Le temps passait vite quand on s'amusait. Enfin, ça, c'est que Wilfred se répétait : en vérité, il avait surtout beaucoup de travail et peu de temps.

Il commençait lentement à se faire à la météo britannique, enfin, vite fait. Il avait toujours des difficultés à apprécier leurs températures hivernales. Quelle idée aussi de venir se perdre si haut dans l'hémisphère.

Mais au moins, les projets sur lesquels il avait l'occasion de travailler étaient intéressants et très prenants. Il ne pouvait décemment pas se plaindre des recherches qui le conduisait à droite, à gauche. Mais il regrettait les incidents récents : il était difficile de mener à bien des recherches sur d'anciennes magies quand elles commençaient à se comporter de la façon la plus terrible qui soit. Les dysfonctionnements impactaient leurs avancées et il était difficile pour Wilfred de garder le moral de ses troupes. Il était loin d’être un trouillard, mais les dérèglements se faisant de plus en plus présents commençaient sérieusement à l’inquiéter de l’état de la magie sur le sol britannique.

Frustré, il était contraint pour la journée, de se rendre à Londres. Direction la bibliothèque sorcière la plus fournie du pays. Il n'était pas sûr de trouver de quoi se mettre sous la dent dans les archives : les recherches étaient souvent longues et il avait déjà envoyé quelques étudiants en archéomagie y regarder. Pour le moment, rien de probant n'en sortait.

Plus que d'accompagner les recherches de ses étudiants, Wilfred devait rejoindre une de ses nouvelles compagnies dans l'après-midi. Il semblait que Nell avait trouvé des petites infos croustillantes à se mettre sous la dent et en toute honnêteté, le vieux monsieur était des plus curieux et voulait bien savoir ce qu'elle avait pu dénicher pour qu'elle le contacte ainsi.

La matinée était passée à une sacrée vitesse. Lunettes baissées sur le nez, plume à la main, accompagné de ses deux étudiant et étudiantes préférés, ils avaient passé une bonne partie du temps à déchiffrer de vieux parchemins, soigneusement sorti pour l'occasion. Les idées avaient commencé à fuser, se mélangeant les unes aux autres, Wilfred plaçant parfois une halte, expliquant certains principes à ses jeunes disciples avant de les laisser repartir dans leurs théories. C'était rafraîchissant de les voir débattre. La jeunesse avait de belles choses à promettre, s'était-il dit, au détour d'une conversation sur la signification de certaines runes particulièrement complexes. Nombreux livres avaient fini étalés sur la table qu'ils occupaient, pages ouvertes par dizaine, à un tel point où il devenait impossible de voir ne serais-ce que le bois du bureau sous la montagne de documents sortis.

C'était une matinée fructueuse, qui avait remonté quelque peu le moral du vieux monsieur.

Ils avaient passés du temps à noter les références des documents utilisés avant de tout ranger le plus soigneusement possibles. Wilfred avait fini par payer le repas à ses élèves - ils l'avaient bien mérité. Et il était revenu en début d'après-midi, cette fois-ci seul.

Posté devant l'entrée, mitaine sur les mains, son souffle tentant de réchauffer ses doigts gelés. Il était chaudement emmitouflé dans un manteau de laine long, à peine plus foncé qu'une émeraude. Il n'avait plus qu'à attendre sa nouvelle amie. En espérant qu'elle ne l'attendait déjà à l'intérieur.

Le vieux monsieur était profondément concentré sur la chaleur qui semblait vouloir quitter son enveloppe corporelle. Le froid était bien trop présent et les minutes s’écoulaient bien trop lentement, au point où il finirait probablement – s’était-il dit- en statue de glace à attendre la jeune femme. S’était-il, peut être, trompé d’heure ? Un coup d’œil sur sa montre lui avait confirmé que non. Voilà qui était fort curieux !

Une chance pour lui, il ne lui avait fallu que quelques minutes supplémentaires avant d’entendre une voix familière l’appeler de derrière. Il s’était retourné pour voir d’où elle venait, se rendant compte de la silhouette de la jeune femme dans l’embrasure de la porte massive de la bibliothèque. « Miss Jung ! » D’un pas énergique, un sourire aux lèvres, il avait rejoint la jeune femme à l’intérieur de la bâtisse, non pressée de retrouver la chaleur de l’endroit. « Oh, ce n’est pas bien grave ! Pas d’inquiétude, j’aurais dû me douter que vous étiez déjà à l’intérieur. » L’hiver, le vieillard tournait toujours plus au ralenti qu’il n’en avait l’habitude. C’était curieux, mais il ressemblait à son iguane, Gilmore, lui aussi partait en brumation pour la saison. « Pour être parfaitement honnête, c’est l’une des journées des plus tranquilles ! » Il avait eu un sourire un peu amusé. Il faisait toujours attention à se ménager, car il voulait toujours donner le maximum pour chacune des interventions auxquelles il participait.

Il s’installait tranquillement, comme à son habitude, à la table que la jeune femme avait choisis. L’endroit lui semblait bien plus calme depuis l’effervescence de ce matin.

« Hello Ara . » Il avait doucement tendu la main vers la pipistrelle, lui laissant renifler ses immenses paluches, dans l’espoir de la laisser se familiariser avec lui. « Elle m’a l’air tout bonnement adorable. » Ah, s’il pouvait reprendre les balades avec Gilmore sur ses épaules… Mais la météo britannique ne s’y prêtait absolument pas. Wilfred avait toujours eu un faible pour les animaux - certes avec une préférence pour les lézards et les équidés. Mais il estimait surtout que l’on pouvait se faire une idée de la valeur de quelqu’un par la façon dont ils traitaient les animaux. Et vu comment la créature semblait confortable, il imaginait qu’elle devait être fortement choyée par sa mère.

Il y avait une chose que Wilfred appréciait particulièrement : aller droit au but. L’objet posé entre eux, les pupilles de l’archéomage s’était éclairées vivement, excitée à l’idée de regarder cet artefact de plus près. Pour ce qui était de la provenance… Wilfred n’en avait que faire : il était assez mal placé concernant la vente et récupération d’objets anciens. Il avait fait des choses qu’il avait regrettés au cours de sa carrière. Mais il fallait ce qu’il fallait pour financer ses recherches. « Si je puis me permettre, vous avez des connaissances sur sa provenance ou un détail qu’on aurait pu vous communiquer dessus ? » Rien de plus qu’une simple curiosité, de la part de l’archéomage. Il s’intéressait aux histoires de ces objets, pas nécessairement les mains par lesquelles ils étaient passés, mais leur provenance originelle. Elle avait bien dû avoir des informations dessus, elle n’aurait pas sauté sur l’achat d’un faux, tout de même ?

Délicat comme jamais, il s’était saisi de l’objet et avait commencé à l’inspecter, sortant bientôt de l’une de ses poches une paire de lunettes qu’il avait glissée sur son nez, tournant l’objet entre ses doigts pour en observer les aspérités. Il n’avait pas semblé réagir à la sorcière et vu la magie qui pouvait régner en ses lieux, il doutait d’une possible réaction à la magie – elle aurait dû, potentiellement, avoir déjà lieu. « C’est un bel objet. » Son regard s’était arrêté sur une face ornementée, s’arrêtant sur les glyphes que lui avait indiqué la jeune femme. « Je pense qu’on est bien face à des runes, bien qu’un poil plus anciennes que celle que l’on étudie en général. Belle observation. » Il lui avait sourit un instant avant de reprendre son observation. Pendant de longues minutes, il observa, griffona sur un carnet quelques interrogations et glyphes. Les runes n’avaient presque plus aucun secret pour lui – il estimait, encore une fois, qu’on ne pouvait devenir incollable sur une matière - et il se sentait capable de faire quelques déductions sur la provenance de l’objet.

Certaines runes semblaient assez évidentes, d’autre semblait … Des plus curieuses, comme un mélange de différents glyphes, enchevêtrés les uns aux autres. Peut-être des erreurs de la part du mage, ou peut-être simplement antérieure à une période plus moderne. Il penchait sur la deuxième hypothèse. « Je dirais qu’on est sur de l’Européen… Probablement 3e ou 4e siècle. 5, max. Très bien conservé. » C’était peut-être même un poil suspect. Les artefacts magiques avaient tendance, certes, à bien subir les affres des siècles, mais nul n’était à l’abri d’un faux.

Il avait reposé l’objet au milieu de la table, et s’était élancé d’un pas dynamique vers l’une des allées de la bibliothèque, pressé et baragouinant quelque peu dans sa barbe. « C’est très curieux de voir des runes mêlées les unes aux autres, mais … J’en ai déjà croisé. » Il avait tendu sa main dans les airs, ses doigts se mouvant pour attirer à lui un bouquin, puis un deuxième, puis un troisième. « Powell, Göbel …. Ils ont fait quelques recherches sur ce type de runes… Et on devrait trouver des traces là-dedans. » Il était revenu à la table, les avait posés à droite et gauche de l’artefact, ouvrant d’une main le premier livre et fouillant au travers des mots ce dont il cherchait. Sa deuxième main s’était affairée élégamment jusqu’à tomber sur l’une des gravures les plus fouillies qui puisse exister, mais dont curieusement, Wilfred semblait trouver le sens. « Souvent des ouvrages un peu passés pour les étudiants, mais ces vieilles choses ont leurs intérêts. » Il se saisit du cube, le tourne jusqu’à trouver l’aspérité qui l’intéresse le plus. « Là. Tu vois celle-là ? » Naturellement, le vouvoiement avait été abandonné, comme lorsqu’il s’adressait à l’un de ses étudiants. Il avait tapoté un endroit dans la gravure où l’on semblait deviner une rune similaire dans la forme : un enchevêtrement singulier.

« La simplicité aime souvent cacher une incroyable intemporalité. » Les objets les plus banals étaient des œuvres terrifiantes pour les jeunes étudiants : censées être rassurantes, elles étaient souvent l’objet de préjugés et les recherches sur lesquelles elles se portaient, trop nombreuses pour être toutes étudiées. Les choses peu communes ne demandaient qu’à être comprises.

« On va essayer d’identifier tout ça. Tu as un peu de connaissance en rune ? » Il avait déjà commencé à s’affairer à reproduire quelques runes sur l’une des pages blanches de son carnet, prenant garde à les garder ensemble par face et par regroupement.

Nell lui rappelait sans équivoque ses étudiant.e.s dont il avait pu avoir la charge : assoiffé.e.s de connaissances, curieux et prêt à en apprendre toujours plus. C’était ce qu’il aimait de la jeunesse : une fougue et une envie insatiable.

Il n’était pas vraiment surpris du manque de connaissances de l’origine de l’objet : après tout, elle ne lui aurait probablement pas demandé son aide si elle en avait identifié la provenance. Il hocha doucement de la tête, ils allaient devoir partir de pas-grand-chose pour l’identifier, pas bien grave en sois, c’était juste un poil plus compliqué.

La jeune femme semblait tenir à se défendre de son manque de connaissances, il l’avait arrêté d’un geste de main avec un sourire. « L’essentiel avec les runes, c’est d’être rigoureux. » Il reprend doucement, lui adressant un regard quelque peu amusé.« Ce n’était pas une attaque, Miss Jung. Ne vous défendez pas. »

Les runes commençaient à prendre forme sur le papier, une oreille toujours à l’écoute des faits de Nell. « Je miserais, en effet, plus sur un coffre ou quelque chose du genre. Les runes de protection et d’attaques ont plutôt tendance à se retrouver sur des objets plus convénients à garder sur soi. » Dernière face, le cube tournant entre ses doigts. « Mais je peux me tromper, il n’est pas rare d’être surpris avec ce genre d’objet. » S’il savait une chose, c’était qu’archéologue était un métier ou la remise en question était constante et ou rien n’était acquis.

« Vous croyez que ça pourrait venir de l’empire romain ? Il paraît que pour négocier avec Licinius, certains chefs de clans sorciers lui offraient des objets ensorcelés. » Surpris, c’était le mot. Agréablement. « C’est une possibilité ! » Il eut un temps d’arrêt. « C’est rare de rencontrer des gens qui ont connaissance de ces événements. » Il termina de griffonner la dernière rune, posant l’objet devant eux, se redressant quelque peu. Il allait probablement passer en mode professeur, à un moment donné. Mais il allait faire de son mieux pour expliquer à la jeune femme ce qu’il y voyait.

« Les runes ont connues plusieurs alphabets au courant des âges, mais je pense qu’on était sur un âge de transition entre l’ancien fuþark et le nouveau. » Il entoure les quelques runes qui l’interrogent, avant de tapoter de son doigt la face qui l’intéresse. Il tourne les pages du premier livre pour montrer un tableau des runes à la jeune femme.

« On va commencer par la face la plus simple, celle-ci. » Il montre sur son carnet l’assemblement des runes soigneusement inscrites«Alu. C’est l’un des mots plus courant que l’on retrouve sur ce genre de vieillerie. » Il sourit doucement, reprenant. « C’est ce qui semblerait une formule de protection, mais il n’y a pas d’opinion tranchée sur sa vraie signification. Ça peut autant être quelque chose qui protège son propriétaire, ce qui ne semble pas être le cas ici, on aurait eu un nom ou quelque chose qui s’en rapproche dans la foulée. » Il lui montre les runes qui suivent et qui précèdent du bout du crayon. « Ou ça peut affirmer que cette boite protège quelque chose. » Tout était possible encore, rien n’était gravé, s’il pouvait se permettre la formule. « Je crois deviner ce qui pourrait s’apparenter au mot gardien par ici. » Il entoure quelques runes.

Il tourne le cube doucement, avant de changer de face. « Celle-ci m’interroge, on dirait un mélange.» L’ancien runique était toujours un poil compliqué à appréhender, car il avait subi beaucoup de changement, possédé des caractères perdus. Certaines runes pouvaient carrément appartenir à un patois ou un dialecte local. Il sort l’un des bouquins, cherche dedans pendant plusieurs minutes, marmonnant presque dans sa barbe. « Je dirais que par l’écriture, on se rapproche de Mannaz et que ce qui suit est un nom, ou plusieurs. » Il l’épelle plusieurs fois mentalement «Skáldmær. » Il répète plusieurs fois le nom, le faisant rouler dans sa bouche. Il se perd presque dans ses pensées. Voilà qui semblait des plus curieux. Il regarde à nouveau. C’est qu’il semblait y en avoir d’autres, en plus. Il s'était reculé dans sa chaise, l'air quelque peu pensif.