janvier 2008 | @Aberforth Dumbledore

La journée avait commencé dans le brouillard, s'était achevée dans le brouillard sans même que Siham puisse y voir un brin de soleil dans le ciel hivernal. Du gris partout, typique de Londres. Parfois, elle se disait que ce serait bien de démoldutiser la capitale : sans les voitures, on y verrait peut-être plus clair (Merlin savait ô combien Siham avait du mal à y voir clair) mais elle se doutait qu'elle aurait à prendre part à ce genre de petits projets et ses mains lui semblaient déjà bien trop rouges. Sans les voitures, elle pourrait surtout courir plus tranquillement, sans manquer de se faire renverser par un mec. Coup de klaxon, majeur levé en réponse, elle reprit ses foulées. Faudrait qu'elle se calme sur la course, des jours que ça se terminait avec un pack de glace sur un genou droit enflé et des anti-douleurs mais aussi des années que ça lui vidait trop bien le cerveau pour arrêter. Peut-être quand sa vie serait plus calme ? (Siham n'y comptait pas trop, ne le souhaitait d'ailleurs pas particulièrement, une histoire de masochisme sans doute).

Elle se dit qu'elle aurait pu aller à la salle à la place, ou à sa séance de Magic martial arts (vingt-quatre années d'assiduité réduites à néant néant depuis bientôt - combien de mois déjà ? quatre, cinq ? - sept mois - déjà - la mort de son père ayant entraîné sur son passage pas mal de déconvenues) mais Siham n'avait pas eu la tête à voir des gens (même pour leur taper dessus). Une prochaine fois. Ou alors elle irait voir Nial histoire de tout oublier (elle s'était dite qu'elle arrêtait définitivement, qu'elle profiterait du fait de ne plus s'entraîner avec Joseph , elle n'avait pas tenu longtemps (Joseph lui manquait)). Ou Angelina pour récupérer le sweat qu'elle lui avait volé (et lui faire la gueule à cause d'Alvarez), ça finirait en duel d'insultes, c'était bien aussi pour se changer les idées (et étrangement plus sain).

Plus que quelques centaines de mètres avant son appartement, Siham accéléra pour le sprint final. Gorge en feu, muscles en feu, jambe droite de plus en plus fébrile, elle tint bon jusqu'au bout. Escaliers montés agrippée à la rampe, elle fantasmait sur la douche glacée à venir et la tasse de thé qui suivrait. Porte ouverte d'un geste de la main, elle ôta ses wizadidas dans l'entrée. "C'est moi" annonça-t-elle au chat qui ne semblait comprendre que l'arabe (encore que). Sauf que la silhouette sur le canapé n'avait rien de féline et Siham hurla de surprise et terreur mélangée. Cela dura quelques secondes, le regard sombre parcourut alors la pièce comme à la recherche d'une vitre cassée (elle avait protégé son appartement contre de telles intrusions, notamment pour qu'il ne prenne pas l'envie à son père de sortir de sa tombe pour lui rendre visite) avant de se reprendre : les fantômes, ça traversait les murs.

Les yeux finirent par rencontrer ceux de l'apparition et si Siham avait repris son éternel air ennuyé, le tremblement de sa voix la trahit immédiatement. "Cela faisait longtemps." Parce qu'il était mort. Sourire crispé, c'était quoi les doua pour repousser les esprits déjà ? "Je..." Elle avait attendu la venue d'Elena avec impatience (il fallait vite arracher le pansement des plaies) pour savoir à quelle sauce l'Ordre allait la manger, pas au fantôme du passé venu la juger. (Et elle l'avait déçu, elle en était sûre). "J'ai déconné, je sais, mais ils ne devaient pas être là, ça devait être juste..." Une séance de résurrection d'une des mangemort les plus fêlés de l'histoire.. ".. un simple rituel." Outch comment ça se justifiait mal alors que ça avait déjà prévu le petit speech à servir à Alvarez pour garder la face. Il fallait dire que Siham ne s'était pas préparée à ce que ce soit son premier référent qui l'attende dans son salon. Elle le dévisagea quelques instants, pour lui trouver le teint pâle, l'air mort ou elle ne savait pas quoi d'autre mais le regard bleu avait l'air aussi vif qu'avant et les rides sur le visage de l'homme formaient un motif familier.

Garder ses distances, ne pas s’attacher, c’était ça le but au départ.

Certes, Aberforth est attaché à l’Ordre. Il ne peut pas le nier et n’en a pas tellement envie. C’est pour ça qu’il a proposé son aide, encore et encore, pour ça qu’il garde un œil, reste dans le coin, s’implique à moitié, un pied dedans, un pied dehors. Il tient à l’Ordre mais il ne peut plus s’engager comme avant. Ça lui en demande trop et le laisse toujours un peu plus vide, un peu plus écorché et abîmé à chaque perte.

C’était ça qui l’avait poussé à couper le lien avec Siham, lui avait fait prendre la décision de refiler le bébé à Lena, pour prendre le relai d’un devoir qui devenait trop pesant pour lui. “T’as qu’à dire que je suis mort,” il lui avait simplement dit, Lena soulignant avec humour, histoire de briser un peu la glace autour de l’événement, que c’était une explication plutôt crédible.

Depuis, Aberforth quitte rarement l’espace délimité par les planques de l’Ordre. Il est la plupart du temps à Little Cumbrae, bien sûr, mais ça lui arrive de se rendre à St James, la Fawkes, le Théâtre ou l’Albert Docks. Quitter ce périmètre confortable par contre, c’est extrêmement rare. Et toujours dans des circonstances exceptionnelles. La dernière fois, c’était pour le village d’Argus. Cette fois, c’est pour… il ne sait même pas vraiment ce qu’il va chercher là bas. Tout ce qu’il sait c’est qu’il en a besoin.

Garder ses distances, ne pas s’attacher, c’était ça le but au départ, qu’il se répète alors qu’il arrive sur place.

Il attend presque patiemment Siham sur son fauteuil, le mot clef étant presque. Aberforth n'a jamais été patient. Alors son genou gigotte, ses doigts tapotent, et ses yeux regardent partout. Jusqu'à ce que la porte finisse par s'ouvrir et que Siham fasse son entrée. Elle le repère immédiatement mais ce n'est pas un problème. Pas pour lui en tout cas. Il voulait être vu pour qu'elle puisse voir l'expression sur son visage, la profonde désapprobation qui marque chacun de ses traits; faire passer son message sans même avoir besoin de parler.

"Cela faisait longtemps." Aberforth ne parle pas, ne bouge pas. "Je..." elle poursuit avant de s'interrompre. Il continue de la fixer. "J'ai déconné, je sais, mais ils ne devaient pas être là, ça devait être juste... un simple rituel."

Aberforth acquiesce une fois mais ne parle toujours pas. A la place, il se lève et commence à marcher dans le salon, posant ses yeux et ses mains sur les meubles de la pièce. Après un moment, il décide de se lancer. "Je me déplace rarement," il explique, sur un ton presque trop léger par rapport à l'atmosphère générale. "C'est long et épuisant, et j'ai passé l'âge. Pourtant, ce soir, j'ai pas hésité une seule seconde. Il fallait que je vois... ça -" il fait un geste vers Siham "- de mes propres yeux." Il ne parle que rarement de Siham avec Lena, préfère ne pas savoir. Mais ça lui arrive d'entendre quelque chose, une moitié d'information à laquelle il se raccroche, et à chaque fois ça le laisse... presque frustré. Il aimerait souvent donner son avis, mais à chaque fois, il se ravise, devant se rappeler qu'il a passé la main. Volontairement, qui plus est. Cette fois, cependant, il ne pouvait pas rester en arrière sans rien faire. "Tu veux bien m'expliquer à quel jeu tu joues ?"

Les battements de son cœur s'étaient accélérés et tous ses muscles étaient de nouveau tendu. Son cerveau, lui, avait du mal à suivre. Aberforth était dans son salon, tranquillement assis. Elena avait dit embuscade, ça remontait à des mois maintenant et Siham avait géré le deuil comme d'habitude (y comprendre qu'elle n'avait rien géré du tout, avait tout enfoui sous trois bonnes couches d'occlumancie en se promettant d'y revenir un jour, peut-être). Là, il était devant elle et elle sentit ses mains se mettre à trembler. Elle les cacha derrière son dos et quand le vieux se mit en mouvement, elle ne put que constater que rien de sa gestuelle n'avait changé. Preuve que ce n'était pas un zombie ? Un instant elle envisagea de rameuter quelqu'un du N9 (plus Berxwedan qu'Abram, elle ne voulait même pas imaginer ce que faisait son oncle par alliance aux revenants tombant entre ses griffes), elle n'était absolument pas qualifiée pour ce genre de chose.

Plantée au milieu du salon, encore suante de sa séance de sport, elle finit par se dire que ça aurait pu être pire : son salon était plus ou moins rangé. Les mains d'Aberforth ne pourraient pas se refermer sur une bouteille de whisky reconvertie en cendrier à peine finie ou autre truc du style. "Je me déplace rarement," Il ne devrait même pas se déplacer. "C'est long et épuisant, et j'ai passé l'âge. Pourtant, ce soir, j'ai pas hésité une seule seconde. Il fallait que je vois... ça -" Ricanement nerveux, les doigts de Siham accrochèrent les manches de sa veste, comme pour s'assurer que pas un seul millimètre de la marque sur son avant-bras était découvert. "- de mes propres yeux." La gravité - ou un autre phénomène plus ou moins physique tel le choc - lui faisait miroiter l'idée de s'enfoncer dans son canapé jusqu'à y disparaître (si elle fermait les yeux, peut-être que ce serait lui qui disparaîtrait). Elle y résista par pseudo-fierté (et parce qu'elle était incapable de bouger).

"Tu veux bien m'expliquer à quel jeu tu joues ?" Voilà, il était revenu pour l'engueuler (tous les morts de sa vie souhaitaient l'engueuler mais certains avaient eu la décence de rester allongés). Siham voyait bien la désapprobation écrite en gros, en gras sur les traits familiers (elle l'avait vu sur tellement de visages mais rien à faire, ça lui faisait toujours mal). Alors après les justifications bancales vint la colère, elle était très forte pour s'énerver quand elle ne savait pas quoi faire d'autre. "Tu es mort" cracha-t-elle. "Tu m'as laissée tomber !" Ok, elle prenait peut-être les choses un peu trop personnellement mais c'était quand même de sa faute grâce à lui qu'elle était entrée dans l'Ordre il y avait quasiment dix ans. "Je n'ai rien à te dire !" Elle avait haussé le ton, serré les poings et son regard était maintenant empli de défi. Cela aurait été Shacklebolt ou même Alvarez qu'elle aurait moins joué à la cowboy. Ils avaient Alphonse en otage après tout. Mais Aberforth ne devait même plus avoir ses chèvres à disposition alors elle ne craignait pas grand chose (et Siham avait entendu dire que les revenants, n'étaient même pas foutus de faire de la magie alors tranquille). "Sors de chez moi !" ajouta-t-elle d'une voix toujours plus tremblante, parce que ça lui faisait quand même bizarre de le revoir là.