler que vous ne pouvez rien me donner que je désire et que nous sommes désormais dans une impasse. ” Son sourire disparaît. “ Les secrets et les mensonges sont les armes des traîtres. Devrais-je m'inquiéter de votre intégrité, monsieur Travers? ”

Abbas regarde Travers alors que celui-ci prend son temps pour digérer les informations qui viennent de se révéler à lui, et il sent un certain amusement l'étreindre quand Travers relève le menton et le darde d'un air déterminé et assuré. Peut-être qu'Abbas l'a sous-estimé et qu'il va sortir de sa manche une autre carte, un joker qui va le confronter à une impasse; mais il en doute. « Oui monsieur Shafiq, ces deux jeunes gens sont mes enfants légitimes, nés de mon union avec Vivien Nielsen, sorcière norvégienne au sang-mêlé. » Tout d'abord, Abbas retrouve son sourire en entendant, pour la deuxième fois, le monsieur Shafiq. Ensuite il écoute la suite et il ne peut pas s'empêcher de se féliciter d'avoir ainsi mis Travers le pied au mur. Des enfants légitimes, nés d'une union avec une sang-mêlée. Abbas ignorait que Travers avait été marié, et encore moins à une impure, même si la mention du nom de cette femme lui fait penser à quelque chose d'autre, un fait divers... « Je me suis laissé manipuler par cette femme durant bien des années. Je n’en suis pas fier mais telle est la vérité. Lorsque Vivien m’a révélé son secret, les enfants avaient déjà vu le jour. Leur mère craignait pour leur sécurité, aussi a-t-elle décidé de les envoyer dans son pays natal, à l’abri du courroux de leur père. » Abbas l'écoute, les yeux brillants et curieux. « La suite vous la connaissez, Abbas. J’ai souhaité réparer ma plus grande erreur de jeunesse en ôtant la vie à Vivien. Cela m’a valu un séjour de près de douze ans à Azkaban. A vos côtés. » C'était donc ça: la mort de la bonne femme.

Abbas hoche une nouvelle fois la tête. Il pourrait, très simplement, diriger sa baguette vers Travers et utiliser sa Légilimancie pour lui, venir récolter les détails à même son esprit. Il pourrait lui soutirer une vérité plus vraie que vraie, il pourrait s'immiscer dans ses pensées et découvrir le moindre de ses secrets. Mais il ne le fait pas, et ce que Travers lui dit ensuite le convainc qu'il n'en a pas besoin. « Vous n’avez aucun souci à vous faire quant à mon intégrité, monsieur Shafiq. Je n’ai toujours voué mon existence qu’au Lord. » Abbas se redresse un peu — il était penché vers Travers, aspiré semble-t-il par son histoire — et se passe une main dans les cheveux, les recoiffant nerveusement. “ Je vois. ” Il aime beaucoup savoir que Travers se sent menacé, et il aime savoir cela en comprenant que Travers veut garder ça un secret et que c'est ce qu'il fera sans doute une fois que les généalogistes viendront. Comment? ... c'est son problème. Abbas, quant à lui, se relève. “ Très bien, je comprends tout à fait monsieur Travers. ” Il s'éclaircit la gorge, resserre le noeud de sa cravate autour de son cou avant de pousser sa chaise contre la table pour qu'elle s'y range. Il attrape sa baguette et la remet dans son étui en cuir de dragon. “ À l'avenir, vous vous souviendrez de ce geste, et vous ravalerez votre impolitesse et vos insultes. Peu importe la longévité de votre loyauté à la Cause, je suis votre supérieur hiérarchique au Ministère et j'attends de vous un certain respect. ” Abbas n'abuse pas toujours du pouvoir, mais des fois... sa propre suffisance et son arrogance débordent de manière désagréable. “ Cette affaire-là a le potentiel de vous mettre dans un sacré pétrin. J'espère sincèrement pour vous parviendrez à vous en dépêtrer sinon... ” Il hausse les épaules en se dirigeant vers la porte, sans finir sa phrase. “ Agréons que je ne suis au courant de rien. ” Et il lui tend la main, avant de partir, le regardant droit dans les yeux pour sceller ce deal de non-dits. Il reviendra le chercher quand il aura besoin de lui, ou d'une faveur. Et Abbas, qui n'a jamais aimé jouer ainsi de ses relations, ne peut que s'en féliciter pour une fois.