fin décembre 2017 | laboratoire "abandonné" ; alentour de Derry

CW. expérimentation humaine

La situation était troublante et Alois avait beau se repasser les étapes dans l'ordre, il ne pouvait que constater qu'il lui manquait LA pièce pour compléter le puzzle et comprendre comment ils en étaient arrivés là. On ne guérissait pas de la mort mais plus il regardait le revenant qui se dressait devant lui, plus il y voyait un simple malade. Les traits tirés, le teint extrêmement pâle, le corps dysfonctionnant ? Rien ne marchait, Alois avait déjà tenté de faire avaler à l'homme tout un tas de potions qu'il avait sous la main et elles avaient toutes finies sous la forme d'un vomi noirâtre (ce dernier était en cours d'analyse, en témoignaient les fioles qui décantaient sur la paillasse du fond). Pas de battements de cœur, pas de respiration (ou alors juste en mouvement réflexe), une température corporelle correspondant à la température ambiante donc pas de métabolisme cellulaire. Seul le système nerveux somatique semblait encore marcher : l'individu bougeait et parlait  (voire criait au moment où le médicomage lui avait prélevé des tissus (un doigts en l'occurrence)). Mais d'où venait l'énergie cinétique ? Peut-être de la magie car cette dernière était si faible dés que le cobaye tentait un sort que l'on pourrait croire qu'elle servait à autre chose. Une manière d'infirmer cette théorie serait de trouver un cracmol revenant mais pour l'instant, Alois n'en disposait pas. Il n'avait d'ailleurs qu'un unique cobaye.    

Il se souvenait encore du moment où il avait déclaré le décès de ce dernier, une pointe de satisfaction dans la voix. Il n'aimait pas spécialement perdre des patients (cela rimait même parfois comme un échec personnel) mais il fallait avouer que certains ne manquaient ni à lui, ni aux proches. Alors quand il avait reçu un hibou épouvanté de la femme du défunt lui disant qu'elle venait de le retrouver sur son pallier, Alois s'était empressé d''aller le kidnapper avant que les autorités ne s'en mêlent et la veuve n'avait pas émis la moindre protestation (surtout comparé au mort qui l'avait insulté sur environ dix générations allant de ses ancêtres - même les plus légendaires - aux enfants des enfants de ses enfants). Il était silencieux désormais, attaqué par des lanières en cuir de dragon sur un fauteuil d'examen et Alois le contemplait en silence comme si il allait trouver la vérité peinte sur le front livide de l'homme. Elle n'était déjà pas écrite dans ses livres. Alois en avait beaucoup mais aucun ne parlait de résurrection (hormis la bible mais il doutait très fort qu'il y ait quoique ce soit de divin dans l'histoire). Il était guérisseur, pas nécromancien.

Du bruit à l'étage lui annonça l'arrivée de Sinead. Souriant derrière son masque chirurgical (qui savait quelle bactérie trainait dans les organes des défunts, il faudrait faire une dissection mais il n'en avait pas assez sous la main pour se le permettre), Alois s'empressa de quitter la cave aménagée pour aller ouvrir la porte d'entrée de la maison en ruine qu'il avait reconverti. Tout semblait indiqué - de la couche de poussière au sol (il l'avait enchanté pour que les traces de pas n'y apparaissent pas) à l'état des meubles - que la bicoque était abandonnée et une armada de sorts répulsifs empêchaient adolescents sorciers comme moldus de venir y chercher de quelconques fantômes. La porte s'ouvrit dans un grincement sinistre qui trancha avec le ton joyeux (et un peu excité car le mystère des revenants était encore mieux qu'un cadeau de noël) du médicomage. "Sinead ! Tu as amené le tien ?" Question rhétorique, bien sûr qu'elle avait amené le sien, son ancienne élève ne l'avait jamais déçu ou presque et tout un protocole de comparaison allait pouvoir être exécuté.

— Ca va bien se passer, j'vous assure y'a pas d'quoi s'inquiéter Maggie. Sinead avait répété une version de cette phrase à peu près une dizaine de fois depuis qu'elle avait emprunté la Revenante pour l'amener jusqu'au lieu de rencontre avec son ancien professeur. En réalité, Sinead n'en était pas certaine. L'alchimiste avait beaucoup voyagé pour parfaire sa maîtrise de cette pratique magique et avait eu de nombreux professeurs, Alois avait sans doute été l'un des esprits les plus fascinants qu'elle ait eu la chance de rencontrer. Sauf qu'il était également imprévisible, et qu'un tel mystère devait le mettre dans un état pas permis. A tel point que Sinead ne savait pas bien jusqu'où il serait prêt à aller pour découvrir les secrets des Revenants. Lors de leurs échanges épistolaires récents, ils avaient conclu qu'il serait intéressant de passer leurs notes en quelque sorte et Alois avait insisté pour qu'elle apporte un cobaye (une personne, Sin n'arrivait pas à se dire qu'il s'agissait simplement d'un essai scientifique) et celle-ci avait accepté mais à la condition de rester et d'avoir l'assurance de repartir avec.

Elle n'est pas rassurée à cent pourcent pour autant. — Je vous fais confiance ma petite. Mais vous êtes bien certaine que vous devriez autant bouger dans votre condition. Sinead lève les yeux au ciel pour la énième fois, Maggie est (était?) (avait été ?) Une sorcière de la Vieille École qui aurait préféré voir Sin dans un lit jusqu'à son accouchement et qui avait passé toutes leurs rencontres à lui expliquer les joies de la maternité et patati et patata. Sinead s'en serait bien passé. — Au contraire, c'est très bon pour moi Maggie. Ne pas bouger me fais péter un câble, et ce ne serait pas bon pour le bébé, n'est-ce pas ? C'était un miracle qu'elle ne lui soit pas déjà rentrée dedans. Mais, le besoin de comprendre et d'aider ainsi peut-être l'Ordre semblait vaincre son agacement.

Et si elle devait s'allier temporairement à son ancien professeur, personne ne le saurait.

—  On arrive. Dit-elle enfin en toquant à la porte - elle n'avait pas pu transplaner directement devant la vieille bicoque, par mesure de précaution. Il ne faut pas longtemps pour que la porte s'ouvre sur un Alois masqué, et que tout un tas d'odeur assaille les narines de Sin. Heureusement qu'elle a dépassé la période des nausées, cela aurait définitivement entraîné une situation plus que gênante. Elle rend son sourire à leur hôte, peut-être d'une manière un peu plus réservée et hésitante. C'est un peu comme se jeter tête la première dans le laboratoire d'un scientifique fou avec les portes qui grincent, la poussière partout. Sin a vu assez de films d'horreur avec ses pères pour savoir comment se finissent ce genre de scénarii.

Malgré tout, Sid confirme. — Aye aye. C'est Maggie. Maggie, voici l'homme dont je vous ai parlé. Il est médicomage, j'suis sûre qu'ensemble on pourra enfin résoudre cette histoire. — J'espère bien ma petite. C'est pas que je m'ennuie, mais j'aimerais bien retrouver ma famille ensuite pour voir ce que mon fainéant de fils a encore réussi à rater et ... — Entrons, la coupe Sinead en lançant un Désolée silencieux à Alois, la grimace sur le visage. Sinead a beau tout faire pour la trouver sympathique, Maggie lui tape sur les nerfs.

L'intérieur de la Maison a au moins le mérite de la faire taire. Sinead la sent se rapprocher un peu d'elle et se saisir de sa manche. C'est sûr que le lieu ne crie pas "Home sweet Home", c'est même plutôt le contraire. Cela en fait donc la meilleure planque du monde aux yeux de Sin, mais quelqu'un comme la vieille Revenante ne paraît pas complètement de cet avis. — Souriez un peu Maggie, vous allez rencontrer quelqu'un qui vit la même chose que vous, vous aurez de quoi discuter. N'est-ce pas ? Sinead demande à Alois en espérant qu'il ne lui ai pas coupé la langue ou toute autre expérimentation qui risquerait de briser définitivement la collaboration de Maggie Maplepines. Elle se penche un peu plus vers Alois tout en continuant à le suivre et ajoute dans un chichot qui - elle l'espère n'atteindra pas les oreilles de la Revenante - — Il est en un seul morceau ton cobaye rassure moi ?

cw. expérimentation humaine

Si l'on ouvrait un dictionnaire à enchanté, il y avait une photo du sourire d'Alois à cet instant précis. Certes, ce dernier était caché par son masque chirurgical mais il montait jusqu'à ses yeux. "Enchanté Maggie" dit sans se formaliser du bavardage de la vieille ressuscitée (à se demander s'il avait écouté). "Je vous proposerai bien du thé mais dans votre état..." ajouta-t-il d'un ton trop joyeux pour que la revenante ne capte pas qu'il se foutait un peu de sa gueule. "Mais oui, vous allez rencontrer quelqu'un comme vous. Vous avez même quasi le même âge, c'est peut-être le destin !" Le tinder des revenants, en direct de Derry, que c'était beau qu'il s'y passe enfin quelque chose. Enfin, faudrait que l'autre revenant soit à peu près présentable (soit pas ligoté à son fauteuil) mais le guérisseur n'avait pas l'air de s'en soucier. "Bien sûr que mon cobaye est en un seul morceau." Pour l'instant. A quelques phalanges près. Mais qui avait vraiment besoin de son petit doigt ? Il n'avait pas chuchoté comme Sinead alors Maggie le regardait avec un drôle d'air, il y répondit d'un clin d'œil avant de se pencher à l'oreille de la rousse. "Age, raison du décès, pureté du sang ?" Dernière question uniquement pour savoir s'il pouvait se la jouer enfoiré ou pas trop.

Alois ne se dirigea pas tout de suite vers son laboratoire, entrainant plutôt ses deux invitées vers un petit salon. Dépourvu de fenêtres et de poussières (il était après tout à l'abri du regard donc n'avait pas besoin d'avoir l'air abandonné et hanté), la pièce était meublée confortablement avec un grand canapé aux coussins dépareillés et deux-trois fauteuils mal assortis. Le guérisseur invita Maggie à s'asseoir avant de se désintéresser complètement d'elle pour se concentrer sur son ancienne élève. "Tiens, mets ça !" Il lui fila un masque identique au sien. "Il ne faut pas prendre de risque, surtout pour toi !" Un regard au ventre bombé de la femme. "Tu vas voir, c'est que du bonheur ! Je me souviens de mes filles quand elles étaient toutes petites, aucun problème, c'est après que ça se gâte." Grimace derrière son masque, y comprendre que les ados étaient relous. "Heureusement que Poudlard est un pensionnat !" (Il avait totalement pleuré quand il avait du les accompagner au Poudlard Express pour la première fois).

"Mais bon, nous ne sommes pas là pour ça... Assis-toi, assis-toi. Tu veux boire quelque chose ?" L'excitation perçait de nouveau dans sa voix alors qu'il s'agitait à droite à gauche pour mettre la main sur deux verres ébréchés et sortir une bouteille de jus qui avait l'air aussi vieille que la maison. "C'est incroyable ce qu'il se passe. In-croy-able." Il en avait lâché ses sujets de recherches habituels pour se consacrer uniquement à cette histoire. Maggie sembla vouloir en placer une, il lui glissa une plume et la page jeu d'un Witch Weekly qui datait d'avant la prise de pouvoir du Lord. "Au début, je pensais à un canular mais non ! Ils sont morts de chez morts ! Il suffit d'en ouvrir un pour s'en rendre compte. - Ne vous inquiétez pas Maggie, ce n'est pas le plan pour vous. - C'est extraordinaire !" De sa blouse il sortit un petit carnet rempli de notes, il l'ouvrit vers la fin avant de le tendre à Sinead. "Voici quelques unes de mes observations... Je suis sur les analyses de sang en ce moment. D'ailleurs Maggie, vous n'avez pas peur des piqûres hein ?" Et Alois éclata d'un rire joyeux qui ne présageait rien de bon pour la revenante.