2005 - Les choses ont été un peu difficiles ces derniers temps: Lee n'a pas eu le temps de souffler. Il voyage constamment, transplane, marche, prend des Portoloins, fait des aller-retour. St James, Sweet River, des camps à travers toute la Grande-Bretagne... quand il peut, il s'effondre sur un canapé de Sweet River ou dans le lit de sa chambre qui se trouve au rez-de-chaussée, près de la cuisine, de St James (vieille chambre de bonne étroite dont personne ne voulait tant elle était petite, à peine assez grande pour accueillir deux lits). Il aime bien, il fait chaud dans cette pièce, il peut s'y prélasser pendant des heures et dormir, dormir, dormir...
Sauf quand on vient le réveiller pour lui demander un truc ou un autre, un service, une faveur, une mission, quelqu'un à visiter, quelqu'un à sauver. Même Lee, au bout d'un moment, en a marre. Il ne le montre pas, n'agit pas différemment, ne fait pas de remarque. Mais au fond de lui, il bout. Il essaye toujours de rationaliser, de se dire que tout va bien, qu'il est utile, qu'il est une valeur sûre pour beaucoup de gens. Que c'est normal qu'on vienne le voir.

Mais c'est vrai qu'au bout d'un moment, eh bien, c'est chiant.
Alors pour une fois... Lee s'échappe. Évidemment, il le fait sous couvert d'une mission. Un bouffon de loup-garou a brisé une table à Sweet River, il en faut une nouvelle et c'est à Lee d'aller la chercher dans un charity shop à Londres. Il va toujours au même, discute avec le vieil homme qui s'appelle Ernest, rigole avec lui, sélectionne une table. Il dit au moldu de la mettre dans l'allée derrière, qu'il passera la chercher avec sa voiture; une fois que c'est fait, il lance un sort pour la rendre miniature et la glisse dans sa poche. Il pourrait directement retourner à Sweet River, leur donner la table, s'assurer qu'elle est assez grande, puis passer à une autre mission mais... non. À la place, ses pieds prennent d'eux-mêmes la direction de sa planque.

C'est Sofia qui la lui a donné, comme gage de confiance. Il l'utilise soit tout le temps, soit jamais. Il n'y est pas allé depuis une semaine... les pâtes qu'il a laissé dans le frigo la dernière fois ne doivent plus être bonnes. Pas grave, il redescendra acheter un truc à bouffer.
Juste une soirée... une soirée qu'il va passer à s'inquiéter, faire une potion, remplir sa liste mentale de choses à faire. Une soirée passer à être nerveux, tendu, triste, fatigué... mais loin des autres. Juste une soirée l'un des autres.

La porte est ouverte quand il entre. Il manque de ne pas le remarquer: six étages à pied, ça fatigue, même quand on a l'habitude et qu'on a juste envie d'aller s'écraser sur le lit. Mais non, la porte est ouverte. Pas baillante, mais pas verrouillée non plus.
Il n'y a rien d'incriminant ici... c'est le deux-pièces d'un sorcier lambda dont Lee porte le visage: cheveux blonds, yeux clairs, pomme d'Adam proéminente. Mais il sort tout de même sa baguette, au cas où, pour entrer.

Pas un bruit, personne, rien. Avant de faire un autre pas, il lance un sortilège de silence, pour pas que le plancher craque sous son poids (c'est un très vieil appartement avec du bois partout, poussiéreux et miteux). Il hésite à se transformer en lynx... et à courir dans l'autre sens à toute vitesse. Mais son instinct lui intime de continuer à avancer en silence. Sofia lui a dit des dizaines de fois que son "instinct" n'était pas une bonne raison pour se mettre en danger. Mais Sofia n'est pas là. Personne dans le salon, personne dans la petite pièce qui fait office d'atelier de potions. La porte de la chambre est fermée.
Certains objets ne sont pas à leur place, certaines choses ne collent pas, comme si quelqu'un était resté ici pendant... ça fait combien de temps qu'il n'est pas venu? Quelques jours, une semaine, quelque chose come ça. Improbable. Sans doute un rebelle connaissant l'adresse — ils sont très rares — qui a eu besoin d'un refuge... mais qui? Lee fait la liste dans sa tête, sans conclusion.

Il ouvre la porte, tend la baguette.

Tombe des nues en voyant les cheveux blonds, la tête qui se lève, les genoux osseux entourés par des bras pâles. Les yeux bleus qui se vrillent sur lui.
Il reste pétrifié. Est-ce vraiment elle? Non, impossible. Elle a disparu, elle est morte. Elle--
Lee agite sa baguette pour faire tomber les effets du Polynectar sur son visage. Pour qu'elle voit le sien, et pas celui du faux-sorcier qu'il s'est créé en couverture. Il ne bouge pas ceci dit, raffermit sa prise sur la baguette, la pointe vers elle. “ Luna? ” demande-t-il d'une voix terne, ne s'autorisant pas encore l'espoir, refusant de voir les blessures du coin de l'oeil, refusant d'y croire, préférant pour l'instant s'endurcir et attendre.

Le Gallion lui manque
Pendant des mois, pour la petite Ana amnésique, il a représenté pour elle un ami, une force étrange, inconnue, qui lui parlait selon des codes et des formulations que personne ne pourrait comprendre. Des mois, elle a tenté de communiquer avec lui, échant souvent, réussissant parfois, sans parvenir à comprendre véritablement qui contrôlait les mots qui apparaissaient sur le rebord de la pièce. Et puis finalement, elle l’avait offerte à Feng, sans même savoir comment l’utiliser.
Pour une fois, une des rares fois de sa vie, Luna regrette son geste.
Ses mains, dans le vide, tripotent la forme chaude qu’elle pourrait faire glisser entre ses doigts pour contacter quelqu’un, n’importe qui, pour qu’on vienne la chercher. C’est bon, elle se souvient du mot de passe, elle sait ce que c’est, elle sait qui lui parle, elle sait qui elle est (la plupart du temps). Elle veut rentrer maintenant. Elle veut juste rentrer.

Rentrer dans la planque de Paws n’a pas été si dur. Après un an passé avec la mafia à faire des choses peu recommandables, crocheter une serrure avec et sans baguette était entré dans ses cordes. Trouver la planque de Paws n’avait pas été si dure non plus, l’ayant déjà utilisé qu’une seule fois, en grande urgence, mais n’ayant jamais oublié la route qui l’y menait.
Enfin, jamais oublié en dehors de cette entière année à ne pas savoir son propre prénom.
Quand elle est arrivée, ça allait encore. Assez de conscience pour fermer la porte (sans la verrouiller, tout de même), inspecter les lieux, trouver de quoi soigner ses plaies, grignoter et boire, s’installer dans la chambre, commencer à réfléchir à un plan. S’il ne venait pas le lendemain, elle pourrait essayer une autre planque. Pas une nouvelle, de qui que ce soit, depuis Wolverhampton, elle n’a aucune idée de qui est encore en vie, ou actif, quelles planques fonctionnent encore… Bon, peut-être deux jours, et elle file. Les réserves de nourriture ne sont pas si grosses, et cette chienne de Bao lui a salement amoché la cheville, il faudrait que quelqu’un d’autre qu’elle y jette un œil.
L’esprit vif, analytique, clair d’Ana l’aide encore à avancer et à s’installer.

Vingt-quatre heures plus tard, les choses ne sont plus si simples.
Déjà, les souvenirs qui semblent revenir par vague, à chaque heure, lui plomber de plus en plus l’esprit. Comment a-t-elle vécu toutes ces années avec un tel encombrement dans ses pensées ? Toutes les créatures magiques reviennent la hanter. Le visage de sa mère, le bruit des autres, les attentes de l’Ordre la font suer à grosse goutte alors qu’elle sent une fièvre qu’elle ne comprend pas monter.
Tom, aussi, revient. Lui qui avait déjà filé entre les mailles du filet durant son amnésie reprend complètement ses droits. Il veut la voir. Il veut qu’elle le trouve. Il faut ramener les informations sur l’H… à l’Ordre mais il y a Tom qui susurre, murmure de venir la retrouver. Elle l’aurait peut-être fait d’ailleurs, si faible qu’elle était, si ce n’était pas pour la magie qu’elle était en train de perdre plus vite que son sang.

Encore douze ans avant de comprendre et de situer ce qu’il se passe. C’est Bao. Ana s’en souvient encore un peu, vaguement, d’un truc qu’elle lui a mis dans le dos. Elle ricanait, fière d’elle, en lui accrochant un truc… Une bestiole ?
L’esprit de Luna lui hurle que c’est un Umbugular Slashkilter.
Ça la mange, ça lui mange la magie, et elle n’arrive pas à le toucher. Plus les heures passent et mieux elle sent ses pattes enfoncées dans son dos, là où elle ne peut l’atteindre. Il y a quelque chose dans son dos et elle ne peut pas l’en sortir, ne peut pas…
La magie s’en va, bientôt elle ne peut plus utiliser sa baguette.
Mais ce n’est que la première magie, la magie la plus fluide, la plus simple, celle qui rentre et qui sort.
Bientôt, celui que Luna appelle définitivement un Slashkilter commence à manger la magie primaire, essentielle, qui la maintient en vie.

Depuis quand est-elle là ?
C’est flou. Elle a chaud. Froid ? Elle est seule, toute seule, il n’y a que les coins du mur pour la soutenir et la couverture pour l’envelopper. La conscience la quitte, la fatigue la prend. Elle a soif mais n’a plus la force de se lever pour se servir à boire. Et elle qui a déjà passé un an à ne se souvenir de rien, commence déjà à oublier ce qu’elle a construit tous ces mois. Déjà le visage de Feng, qu’elle ne porte plus, commence à s’effacer.
Bientôt celui de Cat.
Elle s’accroche, cependant, et l’appelle. « Cat, Cat. Stay. Cat. » Elle appelle quelqu’un d’autre aussi dans sa fièvre, quelqu’un de proche et qui l’appelle en retour. « Tom, come back, I’m here Tom, please come… save me… » La langue devient de plus en plus pâteuse, les souvenirs aussi. « Chat… petit chat… minou minou… » bafouille-t-elle bientôt sans comprendre exactement quel chat, exactement, elle appelle. Il est noir, peut-être. Tout noir avec des… grandes oreilles ? Elle ne sait plus. Elle ne sait plus rien, Luna.

Elle est dans ce presque songe quand des bruits discrets signalent une présence dans l’appartement. « Tom ? » marmonne-t-elle, vaguement, sans y croire. « Maman ? » ajoute-t-elle ensuite, indécise de qui elle attend exactement.
Finalement, ça apparaît devant ses yeux. C’est grand, c’est noir, c’est… ça a l’odeur, l’ambiance d’un chat. Ça doit être… « Cat ? » appelle-t-elle, un peu plus fort, la voix brisée par la fièvre et l’effort. Elle essaye de se souvenir, de voir les yeux, de se rappeler pourquoi elle est là… Qui elle attend. Oui, c’est presque un chat, c’est… « Paws, » lance-t-elle dans un souffle rauque qu’elle porte comme elle peut.
Quelqu’un est venu. Cat est venu.

« Cat ? » Parfois, des gens l'appellent le chat mais pas Luna, jamais Luna. Pour elle, ça a toujours été... « Paws » Paws. À croire qu'elle ne voulait jamais l'appeler par son prénom, non pas que ça l'ait jamais un jour dérangé.
Le fait qu'elle dise ce surnom, connu seulement de l'Ordre, devrait peut-être le rassurer que c'est véritablement elle mais... on ne survit pas pendant des années durant une guerre sans avoir un brin de paranoïa (et on ne peut pas vivre sous le même toit que Kingsley Shacklebolt même pendant deux semaines sans le développer naturellement). Alors, pour l'instant, Lee ne baisse pas sa baguette et l'observe plus attentivement.

Elle a du sang sur le visage, un oeil plus petit que l'autre et qui s'est paré de jolies couleurs sombres. Elle a des bandages sur la jambe, au niveau de la cheville, et il peut voir que beaucoup de la peau qu'il peut voir a elle aussi des couleurs sympathiques. Elle a dû se prendre un très bon beating à la moldue. Mais... où? Par qui?
Parce que ça fait un peu plus d'un an, depuis Wolverhampton, que Lee n'a pas vu Luna. Ses amis l'ont cherchée puis pleurée. Ils ont fini par se faire une raison, comme avec Harry. Qu'elle était... morte. Partie. Ou du moins, disparue à jamais. Au pire... attrapée par le Ministère.
À cette idée, Lee frissonne désagréablement en se souvenant de son propre temps dans les geôles du Gouvernement.

En ressortant, il était maigre et il avait faim et il avait constamment froid et il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait quelques blessures bien entendu, mais rien qui ne ressemble à ça...
Elle a quelque chose sur l'épaule, aussi, quelque chose de noir et rachitique...

Lee ne faiblit pas et raffermit sa prise sur sa baguette. Il ne peut pas se laisser attendrir par quelqu'un qui pourrait être une traîtresse. Il ne peut pas. (Une partie de lui pense que si elle avait voulu l'attaquer, si elle était accompagnée, ce serait déjà arriver. Mais il ne peut pas le tenter, il ne peut pas, il n'a pas le droit, trop de choses reposent sur ses épaules. Malheureusement.) “ Prouve moi que tu es toi, ” dit-il simplement, la voix un peu sombre, s'apprêtant à effectuer un déluge de sortilèges en cas de réponse non satisfaisante. Il a la gorge nouée pourtant. Il est soulagé de la voir si c'est elle, effrayé d'y croire et de voir ses espoirs détruits si ce n'est pas le cas, si ce n'est qu'une embuscade ou pire... “ Prouve moi que tu es Luna... que tu es Tinkerbell. ” Il réfléchit quelques secondes avant de reprendre: “ la dernière fois qu'on s'est vus... ” Il s'interrompt pour déglutir. La dernière fois qu'ils se sont vus, c'était avant Wolverhampton — Lee n'y était pas présent lors de l'attaque —, quelques jours seulement. “ Tu m'avais demandé de te trouver une livre. Tu te souviens duquel? ”

Paws, Paws c’est... Lee ? Elle ne sait plus le nom de famille, mais c’est un autre prénom. Elle se souvient surtout de lui parce qu’il est lié aux Weasleys, aux cheveux roux, et que Tinkerbell a une confiance aveugle bien que faible pour tous ceux liés aux Weasleys. (La confiance de la jeune femme, en soit, n’a que peu de poids, tant le désintérêt peut être cruel et les promesses oubliées.) Paws, c’est pour elle un énième rouage, encore un tentacule de l’Ordre, avec des noms et des différences qu’elle ne relève pas toujours bien. Heureusement Lee est assez charismatique, assez particulier pour qu’elle ne l’oublie pas… trop.
Il veut des preuves. « Je sais pas… » commence-t-elle à geindre, faiblement, en agitant la tête pleine de fièvre. Elle ne sait pas, elle-même, qui elle est tous les jours. Elle a passé un an à être une autre, avec d’autres : un autre visage, un autre métier, d’autres idéaux. Elle-même se demande parfois si elle n’affabule pas toute cette histoire de deuxième famille, de haut rang dans une société anti-gouvernementale. Ça ressemble plutôt à une farce que pourrait lui faire Feng avec sa legilimancie. « Trop de wrackspruts, » tente-t-elle d’expliquer, pour se justifier d’être bête et pas entière, pas complète. D’avoir les oreilles qui sifflent, le crâne qui brûle, le corps qui tremble et la magie qui s’enfuit… s’enfuit… par où ? vers où ?

Elle se reconcentre quand il reprend la parole, et la perd presque complètement. La dernière fois qu’ils se sont… Tinkerbell se souvient à peine du prénom de son père, en cet instant, et la demande de précision lui amène aux yeux des larmes d’impuissance qu’elle ne retient pas. Qui font mal à son œil enflé. « Un livre ? » répète-t-elle, perdue, alors que sa main remonte pour essayer d’attraper ce qu’il a dans son dos et qui lui fait mal. Impossible à toucher, cependant, impossible de le sentir, alors qu’elle voudrait juste… Et Paws qui veut un livre…
Elle essaye de se souvenir, elle essaye vraiment. Elle fixe son visage, sa barbe, affronte même son regard sans remarquer la baguette sortie. La dernière fois qu’elle a vu ces yeux… « Les serpents, quelque chose sur les serpents, » bafouille-t-elle, hésitante, et sans pouvoir expliquer pourquoi. À l’époque, ça avait été pour se renseigner sur le serpent de Tom, et les fourchelangues, mais quant à savoir l’excuse qu’elle a sorti à Paws…
Un geignement lui échappe, alors qu’elle a l’impression qu’on la draine encore, que l’énergie s’en va, et sombre en avant, haletante, brûlante. « Paws… » appelle-t-elle, au désespoir. « J’ai mal, mal, mal… » Et ses mains, encore, essayent d’atteindre son dos sans succès.

« Je sais pas… » Lee serre les dents sans rien dire, raffermit sa prise sur sa baguette. Il ne peut pas se laisser avoir par son petit air fragile, ses blessures, ses grands yeux perdus... il ne peut pas laisser le doute régner, ou sa faiblesse vaincre. « Trop de wrackspruts. » Quelque chose passe sur le visage de Lee, une vague qui menace de transformer ses lèvres pincées en un léger sourire: il n'y a vraiment que Luna pour dire ça... Mais il ne se laisse pas attendrir pour autant (du moins, il essaye de ne pas le montrer). Il veut la réponse à sa question, il en a besoin, parce que sinon, il ne sera jamais convaincu ce qui elle est réellement.

Il reste circonspect, même quand il voit des larmes perler à ses yeux, même quand il voit encore mieux les bleus, les blessure, le sang et cette chose chitineuse au-dessus de son épaule... bon sang, dans quelle merde s'est-elle encore fourrée? « Un livre ? » Un livre, oui, c'est ça! Malgré lui, Lee sent quelque chose monter en lui et exploser dans sa poitrine... de l'excitation et de la peur, aussi. Excitation de revoir Luna. Et de la peur, aussi d'apprendre ce qui s'est passé pendant son absence... « Les serpents, quelque chose sur les serpents. » Quelque chose sur les serpents, effectivement. Lee ne se souvient pas du nom du livre — il a une bonne mémoire mais pas à ce point — mais oui, il y avait un serpent sur la couverture, putain, il a perdu le livre depuis, il ignore où il est...
Il va pour baisser sa baguette quand Luna pousse un petit gémissement. « Paws… J’ai mal, mal, mal… » Elle se contorsionne, essaye d'atteindre quelque chose sur ses omoplates et sans réfléchir, Lee s'approche. “ Montre-moi. Luna, montre-moi, ” tonne-t-il d'une voix forte, soudainement inquiet.

Il ne réfléchit pas, lui qui a toujours montré beaucoup de tendresse et d'attention à l'égard de Luna, et finit de rompre la distance entre eux en quelques grandes enjambées. Bleus, coupures dont elle s'est rapidement occupée, il imagine qu'elle a dû se fouler ou se casser la cheville... ce qui l'inquiète, c'est ce qui se trouve sur son dos. “ What the fuck... ” commente-t-il quand il s'approche et voit deux... antennes? dépasser de par-dessus son épaule. “ Tourne-toi, ” lui ordonne-t-il mais il n'attend pas, l'attrapant par le bras et la forçant à rouler sur le ventre, sans égard pour elle — ce n'est pas très gentil, mais Lee est en train de paniquer à cause de ce qu'il voit.
Il n'a jamais vu ça avant. “ Dans quelle merde... ” Il ne finit pas sa phrase, appuyant le bout de sa baguette qu'il a toujours en main sur la... carapace de l'animal? Les antennes semble se tourner vers lui... “ Fuck! ” crie-t-il malgré lui, paniquant en voyant des pattes insectoïdes se tendre dans sa direction et sans réfléchir, il le prend à deux mains et le retire dans un bruit glutineux absolument terrible et dégoûtant. “ Fuck! ” crie-t-il encore en envoyant la chose voler à travers la pièce. “ Fuck! ” crie-t-il en voyant le truc atterrir et tourner pour sauter sur ses pattes; l'instant suivant, une gerbe de flammes bleues illumine la pièce et d'un autre sortilège, Lee les contient à l'immonde insecte qui pousse un bruit déchirant en mourant.

“ Fuck, Luna, qu'est-ce que tu... ” Il tourne les yeux vers elle mais il ne voit pas de plaie sur son dos. En revanche, Luna ne réagit pas quand il essaye de la secouer un peu. “ Luna? Tinkerbell? ” reprend-t-il et elle grogne à peine. Bon, au moins, elle n'est pas morte sur le coup. “ Putain c'était quoi? ” Lui qui pourtant jure si rarement... Il la fait se retourner pour pouvoir l'observer, prendre son visage dans ses mains, la secouant un peu — sans douceur mais sans violence non plus, juste pour qu'elle reste éveillée. “ Reste avec moi. Dis-moi ce qu'il s'est passé, maintenant, ” l'urge-t-il d'une voix angoissée.

Le monde commence à sombrer et à fondre. Tinkerbell entend plus qu’elle ne voit Paws s’approcher d’elle. Elle geint, encore, essaye d’articuler quelque chose mais les mots ne sortent plus, comme si toutes ses forces étaient parties en essayant de répondre à Paws. Elle espère l’avoir convaincu. Elle espère qu’il la croit. Parce qu’elle-même n’en est pas sûre, d’être Tinkerbell, encore moins d’être Luna. Luna est un songe, un autre temps, une personne qu’elle aurait pu être, il y a longtemps, ou qu’elle aurait pu rêver. Peut-être qu’elle ne fait que lui ressembler.
Là, aujourd’hui, elle se sent si loin de cette Tinkerbell qui combat le mal et le Slashkilter, loin de Luna qui a la tendresse de son papa et les sourires de ses amies, elle n’a plus l’assurance que ces figures blondes ont. Elle a oublié son propre visage, sa propre force d’avant, se trouve dans un monde étrange, un entre deux où elle ne se souvient plus d’Ana mais ne peut pas revenir ce qu’elle était avant. Elle est trop petite, trop faible, trop sale. Il y a des choses étranges dans son dos et dans sa tête. Elle avait tout oublié, Ana, elle avait oublié sa maman et son papa, Tom, ses angoisses, tout ce qui l’empêchait de vivre avec les autres sans être mal regardé. Elle avait oublié et maintenant qu’elle se souvient elle ne sait pas comment elle a pu tenir tout ce temps avec toutes ces choses dans la tête.
Elle voudrait agiter les bras pour chasser les wrackspruts qui lui embrouillent le cerveau mais elle n’a plus la force.

Comme tout le reste, il y a Paws qui est flou, dans son dos. Elle croit l’entendre jurer. Elle peut le sentir le manipuler et normalement elle n’aime pas qu’on la touche. (Luna, pas Ana.) Mais là elle n’a plus la force : elle laisse faire. Comme un pantin elle cède aux injonctions de Paws. Il ne parle pas comme d’habitude. Il n’est pas comme ça d’habitude. Un instant elle se demande si c’est bien lui, si ce n’est pas elle qui se trompe, qui aurait dû vérifier, lui demander quelque chose… Mais pas la force. La force de rien. Tout s’en va, tout s’étiole, elle fatigue et Paws crie dans son dos…
Soudain, la pression s’en va.
Elle crie, un son inarticulé, brusque, de douleur et de délivrance alors que la chose dans son dos est décrochée et envoyée valser à travers la pièce. Elle en pleure de soulagement, alors qu’un peu de sa conscience lui revient, assez pour rouler sur le dos, pour avoir la force de pleurer et sangloter, de se rouler en boule alors que la douleur s’en va mais que, étrangement, ça ne va pas mieux.
Comme si la chose avait ouvert une plaie d’où s’écoulerait encore sa magie. Presque plus rapidement encore maintenant que rien ne régule le flux. Luna a froid, si froid. Elle voit à peine les flammes envahir la pièce. Ça ne la réchauffe qu’à peine, un brusque instant, et puis plus rien. Fait-il noir ? Où est Paws ? Et Cat ? Le chat, où est le chat ?

Elle peut sentir qu’on la touche, encore, mais les mains de Paws sont froides, elle aussi. On l’appelle, elle croit reconnaître ses noms. Elle essaye de répondre, d’ajouter Ana mais rien ne veut sortir. Elle l’entend encore parler sans reconnaître, on la prend, on la manipule, on la touche. Si froid… Dans un effort surhumain, elle parvient à tendre les mains. Ses doigts faibles tentent d’attraper Paws, ont à peine la force de le toucher, glissent sur lui sans trouver d’accroche. « F-f-froid, » tremblote-t-elle, plus pâle que jamais. « Plus de… » Plus de chaud, plus de vie, plus rien. Elle regrette presque la présence sur son dos qui la brûlait presque en la vidant. Elle voudrait revenir à la maison. Sans plus savoir exactement où c’est. « … magie, » parvient-elle à finir, dans un gargouillis flou et tremblant. Encore elle essaye de le toucher, parvient à atteindre son visage et ça, c’est un peu chaud, un tout petit peu plus chaud que le reste. Elle voudrait s’accrocher mais tout sombre et se met à fondre.

Luna n'a pas l'air d'être en état de répondre, pourtant Lee a envie de lui poser la question, encore et encore, de lui demander comment elle va, ce qu'il peut faire, comment il peut l'aider... Parce qu'il ne sait pas quoi faire. Pour l'une des premières fois cette semaine, Lee ne sait pas quoi faire. Lui qui a toujours une solution ingénieuse et improbable, qui a toujours une réponse, un avis, un conseil à donner aux autres... il ne sait pas quoi faire.
Luna tend la main vers lui en direction de son bras, et Lee cesse de la secouer, ses pouces caressant la peau de ses joues avec douceur. « F-f-froid. » Il hoche la tête, ok, il peut lui trouver une couverture, faire quelque chose, après il s'occupera de ses blessures... « Plus de… » Il est pendu à ses lèvres, voudrait la presser, la faire parler plus vie, mais ce serait contre-productif. « … magie. » Il ne comprend pas, encore moins quand la main de Luna parvient enfin à véritablement le toucher, remontant sur son épaule pour trouver son visage. Il la voit commencer à sombrer. “ Non! Luna, reste avec moi! ” s'entend-t-il dire au lointain, alors qu'il essaye de se concentrer. Froid, plus de magie... qu'est-il censé faire?

Son esprit va à toute allure, il a du mal à réfléchir et pourtant, il a l'impression de tout voir avec une vision parfaite. Il va d'une idée à une autre pendant un temps qui semble infini — quelques instants seulement — avant de hocher la tête en se détachant. “ Je reviens, attends! ” Il a un livre... quelque chose... c'est Royal qui le lui a donné,  pour son anniversaire l'an dernier. “ Putain, putain, putain. ” Il cherche dans ses étagères, incapable de se souvenir du nom du livre pour l'amener à lui d'un simple Accio... “ Putain, putain... ah! ” Ses doigts glissent sur la couverture en cuir et il l'amène à lui pour le feuilleter, angoissé.
C'est une idée stupide mais il n'en a pas d'autre. Plus de magie, elle est faible, fiévreuse, elle a froid... “ Putain, putain, putain, ” ponctue-t-il sa recherche avant de trouver la page qu'il cherchait, qui s'était cachée dans sa mémoire pendant des mois et des mois, depuis qu'il a déposé ce livre dans l'armoire après l'avoir parcouru en diagonale.

Il laisse le livre ouvert aux pieds de Luna en courant à travers l'appartement pour trouver ce dont il a besoin — heureusement qu'il garde quelques ingrédients magiques dans le coin. La poudre d'aconit fischeri, une goutte de sang d'auroch... Il mélange les deux ingrédients et revient vers Luna. “ Luna! ” Elle réagit à peine mais Lee n'attend pas, trempant ses doigts dans la mixture un peu pâteuse avant de se pencher vers elle pour tracer la rune indiquée par le livre sur son front. Il la reproduit à l'envers dans la paume de sa main... il sent aussitôt la magie crépiter, une chaleur familière et terrifiante à la fois remonter le long de son bras...
Elle devient presque insupportable quand il pose les deux runes l'une contre l'autre, sa paume sur le front de Luna, ses doigts dans ses cheveux. Il s'accroche à son crâne et, avec sa baguette dans l'autre main, récite la longue incantation qu'il lit rapidement sur le grimoire de magie avancée donné par Royal.
C'est une mauvaise idée, il n'a jamais fait ça. Mais là, tout de suite, il ne voit pas d'autres solutions. Il doute que Luna puisse survivre à un transplanage...

La chaleur est remplacée par un froid terrible, qui commence dans ses doigts et remonte jusqu'à son poignet, son coude, son épaule, mais Lee ne faiblit pas. Même quand ses lèvres se mettent à trembler de froid, même quand il a l'impression de faire face à un vent invisible d'hiver et que son nez le pique. Il continue, il rit puis récite, il tremble et Luna arrête de bouger sous lui.
Il arrive à la fin du sortilège. “ Luna? Luna! ” Il panique en voyant qu'elle ne rouvre pas les yeux, retire sa main pour la poser, avec sa jumelle, sur ses épaules et la secouer. Il sent, un peu malgré lui, les larmes lui monter aux yeux. Il a si froid... “ Luna! Luna, putain, réveille-toi, réponds moi! ” Il déteste sa voix qui tremble, qui vire dans les aigus brutalement. Il déteste le corps inerte de Luna, elle semble is petite soudainement, si jeune. Il étouffe malgré lui un sanglot. L'idée qu'il ait pu la tuer... ou qu'il l'ait laissée mourir... est insupportable. Il est si mauvais, avant Fred et maintenant elle, il est si mauvais et faible et stupide. Il peut faire tout ce qu'il veut, vadrouiller, passer de camp en camp, aider tout le monde, parvenir à faire sourire les gens, mais au final... il est impuissant. Impuissant, trop faible, trop lâche, pas assez bon, pas assez puissant, pas assez intelligent, pas assez.

Et il a si froid...

Il pousse un gémissement de douleur quand sa main semble s'embraser. Il la tourne vers lui pour regarder sa paume, qui le brûle, et voit la rune qu'il y a tracé passer du carmin au doré, briller comme si une lumière solaire se trouvait sous sa peau... Il voit que la même chose se passe sur le front de Luna. Le temps que son coeur fasse trois battements et la lueur disparaît.
Luna, tout d'un coup, ouvre les yeux et un spasme agite son corps, la propulsant en position assise; Lee manque de la tacler et de l'étaler en lui sautant dessus, la prenant dans ses bras avec force, les larmes coulant librement sur ses joues puisqu'il n'a plus de raison de les retenir et, trop abasourdi, il ne sanglote même plus. En temps normal, il ne se permettrait pas de faire ça avec Luna, mais il est soulagé, reconnaissant... heureux, même quand il se détache pour planter ses yeux dans les siens, une main venant effleurer sa joue. “ L- Tinkerbell? ” murmure-t-il à mi-voix, une peur enfantine lui nouant l'estomac à l'idée que peut-être, il ait ramené autre chose dans l'enveloppe de la jeune femme.

La magie s’en va et, avec elle, la vie.
Peut-être devrait-elle paniquer, résister, s’accrocher à cette faible impression de chaleur au bout de ses doigts. Le soulagement est malheureusement trop fort. Quand Paws file, quand le froid finit de la saisir, elle l’accueille presque trop tendrement. C’est le froid de ces trous, béants, qu’elle voit souvent naître sur sa peau. Le froid de la voix de sa mère, le froid qui prend son père quand il est seul et croit qu’on ne le voit pas. Le froid des âmes fatiguées, lasses, qui attendent qu’on les libère. Qu’on leur dise, doucement, tendrement, que c’est bon, c’est fini. Ils peuvent arrêter les efforts. Arrêter de s’épuiser, de s’éreinter dans un monde trop fatiguant, trop épuisant, qui demande tellement, tellement…
Tinkerbell retrouve Luna, en sombrant. Lala, Lolo, Lulu, la petite fille qui n’avait pas encore peur du méchant Slashkilter. Qui n’avait encore vu aucune horreur et qui se précipitait vers sa maman pour qu’elle lui fasse de jolies tresses. Ses longs cheveux, maintenant coupés, trouvaient un sens et des couleurs dans les doigts de sa mère. Pandora était la seule à pouvoir toucher aussi librement la petite et, avec un plaisir indicible, Luna retourne sur ses genoux. Elle entend sa voix chantonner, murmurer des mots doux, des surnoms, lui raconter des histoires et des jolis poèmes qui étaient parfois un peu d’elle.
C’est ce qu’il y a, à l’intérieur des trous de Luna. Les caresses et les mots de sa mère, le dernier souvenir qu’elle a d’elle, alors que la petite fille rigole naïvement du dernier tour de sa mère, paniquée, effrayée, dévorée par le vide avant de disparaître.

Il n’y a pas de trou ici. Il y a Pandora, sa maman et il y a Tom, aussi, comme elle le voyait quand elle s’unissait au diadème. Tom si beau, peut-être de son âge, sans que Luna sache quel âge elle a. Tom qui sait tout d’elle, qui vit au rythme des battements de son cœur. Tom tendre, Tom passionné, Tom étrange et isolé, Tom que personne ne comprend. Dans son dos sa mère coiffe ses cheveux et devant elle, assis en tailleur comme elle, il y a Tom qui lui sourit. Qui lui dit que tout va bien. C’est fini maintenant, la magie est partie et avec elle toutes les difficultés, tous les efforts. Ils ne feront qu’un, à présent.
Et Luna, sans défense, sans volonté, uniquement remplie de ces deux entités, sourit et tend les mains pour toucher Tom à son tour. Serrer ses mains dans les siennes, lui murmurer, à son tour, qu’elle est heureuse d’être là. À ses côtés, avec elle. Que ça fait des années, maintenant, qu’elle résiste, qu’elle peine, qu’elle lutte pour ne pas être avec lui mais que maintenant, c’était bon, c’était fini, le froid allait l’emporter et elle pourrait rester à jamais dans ce monde sans trou, sans vide, sans effort, avec l’odeur du jardin et les yeux de Tom.
Le retour à la vie se fait brusquement. Salement. Comme un coup dans les côtes. La lumière lui fait mal. La puanteur qui émane d’elle-même lui agresse le nez. Respirer lui fait mal. Son corps est lourd, douloureux, elle se redresse sans avoir conscience et panique, aussitôt, de revenir dans le monde horrible des efforts et de la lutte.
Elle n’a même pas pu leur dire au revoir.

Inconsciente tout ce temps, presque morte, elle n’a pas conscience de tout ce qu’a fait Paws pour la ramener. Elle le regarde, d’ailleurs, et met un temps à le reconnaître. Ce n’est pas Tom, se dit-elle avec une étrange colère. Ni sa mère. Elle hait cette pièce, elle hait ce monde et ce corps, fait d’os et de chair, où elle est censée être quelque chose, quelqu’un. Qui, déjà ? C’est l’homme devant elle, celui qui pleure, qui lui rappelle. Tinkerbell, oui, c’est elle, Tinkerbell. Elle fronce très doucement les sourcils, comme un spasme plus qu’une expression, avant d’hocher la tête, faiblement, dans un geste qui pourrait presque être un tremblement.
Elle se sent étrange. Bien qu’elle se sente toujours étrange elle se sent encore plus étrange que d’habitude. Un peu bêtement, elle répète : « Tinkerbell, » et sa voix sonne d’une drôle de façon. Après avoir articulé très bas ce surnom elle agite encore un peu la bouche, pâteuse. Goutte sa propre langue, teste ses propres dents, comme si elle n’y croyait pas. « Ça… » commence-t-elle, d’une voix qu’elle fait plus grave sans s’en rendre compte. « Ça sent toi. » Ce qui n’est ni très logique, ni très habituel. Encore, elle joue de sa langue dans sa bouche alors que l’odeur, l’impression de… Paws, perdure dans sa tête, derrière ses oreilles, le long de ses cheveux et jusqu’au bout de ses doigts. Ça lui prend le ventre, ça fait battre son corps.
Comme s’il était là, en elle. À la place de maman et à la place de Tom.

Les yeux bleus remontent jusqu’à Paws, cherchent les siens, les trouvent, y trouvent un étrange miroir. Doucement, faiblement, une main épuisée monte pour venir toucher son visage. Reproduisent en miroir le geste qu’elle a eu avant de sombrer. Elle a la main chaude et la joue de Paws est froide. C’est étrange. « Qu’as-tu fait, Lee ? » demande-t-elle, sans réfléchir, alors que le contact provoque presque un frisson d’horreur.
Toucher la peau de Lee, c’est comme toucher la sienne et elle peut sentir, comme en écho, le contact sur son propre visage.

Luna hoche la tête en fronçant les sourcils et puis, tout doucement, un mince filet de voix: « Tinkerbell. » Lee aurait presque envie de se remettre à pleurer, parce qu ependant un bref instant il a cru qu'il ne l'entendrait plus jamais, qu'il ne pourrait plus jamais l'écouter pendant des heures parler de tout et de rien, qu'il ne pourrait plus jamais passer des heures dans le silence à juste profiter de sa compagnie, qu'il ne l'entendrait plus, ne verrait plus jamais cette lueur curieuse et lointaine dans ses jolis yeux bleus.
Mais non. Elle cligne des yeux, lentement, et parle, lentement, mais elle est là, en vie. Il l'a sauvée. Lee sent la rune sur sa main pulser, il sent aussi quelque chose de drôle, chaud et désagréable à la fois, lui remonter le long du bras, un buzz constant qui fourmille sous la peau. Royal va le tuer. “ Oui, c'est toi, ” murmure-t-il, mais elle ne semble pas l'entendre — pas grave, Lee s'est très vite habitué à la parfois non-communication de Luna. Après un temps interminable, un autre mot: « Ça… » Il attend, patiemment comme toujours, pendu à ses lèvres. « Ça sent toi. » Et lentement, Lee se met à sourire.

Il trouve ça mignon, mais en même temps, il trouve ça effrayant parce qu'il pense comprendre ce qu'elle dit. Ça sent comme lui, ça sent comme elle aussi. Il ne dit rien et la laisse faire, croise son regard et sent un long frisson lui dévaler le long de la nuque. Elle lève la main et il ne bouge pas, même quand elle le touche. Sa main est chaude — chaude! Les doigts et la paume caressent la barbe, la joue. « Qu’as-tu fait, Lee ? » L'impression est étrange, dérangeante. Sa main le démange, mais il ne la regarde pas. Il expire lentement, et il a l'impression de se débarrasser d'un poids en expirant. “ Je pourrais te retourner la question, ” répond-t-il stupidement, ne désirant pas s'épancher sur le fait qu'il vient d'accomplir un acte magique qui va peut-être changer sa vie.
Mais pourquoi le regretter? Il l'a sauvée, elle est en vie. Grâce à lui. Même Royal pourrait comprendre ça...
Mouais. Il en doute. “ J'ai cru... J'ai cru que t'étais morte. ” Sa voix se brise en cours de route. “ Tu m'as fait peur. Tu nous as fait peur à tous, ” se corrige-t-il rapidement en fronçant les sourcils. “ Qui t'a fait ça? ” À son tour de lever la main, mais il ne l'effleure même pas en pointant du doigt la myriade de bleus et lésions sur son visage aux traits délicats.