Alors que tu lèves la tête vers le ciel, tu n’aperçois rien d’autre qu’une vive lumière éblouissante. L’espace d’un instant, tu te demandes si c’est ce phénomène que l’on voit durant les derniers moments, durant ceux que l’on affronte juste avant de mourir. A en juger par la douleur lancinante qui tiraille tes muscles et la fatigue qui pèse sur tes épaules depuis des heures, tu ne serais pas étonné d’être à l’article de la mort. La nuit avait été longue, la cérémonie s’était poursuivie jusqu’au petit matin, et avant même de te voir accorder le moindre répit, tu avais été embarqué dans ce terrible périple dès l’aube. Le soleil avait désormais atteint son point culminant et la chaleur se mêlait sournoisement à l’humidité de la forêt. L’atmosphère était lourde et pesante, seuls les moustiques semblaient se délecter de cette promenade en terre inconnue. Les moustiques, et Freya bien sûr. Lorsqu’elle t’avait soumis l’idée de passer votre lune de miel au cœur de la nature, tu t’étais imaginé un tout autre scénario. Laissant ton esprit vagabonder d’un chalet luxueux à proximité d’une cascade à des activités récréatives en intérieur, tu avais laissé carte blanche à Freya, persuadé qu’elle te réserverait la plus excitante des surprises. Tu avais imaginé moins de randonnées, et surtout moins de vêtements…

Durant les premiers kilomètres, tu avais conservé l’espoir que ce chalet ultra confortable existait bel et bien que vous ne deviez plus en être très loin. Tu t’étais efforcé de mettre Freya de bonne humeur et avais accepté de porter le ridicule chapeau dont elle t’avait affublé, sous prétexte que « le soleil accélère le vieillissement de la peau ». Tu allais même jusqu’à lui accorder des sourires plus ou moins forcés lorsqu’elle commençait à se perdre dans de longs discours admiratifs à propos des fleurs ou des écureuils qui copulaient joyeusement sous ton regard maussade. Et puis la promenade bucolique dans les Cornouailles s’était rapidement transformée en une sorte de crapahutage cauchemardesque au cœur de la forêt amazonienne. L’air était devenu poisseux, tes vêtements moites te collaient à la peau et tu étais à peu près certain d’avoir attrapé quelques ampoules aux pieds, en plus d’une bonne dizaine de piqûres de moustiques assoiffés de sang. C’était certainement l’été le plus chaud (malheureusement au sens propre du terme) que le Royaume-Uni ait connu depuis des décennies, et Freya n’avait rien trouvé de mieux qu’un trek interminable en guise de lune de miel. C’est précisément dans ce genre de moment-là que tu en venais presque à regretter ton premier mariage.

Alors que le sentier tortueux vous conduit au bord d’une rivière sauvage, Freya s’arrête enfin. « Marlon regarde cette clarté ! L’eau est si pure et transparente à cette altitude. » En guise de réponse, tu marmonnes plus ou moins distinctement : « Pourtant on est loin d’être au septième ciel… » Mais Freya semble si heureuse d’être perdue au fin fond de la nature qu’elle demeure parfaitement indifférente à ton sarcasme. A la voir détailler la faune et la flore avec autant d’attention, tu te dis qu’elle a raté sa vocation et qu’elle aurait dû devenir magie-biologiste ou quelque chose dans le genre. Ça lui aurait peut-être même éviter de croiser la route de l’Ordre… Ruminant dans ton coin à la manière d’un enfant de cinq ans en manque d’attention, tu finis par t’échouer sur un rocher avant d’ouvrir ton sac à dos à la recherche d’un pique-nique réconfortant. En découvrant ce que Freya avait jugé bon d’emmener, l’air exaspéré affiché sur ton visage depuis près de deux heures s’évapora pour venir se changer en une mine quelque peu dégoûtée. « Tu as vraiment emballé les restes du mariage ? Tu sais, je ne suis pas franchement habitué à manger le repas de la veille. » Tu étais un Travers, pas un Prewett, quand même ! Mais une fois encore, Freya ignora superbement ton commentaire désobligeant, et se contenta de t’adresser l’un de ses sourires qui avaient toujours le don de te faire taire. N’ayant d’autre choix que de t’avouer vaincu, tu reposas nonchalamment les restes du repas dans l’herbe. Tu extirpas ensuite ta baguette magique de la poche intérieure de cette veste d’aventurier que Freya avait eu le bon goût de t’acheter, et tu fis apparaître un coussin afin de t’installer plus confortablement. Il était si rare que ton épouse vous autorise une pause, qu’il convenait d’en profiter un maximum. Une fois le coussin bien calé derrière ton dos, tu commenças à fermer les yeux et à imaginer que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve, et que tu allais bientôt finir par te réveiller dans un endroit paradisiaque. Mais au bout de quelques minutes de répit, une nuisance sonore vint interrompre tes fantaisies. C’était étrange, le bruit n’était pas particulièrement fort, mais les grattements répétitifs semblaient se rapprocher inévitablement. Rouvrant alors les yeux, tu faillis sursauter en apercevant le raton-laveur qui avait décidé de se repaître des restes de votre repas de mariage. « Saleté de bestiole ! » Ta baguette encore en main, tu la pointes immédiatement en direction de l’animal. « N’y pense même pas, Marlon ! Je t’ai interdit de lancer le moindre Avada Kedavra pendant notre lune de miel ! » Inutile de chercher à répliquer, il est vrai que tu lui avais promis de n’avoir recours à un impardonnable qu’en cas d’extrême urgence. Et connaissant ta tendance à l’exagération, Freya avait tenu à ce que vous dressiez la liste des situations qui correspondaient effectivement à une urgence extrême. Le cas d’un animal dévorant les restes d’un repas dont tu ne voulais pas n’en faisait malheureusement pas partie.

Tu avais finalement détourné ton attention de ce pauvre raton-laveur, et cela semblait être un mal pour un bien. Car après t’avoir sermonné, Freya parut se souvenir que tu existais. Elle avança alors dans ta direction et t’invita à aller prendre un bain dans la rivière. Ton visage se fendit enfin d’un sourire devant cette proposition des plus alléchantes. Lorsque Freya fut suffisamment proche de toi, elle posa sa main sur ton avant-bras. Avant de le secouer frénétiquement… « Maître, réveillez-vous, vous allez être en retard pour le déjeuner chez monsieur Louis ! » A l’instar d’un clown dans une boîte à surprises moldue, tu te redresses brusquement dans ton lit, l’air hébété. Ton regard parcourt rapidement les environs et finit par se poser sur la petite tête hideuse de ton elfe de maison. C’est alors une onde de soulagement qui semble se propager à travers ton corps lorsque tu réalises que tout ceci n’était qu’un cauchemar et que tu te trouvais bien à l’abri dans tes draps de soie. Avant même de te lever, tu attrapes ta baguette et fais léviter le parchemin et l’encrier qui se trouvaient sur la commode un peu plus loin. « Il faut que l’on parle de nos projets de lune de miel. M. »