L’approbation est donnée : elle ne s’inquiétait pas plus que ça, mais elle préférait que le Middle Finger valide le délai supplémentaire. Ça ne faisait que quelques mois qu’elle s’essayait à engraver des lames, et ça avait un intérêt certain pour le commerce obscur qu’en feraient les Black Hands. Autant bien faire les choses et prévenir Farrow que c’était en cours de recherche. Il savait qu’elle devait quand même maintenir les apparences et que ce n’était peut-être dans son bureau du manoir qu’elle pouvait vraiment pousser l’étude : le Ministère avait un peu trop d’oreilles qui trainaient partout. Un rictus rapide lorsque l’ancien Poufsouffle l’assure de sa confiance. Se dire qu’ils sont devenus amis après Poudlard est toujours une surprise pour la sorcière, sachant qu’il n’y avait pas grand chose en commun lors de leurs études. Coup d’œil autour et la voilà qui décale la conversation sur leur travail officiel, histoire de ne pas avoir l’air de conspirateurs davantage.

En d’autres circonstances, lors d’une réception ministérielle par exemple, elle aurait probablement ricané à la raillerie apparente de son ami. Elle sait bien, Myrthild, que Lance aurait préféré ne pas se charger de ce Bureau de confiscation des baguettes des nés-moldus et autres impurs. Ça se comprend après tout, mais au moins, si l’on est un rien cynique, cela sert en partie les affaires des Black Hands, qui revendent sous le manteau des baguettes dérobées, ou des armes adaptées aux besoins des sorciers dépossédés de leur canaliseur magique. Le vent pour le moment souffle dans le sens du Seigneur des Ténèbres, alors il serait vraisemblablement mal avisé de laisser ce genre d’informations sur leurs activités clandestines fuiter. Elle hoche donc la tête aux paroles de Lance et le laisse poursuivre, se redressant un peu lorsqu’il lui renvoie la balle. « Rhiannon - Lloyd, tu sais, de la Coopération ?, m'a déjà raconté certaines séances auxquelles Mr Lloyd l’invitait comme spectatrice, et c’est… divertissant, disons. » Rhiannon de la Coopération. Comme si elle ne voyait pas qui était cette femme, avec qui elle était en compétition constante dans les cours de Runes. Myrthild a bien souvenir de l’avoir aperçue parfois dans les coursives du Magenmagot, mais elle ignorait que c’était le vieux Prétextat Lloyd qui la ramenait dans ses bagages. Mais ça se tient après tout, il doit vouloir la tenir au courant des remous du Ministère. Loin d’imaginer que Rhiannon est elle aussi membre des Black Hands, la brune confirme d’un hochement de tête : « On ne s’ennuie jamais, oui. Mais bon, le clou du spectacle dans ces procès, ça reste quand même Blackeye. Elle sort de ses gonds dès qu’on mentionne l’Ordre, c’est assez… obsessionnel ? » Hochant les épaules, elle prend une gorgée d’eau, tourne la tête vers les cuisines pour guetter leurs plats. Rien en vue, et Lance qui reprend : « Parlant de connard : comment va Marlon ? »

Ça, par contre, ça ne la laisse pas de marbre, et la voilà qui revient aussitôt à son interlocuteur, le dévisageant avec attention. Sait-il ? Est-il au courant du dilemme qu’elle a découvert au cadet de la fratrie Travers ? Pourtant, elle connaît suffisamment Marlon pour savoir qu’il couvrira toute trace de sa honte. Non, ça doit être autre chose. Elle prend une mine désintéressée, et s’efforce de contrôler de nouveau tous les muscles de son visage pour ne pas laisser paraître l’inquiétude infime qui était passée dans ses yeux. « Toujours égal à lui-même, hein. » et de pencher la tête sur le côté, après avoir soufflé la fumée bleutée, pour poursuivre : « Il t’a fait quoi pour que tu le remettes sur le tapis ? » La lueur de la curiosité s’est éveillée dans ses prunelles, effaçant peut-être suffisamment l’éphémère souci qui y était passé. La serveuse arrive pourtant et interrompt l’affrontement des regards en posant les plats fumants et délicieusement odorants devant les attablés. « Z’avez le bonjour du chef. » Et une fois qu’elle s’est éloignée, sans encore toucher à son assiette, Myrthild écrase sa cigarette presque consumée dans le cendrier et reprend : « Alors ? » 

Elle est tendue depuis qu’il a mentionné Marlon. Tendue parce qu’elle ne sait pas ce que son imbécile de frère a fait finalement avec ses enfants. Pour éviter d’attirer trop d’attention à cette affaire, elle n’a pas fouiné davantage. Aussi, elle se demande ce qui a pu attirer l’intérêt de Lance sur le cadet des Travers et elle redoute le pire. Après tout, Lance pourrait probablement réduire à néant la réputation des Travers s’il le souhaitait, mais il semblerait que c’est un type décent qui n’y voit pour le moment aucun intérêt. Elle l’observe engouffrer dans sa bouche une fourchette bien chargée, et soupire tandis qu’il commence à parler la bouche pleine, prenant une gorgée d’eau avant d’attaquer son propre plat. Un sourire en coin lorsqu’il estime que l’ensemble des sangs-purs n’ont rien d’autre à faire que de se faire chier mutuellement. C’est probablement vrai, avec le recul : encore plus peut-être au sein de la fratrie Travers, ce que confirment les explications allusives de Farrow, bâfrant toujours. « Marlon cherche des infos sur l’autre connard qui te sert de frère. À propos de petites combines qu’il ferait en douce, à l’avantage de Travers Households. » L’air intrigué qui se peint sur les traits de Myrthild indique à l’évidence qu’elle n’en savait rien, des combines de Louis, ou du moins qu’elle n’avait pas encore creusé suffisamment profond pour découvrir pareil stratagème. Les sourcils légèrement froncés, elle s’est arrêtée de mastiquer pour entendre clairement ce que peut lui dire son vieil ami. Et tandis qu’il confirme à mi-mots qu’il y a probablement des contrats illégaux qui lient Louis à une organisation du crime sorcier, elle déglutit, et s’appuie un moment au dossier de sa chaise.

La perspective de devoir renverser Louis en révélant ses tractations répréhensibles avec une famille du Syndicat lui semble soudainement beaucoup plus périlleuse qu’elle ne le supposait. Il devient évident que même s’il l’avait voulu transmettre des informations, Lance était sans doute assez intelligent pour ne pas risquer son cou pour un type qu’il méprisait. Elle touille les mashed potatoes qui recouvre la viande hachée, n’ayant soudainement plus aussi faim qu’elle le pensait. Si Marlon cherchait des informations sur Louis, il était évident qu’elle n’était pas épargnée non plus par ces interrogations. Néanmoins, lorsque Farrow émet un avis similaire au sien quant aux informations recherchées, elle secoue la tête, un peu courroucée.  « Si c’est ça, je lui ai probablement donné tout ce dont il pouvait avoir besoin pour m’abattre. » Elle dérobe la bouteille de bière à Lance et en prend une rasade, sans demander l’autorisation, ne s’embarrassant pas de politesses en présence de son ancien binôme. Elle a fait un pari dangereux, en confirmant les soupçons avérés de Marlon quant à sa liaison adultérine avec Langford Prewett.

« Ça reste Marlon, soit, mais je te rassure, on a assez d’éléments l’un contre l’autre pour s’anéantir mutuellement, si on partait sur cette voie. Disons qu’on a trouvé un terrain d’entente commun, pour tout te dire. » Un mouvement évasif de la main indique que ce n’est -apparemment- rien de très important. Même si elle le considère comme un frère, elle ne rentrera pas dans les détails, leurs problèmes de descendance restent des questions réellement familiales et elle ne sait pas vraiment si elle veut avouer à Lance que l’un de ses enfants est le fruit d’une trahison. Pas envie de voir la déception dans ses yeux, déjà qu’en reparler a remué en elle des remous de gêne et ravivé le sentiment de culpabilité qui reste attaché à ses pas. Elle poursuit, comme si ce qui suivait était une explication suffisante au revirement de situation dans leur relation fraternelle jusque là pitoyable. « On va probablement mettre en commun nos ressources pour virer Louis de Travers Households. Ça risque de ne pas plaire à notre mère, mais ça nous arrangerait tous les deux… Quoique, je sais pas si c’est le bon investissement à faire, pour le moment. » Elle hausse les épaules, revient à son plat qui commence à tiédir. Deux bouchées plus tard, elle regarde de nouveau autour d’eux rapidement, et l’interroge, le plus nonchalamment possible, trop pour ne pas éveiller de soupçon chez celui qui l'a côtoyée toutes ces années : « T’es censé le revoir bientôt, Marlon ? »

Pas moyen d’obtenir des informations sensibles, dans cette discussion. En même temps, elle ne lui dit pas tout : ce n’est que justice que Lance décide à son tour de retenir des renseignements et de les placer sous le sceau du secret. Couverts posés à côté de l’assiette, Myrthild lie ses mains, entrelaçant ses doigts ensemble, tout en s’appuyant contre le dossier de sa chaise en soupirant. Les conseils que Lance daigne lui conférer sont précieux, elle le sait pertinemment. Il n’a pas grand chose à gagner à lui suggérer pareil partage, ni de telles précautions : s’il le fait, c’est surtout pour la mettre en garde des choses pourries que Louis a faites sous couvert de la boîte familiale, sans doute. Elle n’oubliera pas l’attention.

Elle voudrait rester plus longtemps, profiter de l’instant avec Farrow, parce que ça lui manque, ces moments à deux. Elle voudrait pouvoir trinquer avec lui, prendre une bière pour elle-même, mais elle préfère plutôt finir celle qui lui a abandonnée en commandant sa sœur jumelle. Elle voudrait encore aussi pouvoir se confier à lui, s’ouvrir vraiment, tout lui dire. Mais la honte lui scelle la bouche, la gêne la retient, l’ale lui permet se donner une vague contenance. Il semblerait qu’elle se soucie plus de savoir ce que Lance pourrait penser d’elle que de l’opinion qu’a forgé Marlon à son égard, aussi curieux que cela puisse être.

Le Ministère se rappelle à eux plus tôt que prévu, par le biais d’une missive qui volette jusqu’à Myrthild et se pose dans son assiette délaissée pour lui annoncer qu’un dossier a été déposé sur son bureau et attend son attention la plus dévouée. Un coup de Blackeye, peut-être. Ou d’elle ne sait qui. Toujours est-il qu’il va falloir qu’elle y aille. Reposant la bouteille de bière sur la table, elle s’essuie les coins de la bouche et se lève, tout en commentant à l’adresse de Lance : « La Justice m’appelle. » Elle passe sa cape aux reflets moirés sur ses épaules, et pose une main doucement sur l’épaule du barbu : « Un jour, je te raconterai tout. Mais pas ici. Passe à la maison, une fois où t’as rien d’intéressant à faire. » L’invitation, quoique railleuse, est sincère, sous des atours détachés. « Avec un peu de chance, d’ici là, j’aurais eu le temps de trouver la solution pour les lames. » Une pression sur l’épaule masculine, et puis Myrthild Travers se dirige vers la Cheminée pour se transférer au Ministère par la voie rapide.

THE END