Carrie en est à sa septième cigarette quand les Travellers arrivent enfin. Elle l'écrase et tend presqu'immédiatement la main en direction de Stan qui, avec un soupir las mais un geste dévot, remet une cigarette allumée entre ses doigts manucurés. "You know those are bad for you, right?" marmonne-t-il, alors même qu'il n'est pas meilleur qu'elle, à enchaîner les clopes nerveusement depuis leur arrivée au point de rendez-vous. Carrie ne daigne pas répondre, ses yeux vissés sur la douzaine de Travellers qui viennent de transplaner dans la forêt, et elle sent son humeur déjà massacrante s'ombrager quand elle réalise qu'ils sont plus que prévu. Elle-même est entourée d'une dizaine de Warlocks trié.es sur le volet, répandus autour de la clairière dans un nuage nauséabond de nicotine; en entendant le crépitement reconnaissable entre tous de l'apparition, toustes se tournent vers le gang adverse.

Tout le monde se regarde en chiens de faïence le temps de quelques battements de coeur, avant que le visage crispé et crayonneux de Carrie se pare d'un sourire forcé: elle s'avance de quelques pas boîtillants en direction de Fiona, enfonçant avec une force inutile sa canne dans le sol meuble. "And here I thought you woudn't show." Carrie, qui a dû s'arrêter de prendre des Glamours pendant une semaine en préparation pour la pleine lune, n'a jamais eu l'air plus fatiguée et férale. L'approche de la pleine lune fait ressortir les atours monstrueux de son héritage vélane, ses doigts crépitent de flammes et éclairs incontrôlés et son nez semble toujours à deux doigts de se transformer en bec meurtrier.
Quand elle sourit, ses dents n'ont jamais semblé aussi longues. "Let's get this whole thing started, shall we?"

Pendant que les Travelelrs travaillent sous les ordres de Fiona à établir le rituel magique, Carrie les observe faire en faisant les cent pas, suivie de près par Stan qui n'a de cesse de lui tendre des cigarettes dont elle tire des taffes nerveuses avant de les jeter parterre. Le soleil se couche de plus en plus vite et tout le monde commence à jeter des regards angoissés en direction de sa montre et de Carrie, qui devient de plus en plus silencieuse, tremblante et nerveuse. "Are you okay?" lui souffle Stan quelque part entre la dixième et quinzième cigarette. "Stan," siffle-t-elle avec énervement qu'il lui pose la question pour la énième fois. Mais quand elle se tourne vers lui, et prend son visage entre ses mains, c'est avec une étonnante douceur. "If something happens to me, you fucking go and take care of Verdi, alright?"

Elle le regarde pâlir et se tendre mais il n'a pas le temps de répondre qu'on leur fait signe de se rapprocher. Carrie clampine jusqu'à Fiona et ses allié.es, leur adresse à toustes un regard patibulaire et mesuré avant de se focaliser sur la rousse.
Carrie a décidé de lui faire confiance, de poser sa foi dans la confiance en elle à l'apparence solide qui émane de la sorcière. Quand elle lui a parlé du rituel, Carrie a été sceptique, puis s'est laissée séduire par l'avalanche d'explications de l'irlandaise. Deux mois plus tard, la voilà, prête à se transformer sous ses yeux en espérant que ce soit la dernière fois.

Ils sont entourés de cercles magiques dotés de runes et de symboles alchimiques. Carrie a lu les livres et manuels recommandés par Fiona pour comprendre le rituel mais elle est à peine rassurée: elle est complètement en dehors de sa zone de confort.
Mais c'est un drapeau blanc, un signe de confort et une hache de guerre qu'on enterre enfin. Si ce rituel réussit, plus rien ne pourra se dresser contre eux.

Après avoir échangé un long regard avec Fiona, Carrie regarde sa montre. Deux minutes avant que la lune fasse son apparition. "You better be right about this, Fiona." Carrie se force à respirer calmement, mais rien ne peut expier la tension qui anime ses muscles, ou l'énergie nerveuse et furieuse qui l'entoure toute entière. Dans quelques secondes, elle se transformera en un monstre qu'elle-même ne pourra pas contrôler.
Ses Warlocks se sont rassemblés derrière elle: elle sent la présence de Stan et des autres à travers ses sens décuplés, et en tire un certain réconfort. Du regard confiant de Fiona, elle n'en tire qu'un profond sentinment de vulnérabilité et de faiblesse - Carrie n'a jamais trouvé ça aisé de faire confiance à quelqu'un, quand bien même Fiona ne lui a jamais donné la moindre raison de douter d'elle. "What do you need me to do?"

tw : mention de santé pas top, murder scheme mais pas d'embrouille!!!!

Fiona est frigorifiée. Fiona est toujours frigorifiée en janvier, il n’y a rien d’anormal à ça, surtout dans leur trou paumé d’Irlande ; mais elle a deux phalanges blanches à chaque doigt depuis une semaine, pas seulement une, et elle a provoqué une moindre vague de panique collective, ce matin-là, en perdant brièvement connaissance sur ses scones à la crème (à sa décharge, préparés par Connie, et donc beaucoup trop spooky pour la saison).
Fiona a refusé d’aller à St Mungo’s, mais elle aimerait bien pouvoir elle aussi s’appuyer sur un de ses boyfriends, et pouvoir relâcher un instant la moue outrageusement sereine qui ornemente son visage (pâle af) depuis l’incident. Elle aimerait pouvoir disparaître quelques secondes et hurler un bon coup, ou tout annuler et prétexter que tout ça n’était qu’une vague fumisterie, haha, finger guns, you lads really thooehght I was dat stupid???
Fiona profite donc de la silhouette dégingandée de Connor pour se planquer un peu derrière lui, arracher les peaux parasites sur ses lèvres, réajuster ses gants pour la millième fois. Elle accueille tout geste de réconfort avec un pseudo agacement ; puis elle se tourne vers les autres, opine du chef avec confiance, étreint (trop fort) le bras de Dee pour transplaner avec lui.

Quand iels atterrissent, elle tire (beaucoup trop fort) sur la manche en cuir pour en faire partir les plis provoqués par la nervosité. Iels sont treize (elle a un peu triché sur le nombre, mettra ça sur la force magique des nombres), principalement de la jeune garde (à l’exception d’un runiste auquel elle a fait les yeux doux, et de Todds, qu’elle prend sans doute légèrement trop pour son garde du corps personnel, en ce moment.) Les Warlocks sont moins, comme convenu ; et Carrie est là, comme prévu. Fiona déglutit mal mais elle a un sourire pincé, et cruellement conscient de la vingtaine de regards braqués sur elle. Carrie s’avance et elle aussi ; Carrie maltraite le sol meuble de sa canne et elle dégante une de ses mains. Now it begins. "And here I thought you woudn't show. - C’mon, I always show." Fiona ne parle pas fort et elle a un murmure qui suggère le ton de la plaisanterie — de la légèreté, comme si de rien tout ça n’était très sérieux. Elle attrape l’avant-bras de Carrie de sa main dénudée et le serre doucement, avec tout juste une once de fermeté ; elle a l’impression que la Kang pourrait d’ores et déjà lui arracher l’épaule, d’un simple bruissement de la sienne. Fiona ne se défait pas de son petit sourire mutin, quand bien même elle constate que Carrie looks fucking terrific. Elle n’a plus le loisir de penser que c’était une idée de merde, que Von Bäume s’est foutue de sa gueule, que Glenn ne voulait pas dire ça, qu’elle pourrait mourir d’une mort bien trop conne et bien trop rapide d’ici quelques instants.
Fiona reprend sa main. "Let's get this whole thing started, shall we?" Ses yeux s’attardent un instant sur les dents de Carrie, frappées brièvement d’un revers de lumière. “We shall”, elle sourit dans un léger hochement de tête, rebroussant chemin à son tour pour regagner ses troupes.

C’est elle qui les a choisi·e·s, soigneusement, en épluchant milles bouquins, en traînant innocemment dans les pattes de leurs runistes, en lâchant des mantras cryptiques au détour d’oreilles juvéniles et furieuses, en buvant trop de café russe (indigérable), en s’appliquant même à ce que Buchanan ait à les traîner, ses comparses et elle, dans les bureaux de la VB par deux occasions (c’est que pour trouver des lycanthropes domestiqués, au Royaume-Uni, on ne fait pas beaucoup mieux que cette réserve naturelle) (dont Fiona a bien aimé le patron — lui, là, l’ex de Buck). Bref : Fiona a fait du tri, jusqu’à la névrose, jusqu’à ce que tout soit parfaitement parfait ; elle a éliminé des candidat·e·s jusqu’au dernier moment, les a fait répéter jusqu’à l’épuisement, a fait relire le traité envoyé à Carrie jusqu’à titiller la suspicion d’un Sweeney particulièrement bienveillant (malgré une version lourdement modifiée et abstraite).
C’est que rien ne peut dépasser, ce soir — parce qu’au premier dérapage, à la seconde de trop, iels sont tous·tes mort·e·s ; alors que ce soir, Fiona ne veut que tuer Carrie.

Fiona regarde le cadran de sa montre à gousset (ça fait plus folklorique) : elle fait un signe à trois runistes, qui s’activent aussitôt et commencent à dessiner les premiers cercles. Elle adresse un nouveau signe à un autre petit groupe, dont fait partie Connor : elleux aussi se mettent en branle. Le ballet est soigneusement chorégraphié, parfaitement huilé, maniaquement répété, et bientôt c’est la dizaine de Travellers qui se retrouve occupée — il ne reste alors plus que Dee et Todds, dans son dos. Le but de l’opération est de dissimuler la manoeuvre sous, d’une part, un nuage de magie véritable (dans une procédure surdétaillée maintes fois à Carrie, et déjà noyée dans une infinité de détails techniques — Carrie n’est, après tout, pas runiste) (cette sotte) ; et, d’autre part, sous un épais glaçage au folklore celtique (de la poudre aux yeux, littéralement : chacun·e devra y aller de son meilleur jeu d’acteur·ice, en plus des Farfadets réclamés par Carrie). Chacun·e a un rôle strictement délimité, très peu de liberté dans ses répliques, une montre parfaitement synchronisée : absolutely nothing can go wrong.
Absolutely nothing can go wrong, qu’elle se répète en boucle, un oeil faisant l’aller-retour entre sa propre montre et le soleil couchant, l’autre suivant distraitement les allers et venues des Travellers (elle leur fait confiance, évidemment qu’elle leur fait confiance).
(Elle ne fait confiance à personne ici.)
(Absolutely nothing can go wrong.)

La montre émet un léger clic et tous·tes regagnent leur place, à l’exception du runiste le plus âgé, toujours affairé auprès d’un cercle, celui-là plus proche du côté Warlock, et d’un alchimiste jeune et efflanqué, plutôt côté Travellers. Fiona lorgne le premier plus attentivement que les autres : elle a un regard pour Garfield, aussi, et elle pense aux autres, celleux qu’on ne voit pas. Elle regarde sa montre, elle regarde le ciel ; Carrie s’approche à nouveau. Fiona pose un regard stable sur elle : elle n’a pas tremblé un instant depuis le début de l'entrevue, n’a pas laissé entrevoir la moindre once de doute dans leur plan. "You better be right about this, Fiona." Deux minutes. “It’s a wee late to start dooehbtin’ me, isn’t it Carrie?” Son sourire est presque chaud, réconfortant. Carrie n’a aucune raison de douter, et elle non plus.
Leur fenêtre d’action ne durera qu’une poignée de minutes, mais iels sont prêt·e·s. Fiona sent une soudaine bouffée de confiance réchauffer sa cage thoracique ; elle se demande si c’est ça, d’être Carrie.

Sa montre émet un souffle, et les deux derniers Travellers reprennent leur place dans son dos. La partie folklorique peut reprendre de plus belle : Fiona échange un regard avec le maître runiste, puis avec Dee et Connie, qui avancent finalement. "What do you need me to do? - Dey better step back. Friend’s advice," elle répond avec tout l’aplomb du monde, un léger signe du menton en direction des Warlocks, ainsi invités à reculer derrière les cercles magiques tracés à leur intention. “You can stay, of course,” — petit sourire à l’endroit de Stan. Évidemment, que celui-ci n’a pas besoin de se réfugier derrière des runes protectrices : Fiona est suffisamment généreuse pour lui permettre de rester exposé aux côtés de sa chère et tendre, y compris alors que celle-ci est sur le point de se transformer en monstre prêt à tous·tes les bouffer. (Fiona a toujours trouvé Stan très hot, mais pas particulièrement malin.) (Après tout, il sort avec Carrie.)

“I’m sure you know de plan by ‘eart. C’mon, follow me.” Carrie a droit à un sourire plus franc et à une main tendue ; et Fiona l’accompagne, effectivement, jusqu’à un cercle parfaitement central. “Here.” Elle l’invite à y prendre place (Carrie est parfaitement au courant de la procédure), lui tend une petite fiole au contenu violet (Carrie a été informée dans les moindres détails des équilibres chimiques de la potion). Un premier farfadet surgit des bois, retire son chapeau ; il se saisit d’un godet, qui se voit rempli de la même potion par Fiona elle-même ; il vide son verre. Dix secondes de flottement : rien ne se produit. La créature va prendre place derrière les Travellers (les négociations avec les farfadets locaux ont été particulièrement âpres, mais c’est une discussion pour un autre jour), les arbres frémissent légèrement alors que la lune se dévoile. Fiona tente de ne pas tenir compte des gesticulations de Dee et Connie, de parts et d’autres de la clairière. Elle tend une nouvelle main vers Carrie, par-dessus la ligne runique les séparant. Dans trente secondes, celle-ci sera activée.
(Dans trente secondes, Carrie aura tout le loisir de la tuer, si les choses ne se déroulent pas comme prévues.)
Dans trente secondes, Carrie sera en pleine transformation, dans un état de vulnérabilité maximale, et ce sera leur signal ; après, il sera trop tard.
(Et iels seront tous·tes mortes.)

“To our new world.” Le sourire de Fiona est un peu de travers, et le visage de Carrie n’a déjà plus grand-chose d’humain. La Traveller reprend sa main et le cercle se referme, comme convenu, autour de Carrie.
Vingt secondes.

Deux mois plus tôt, Carrie la piétinait copieusement, et l’avertissait de l’arrivée imminente d’une tempête. Deux mois plus tôt, Fiona convenait d’aider Carrie à éradiquer le Syndicat pour en installer un nouveau, dans une poignée de main similaire à celle-ci. C’était avant Glenn, avant Svetlana et avant le Triumkids ; and yet deux mois plus tard, Fiona se tient droit dans ses bottes, toujours convaincue que le paysage syndical doit être redessiné, les cartes rebattues.
Le tout, simplement sans Carrie.

La montre de Fiona émet un son strident.

Paris commence un peu à regretter d'être venue. Il fait froid, elle a clairement pas mis les bonnes chaussures (ses talons aiguilles s'enfoncent petit à petit dans le sol et ses chevilles commencent à trembler), et il ne se passe strictement rien. Elle a l'impression de s'être faite avoir, une vilaine blague fomentée par les Travelers et dans laquelle Carrie s'est précipitée.

Il est facile de tout blâmer sur Carrie, en ce moment. Paris a peu de patience pour elle depuis quelques mois, l'observe sans rien dire prendre mauvaises décision après mauvaise décision. Elle est encore en train de l'observer là, à enchaîner les cigarettes. Paris en fait de même - une main dans la poche de son manteau de fourrure orange, et une autre qui tient la cigarette entre ses lèvres - mais c'est plus pour s'occuper qu'autre chose. Et si ses mouvements sont synchro avec ceux de Carrie, personne n'a à le savoir. De toute façon, personne ne la regarde. Tous les Warlocks venus attendent en regardant dans le vide, et jettent régulièrement des regards vers Carrie, leur chef.

De là où elle est, Paris essaye d'écouter ce que Carrie et Stan se disent mais elle ne voient que leurs bouches bougées et n'a jamais été douée pour lire sur les lèvres.

Finalement, les Travelers finissent par montrer le bout de leur nez. "Fucking finally," Paris souffle au même moment où Carrie s'adresse à eux. "And here I thought you woudn't show." "C’mon, I always show." Paris grimace, plisse le nez quand la rouqine prend la parole. Ugh.

Il se passe alors enfin quelque chose. Les Travelers commencent à s'installer pendant que Paris se demandent si elle ne ferait pas mieux de convaincre Carrie de se tirer d'ici - elle a si froid aux pieds - mais elle se contient, sait que ça ne servirait à rien de toute façon. Personne n'a jamais réussi à raisonner Carrie, et encore moins Paris. Peut être qu'il y a un an, elle aurait été plus enjouée par tout ça, mais c'était avant qu'elle disparaisse pendant plusieurs mois, perde une partie de sa mémoire, perde une partie de sa famille et voit son monde totalement chamboulé.

Paris regarde le cirque s'installer avec un air de dédain, presque dégouté. Elle ne comprend rien de ce qu'ils sont en train de faire et 'n'arrive pas à s'y intéresser. Elle pourrait être chez elle, ou avec Nial, ou Dorian, ou n'importe qui d'autre, plutôt qu'ici à regarder un groupe de charlatans faire mumuse avec Carrie.

Ils s'arrêtent enfin et Carrie parle à nouveau. Paris se tient un peu plus droite, tend un peu plus l'oreille. "You better be right about this, Fiona." Fiona. Ugh. "It’s a wee late to start dooehbtin’ me, isn’t it Carrie?"

"What do you need me to do?" "Dey better step back. Friend’s advice." Paris jette un regard suspicieux à Fiona et écrase sa cigarette, fait un pas en avant pour faire bonne figure. As if. Pourtant, quelqu'un attrape le manteau de Paris et la tire en arrière. Un regard derrière son épaule et finalement Paris suit le mouvement et s'éloigne de la performance.

A partir de ce moment là, Paris ne lâche plus une seule fois Carrie et Fiona du regard. Elle regard chaque mouvement en retenant presque son souffle, n'ayant aucune idée de ce à quoi elle doit s'attendre. Elle appréhende, se méfie, ne fait pas confiance, certes, mais elle n'a aucune idée de ce que les Travelers comptent bien faire.

"To our new world," Paris entend Fiona annoncer et elle fronce un petit peu plus les sourcils. Elle ne comprend toujours pas ce qu'ils foutent là...

Et puis, un son strident retentit, provenant de Fiona ? et Paris plaque ses deux mains sur ses oreilles. "Ow! What the fuck?!"

En attendant l’arrivée des Travellers, Garfield, lui, ne fume pas. Au lieu de ça, il mâchonne un cure-dent qui lui pince de temps à autre l’intérieur des joues. Le spectacle n’est pas très ragoutant à voir ni à entendre, mais il est en retrait, dans l’ombre de Carrie, une main ostensiblement portée à sa ceinture, ses doigts à moitié faux pianotant contre sa baguette. Etrangement, il n’inspecte pas les environs, son regard bovin et lourd traînant sans relâche sur Carrie agrippée à sa canne, comme une puce sur le dos d’un chien.
Il ne détache son regard que lorsque les Travellers déboulent, et constate avec dépit qu’aucun des vieux de la vieille n’est là, peinant bien à reconnaître qui que ce soit dans les bouilles rondes des kids à la tête des membres du gang irlandais présents.

Si des paroles sont échangés, Garfield n’en a pas la moindre idée, puisqu’avec la tombée de la nuit, ce sont les voix de sa malédiction qui se lèvent et tambourinent contre ses tempes, à peine assommées par l’alcool et les cachetons qu’il s’est enfilé avant de venir. Il tangue lentement d’un pied sur l’autre, tandis que les Travellers se mettent en branle, ignorant que son palpitant à lui bat aussi la chamade, à l’idée qu’il puisse arriver quoi que ce soit à Carrie. Enfin, quoi que ce soit de plus que ce qui lui était déjà arrivé. Garfield préfère ne pas y penser. Au lieu de ça, il se demande s’il n’irait pas faire un tour dans la caboche de l’un des mômes qui flanque Fiona, tandis qu’ils s’affairent à préparer le rituel.

Un passage éclair dans la cervelle de Connor manque de lui procurer une attaque cardiaque, lorsqu’il se prend un kaléidoscope psychédélique de pensées confuses, un peu comme s’il venait d’entrer dans une rave qui durait depuis plusieurs années, and make it an alien rave. Grommelant dans sa barbiche, il recule et glisse sa légilimencie sur le kid suivant, plus morne et moins busy à côté de Fiona. Garfield trépigne dans son esprit avec davantage de prudence, et, réalisant très vite que le garçon bloquait déjà ce qui semblait être des pensées ou des murmures que seul lui pouvait entendre, le Warlock se contente de jeter un coup d’oeil à une flopée de souvenirs récents rongeant le jeune homme de soucis: un pub, une veste puant le cuir, une bière pas ouf et, soudain, deux visages se mélangeant comme pris dans le sillon d’une même vague. "What the fuck…" grommelle Garfield en reconnaissant les mèches grasses de Jeff.

Si Garfield se recule, c’est plus par réflexe, accompagnant les autres Warlocks tandis que les Travellers achèvent leur petit show magique. Il n’a qu’à peine entendu le son strident, stimulé uniquement par l’échine de Carrie qui soudain s’affaisse. Il fronce du pif, ne captant rien à ce qui était en train de se passer, hormis le fait qu’elle n’aurait pas dû se transformer, right??? Il n’y avait assisté qu’une fois, et la métamorphose fait toujours du mal à voir (enfin, de ce qu’il peut voir, à cause des lumières dansantes qui pulsent dans la nuit noire) (la rave party n’était donc pas que dans la tête de Connor). La silhouette de Carrie se contorsionne grotesquement, ses os se brisant pour mieux se retourner en squelette lupin. Garfield se force à ne pas trop trop regarder, surtout quand elle s’écrase au sol, que son dos grossit, que sa cage thoracique s’ouvre et que ses cheveux se répandent, hirsutes, sur tout le reste de son corps.

"Oi, girl! aboie-t-il à l’intention de Fiona, sa voix dissonnante à cause de sa surdité latente, you better ain’t gonna try anything funny, a’right?!" Il a pointé sa baguette accusatrice en direction des kids, prêt à éructer n’importe quel sort pour mettre fin à cette mascarade s’ils tentaient quoi que ce soit.

"What do you mean 'they are with the Warlocks'?" Glenn s’est figé dans son fauteuil dans lequel Saoirse l’a trouvé. Elle a couru et elle a du mal à parler. "With their leader - Kang? And uh - others, on the white hill - I uh--" La jeune Traveller se plie en avant, les mains sur les genoux, pour reprendre sa respiration. Son teint pâle fait encore plus ressortir le rouge de ses joues. Elle tremble et semble inquiète, ce qui tend davantage son aîné. Il se lève et repose le miroir magique qu’il a utilisé quelques minutes plus tôt pour communiquer avec Maureen.

"Take it easy, Saoirse, catch your breath…", dit-il calmement, une main sur l’épaule de la jeune femme alors même que l’impatience le gagne et qu’une multitude de questions se presse contre ses lèvres. "For what purpose? - I'm not sure, but Fiona-- - Fiona is there? - Y-yeah and Connie too, and your--and Diarmuid." Glenn est traversé par une appréhension sourde. Il n’est pas le plus instinctif de ses pairs mais il a un mauvais présentiment ; rien, dans la poignée de détails que lui a rapportée Saoirse, ne le rassure. La mention de son fils achève d’asticoter ses nerfs. Il s’éloigne, récupère sa baguette laissée sur la commode et jette un dernier regard à la jeune femme. "Go to Remy and tell her what you just told me. No need to alarm the others. It may be nothing serious. - Okay but--" Il disparaît dans un craquement sonore. "--what if it's serious?!"

Glenn apparaît à plusieurs mètres du lieu de rendez-vous, dans la nuit brumeuse où la visibilité est réduite à un rien. Il entend des éclats de voix et perçoit des rayons de lumière traverser la poix, comme autant d’indications lui désignant la position des sorciers et sorcières. Il avance rapidement, tendant davantage l’oreille à chaque pas supplémentaire pour tenter de comprendre ce qui se passe. Petit à petit, il discerne des visages connus parmi les silhouettes qui sont postées en retrait. "Liam, what on earth is going on?!" Liam sursaute et laisse échapper un petit crachat de sortilège depuis sa baguette. "S-sir?!" C’est un garçon massif qui fait bien une tête de plus que Glenn. Il a pourtant l’air d’un chiot pris en flagrant délit de bêtise quand il se retourne face à son aîné.

"Oi, girl! you better ain’t gonna try anything funny, a’right?!" Glenn et Liam tournent d’un même mouvement leur tête en direction de l’aboiement. L’aîné fronce les sourcils, reconnaissant la voix et le genre d’anxiété qui la transit. Même s’ils se tiennent à l’écart de l’échange, Glenn peut très distinctement entendre les craquements d’os et les déchirements de chair qui débordent de la pénombre non loin de là où Angus a beuglé. Un rai blafard s’est mis à transpercer la brume. Glenn lève le nez en direction du ciel nocturne pour voir ce qui lui avait échappé jusqu’alors : la lune est pleine. "What did you do?!", s’exclame-t-il sans flegme sans patience ni mesure, à l’attention du pauvre Liam qui prend lui aussi conscience du danger en train de croître à quelques mètres seulement. "Oh sheeet…!!" Il se fait secouer par le poing de Glenn qui s’enroule contre son manteau. "Tell the others to leave, now." Liam tourne une visage confus vers lui en opinant très vite. Ils se quittent en allant dans des directions différentes.

Glenn est agité de tremblements quand il transplane là où il pense avoir vu la crinière rousse de Fiona. C’est bien elle. "You’re in so much trouble young lady." Et contrairement à d’habitude, ce n’est pas appréciatif. Un farfadet passe entre leurs jambes, hurlant "foehck dat!!" suivi par un autre qui pointe sa nièce du doigt. "We dedn't segn oehp fahr dis!!" Un peu plus loin, là où Liam s’en est allé, un sortilège explose et des cris retentissent. "Who shot?!" Un autre encore traverse la brume suivi par un hurlement à vous glacer le sang. "She turned?!?!" Glenn est incapable de dire à qui appartient la voix, cette fois. Il se tourne vers Fiona. "Tell me where my son is and get out of here!" Il est clair que le statu quo éclate quand une pluie de sortilèges s’abat d’un côté comme de l’autre, provoquée par un trop-plein d’anxiété et un chapelet de quiproquos - sans compter ces grognements bestiaux, qui tendent tous les participants, Glenn compris.

Pour être parfaitement honnête, Connor n'aime pas tellement le super méga plan de Fiona pour renverser le Syndicat et surtout zigouiller la tête des Warlocks. Faut dire que Connie est surtout un gars pacifiste qui aspire à la paix et à l'amour (et sans doute à un peu plus de bière), et certainement pas à conquérir le monde. Mais bon, il se trouve que Fiona est du genre convaincante et que c'est difficile de lui dire non quand on a le cerveau encore embrumé par les magic poppers de la veille.

C'est donc ainsi qu'il s'est retrouvé en jupe à carreaux verts et en haut de forme serti de trèfles à paillettes au milieu d'une armada de farfadets et de ses confrères, à attendre que l'heure tourne et qu'ils puissent tous rentrer sains et saufs boire un coup. Il s'exécute avec son groupe sous la commande de Fiona et sent son cœur tambouriner contre ses côtes. Ça tombe bien puisqu'il est en charge d'installer bodhrans, bombardes et cornemuses et d'enchanter le tout pour l'effet *folklorique*. Une fois sa mission achevée, il renverse une potion censée créer un épais brouillard verdâtre autour de la scène. Et puis voilà. Il jette un regard en direction de Dee. “ Not as dope as yesterday but hey! ” Sur ces mots, il se met à danser et claque ses mains au rythme des tambours.

La vue de Kang et de ses sbires jette néanmoins un froid à l'arrière de sa nuque et il s'arrête presque aussitôt. La jeune femme est pourtant cute si on omet son air de parenté avec l'ancienne Sous-Secrétaire d'État, I swear they secretly raise lil' kittens together and skin them alive. Connor est tellement stressé en observant les échanges entre Fio et le gang adverse qu'il décide de se changer les idées en souriant à la belle brune au manteau à fourrure orange, mais son stress le pousse à penser à trop de choses en même temps. Au verre de trop qu'il a bu la veille, au regard de travers que lui a lancé Tiens-toi-à-Carrow avant de partir (comme s'il savait ce que Connie s'apprêtait à faire, ce rat), à l'odeur des cheveux de Fiona, à la fraicheur de Dee (dans tous les sens du terme), au fait qu'il a oublié de virer la crotte à l'entrée des box et que Darragh va pas être content du tout, à l'air de la dernière chanson d'un groupe suédois qu'il aime bien, au regard du grand gaillard mal lavé qui se tient derrière Kang et qu'il a l'impression de sentir partout et- Il secoue la tête, le gars à détourné les yeux. C'est ça ouais, baisse les yeux.

Au fond, Connie n'en mène vraiment pas large alors qu'il attend que l'heure arrive. Il voit Fiona tendre une main à Kang. Il lui semble entendre l'aiguille des secondes bien qu'il sache que c'est parfaitement impossible de là où il est. Leurs mains se touchent. La magie opère. Et dans un grand bruit Connie sursaute et écrase le pied d'un des farfadets à coté de lui. La créature hurle et se met à l'insulter, mais c'est déjà trop tard.

Sous ses yeux, Kang se transforme en loup garou.

“ Is- Is that normal? ”

Il n'a cependant pas le temps de réfléchir et se sent projeté en arrière.

***

Tapie dans l'ombre de la forêt, Svetlana observe toute la scène avec attention. Elle doit se faire violence pour ne pas attaquer immédiatement l'enfant qui a osé lui prendre sa fille et son époux. Treize sorciers, aussi entraînés soient-ils, ne feraient pas le poids face à une des bombes dont elle a le secret. Une attaque surprise serait sans doute fatale à la moitié de l'escadron envoyé par ces satanés Warlocks. Mais voilà, Svetlana a d'autres plans pour Charybdis. Des plans dans lesquelles la sorcière souffre, sous ses yeux, souffre comme sa fille a souffert de ses mains et comme son mari a sans doute souffert aussi. Svetlana veut la voir souffrir. Et seulement alors, elle pourra se tenir devant elle, et lui cracher une dernière fois qu'on ne touche pas à la famille Von Bäume.

Son stratagème impliquait en plus de cela la participation d'une gamine des Travellers, ce qui lui offrait un moyen de pulvériser l'ordre établi par ce maudit Syndicat une bonne fois pour toute. Car qui au sein du Syndicat était venu venger la disparition du chef de l'Albericht ? Qui avait répondu à son appel, et avait puni ce gang de sales hybrides décadents ? Personne. Personne, et c'est bien pour cette raison que Svetlana ne comptait épargner personne dans sa vengeance.

Malheureusement, c'était sans compter sur l'imbécilité de cette jeune génération qui, visiblement, ne maîtrisait plus l'art du coup d'état comme à son époque.

Elle aurait dû s'en douter. Elle aurait dû ne compter que sur elle-même mais Svetlana s'est montrée trop avide, elle en a demandé trop. Et voilà que sous ses yeux, le rituel ne fonctionne pas et la petite Kang se transforme en loup et- “ You imbeciles! ” Svetlana jette une de ses bombes magiques en direction d'un groupe de Travellers lui barrant le chemin. “ You really can only rely on yourself- ” Elle lance un sort à droite. “ -to get shit- ” Elle lance un sort à gauche. “ -done! ” Elle se fend ainsi une trajectoire en direction de la bête nouvellement formée et tend vers elle sa baguette. “ It's between you and I, you little Сука! ”