petits mensonges entre adelphes

@Atropos Sacramoni | 14 décembre 2007

Ses passages à l’Airlock sont réglés comme une horloge. Chaque jour, même heure, même résident. Résidents au pluriel, alors que dans la chambre aménagée où Logan est en confinement, il y a aussi Kali. La petite se réchauffe à peine à lui, mais se laisse soigner sans rechigner. Elle lui a demandé quelques animaux en origami lorsqu’il a mentionné qu’il savait en faire, des oiseaux qu’il fait voler et qui jouent dans ses cheveux et lui tirent quelques rires. Des instants où elle oublie les cauchemars qui la prennent trop souvent et la gardent épuisée. Alors que la nouvelle lune vient tout juste de passer, Lucjan se demande si elle ne se cale pas sur l’influence que celle-ci a sur Logan. Les enfants sont perceptifs, après tout, et Kali est bien maligne.
Lazarus (Dani, qu'il se répète, le père d'Ezio) lui a dit que Logan devrait être sorti à temps pour la pleine lune de décembre, et qu'il pourra la vivre avec la meute, sa meute. Il compte les jours jusque là et en attendant, ne manque jamais une visite. Ne manque jamais non plus de remercier le lycanthrope en charge de l’Airlock de sa générosité, alors qu’il n’est pas sûr que ce soit tout à fait réglementaire de visiter si souvent un... pas un prisonnier, mais vous voyez bien. Dani n'en dit rien, se contente de sourire, de lui dire "à demain".

Aujourd’hui, il est là à une heure différente, pour un résident différent. UnE résidentE différentE, donc l’existence soulève bien plus de nervosité chez lui.

L’avant-veille, Dani l’a convoqué afin de lui poser des questions sur Atropos Sacramoni. Tout son calme un peu curieux s’est décomposé en une fraction de seconde et il a fallu un travail patient de la part du loup-garou pour le ramener à la réalité, le rassurer, lui dire qu’elle allait bien, qu’elle n’était pas en danger, que personne ne lui avait fait de mal. Bien au contraire, même, alors que c’est une des nouvelles résidentes de l’Airlock, en attente d’avoir le droit de rejoindre l’Ordre du Phénix à temps plein.
Ça a semblé irréel, à Lucjan. Irréel parce qu’il ne comprend pas pourquoi Attia voudrait quitter la relative sécurité de la vie civile pour une vie de fugitive.

Il ne comprend pas, car lui ne l’aurait pas fait, s’il avait eu le choix il y a cinq ans.

Son hâle estival a pâli et la fatigue de la nouvelle lune récente tire ses traits, autant que le stress inhérent à… à tout, dans sa vie. Du foulard où son visage est enfoncé, du col de sa cape d’hiver, il ne semble dépasser que ses grands yeux bruns et ses cheveux en bataille. Dani le reconduit jusqu’à la chambre d’Attia, y toque légèrement pour prévenir de leur arrivée, avant d’ouvrir la porte pour laisser l’Animagus y entrer. « Tu viendras me voir ensuite, Lucjan. Prenez votre temps. » La porte se ferme sur ce doux commentaire. Lucjan fixe le plancher, ses souliers, et absolument pas sa grande sœur. Là où habituellement il ne retient pas ses étreintes pour la Sacramoni, il garde une nette distance physique, obstinée. Ses mains gardées férocement enfoncées dans les poches de sa cape, les yeux vissés sur le plancher de beau bois. « Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Elle a essayé de se préparer à cette conversation, dont elle se doute que ce ne sera pas totalement plaisant. Assise dans sa chambre où à faire les cent pas, la porte fermée, elle a essayé d’imaginer la tête que ferait Lou en apprenant qu’elle lui avait menti tout ce temps. Attia a même tenté de prévoir quelques traits d’humour qui sauraient détendre l’ambiance qui allait sans doute être très lourde d’un coup. Mais, à chaque fois, son imagination lui peint (sans doute à raison) une réaction chez son petit frère qui ne laisse pas supposer que l’humour sera une bonne porte de sortie.
En même temps, elle ne peut que comprendre l’éventuelle incompréhension qui tire les traits imaginaires de son frère à chaque tentative de préparation.

Atropos n’a jamais menti autant à Lucjan.
Correction : jusque là, elle ne lui avait jamais menti.
Ou en tout cas, jamais sur des choses importantes.

Là, c’est comme si elle lui avait menti sur presque toute la ligne depuis des années.
Elle a une boule dans le fond de la gorge depuis qu’elle est là, depuis qu’elle a pris conscience qu’il allait falloir rendre des comptes à son frangin. (Tilly, ce sera une autre histoire.) Elle a beau en avoir parlé avec Kingsley le lendemain de son arrivée à l’Ordre, alors qu’il était venu corroborer ses dires à Lazarus, ça n’a rien changé à la situation, et ça ne lui a pas apporté une solution toute faite.

On toque bientôt à la porte, et elle s’ouvre, laissant apparaître le visage du Sacramoni, puis sa silhouette qui avance tandis qu’Attia se fige quelques secondes, alors qu’elle venait de se lever de son lit. La porte se referme, et les adelphes n’ont pas encore lié leurs regards, pas plus qu’ils n’ont scellé la distance. Les mains de la rouquine viennent se nouer maladroitement, les ongles de sa main droite triturant celui de son index gauche. Et la voix de Lou s’élève finalement, pour mettre immédiatement les pieds dans le plat, toujours sans la fixer : « Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Ouais, ça commence de façon frontale et Atropos inspire profondément avant d’écarter les bras et de forcer un sourire sur ses lèvres, même s’il ne la regarde pas. Elle s’efforce même de prendre un ton enjoué pour commencer : « J’ai toujours voulu- » mais la blague meurt entre ses lèvres, alors qu’elle sait, qu’elle sent, qu’elle le connaît par cœur : ce genre de boutade ne passera pas.

Alors, plutôt que de donner l’impression de prendre ça à la rigolade, elle décide donc de commencer autrement : « J’aurais dû te le dire avant, mais j’avais pas envie que tu t’inquiètes. Je voulais inquiéter personne. » Les bras retombent, un soupir s’échappe et Attia s’approche doucement de Lou. « Je suis désolée, Lou. » Ça ne dit toujours pas ce qu’elle fait là. Elle voudrait chercher le regard de son frère, mais à la place, elle dévie et regarde un mur de cette chambre, pour faire son aveu tardif : « Je sais plus trop quand j’ai commencé à renseigner l’Ordre. Ça fait des années. Et puis, récemment, on m’a informée que ça commençait à sentir le roussi et qu’il valait mieux que je rejoigne l’Ordre avant que le Ministère m’attrape. » Sa tête se baisse, ses épaules s’affaissent, avant qu’elle se retourne vers son frère et ajoute, un peu précipitamment : « Les parents vont bien, promis. »

Lucjan n’a jamais été le genre à prendre des pincettes, autant pour une question de caractère, de métier, ou tout simplement parce qu’il mesure mal quelle situation demande davantage de délicatesse, ou comment arriver à ce résultat. Il le fait parfois ; souvent, non. Là, il n’en est même pas question. Il n’en serait pas capable, même si c’était son intention.
Dans ses poches, ses poings se serrent alors que sa soeur commence le prévisible début d’une boutade, ceci avant de s’interrompre elle-même avant qu’il tranche que ça n’a rien de drôle.
Il n’a même pas besoin de l’entendre pour savoir qu’il ne rira pas.

La franchise d’Attia devrait l’apaiser. Il comprend l’intention derrière les secrets, ceux qu’ils se gardaient par nécessité ― de sa vie dans la résistance, Lou n’a jamais révélé que le nécessaire à son aînée, conscient de l’importance de garder le silence. Il ne lui a pas parlé de Johannes, même si ça lui coûtait, et n’aurait certainement pas pu tenir sa langue si elle lui avait directement parlé de son meilleur ami qu’elle croyait décédé ; l’omission, dans son cas, gagnante. Il persistait toutefois la naïveté que si lui ne disait rien, elle, elle, pouvait tout lui raconter. De sa vie amoureuse à peine frémissante, les nouvelles de la famille, de la communauté italienne de Liverpool, des collègues de St Mungo’s.
La rousse s’approche et le brun ne bouge pas, toujours droit comme un i, raide comme la justice, à s’en faire mal au cou et aux épaules. Il ne la regarde pas directement non plus, les iris posés sur le bas de son corps pour en suivre le mouvement. L’arrêt. Les gestes retenus, à les regarder, les analyser, s’imprégner d’une culpabilité qui s’imprime probablement jusque sur son visage, dans sa voix, sans qu’il puisse le jurer. Sur le sien, de visage, ses lèvres minces tracent une ligne serrée, coupante.

Les parents vont bien.
Combien de temps encore iront-ils bien, maintenant que la Sacramoni est partie ?

La voix est plate : « Si tu es en danger, ça veut dire que tu faisais plus que “renseigner l’Ordre”, Attia. » Ils le savent tous les deux. Dwight renseignait l’Ordre et il n’est pas passé par l’Airlock, encore ; nombre de personnes à travers le monde magique portaient deux cercles à leur poignet et ne se sont pas pointées ici, comme des fleurs, afin d’intégrer la résistance. Brièvement, ses yeux bruns s’accrochent à ceux, si bleus, d’Attia. Le regard ne porte pas la fatigue du faciès, mais plutôt une colère qu’il ne sait pas comment exprimer. « C’est avec Royal, que tu étais en contact. »
Ce n’est pas une question.
C’est une accusation.

Atropos a du mal à maintenir le cap de cette conversation. La colère de Lucjan est presque palpable et le fait qu’il n’ait toujours aucun contact avec elle et semble se raidir à son approche n’aide en rien. Elle sait bien que ça ne sera jamais vraiment lui qui initiera le mouvement, mais elle redoute de se faire envoyer bouler si elle essaie de l’enlacer pour tenter de se faire pardonner. « Si tu es en danger, ça veut dire que tu faisais plus que “renseigner l’Ordre”, Attia. » Ce garçon est beaucoup trop malin pour son bien, songe-t-elle, alors qu’elle esquisse une moue gênée et évite encore le regard de son frangin. Elle regarde ses mains, pâles, fines, où elle a flingué une partie de ses ongles pendant l’attente, terrible. Heureusement que les manucures peuvent s’arranger magiquement, mais disons qu’elle ne va pas s’en faire une de sitôt.

Elle n’a toujours rien dit. Ça fait des années qu’elle se tait sur cette affaire : de longues années où elle a donné des informations à Kingsley, notamment sur les cadavres qui passaient sur le billard de St Mungo’s, en provenance directe du Ministère, mais où elle lui a aussi donné du matériel, des onguents, des potions refourguées sous le manteau. Ça et le soigner à l’occasion, quand il débarquait à l’improviste chez elle. Et d’autres choses. Ça fait des années qu’elle ment à Lou là-dessus.

Elle relève la tête, elle voudrait trouver les mots, mais eux qui viennent en général si facilement, se refusent et se dérobent quand elle tente de formuler une phrase qui a du sens. Ses yeux captent les prunelles marron de l’animagus et elle ne s’en détache plus, quand bien même elle y voit clairement brûler la même ire qui tend Lucjan. « C’est avec Royal, que tu étais en contact. », reprend-il, dur, implacable, alors qu’elle n’a pas ouvert la bouche depuis tout à l’heure. Elle inspire, profondément, et acquiesce d’un seul hochement de la tête. Elle reste debout, là, à peine à quelques pas de Lucjan, mais elle a l’impression qu’il y a comme un gouffre entre eux, qu’elle a largement contribué à creuser avec ses dissimulations de longue durée.
Le regard brûlant de son frère la décide à raconter peut-être pas tout, mais au moins le début, qu’il comprenne les éléments déclencheurs au moins. « Il m’a contactée peu de temps après le test de Mike et Tilly. » Quand tout était devenu compliqué, terrifiant, dangereux. En disant cela, elle sait très bien qu’elle va permettre à Lou de se rendre compte que le mensonge n’est pas récent, mais ancré depuis bien plus longtemps. « On avait travaillé ensemble à quelques occasions, avant tout ça, quand il était encore Auror. » Croisant les bras contre sa poitrine, elle a l’impression d’un froid mordant, et suppose que c’est que les morts commencent à se rapprocher d’elle. Levant ses barrières mentales sans en avoir l’air, elle se met bien droite sur ses pieds, face à Lou, et reprend : « Je sais pas vraiment comment il a su, mais il a dû sentir que c’était le moment pour me proposer de faire quelque chose. Et vu que les parents et toi étiez encore en Angleterre, je pouvais pas disparaître du jour au lendemain. Donc oui, ça a été mon agent traitant. » En disant cela, Attia sait très bien que le reproche va surgir, peut-être pas immédiatement, mais dans pas longtemps. Alors elle préfère faire une ellipse jusqu'à son arrivée ici, ne serait-ce que pour calmer peut-être un peu la fureur de Lou. « Il m’a fallu deux semaines pour organiser ma disparition, mais c’est fait et les parents ne seront pas ennuyés : j’ai falsifié des documents pour que St Mungo’s et le Ministère me pensent désormais décédée. Je te passe les détails, mais ils n’iront pas embêter les parents pour ça, je m’en suis assurée. » Ça avait pris du temps, et ça expliquait que tu n’aies rejoint l’Ordre qu’en décembre et pas avant, mais tu avais été catégorique : tu ne pouvais pas risquer d’attirer des ennuis aux Sacramoni.