Contrairement à ce qu'affirmait la rumeur - Frida y était décrite comme une vieille dame aigrie au cœur inexistant (ce qui était une description très réaliste de son frère si on excluait le côté "vieille dame") - la (très) haute-juge adorait sa famille et plus particulièrement les repas de famille. On pouvait y voir une forme de fascination pour le chaos et les pugilats de Schrödinger (Duncan et Archie allaient-t'ils se battre comme depuis près de quarante ans ? Michelle quitterait-elle la table en pleurant car tout le monde n'était pas paix et amour ?) mais la vérité était toute autre (selon Frida) : elle aimait être entourée de ses proches (poufsouffle/20), pour réaffirmer son emprise sur ses derniers (plus poufsouffle/20) et ainsi les faire marcher droit (chose qui tendait vers l'échec/20). La défection de son fils aîné et de trois des enfants de ce dernier lui pesait cependant (un était même tombé pour espionnage entre les mains du N9) et l'ambiance du réveillon en avait pris un coup (personne n'avait évoqué le sujet ni les absents).

Rain avait loupé le festin (Rio aussi mais elle n'avait pas été invitée,  Frida ne voulait rien avoir à faire avec une hybride poseuse de bombes) mais pour une "bonne" raison. Il fallait des handlers à la VB même à Noël et il avait été réquisitionné alors même que la sorcière était aller y foutre son nez pour négocier, habituée à ce qu'on ne lui refuse pas grand chose. Soi-disant qu'ils étaient en manque de personnels et oui madame, toutes les personnes qui ne fêtent pas Noël sont de service lui avait-on précisé regard plus qu’atterré à l’appui quand elle avait fait remarquer qu'au hasard la petite Al-Massri ne devait pas en avoir grand chose à faire de louper la naissance de Jésus et qu'elle n'avait pas non plus d'enfant en bas âge que l'on privait d'un parent le jour le plus important de l'année. Frida l'avait eu mauvaise qu'on lui dise non (à son époque, ça ne se serait pas passé comme ça) mais avait ordonné à Rain de venir le lendemain pour se faire pardonner de jouer les absents et ainsi d'augmenter le nombre de chaises vides que les tableaux accrochés au mur de la salle à manger s'étaient amusés à fixer toute la soirée.

Ce fut Molkky qui vint ouvrir quand on sonna à la porte. Ce dernier avait passé la journée à nettoyer le manoir poussiéreux de Frida (les gamins surexcités par Noël avaient renversé un nombre de bibelots assez conséquent) et les cernes soulignaient son regard globuleux. Coiffé d'un chapeau de père noël (pas un vrai vêtement lui avait précisé la vieille pour ne pas se retrouver sans son précieux elfe), il fit entrer les invités d'un air maussade. Frida les attendait au salon où trônait un immense sapin sous lequel restaient encore des paquets cadeaux aux emballages colorés (cette année, Molkky en avait trouvé des décorés de vifs d'or qui filaient à toute vitesse). Assise sur son fauteuil, elle délaissa immédiatement sa tasse de thé spécial digestion après repas de famille bien gras pour aller pincer les joues du petit Charles et poser un baiser sec sur le front de Rain. "Joyeux noël" fit-elle d'un ton grinçant qui prouvait qu'elle en voulait un peu à son petit-fils de l'obliger à faire une séance de rattrapage (une question de principes). Elle se tourna ensuite vers son arrière petit-fils à qui elle indiqua sa pile (conséquente) de cadeaux sous le sapin. "Regarde ce que le père Noël a laissé pour toi !" - et à Rain - "On aura la paix comme ça." Elle claqua des doigts pour invoquer Molkky auprès de qui elle commanda thé, chocolat chaud pour le môme et pain d'épice avant de retourner dans son fauteuil. "C'était très bien hier, dommage que vous n'ayez pas pu venir. Charles a manqué tous ses cousins !"

“ 'Veux pas... ” “ Mais si, tu vas voir, le Père Noël a dû passer chez mamie, je suis sûr qu'il t'a gâté et- ” Rain espérait sincèrement que la grand-mère (ou arrière grand-mère en l'occurrence) n'avait pas oublié Charlie dans sa liste de courses, en dépit de leur absence le soir de Noël. Il en doutait néanmoins puisque l'aînée des Beckett  avait fait des pieds et des mains pour leur permettre de venir le jour J, et à défaut avait lourdement fait comprendre à son petit-fils que sa présence était requise dès le lendemain. Or, on ne disait pas non à la grand-mère, encore moins lorsque celle-ci était l'un des quelques remparts qui permettaient à Rain de conserver son statut au sein du Ministère et de protéger son fils malgré la trahison de Cho. Quand bien même, il espérait sincèrement que Gran n'avait pas encore offert une biographie du Lord “ pour lui lire avant de dormir ” ou un autre kit du petit potionniste spécial poisons “ à tester sur ceux qui t'embêtent ”. Cette année, un simple balai jouet ferait l'affaire, vraiment. Mais Charlie secouait la tête, refusant toujours de se rendre au manoir des Beckett - Rain étant lui-même persuadé depuis sa plus tendre enfance que le manoir était hanté, alors il ne lui en tenait pas rigueur. “ Écoute, si tu es sage aujourd'hui, ce soir on regarde Mulan. ” Pour la 348ème fois.

L'argument avait dû fonctionner puisque voilà Rain et Charlie, sa petite main logée au creux de celle de son père, devant l'immense portail menant à l'allée centrale. Une fois à la porte, c'est Molkky, l'elfe de la famille, qui les accueille, son teint cireux marqué par des cernes plus sombres que jamais. “ Quel style Molkky, je suis fan, commente Rain en tâtant du doigt le bout du pseudo bonnet de Noël trônant sur la tête rabougrie de l'elfe. ” Pour toute réponse, la créature détourne les talons en direction du couloir, les invitant à le suivre. De nombreux portraits de famille à l'allure passablement glauque les accueillent et Rain doit littéralement traîner Charlie dernière lui pour le forcer à le suivre.

Le salon est toujours décoré aux couleurs de Noël. Il sent un mélange d'épices de la veille et de poussière. Dans le grand fauteuil se tient Frida, qui se lève pour aller les saluer. Rain sert la main de son fils quand la grand-mère vient lui tirer les joues, le forçant à ne pas bouger et à faire bonne figure. “ Joyeux noël. ” Le ton glacé ne lui échappe pas, mais Rain répond avec son enthousiasme habituel. “ Joyeux Noël mamie ! ” Il tire un peu sur la main de Charlie, mais celui-ci baisse la tête dans une observation attentive de ses pieds. “ Il est timide, dit-il en s'excusant. ” “ Regarde ce que le père Noël a laissé pour toi ! ” Charlie jette un regard à son père, qui hoche vigoureusement la tête. “ On aura la paix comme ça. ” Rain grince légèrement des dents mais sa tête est encore tournée vers son fils, qui court aux pieds de l'arbre pour ouvrir ses cadeaux. Il espère que son agacement passe ainsi inaperçu, au même titre que son inquiétude grandissante concernant le contenu desdits cadeaux. “ C'était très bien hier, dommage que vous n'ayez pas pu venir. Charles a manqué tous ses cousins ! ” Le reproche n'est presque plus camouflé à présent, mais Rain garde son ton enjoué en s'installant dans le canapé. “ Oui, Laurel m'a raconté, ça avait l'air super ! ” ... Mortel, mais il se garde bien de préciser l'état d'esprit général de la fratrie. “ Malheureusement, on a beaucoup de boulot à la brigade, en particulier depuis que Potter a disparu. Et puis avec les perturbations magiques... Le temps passe vite en ce moment, on est débordés. ” Comme si Rain s'occupait personnellement de ce genre de cas. Nial et lui avaient passé la soirée à jouer aux cartes avec le patron d'un bar clandestin, en attendant que l'heure tourne et qu'il puisse décemment retourner au bureau en détaillant leur attaque musclée. “ Mais on est là aujourd'hui, et heureux de fêter Boxing Day avec ma grand-mère préférée. ” Bien sûr, il n'en a pas d'autre, mais ça ne l'empêche pas de se pencher pour serrer affectueusement l'avant bras de la sorcière. “ J'ai apporté un peu de Christmas Pudding à l'orange et à la menthe, pour l'occasion. ” Son regard est alors attiré par Charlie, qui examine avec curiosité ce qui ressemble à une tête réduite ?

Timide. Frida esquissa une petite moue qui signifiait qu'elle n'y croyait pas. Soit Charlie était un fourbe, soit une mauviette comme papa. Elle préfèrerait que ce soit la première option : elle permettait d'aller plus loin dans la vie. De ne pas se faire avoir par des femmes comme Chang (qui n'était curieusement pas si mal placée que ça dans le classement de ses beaux enfants et beaux petits-enfants). A la place de cette dernière, peut-être que Frida aussi se serait tirée, mais elle aurait pris le petit avec elle et ne serait certainement pas aller rejoindre l'Ordre (elle ne voulait pas briser le cœur de Tom (dans les rêves les plus fous de Frida, il était un être pourvu de sentiments)). Elle regarda son arrière-petit-fils trottiner vers le sapin et la montagne de cadeau (dire qu'à son âge, elle n'avait qu'une orange pour Noël..) avant de commencer à accabler Rain de reproches pour son absence. Elle était vieille après tout (enfin pas trop quand même), elle ne devait plus avoir tant de Noël que ça à passer en famille (uniquement parce que ses petits-enfants s'amusaient à trahir un à un). "Oui, Laurel m'a raconté, ça avait l'air super !" Voilà, une superbe fête qu'il avait osé louper.

Mais Rain avec son ton enjoué, ses sourires et même ses hugs (il y en avait pas beaucoup pour s'aventurer à enlacer Frida) avait toujours su l'adoucir alors la vieille se dérida d'un poil. "Malheureusement, on a beaucoup de boulot à la brigade, en particulier depuis que Potter a disparu. Et puis avec les perturbations magiques... Le temps passe vite en ce moment, on est débordés." Elle hocha la tête : elle aussi croulait de boulot avec tous les espions qui étaient tombés et à qui on faisait des procès en grande pompe pour servir d'exemple (sauf à ceux dont le sang était trop pur ou les familles trop mangemoresques et là, on se contentait de les refiler à Carrow dans la plus grande discrétion (elle frémissait rien que de penser à son petit-fils arrêté sans pouvoir lever le petit doigt pour l'aider)). "Tout ça, c'est à cause du N9" assura Frida (leur faute pour les perturbations magiques, peut-être moins pour le reste mais elle se sentait moins coupable en les accusant). "Je t'ai raconté l'histoire de l'ascenseur ? C'était honteux !" Heureusement qu'elle était en compagnie d'un charmant jeune homme en wizadidas et de Miss Kaya parce que sinon...

"Mais on est là aujourd'hui, et heureux de fêter Boxing Day avec ma grand-mère préférée." Quel lèche-botte (ça marchait très bien sur Frida). "J'ai apporté un peu de Christmas Pudding à l'orange et à la menthe, pour l'occasion. - Tu es un ange" roucoula Frida qui trouvait que Rain cuisinait admirablement bien (il était notoire qu'elle n'avait jamais eu de goût alors elle ne pouvait qu'aimer les expériences de son petit-fils). Elle poussa quelques assiettes de gâteaux trop secs sur la table basse pour faire de la place au pudding puis intima au brigadier de s'asseoir sur le canapé en cuir de dragon tandis qu'elle prenait place dans son fauteuil réhaussé afin d'être toujours la plus haute.

Ses yeux se tournèrent vers le petit Charles un peu comme les yeux d'un prédateur qui trouve sa proie et - voyant le cadeau qu'il déballait - elle eut un petit rire. "Je lui ai pris aussi un kit pour apprendre à en créer" annonça-t-elle d'un ton badin, désignant la tête coupée que tenait les petites mains de Charlie. "C'est idéal pour développer sa créativité." Y comprendre que ça le traumatiserait tellement qu'il ne se lancerait pas dans une carrière artistique, Frida en avait assez des loosers. D'ailleurs, elle lui avait aussi trouver un mini costume de handler comme papa pour lui donner de bonnes idées de métier. "Et j'ai un cadeau pour toi aussi !" Ses lèvres s'étirèrent à nouveau et ce coup-ci, elle donna dans le sourire de requin presque tendre. La vieille attrapa un paquet (même emballage cadeau que celui des gamins, le prénom de Rain y était inscrit d'une écriture de chat). "Normalement, il est à ta taille." Du moins si il n'avait pas eu le mauvais goût de grossir mais elle s'abstint de toute remarque (elle était plus coulante avec lui depuis qu'il avait intégré la VB). "J'espère qu'il te plaira !" Collection limitée de Wizadidas : survêtement galaxie avec myriades d'étoiles scintillantes et filantes, Frida n'avait pas hésité une seconde pour l'acheter.

“ Tout ça, c'est à cause du N9. ” Rain fronce légèrement des sourcils. Certes, le N9 cause bien des soucis depuis quelques mois, mais il doute qu'ils soient responsables de l'enlèvement d'Harry Potter. Quoi que... Tout est possible, puisqu'“ On ne parle pas de ce qui se passe au N9 du Ministère. ” Il a un petit sourire entendu et le ton générique de ceux qui le remettent à sa place dès qu'il essaye d'en savoir un peu plus sur les cris stridents poussés depuis le cubicule d'en face. “ Je t'ai raconté l'histoire de l'ascenseur ? C'était honteux ! ” “ Non, mais Ri- ” Ne pas mentionner Rio. Ne pas dire que l'histoire lui est remontée par bruits de couloir et que, sachant que sa grand-mère s'en est sortie saine et sauve, il a trouvé ça très amusant de l'imaginer pester et menacer tout le N9 d'un procès qui n'aboutirait jamais. “ Mais j'ai lu le rapport d'incident. Je suis bien content que tu n'ais rien. ” La caresser dans le sens du poil, toujours une belle pirouette de rattrapage certifiée par 29 ans d'expérience.

“ Je lui ai pris aussi un kit pour apprendre à en créer. ” Rain hoche lentement la tête, ses deux yeux grands ouverts braqués sur la tête répugnante logée entre les mains de son parfait fils, ses petits doigts se logeant déjà dans les orbites macabres de son nouveau cadeau. “ C'est idéal pour développer sa créativité. ” “ Pour créer... des têtes. ” Il continue d'hocher la tête sans vraiment croire qu'elle ait pu trouver que ce soit une bonne idée d'offrir ça à un enfant de même pas cinq ans. En même temps, Gran vit dans le manoir le plus glauque de Grande Bretagne. Un rapide coup d'œil au tableau de la vieille Abigail avec son oreille en moins et son dos vouté suffit à le faire frissonner de la tête aux pieds. Il n'ajoute rien, de peur de froisser la sorcière, mais sait d'ores et déjà que la chose prendra la poudre de cheminette. “ Et j'ai un cadeau pour toi aussi ! ” “ Oh, fait-il avec un enthousiasme teinté d'inquiétude. ” Aura-t-il droit à un kit pour créer des cadavres lui aussi ? “ Normalement, il est à ta taille. ” Rain saisit le paquet en soufflant discrètement, soulagé qu'il s'agisse simplement d'un vêtement. “ J'espère qu'il te plaira ! ” Rain déchire le papier cadeau sans plus attendre et... wow. Il déplie le survêtement avec autant de précaution que s'il avait été fait en porcelaine de Chine. C'est... la plus belle chose qu'il ait jamais vue. “ Merci mamie ! ” Il se lève, le met devant lui et s'observe. Il y a des galaxies et puis là- Oh mais c'est Andromède ! Et là, le Centaure ! Et ça bouge ! Et il a déjà fait deux vœux à force d'étoiles filantes et- “ C'est le plus beau survêt' que j'ai vu ! ” D'un geste de sa baguette et après trois tours sur lui-même, il se rhabille comme un sims avec son nouveau cadeau. “ J'adore, merci ! ” Il s'approche d'elle pour l'étreindre dans son fauteuil - un geste qui glacerait le sang de plus d'un initié mais pour lui, c'est juste sa grand-mère vous comprenez ?

“ J'ai quelque chose pour toi attends. ” Il se dirige vers le sapin tout en continuant d'admirer sa nouvelle tenue Wizadidas. “ Oh mais y a même un trou noir en formation... ” Il en profite pour brosser affectueusement la coupe au bol de Charlie et jeter un œil à ce qu'il tient à présent dans les mains - un livre d'histoires pour enfants, a priori rien d'inquiétant, même s'il faudra vérifier en rentrant. Il se dirige ensuite vers la fenêtre, où s'étaient posés les quelques cadeaux à destination de la grand-mère - un calendrier personnalisé avec une photo du Lord (jeune) différente chaque mois, une  boîte pleine de biscuits faits maison (il en a fait une par membre de la famille, et une grosse pour les collègues de la brigade) et bien sûr, une écharpe Wizadidas (il espére qu'elle ne l'ait pas déjà, c'est difficile de savoir avec elle). En se relevant, la pile de cadeaux dans les bras, son regard est attiré au dehors par une silhouette dans le jardin. “ Je savais pas que tu avais recruté du personnel pour le jardin... ” Une vieille sorcière au dos voûté et au pas claudiquant traversait la pelouse recouverte de neige d'un pas décidé. Son regard s'attarda quelques secondes sur elle. Quelque chose n'allait pas sur son visage... Il ne parvenait pas à mettre le doigt de- Son oreille. Il lui manque une oreille. Lentement, Rain se tourne vers le portrait de la vieille Abigail, puis vers Gran, avec l'air d'avoir vu un fantôme.

"On ne parle pas de ce qui se passe au N9 du Ministère." Hochements de tête vigoureux. "Coïncidences ?" fit Frida sur son plus beau ton de complotiste. Non, le N9, c'était pas possible, puis ceux qui y bossaient... Merlin savait que Frida aimait les hommes mais ceux du N9, c'était des zéro pointés avec leurs airs blafards, leurs mauvaises ondes (pas du tout comme Tom) et leur manie de traficoter les aspirateurs. "Non, mais Ri-" Regard soupçonneux de bombe à retardement. "Mais j'ai lu le rapport d'incident. Je suis bien content que tu n'ais rien." Jolie pirouette de rattrapage pour le solda Beckett. Frida hocha de nouveau du chef, presque touchée que son petit-fils soit content qu'elle n'ait rien. "Tu sais, je suis résistante !" Une vraie teigne selon certaines mauvaises langues, "mauvaise en plus de ça", avec sa stature de colosse et sa constitution à faire fuir la dragoncelle. "Et sans moi, les autres ne s'en seraient pas tirés." Un mensonge éhonté.

L'œil sur le petit Charles qui mettait déjà des doigts dans les yeux (toujours viser le point faible, Frida lui en causera plus longuement quand il rentrera à Poudlard), elle se rappela un instant de l'époque où c'était ses fils qui déballaient leur kit (Duncan avait été ravi, Frida l'avait moins été quand sa vocation s'avéra être chasseur de trésors et de macchabées momifiés). "Pour créer... des têtes." Il aurait fallu que Rain en ait un aussi, quelle chochotte il faisait. "Oui. Oh ça va, ce n'est pas comme si c'était de vrais bouts de cadavres ! Même pas de la peau d'elfe !" Heureusement qu'il se montra plus enjoué pour son propre cadeau. "Merci mamie !" Elle retint la remarque sur l'astrologie (parfois, elle savait être autre chose que désagréable). "C'est le plus beau survêt' que j'ai vu !" "Je lui ai pris le même" chuchota Frida en montrant Charlie du doigt. "Et pour moi aussi, comme ça on sera assortis tous les trois, il faudra faire une photo !" Photo qui se retrouverait accrochée parmi les autres, perdue dans l'amas de visages beckettiens plus ou moins heureux (Frida ne le disait pas mais elle adorait ses photos et ne les considérait pas que comme un genre de trophée de chasse). "J'adore, merci ! - Tu es très élégant comme ça !" ronronna Frida, absolument ravie (si Rain pouvait toujours être aussi bien fringué, elle pourrait le caser avec une sorcière plus que convenable !).

"J'ai quelque chose pour toi attends. - Oh mais il ne fallait pas !" Ne pas offrir de cadeau de Noël de Frida était dans le top des actions à accomplir pour se faire renier. "Oh mais y a même un trou noir en formation..." Ah c'était donc ça ! Frida avait cru à une vulgaire tache noire et avait engueulé la vendeuse longuement (avant de le prendre quand même car qui disait édition limitée disait pas trente-six mille survêtements à la bonne taille). La vieille tordit le cou pour voir approximativement combien de paquets Rain ramassait (ça comptait dans le classement des petits-enfants préférés) et eut presque une mine de petite fille outrée (et gâtée) quand il s'interrompit en chemin. "Je savais pas que tu avais recruté du personnel pour le jardin..." Hein ? "Mais non, ça doit être Molkky qui s'occupe du croup !" Elle tourna sa tête vers la fenêtre, plissa des yeux car il fallait bien avouer qu'elle ne voyait pas grand chose (et que les lunettes nuisaient à son style) et ne put que constater que ce n'était pas Molkky.

Alors la vieille bondit de son fauteuil pour aller à la fenêtre qu'elle ouvrit avec fracas, faisant sursauter le petit Charlie. "Et vous ! Qu'est-ce que vous faites chez moi ? On n'a besoin de rien ici alors allez vendre vos cochonneries ailleurs !!" aboya-t-elle avant de regarder de plus près la sorcière qui avait investi son jardin. Un vieux visage ridé, des cheveux d'un blanc sale si mal-coiffés qu'ils rappelaient un nid d'oiseau, des yeux brillants d'une lueur malsaine, un gros nez symptomatique des adorateurs de whisky, une oreille en moins. Frida hurla. D'abord un "AAAAH" puis un "MOLKKYYYYY !" Le pire fut peut-être que la vieille sorcière (encore plus vieille que Frida) singea son hurlement en encore plus fort avant d'éclater d'un rire sinistre. Frida fit alors ce qu'il lui sembla le plus logique à faire. Les mains tremblantes et le cœur battant à la chamade (elle allait devoir se prendre un abonnement chez le cardiomage à ce rythme), elle referma la fenêtre avant de se tourner vers Rain. "Qu'est-ce que je disais sur le N9 hein ? Voilà." Ou pas. Le portrait d'Abigail Beckett la toisait sur le mur d'en face et Frida avait l'air beaucoup moins jouasse, surtout maintenant qu'on toquait à la porte. (N'ayant aucunement connaissance de la situation, Molkky s'était précipité pour ouvrir, game over).

Une chose est sûre, ce survêtement est devenu le plus beau cadeau de Noël qu'on lui ait jamais fait, du moins depuis un bon moment - depuis son premier télescope. Il a d'ailleurs déjà prévu de le mettre au travail dès le surlendemain, de quoi impressionner le boss il en est sûr. D'un autre côté, voilà quelques années que ses cadeaux se résument en artéfacts d'un goût douteux de la part de sa grand-mère, d'encens divers de la part de sa mère, de gadgets (stylés, on va pas se mentir) de la part de ses adelphes, d'objets utiles de la part de sa femme et de colliers de patacitrouilles de la part de Charles (mais oui, c'est ça les plus beaux cadeaux du monde...). Ça lui va très bien comme ça, d'ailleurs, n'étant pas du genre matérialiste, mais avoir un chef d'oeuvre de la haute couture comme ça... Si bien pensé en plus... “ Je lui ai pris le même. Et pour moi aussi, comme ça on sera assortis tous les trois, il faudra faire une photo ! ” Un grand sourire nait sur le visage de Rain. “ C'est une excellente idée, ça ! ” Comme quoi, les Noël en famille pouvaient être plus sympa que dans ses souvenirs. Son petit doigt lui dit cependant qu'éviter le grand bain de foule lui a aussi permis d'éviter les immanquables disputes et opinions divergentes sur la politique ou les modes de vie de chacun. En tête à tête, Gran est plus simple à vivre.

A propos de vivre justement, certains membres de la famille Beckett semblent eux aussi vouloir rattraper le repas de Noël et s'inviter à leur Boxing Day - enfin par "certains membres", il faut avant tout comprendre "la vieille Abigail qui a toujours terrorisé Rain depuis qu'il était tout petit". “ Mais non, ça doit être Molkky qui s'occupe du croup ! ” Si la sorcière qui avance en claudiquant sur la pelouse a quelques traits ratatinés, on ne peut cependant pas se méprendre sur sa nature humaine et par conséquent, sa différence drastique avec Molkky. Gran s'en rend compte bien assez vite alors qu'elle manque de fracasser la fenêtre. Rain jette un œil à son fils qui les observe avec deux grands yeux ronds. “ C'est rien Charlie. ” “ Et vous ! Qu'est-ce que vous faites chez moi ? On n'a besoin de rien ici alors allez vendre vos cochonneries ailleurs !! ” Rain se tourne à nouveau vers la sorcière pour s'assurer qu'il ne s'agit pas tout simplement d'une colporteuse audacieuse qui aurait juste un air de ressemblance avec leur ancêtre mais- “ AAAAH MOLKKYYYYY ! ” Le cœur de Rain s'enfonce dans son nouveau jogging wizadidas quand Abigail - appelons un zombie un zombie - répliqua le cri, suivi d'un effroyable rire rappelant celui de cette fameuse sorcière allemande qui leurrait les jeunes enfants dans des maisons faites de pain d'épice. “ Qu'est-ce que je disais sur le N9 hein ? Voilà. ” Des gouttes de sueur froide perlant déjà au creux de sa nuque, Rain suggère : “ Je- Je devrais peut-être appeler la brigade ? ” Histoire de ne pas être seul à gérer la situation, en particulier quand la seule chose à laquelle il pense là maintenant c'est à protéger son fils. En particulier quand il n'est pas l'élément le plus brillant de la brigade, n'en déplaise à la grand-mère. “ M-M-Maîtresse ? ” “ Pousse-toi d'là sale crevure de veracrasse. ” Le pauvre elfe de maison vient d'ouvrir la porte à son ancienne maîtresse et l'incompréhension se lit sur ses petits traits rabougris. Instinctivement, Rain place Charlie derrière lui.

Il a entendu parler des revenants, mais c'est une chose d'en entendre parler entre deux anecdotes à la machine à café (quand celle-ci est laissée intacte par Al-Massri) et c'en est une autre d'en voir un en chair et en os (enfin, on suppose). La créature a un air malfaisant et dégage quelque chose qui ferait presque trembler les genoux du Beckett (père, c'est qu'on commence à s'y perdre parmi les Beckett). Elle se dirige droit vers le salon - droit sur eux - et demande avec le ton de celle qui vient de voir son chien passer sous un dragon. “ Où est-ce que vous avez foutu ma bouteille de Kingsfield ? ” Rain l'observe avec un air sonné pendant quelques secondes. Il sent Charlie glisser sa tête derrière sa cuisse pour mieux observer la revenante. “ Papa, c'est pas la vieille qui fait peur dans le tabl- ” “ Un peu de Christmas Pudding ? ” Rain fait venir à lui sa dernière création culinaire qu'il présente amicalement à la sorcière.

Peu de choses faisaient vraiment peur à Frida (en un : le décès du Lord, en deux : la mort de son fils préféré, en trois... l'ascenseur hanté du ministère ?) et ce depuis qu'elle était aussi grande que Charlie où elle essayait déjà de faire péter sa loi. Abigail n'était pas dans le haut du classement mais uniquement parce qu'elle était décédée il y avait déjà des années. Frida aurait préféré que ça remonte à encore plus d'années mais la tante avait battu des records de longévité même pour une sorcière. Au point que la juge l'avait toujours connues que vieille, comme ce fut le cas pour Michelle et même Rain (et maintenant le petit Charlie, à croire que cela tenait de la tradition familiale). Vieille et effrayante avec ses yeux clairs voilés par la cataracte qui lui donnaient l'air d'un poisson mort et le trou qui lui servait d'oreille et ne la rendait même pas sourde. Une fois Frida lui avait demandé où était passée son oreille - c'était il y avait plus de soixante-dix ans - elle n'avait jamais retenté l'expérience tellement l'histoire qu'on lui avait raconté était glauque (elle ne se souvenait plus que d'un sentiment de terreur diffus et de semaines de cauchemars à en finir dans le lit de son frère).

Bref, Abigail était loin dans la liste des personnes que Frida aurait aimé voir ressusciter et pourtant elle était là, en chair, en os et en oreille unique. "Je- Je devrais peut-être appeler la brigade ? - Tu penses ?" Sa voix avait un peu chevroté, trahissant le fait que la sorcière ne savait absolument pas quoi faire et était même prête à s'en remettre aux brigadiers que dans d'autres circonstances elle taxait d'incapables (mais plus pour le sport que par bonne foi). Le "Pousse-toi d'là sale crevure de veracrasse." qui retentit dans l'entrée la fit frissonner. Tout d'abord parce qu'il signifiait que la revenante était rentrée chez elle (encore que ça n'avait jamais été sa maison mais celle de sa sœur puis celle de Frida) et ensuite parce que personne n'avait le droit de mal parler à Molkky (à l'exception de Frida). Elle plaça vaguement un bras devant Rain (comme si elle allait le protéger de quoique ce soit) et maintenant que Charlie s'était réfugié derrière son père, cela formait une scène qui aurait pu faire une très chouette photographie dans le style crystal movie d'épouvante.

Abigail n'avait pas changé et même la mort ne semblait pas avoir étanché sa soif (et Merlin savait comment elle avait l'alcool mauvais). Frida ne fut même pas étonnée que la première chose réclamée par l'aïeule soit sa bouteille (elle se souvenait que son père en gardait toujours une de côté pour sa belle-sœur et commentait à chaque fois sa descente qu'il ne voudrait pas remonter même à dos de dragon) mais n'avait plus aucune bouteille de mauvais alcool à filer aux morts et était réticente à l'idée de partager son gin. "Il n'y a plus d'alcool !" annonça Frida, espérant que ça donne illico à Abigail l'envie de retrouver sa tombe pour s'y retourner. Mais non, l'invitée n'eut surtout pas l'air de comprendre (comme sa nièce n'avait jamais compris la mesure de Tom contre les spiritueux). "Papa, c'est pas la vieille qui fait peur dans le tabl-" Qu'on fasse taire ce gamin. "Un peu de Christmas Pudding ?" Qu'on fasse taire ce gamin également.

Les voilà tous assis dans le salon, chacun avec une assiette de pudding entre les mains et même les tableaux semblaient mal à l'aise. Le regard mauvais d'Abigail furetait dans la pièce et Frida se promit de compter ses bibelots en tout genre dés que l'ancêtre aurait dégagé. Elle ne quittait pas sa tante des yeux, attendant avec une appréhension certaine la prochaine action de l'invitée surprise qui boudait son gâteau. "Très bon pudding." Frida non plus n'y avait pas touché : son appétit l'avait quitté au moment où Abigail s'était retrouvée suffisamment proche d'eux pour qu'ils puissent sentir son odeur rance. "C'est lequel de tes fils ? Le bon à rien ou l'autre ?" finit par demander Abigail qui n'était pas à jour sur le nombre de descendants de Frida (elle devait avoir achever son inspection des lieux). "T'as vieilli. J'imagine que je n'ai pas de cadeaux ! Tu ne m'as même pas invitée. Quand ma pauvre sœur était vivante, ce ne serait jamais arrivé mais tu as toujours été une petite ingrate !" Et là, la juge comprit qu'Abigail n'avait pas l'air d'être au courant qu'elle était morte et que c'était peut-être mieux de faire comme si de rien n'était comme ça elle partirait plus vite (même si elle avait la réflexion sur son âge et son statut de petite ingrate en travers de la gorge). De toute façon, si la tante n'était pas sourde, elle avait toujours eu une vue déplorable et ne s'était jamais trop intéressée à la physionomie des membres de sa famille au point que Rain pouvait très bien passer pour Archie. "Bien sûr que si tu étais invitée, tu n'as jamais eu besoin d'invitation pour venir à Noël" cracha Frida avant de claquer les doigts pour faire venir Molkky et lui demander d'aller chercher le cadeau d'Abigail - mais si, tu sais bien, le cadeau - qui n'était rien d'autre que le machin que le ministère avait offert à ses employés pour les fêtes et que Frida n'avait gardé que pour mieux le refourguer à quelqu'un qu'elle n'aimait pas.

La très vieille eut son présent, fit une remarque désagréable et c'est là que Frida remarqua qu'il y avait une petite carte avec la trogne du Lord et ses meilleurs lieutenants qui leur souhaitaient une très pure année 2008. Elle se racla la gorge, fila un coup de coude à Rain pour lui montrer la carte tout en ouvrant de grands yeux pour lui faire comprendre que c'était très mauvais et qu'il fallait qu'il fasse quelque chose là maintenant tout de suite parce que sinon Charlie risquait d'avoir leur tête à réduire.